La Cosa Nostra n'est pas morte

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Jean-François GAYRAUD

La succession des « Pères fondateurs » de cet embryon de Mafia expatriée est apparemment houleuse, un conflit surgissant entre deux clans rivaux menés l’un par John « Handsome Johnny » Carbone et l’autre par Frank « Big Frank » Colacurcio Sr, le fils de William Colacurcio. John « Handsome Johnny » Carbone tombe à la fin des années 1960, condamné avec des complices à vingt ans de prison pour racket. Libéré en 1997, il meurt chez lui d’une crise cardiaque. Frank Colacurcio Sr a, quant à lui, une plus longue histoire criminelle : pendant plus de 70 ans, des générations de policiers locaux (police de Seattle, bureau du sheriff) et d’agents fédéraux (FBI et IRS) vont tenter de le confondre. Dans les années 2000, les Colacurcio père et fils défraient la chronique locale avec un scandale politico financier surnommé par la presse le Strippergate. Qu’en est-il ? En 2003, une enquête conjointe du FBI, de la police de Seattle et du sheriff du comté de King apporte la preuve de « contributions secrètes » en faveur de trois candidats à la mairie de Seattle. Apparemment, les prétendants à la mairie étaient « sollicités » pour faciliter l’expansion du parking du Rick’s. Mais, comme le dira Tim Burgess, un adjoint au maire et membre pendant 12 ans de la City Ethics and Elections Commission de la ville : « Ce n’est que la pointe émergée de l’iceberg. L’industrie du strip-tease dans ce pays est fondée sur un modèle de corruption, de blanchiment d’argent, de violence physique et de prostitution, et c’est vrai aussi à l’Ouest, dans l’État de Washington. Le sujet n’est pas celui de la danse dénudée ou de la liberté d’expression. Il est question d’une entreprise criminelle qui opère dans notre région depuis des décennies » 5. Le plus inquiétant semble en effet se trouver à un autre niveau. Les Colacurcio auraient bénéficié pendant des décennies de la « bienveillance » d’un avocat, un temps élu gouverneur de l’État : Albert D. Rosellini. Ce que l’intéressé a toujours nié vigoureusement. Les soupçons se firent par exemple pressants durant le Strippergate. Cependant, l’essentiel est ailleurs, comme ce bref aperçu historique le suggère. Officiellement, les Colacurcio et leurs associés et complices ne forment qu’une sorte de home grown organized crime (crime organisé local). Il semble pourtant qu’une véritable Famille de la Mafia, donc une entité formelle, au-delà des seuls liens du sang, se soit anciennement implantée puis développée à Seattle, loin de l’attention générale concentrée généralement sur l’activité des Familles de la côte est et de Chicago. Une Famille comprenant probablement entre cent et deux cents membres initiés et associés, dont les métastases

La Mafia italo-américaine est-elle morte ?

iraient de l’État de Washington (Seattle, comtés de King et Pierce), aux États de l’Oregon, d’Arizona, du Texas, du Nevada (Las Vegas), jusqu’à Vancouver, en Colombie britannique (Canada). Une implantation durable et profonde donc, passée presque inaperçue jusqu’à présent.

Les Gambino et les autres Au tournant du XXIe siècle, avec l’arrestation puis le décès en prison (2002) de son boss emblématique John Gotti, la plupart des observateurs ont considéré la Famille Gambino (État de New York 6) au bord de l’agonie. Peu pariaient sur sa survie criminelle. Cette famille était présumée morte et enterrée, payant ainsi la flamboyance dangereuse de John Gotti. Il est vrai que les dégâts opérés par le témoignage devant la justice fédérale du repenti Sammy « The Bull » Gravano, ex-underboss de la Famille, furent alors considérables. Son témoignage envoya John Gotti et des dizaines d’autres mafieux en prison. Pourtant, les « affaires », une fois réorganisées et reprises en main, se sont apparemment poursuivies, comme si de rien n’était. La chronologie montre même que, durant les assauts judiciaires de la période Gotti, la Famille poursuivait sa vie criminelle : En février 2008, lors d’une opération dite Old Bridge, les polices américaines et italiennes lancent un raid conjoint contre diverses Familles de la Mafia sicilienne en Sicile – à Brancaccio, Pagliarelli, Villagrazia - et contre la Famille Gambino à New York et dans le New Jersey. En tout, environ quatre-vingts personnes sont interpellées des deux côtés de l’Atlantique, dont environ soixante aux États-Unis. On découvre, à cette occasion, que la Famille Gambino, avec en particulier sa figure montante Francesco « Frank/Franky Boy » Cali, et diverses Familles de Sicile sous l’autorité du capi di tutti capi Salvatore Lo Piccolo, le successeur de Bernardo Provenzano (arrêté en 2006), avaient su renouer les liens anciens (Old Bridge) et lucratifs de la Pizza connection (héroïne) des années 1980 – que l’on avait pourtant décrite après l’opération comme définitivement défunte !-, mettant sur pied un complexe trafic international de drogue : en l’occurrence, de la cocaïne achetée au Venezuela. Avec ces arrestations massives dans la Mafia de New York, l’opération la plus importante depuis vingt ans, c’est en fait toute la hiérarchie supérieure de la Famille Gambino qui se trouve décimée : John « Jackie the Nose » d’Amico, Domenico Cefalu (souschef), Joseph « Jo Jo » Corozzo, Giovanni Inzerillo, etc.

(5) Paul Shukovsky, «Police and feds raid Colacurcio strip clubs», Seattle P.I., 3 juin 2008. (6) L’État et la ville de New York abritent cinq Familles mafieuses dont les racines remontent au XIXe siècle pour leurs prémices et aux années 1920-30 pour leur configuration actuelle : Lucchese, Colombo, Genovese, Bonanno et Gambino. Ces cinq Familles, avec celle de Chicago, surnommée The Outfit, dominent la scène mafieuse nord-américaine, y compris canadienne.

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