Nathalie Rouquerol Jacques Lajoux
En quarante ans d’une intense activité scientifique, Édouard Lartet croise tout ce que la France, mais aussi l’Angleterre, compte de paléontologues, avec lesquels il débat sans relâche. Des illustrations, encarts et courtes fictions animent l’ouvrage, formant une vaste fresque d’un siècle passionnant, entre vie parisienne et monde rural, entre monarchie, empire et république, entre croyance et raison, entre mythe d’Adam et réalité de Cro-Magnon.
Nathalie Rouquerol Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales auprès du professeur Jean Guilaine, Nathalie Rouquerol a longtemps dirigé le musée de préhistoire d’Aurignac et conduit sa modernisation. Expert associé CNRS à l’Unité mixte de recherches 5608 TRACES à Toulouse entre 2000 et 2016, elle est spécialisée en histoire de la préhistoire. Son dernier livre, La Vénus de Lespugue révélée, Nathalie Rouquerol et Fañch Moal, Locus Solus éd., 2018. Jacques Lajoux Président fondateur du groupe Archéo de Gimont et professeur émérite de lettres au collège Édouard Lartet de Gimont dans le Gers, Jacques Lajoux, a accumulé au fil des années toutes les informations concernant son compatriote Édouard Lartet. Mémoire de ce département, il s’est naturellement mis en relation avec Nathalie Rouquerol, lorsqu’il a eu connaissance de ses recherches. LA PRÉHISTOIRE EN HAUTE-GARONNE
LA PRÉHISTOIRE EN HAUTE-GARONNE
LA PRÉHISTOIRE EN HAUTE-GARONNE
L’origine de l’Homme Édouard Lartet
L’origine de l’Homme
L’avènement de l’origine ancienne de l’homme est une révolution scientifique, culturelle, morale et psychique dans laquelle Édouard Lartet a joué un rôle majeur. La notion même de préhistoire, d’une humanité antédiluvienne, heurte préjugés, dogmes et acquis. Lartet subit oppositions et censures, mais poursuit inlassablement ses fouilles. Servi par un caractère tenace et une chance insolente, son parcours est jalonné de découvertes extraordinaires : le premier singe fossile européen, à Sansan dans le Gers ; les premiers outils validés en grotte, à Aurignac en Haute-Garonne ; puis les premières œuvres d’art préhistoriques et, enfin, une sépulture maintenant connue de tous, celle de Cro-Magnon aux Eyzies en Dordogne.
Nathalie Rouquerol Jacques Lajoux
A
ujourd’hui, nous savons que l’âge de la terre se compte en milliards d’années et celui des hominidés en millions. Mais, au début du xixe siècle, l’idée même d’une émergence très ancienne de l’humain paraît une hérésie. Au détour des années 1820, Édouard Lartet, jeune avocat stagiaire à Paris, se passionne pour quelques animaux fossiles trouvés dans sa terre gersoise. L’archéologie en est alors à ses débuts. En 1834, il envoie sa première communication au Muséum de Paris. Porté par ses découvertes, Lartet abandonnera le droit pour consacrer le restant de ses jours à rechercher les preuves de l’existence de l’homme fossile.
(1801-1871) de la révolution du singe à Cro-Magnon préface d’Yves Coppens
LA PRÉHISTOIRE EN HAUTE-GARONNE
Couverture : haut gauche, abri d’Aurignac (Haute-Garonne) ; bas gauche, Paléosite de Sansan (Gers) reproduction d’Amphicyon major ; au centre lame d’ivoire gravée d’un mammouth, La Madelaine (Dordogne). Photos Nathalie Rouquerol, avec l’aimable autorisation du Muséum national d’histoire naturelle/Musée de l’Homme ; relevé en noir sur l’ivoire de mammouth, infographie Nathalie Rouquerol.
LA PRÉHISTOIRE EN HAUTE-GARONNE
LA PRÉHISTOIRE EN HAUTE-GARONNE
Ville de Seissan
ISBN 978-2-86266-785-X
35 €
www.loubatieres.fr
GROUPE ARCHEO GIMONT
éditions Loubatières
l’origine de l’homme
abréviations AD. Archives départementales (exemple : AD32 = Archives départementales du Gers). Toutes les lettres de Laurillard et Laganne à Lartet proviennent des Archives départementales du Gers (AD32-94J). AM. Archives municipales AN. Archives nationales ASN. Annales des Sciences Naturelles, Zoologie et Paléontologie BA. Ville d’Abbeville, Archives et bibliothèque patrimoniale. Toutes les lettres de Lartet à Boucher de Perthes proviennent de cet établissement. BCMNHN. Bibliothèque centrale du Muséum national d’histoire naturelle. Toutes les lettres d’Édouard Lartet à Laurillard en proviennent. BSAHLSG. Bulletin de la Société archéologique historique littéraire et scientifique du Gers BSAP. Bulletin et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris BSGF. Bulletin de la Société géologique de France Cp. Collection privée. CRSAS. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences. Les séances ont lieu le lundi. DARW. Darwin Correspondence Project, Université de Cambridge https://www.darwinproject.ac.uk/ Matériaux. Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’Homme (volume 1 1865-1866) É.L. Édouard Lartet. H.C. Henry Christy L’ANT. L’Anthropologie (revue) LDGSL. Archives de la Société géologique de Londres MASIBT. Mémoires de l’Académie des sciences inscriptions et belles-lettres de Toulouse MMNHN. Mémoires du Muséum national d’Histoire naturelle QJSGL. Quaterly journal of Geological society of London. Société géologique de Londres Reliquiae. Édouard Lartet et Henry Christy, 1865-1875, Reliquiae Aquitanicae, Being a Contribution to the Archaeology and Palaeontology of Perigord and the adjoining provinces of southern France, Rupert-Jones éd., London, 506 p., 132 fig., 87 pl. Une traduction de Jean-Pierre Chadelle est disponible sur le site internet du Pôle d’interprétation de la préhistoire (Les Eyzies) SICD. Service interuniversitaire de coopération documentaire des universités de Toulouse 2 Jean-Jaurès. Les carnets de notes de Lartet ont été presque tous transcrits par Philippe Gardère. Dans les séries de carnets de notes : C. est noté à la place de « carnet ». https://tolosana.univ-toulouse
ISBN : 978-2-86266-785-X Maquette : Éditions Loubatières Photogravure et impression : GN Impressions
© Éditions Loubatières, 2021 Sarl Navidals 1, rue Désiré-Barbe F-31340 Villemur-sur-Tarn
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Nathalie Rouquerol et Jacques Lajoux
L’origine de l’Homme Édouard Lartet (1801-1871) de la révolution du singe à Cro-Magnon
préface d’Yves Coppens
éditions Loubatières 3
l’origine de l’homme
Fig. 1. Le petit singe de Sansan. Aquarelle de Fañch Moal.
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science ou dogme ?
chapitre 1
années 1820. paris vibrante, paris savante Paris, cité littéraire, romantique, savante, mais aussi ville des troubles. Le drapeau tricolore est oublié. Paris vibrante où la révolte n’est jamais loin. Paris, où le 13 février 1820, au sortir du ballet Carnaval de Venise, pour couper court au lignage royal, le neveu du roi est assassiné d’un coup de couteau. La monarchie s’inquiète car « même dans ses meilleurs jours, la Restauration a toujours été et parue chancelante » observe François Guizot 1. Les lois d’exception se précisent et fixent l’arrestation arbitraire en cas de soupçon de complot. Puis la censure est votée et rendue exécutoire le 1er avril. Bientôt les journaux cessent de
paraître. La Chambre des députés s’enflamme : on veut maintenant changer la loi des élections pour favoriser les plus ultraroyalistes. À la fin du printemps l’agitation grandit, les troupes royales sont rapprochées de Paris. Les étudiants des écoles de droit et de médecine suivent les débats, se pressent à la Chambre, acclament les députés libéraux au cri de « Vive la Charte ! » ; d’autres au contraire proches des ultras répliquent « Vive le Roi ! » Des rixes éclatent. Dans ce contexte rude et mouvant, Édouard Lartet, étudiant gersois, rejoint son frère dans la capitale.
Imaginons… 1822. Un jeune avocat au Jardin des plantes Édouard, avocat-stagiaire employé chez un avoué parisien, n’est pas vraiment concentré sur cette copie d’une affaire difficile. Il rêve de s’échapper au plus vite dans les rues de Paris. Habituellement soucieux d’être digne de la tradition familiale qui compte déjà un avocat et un magistrat parmi ses frères aînés, Liénou et Cazimir, il essaie d’accomplir avec le plus grand sérieux ce qui lui est demandé. Mais ses collègues du cabinet où il est employé, depuis peu certes, ignorent son goût prononcé pour la littérature, l’histoire et les sciences de la nature, qui a entouré son enfance gersoise. Pressé par la curiosité, il se précipite dehors quand midi sonne. Le jeune homme dispose de peu de temps et doit revenir au plus vite, tant pis, il ne dînera pas aujourd’hui – le dîner en Gascogne, correspond au déjeuner à Paris, et le souper au dîner. Il court jusqu’aux quais de la Seine. Ce n’est pas un gros effort, rien à voir avec ses collines natales, douces au regard, mais fatigantes pour le marcheur. Bien entraîné, il y arrive rapidement. Pas le temps de fouiner beaucoup, comme il se plaît habituellement à le faire dans les petits étals des bouquinistes installés sur les quais. Mais avec une gourmande attention, Édouard détaille un à un les titres et fait glisser son doigt sur le dos en peau mordorée des volumes 17
l’origine de l’homme
tées des apports nombreux de ses correspondants, les savants européens qui l’informent. Grâce à eux, il réunit une importante collection de moulages et de dessins de spécimens fossiles, auxquels s’ajoutent ceux de Montmartre ou d’ailleurs. Aussi, en 20 ans, ses collections ont-elles considérablement augmenté 20. Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupède où l’on rétablit les caractères de plusieurs espèces d’animaux que les révolutions du globe paroissent [orthographe d’alors] avoir
détruites, est le titre complet de son grand travail sur les fossiles en même temps que l’exposé de sa théorie des « catastrophes » ou révolutions de la surface du globe, qui ont exterminé ces animaux, aujourd’hui retrouvés à l’état de fossiles. De nombreuses planches viennent appuyer son discours. Dans cet ouvrage se trouvent les probablement toutes premières reconstitutions d’animaux éteints, comme l’Anoplotherium et le Palaeotherium 21.
À la loupe ANOPLOTHERIUM et PALAEOTHERIUM L’Anoplotherium Animal fossile décrit par Cuvier en 1804. Après une première découverte d’une partie du squelette, une deuxième trouvaille vient compléter la précédente avec, comme par extraordinaire, les parties manquantes. Le lecteur se passionne pour cette recherche. En narrateur et rhétoricien accompli, Cuvier ménage le suspens, fait advenir au bon moment du récit le deuxième exemplaire fossile, et enfin en dévoile la gravure. L’auteur du dessin est Charles Laurillard (17831853), avec lequel nous allons bientôt faire connaissance. Extrait de l’œuvre de Cuvier, Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, t. III, Ve mémoire, 2e section, p. 16 [exemple de l’écriture de l’époque] « À peine avois-je achevé l’article précédent, que je reçus un second squelette du même animal, plus complet encore, à certains égards que le premier, mais qui avoit surtout cela d’heureux, que ce qui se trouvoit le mieux conservé étoit précisément ce qui manquoit à l’autre, et par conséquent ce qui me restoit à connaître pour compléter l’ostéologie de l’espèce. On l’avoit découvert à Antony… » …/…
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Fig. 7. De haut en bas. 1 : Anoplotherium, l’animal est reconnaissable avec son crâne et sa mâchoire (à gauche) enchâssés dans un bloc de pierre, puis le squelette postcrânien à peu près en connexion anatomique (sur la droite). 2 : Palaeotherium. 3 : l’Anoplotherium et le Palaeotherium dessinés par Charles Laurillard. G. Cuvier, Recherches sur les ossemens fossiles des quadrupèdes, 1812, Paris, Déterville éd.
année 1820. paris vibrante, scienceparis ou dogme savante?
Imaginons… 1823. La galerie d’anatomie comparée – Bonjour, mon jeune Monsieur, il y a peu, vous étiez dans la galerie, me semble-t-il ? Je vous ai remarqué l’autre jour, vous étiez si intéressé et concentré. Édouard, bien qu’il ne soit pas très physionomiste et sa vue de loin pas fameuse, reconnaît l’homme aux feuillets couverts de notes, M. Deleuze. Ce dernier vient de se retourner vers lui, au risque de faire tomber quelques papiers de la poche de sa blouse, alors qu’il conversait avec un élève de M. Cuvier. – Aujourd’hui je complète mon travail ici, explique-t-il au visiteur, je suis venu voir M. Laurillard 23, il prodigue des soins continuels aux objets non seulement pour les conserver, mais encore pour les placer de la manière la plus favorable à l’étude. Puis l’historien du Muséum poursuit : – Ici, c’est la galerie de M. Cuvier 24, et comme il a voulu embrasser l’anatomie dans son ensemble, il a constitué cette collection avec les squelettes de tous les animaux, mais aussi les parties molles conservées dans des bocaux. Mais le célèbre professeur Georges Cuvier, Édouard le constate, s’est aussi efforcé de mettre les uns à côté des autres les mêmes organes – toujours dans des bocaux remplis d’esprit-de-vin (alcool) – de différentes espèces pour les comparer. Et il y en a de plus en plus, ce qui donne toujours plus de travail à son secrétaire et conservateur Charles Laurillard. Ce dernier ne paraît pas content du nouvel emplacement choisi pour le dernier bocal en date, garni d’une nouvelle dissection d’un cœur. Il fronce le sourcil, le prend et le déplace, puis revient en arrière. Tout empli d’un grand respect pour ce travail, il semble insatisfait du résultat. « Oui bien sûr, réalise alors Édouard, « comparer » les anatomies », comme le nom de la galerie le suggère. On y étudie la forme d’un même organe, d’une espèce à l’autre. Édouard commence à percevoir que l’étude de la nature demande méthode et logique pour essayer de la comprendre. Tiens, comme dans son affaire juridique épineuse, où la rigueur est le seul moyen pour trouver les preuves. « Solution que je n’ai toujours pas trouvée, s’inquiète-t-il. Nous verrons plus tard, pour l’instant continuons. » Ces squelettes alignés pour comparer aussi la conformation des pattes et compter le nombre de doigts d’un animal, ou ses dents, conduisent à une démonstration convaincante. À partir de là, on peut classer les familles, les genres, les espèces, et ainsi tout le règne animal. Ceux qui ont deux doigts aux pieds comme la chèvre ou le mouton, un seul doigt comme le cheval, l’âne… Le jeune homme, même s’il est un peu dégoûté par ces alignements de cœurs, de muscles, de tubes digestifs en cire ou noyés, et se satisfait bien plus de la vue des squelettes, comprend aussi que les gravures des livres ne sont pas seulement préparées pour l’illustration d’un ouvrage. Les livres sont la traduction de la réalité qu’il a devant les yeux, rangée, alignée et organisée, pour que l’on saisisse bien que c’est l’agencement logique. Même si le lieu n’est pas celui qu’il préfère, il en comprend l’importance. À présent, des aides-naturalistes s’affairent près des nombreux montages d’ostéographie des rhinocéros. Ils vont de squelette en squelette en présentant un petit os du pied arrière, sous les yeux inquiets de M. Laurillard qui craint qu’on ne bouscule la girafe placée juste à proximité. Ils comparent et cherchent à quelle espèce appartient leur petit os du pied, « astragale », a entendu Édouard. Enfin pas si petit que ça, leur « astragale », car s’il devait le confronter avec le pied de l’homme, quelle différence ! Édouard commence à trouver l’anatomie comparée assez amusante. Il revient sur ses pas. « Je voudrais regarder aussi de près une certaine anatomie, la mienne » se dit Édouard avec un sourire intérieur. Certes, les manuels contiennent des schémas, mais grandeur nature, c’est tout autre chose. Il s’attarde sur l’humain et la collection de squelettes, celui d’un Italien avec une vertèbre de plus que la normale, ou bien celui d’une momie égyptienne, ou celui de la « Vénus hottentote », une femme boschimane à côté de son moulage en plâtre. Et il y en a d’autres encore.
…/… Il est de la taille d’un petit cheval. Ses formes sont lourdes, ses jambes courtes, et il a une énorme queue, poursuit l’auteur qui ajoute « Notre Anoplotherium étoit herbivore ; il alloit donc chercher les racines et les tiges succulentes des plantes aquatiques. D’après ses habitudes de nageur et de plongeur il devoit avoir le poil lisse comme la loutre, peut-être même sa peau étoit demie-nue comme celles des pachydermes dont nous venons de parler (rhinocéros, sanglier, hippopotame). Il n’est pas vraisemblable non plus qu’il ait eu de longues oreilles qui l’auroient gêné dans son genre de vie aquatique, et je penserois volontiers qu’il ressembloit, à cet égard, à l’hippopotame et aux autres quadrupèdes qui fréquentent beaucoup les eaux. » Le Palaeotherium En 1812, un mammifère presque entier est retrouvé dans les carrières de Pantin, au nordouest de Paris. Cuvier déclare « Nous sommes à présent les maîtres de dessiner le squelette presque entier de notre animal ; et le squelette une fois reconstitué, il n’y a rien de plus aisé que d’y rattacher des muscles, puisque les limites des muscles sont déterminées d’une manière absolue par les apophyses des os auxquels ils viennent se rattacher 22. »
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l’origine de l’homme
Repères
loi ; ce sera pour les journaux l’article de mort. » Et quelques lignes plus loin dans les Bigarrures : « Dans la séance de l’Académie des sciences, du 10 juin, M. Cuvier a présenté des dents fossiles de tapir, trouvées à Saint-Gaudens, département de la Haute-Garonne. On sait que la seule espèce de ce genre qui existe aujourd’hui habite les contrées tropicales de l’Amérique. » Cuvier précise : « Des dents de tapir gigantesque déterrées
dans l’arrondissement de Saint-Gaudens par M. Cabuel, ingénieur des Ponts et Chaussées. Ces dents, que jusqu’à présent l’on pouvait attribuer au lamantin autant qu’à un tapir, étant cette fois accompagnées d’une canine parfaitement semblable à celle du tapir, il ne peut rester aucun doute sur le genre auquel elles doivent être attribuées 37. » Aucun doute ? Rien n’est moins sûr.
Quelques nouveaux fossiles célèbres 1812. UN GRAND ANIMAL peut-être voisin du tapir, trouvé près de Saint-Lary en Comminges (Haute-Garonne), figuré par Cuvier. 1822. Lophiodon : animal d’un genre inconnu également voisin des tapirs. 1823. Teleosaurus : une espèce inconnue proche des crocodiles, près de Caen. Un reptile mais avec des caractères de mammifères. Nommé par E. Geoffroy SaintHilaire et, d’après lui, à placer « sur la limite des reptiles ET des animaux supérieurs. » Un énorme pangolin : mammifère insectivore de zone tropicale, couvert d’écailles. À Darmstadt, en Allemagne, une phalange d’un animal proche mais d’une taille énorme. Mastodonte à dents étroites : de Bogota, divers ossements. 1824. Ichtyo-saurus : en Angleterre et un peu en France, un corps de lézard, une grande tête proche de celle du crocodile de l’Inde et quatre pattes courtes et comprimées proches des nageoires des cétacés. Taille : de 3 à 25 pieds (= de 1 à 8 m environ). Megalosaurus. En Angleterre étudié par le professeur Buckland, un gigantesque lézard issu du calcaire du Jura (on dira ensuite Jurassique), ordre des Sauriens. Taille : 40 pieds de longueur et 7 pieds de hauteur (= 13 m de long par 2,3 de haut environ). Longtemps considéré comme quadrupède, on le croit aujourd’hui bipède. Plesiosaurus. Autre lézard à long cou et pattes en forme de nageoires, considéré aujourd’hui comme un reptile aquatique 38.
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Fig. 11. Plesiosaurus tel qu’on le représente en 1861. J. Boitard 1861, Paris avant les hommes, Passard éd.
science ou dogme ?
chapitre 3
1830. effervescence scientifique et révolution politique 8 août 1929. Mais à présent l’heure est grave : le journal satirique Le Figaro entoure ses pages d’un cadre noir de deuil : « On parle du rétablissement de la censure par ordonnance… » Huit jours plus tard, le propriétaire du Journal des Débats est cité à comparaître devant le tribunal de police correctionnel, pour outrages à la personne du roi. Quant au Figaro, « Injonction avait été faite à M. le procureur du Roi de faire saisir et de déférer à la justice » son numéro du 9 août. Mais au moment où la sentence allait être exécutée, elle est ajournée et le rédacteur de la feuille poursuit « La censure est décidée pour dimanche ou lundi… » Cette année-là, s’éteint Jean-Baptiste Lamarck, aveugle depuis dix ans. 1830. L’agitation politique est à son comble. Amédée (surnommé Ami) Boué (1794-1881), rentier, fils d’un marchand de Hambourg et relié au sud-ouest de la France par une autre branche de sa famille, passionné de géologie, raconte dans ses souvenirs ces journées parisiennes spéciales : « Nous […] eûmes la satisfaction d’assister à la révolution dite des trois journées de Juillet, où le duc d’Orléans [Louis-Philippe] parvient à occuper le trône des Bourbons [Charles X]. » À cette occasion, le voyageur remarque combien la vie parisienne est difficile en été, où l’on souffre de la chaleur et de l’insalubrité de la cité. Paris n’est pas la seule ville en proie à la révolution et, poursuit le géologue, « La plus grande partie de l’Europe fut saisie d’une espèce de frénésie politique,
Fig. 12. Le Figaro du 9 août 1829.
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fossiles de Simorre pour les vendre comme turquoises destinées à la joaillerie. Cependant, là encore, les difficultés surgissent. La cuisson – et Réaumur avait prévenu – est difficile à réussir, Bricard est mécontent car le minerai a été « par trop calciné ». En avril de la même année, ce client attend une nouvelle livraison qu’il voudrait plus soignée, mais elle tarde. Le printemps 1849 est une période troublée, non seulement sur le plan politique avec les conséquences de la révolution de février 1848 – Achard, sans doute membre de la Garde nationale, passe ses nuits le fusil sur l’épaule –, mais aussi par une recrudescence d’épidémie de choléra à Paris et, dans le Gers, des fièvres dans le genre de la petite vérole, dit-on. Enfin malgré de nombreuses expériences, Achard ne parvient pas non plus à la belle couleur. Déception 130. L’histoire des turquoises continuera de fasciner pendant plus de cent soixante-dix ans, et c’est seulement il y a peu que tout a été éclairci, d’une part la nature du minéral qui donnait cette couleur si inattendue à l’ivoire et l’os fossiles, et d’autre part la fabrication qui remonterait au xiiie siècle.
Fig. 25. 1. Fragments de turquoises, collection Muséum national d’histoire naturelle. 2. Main de justice en ivoire. Sceptre royal recréé en 1804 pour le sacre de Napoléon Ier. Sur le poignet, l’orfèvre Martin-Guillaume Biennais a placé l’anneau dit de Saint-Denis. L’anneau initial, un anneau pontifical très rare, a été attribué à un atelier royal du début du xie siècle. Le chaton est rehaussé de pierreries précieuses : au centre un saphir taillé en cabochon ; autour d’un chapelet petites perles, le cercle extérieur comporte 12 pierres taillées. Mais sur ce cercle, selon Bernard Morel, en 1534 il y avait quatre grenats, quatre perles, trois topazes et une place vide d’une topaze. Biennais aura probablement remplacé d’autres pierres tombées depuis, ainsi : un cristal de roche à facettes sur paillon rouge, une améthyste, deux turquoises et un saphir jaune d’une taille xixe siècle, le reste étant composé de trois grenats et quatre perles probablement d’origine. Mais Biennais réemploie des pierres venant de différentes pièces d’orfèvrerie. Ainsi, pour les autres médaillons du poignet, a-t-il utilisé des pierres qui proviendraient du chef-reliquaire de Saint-Benoît, également du trésor de l’abbaye de Saint-Denis et issu d’ateliers des xiie ou xiiie siècles 131. La turquoise odontolithe identifiée par Ina Reiche, correspondrait donc à l’un de ses remplacements de pierres perdues ? Une magnifique démonstration de l’apport d’une recherche actuelle.
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Il est possible que les turquoises, dont Lartet alors tout jeune homme, avait pour la première fois sans doute vu un exemplaire à Paris dans les vitrines du Muséum associé au Mastodonte à dents étroites (voir ci-dessus), puis les péripéties qui s’ensuivent autour de son domicile gersois, et enfin l’histoire extraordinaire qui durait depuis Réaumur, aient été sinon à l’origine même de sa
carrière, du moins un moment charnière de sa formation de naturaliste. Période cependant où la confusion est encore possible entre minerai – matière première de pièces manufacturées – et en même temps source de fossiles alors inconnus, à une époque où les disciplines sont en train de se fixer, où aucune réglementation n’existe pour ces collectes dans le sous-sol, et enfin où la notion de collections scientifiques est encore incertaine. Nous attend maintenant à Paris, au Muséum, l’un des plus avides de ces séries exhumées de Sansan par Lartet, le professeur Henri de Blainville.
lartet entre paléontologie, gestion agricole etscience tentation ou dogme minière?
À la loupe 2001. Le mystère de la couleur turquoise et de l’orfèvrerie médiévale enfin levé D’abord une définition datée de 1826 Ne pas confondre la turquoise animale et la turquoise minérale, appelée aussi turquoise de vieille roche (ou orientale) ou vraie turquoise. Le mot turquoise vient de « Turquie », mais les filons seraient en Perse (Iran actuel). La pierre ne peut être dissoute par l’acide, ni sa couleur altérée. Elle n’attire pas les cheveux après frottement d’un tissu doux. La turquoise de nouvelle roche (ou occidentale) ou turquoise osseuse : qualifie les turquoises de moins bonne qualité, et de valeur moindre, elles ne sont presque pas connues dans le commerce. Ce sont des dents ou ivoire fossiles. Attaquée par le citron ou le vinaigre, la turquoise devient blanchâtre, par l’acide elle devient effervescente. Attire les cheveux si on les frotte avec un chiffon doux. Happe à la langue. Si on la brûle, répand une odeur animale. La couleur bleue est obtenue par chauffage au four. Les mines se trouvent à Gimont, Castres, Simorre, etc. 132. Pendant le siècle de Lartet, une mention indique que cette technique remonte au Moyen Âge et localise une exploitation minière sur la colline, à l’emplacement du premier village de Simorre incendié en 1141. Il y subsistait des débris « d’une fabrique de ces pierreries bleu de ciel que le moyen âge prodiguait dans toutes les œuvres d’orfèvrerie, dans les tissus pontificaux, les tombeaux et la majeure partie des sculptures ». Un siècle plus tard, un autre texte évoque les moines de l’abbaye cistercienne de Gimont (appelée Planselve), dans le Gers, qui sortaient du sol de la colline à côté quantité de fragments, le plus souvent
verdâtres ou bleutés. Ces morceaux « qu’ils desséchaient et dont ils avivaient les teintes (surtout les bleues) en les mettant quelques heures dans un four à cet usage, puis qu’ils découpaient et polissaient sous forme de plaquettes ou de fragments polyédriques, pour orner des ostensoirs, des reliures de grand missels, des coffrets et d’autres objets qui furent répandus fort loin : on en a retrouvé notamment en Bourgogne et ailleurs ». La mine épuisée ensuite, ils en faisaient venir d’un peu plus loin ; or, Simorre est situé à moins de 25 kilomètres de l’abbaye. Encore fallait-il retrouver des pièces qui démontreraient cette activité médiévale et en analyser les pierreries 133. Des dents de mastodonte pour orner des objets de culte Au terme d’une enquête au Musée national du Moyen Âge de Cluny à Paris et au musée du Louvre, Ina Reiche chimiste spécialisée dans l’étude des ivoires anciens, identifie avec ses collègues une croix reliquaire en bronze du xiiie siècle, issue d’un atelier de la région de Limoges et comportant une turquoise à base d’os ou d’ivoire. Preuve que des moines auraient vraiment transformé ces vestiges en turquoises. Au musée du Louvre, sur un autre objet célèbre, la main royale de justice, montage daté du Premier Empire, est appliqué l’anneau des rois de France dit de Saint-Denis. Ce dernier est orné de perles et de cabochons, dont l’un est bien une turquoise « odontolite » (à partir de dent). Ina Reiche écrit : « Parmi treize pierres turquoises, provenant de huit pièces du Musée du Louvre, trois se sont révélées être des turquoises à base d’os et d’ivoire. » La destination de ces fabrications était donc prestigieuse. Démonstration est faite aussi : il s’agit bien de fossiles venant de Simorre. Enfin, réponse au dernier mystère des turquoises : pourquoi ces débris blanchâtres ou beige deviennent-ils bleus ? Et la chimiste a trouvé.
Le secret du changement de couleur Les études ont été menées au Centre de recherche et de restauration du musée du Louvre (C2RMF) : « L’analyse physico-chimique de différents échantillons de turquoise osseuse ainsi que de l’ivoire de mastodonte fossilisé a permis d’exclure les différentes hypothèses proposées jusqu’à présent. La turquoise osseuse correspond à une fluor-apatite [l’apatite est présente dans les tissus osseux] bien cristallisée présentant des traces de fer, de manganèse, de baryum et d’uranium. Aucune inclusion expliquant la couleur turquoise n’a été révélée. » Ainsi pas de cuivre, pas de cobalt non plus, Réaumur s’était trompé sur ce point. Mais, entre autres, du manganèse sous forme de traces. Ina continue son exploration : « L’analyse des impuretés capables de produire des colorations intenses des minéraux a été menée de manière parallèle avec des méthodes analytiques adaptées, telles que la luminescence induite par laser résolue en temps et la spectroscopie d’absorption optique et X. Ces travaux ont permis de prouver, pour la première fois, la véritable origine de la couleur de la turquoise osseuse 134. » Ainsi la spécialiste de la chimie de l’ivoire, non seulement démontre que ces turquoises viennent de Simorre (Rajegats), mais encore découvre un cas rare où « La présence de Mn5+, ion (de manganèse) à l’état de trace, dans un environnement tétraédrique oxygéné, structure très peu courante pour le manganèse, donne naissance à la coloration turquoise. » Elle conclut dans sa thèse, qu’avec la température, l’ion Mn2+ se transforme en Mn5+ de couleur turquoise 135. Tests à l’appui, elle déduit enfin que la température idéale pour obtenir le beau bleu que réclamait Achard doit être comprise entre 600 et 900 degrés. Ah ! Si Édouard Lartet l’avait su !
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l’origine de l’homme
Fig. 29. Planche avec les singes antiques. En haut 2e à partir de la gauche vue de la mâchoire de Pliopithecus antiquus de Sansan, le même en vue occlusale en dessous. D’après H. de Blainville, 1839-1865, Ostéographie, Baillère éd.
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aîné médecin Louis-Avit pouvait lui fournir de bonnes gravures) pour étabir ses comparaisons. À la fin de la troisième page de son mémoire, le naturaliste ajoute : « j’ai également trouvé une molaire supérieure de singe ; mais elle est d’une espèce plus petite… » L’auteur la suppose même d’un genre différent et proche des singes du nouveau monde, alouates ou sakis, autrement dit singes d’Amérique 158. Annonce également d’un autre fragment de mâchoire très abîmé, ayant conservé deux incisives à droite, et qui semble devoir être rattaché plutôt « à la seconde famille des quadrumanes, celle des lémuriens ». Enfin, « Les autres fragments fossiles que je croirais pouvoir rapporter à des quadrumanes se réduisent à une deuxième phalange d’un petit doigt déjà annoncée, deux os du tarse [cuboïdes] ; et deux moitiés supérieures de fémur. » Lartet s’inquiète et rappelle « mais, je le répète, tout ce que j’avance
à cet égard, est un peu hasardé, dans l’impossibilité où je me trouve d’établir mes déterminations au moyen de comparaisons directes ». Au Muséum, les amis se mobilisent et le savoir de Laurillard est mis à contribution pour l’identification de l’animal fossile par comparaison avec les espèces vivantes et à partir de la description de son inventeur. « J’ai examiné les dents de tous nos genres de singes et je n’en ai trouvé aucun qui convienne exactement à la description de votre mâchoire. Ce n’est point un gibbon, car toutes les grosses dents inférieures des gibbons, comme celles des orangs sont composées de cinq tubercules – trois en arrière et deux en avant. Ce n’est point une guenon, un macaque, un magot etc. car aucun de ces genres ou plutôt sous genre n’offre ce petit bourrelet dont vous parlez ; il faudra nécessairement en faire un nouveau sous genre. Je n’en ai point encore vu le dessin, mais seulement un
cherchez science ou l’homme dogme ?!
calque grossier que M. Desnoyers a pris chez M. de Blainville 159. » Mais ce dernier persiste dans son doute. À son instigation, dans le compte rendu de la 17 avril à l’Académie, le mémoire est à peu près passé sous silence. Seule la lettre d’accompagnement est transcrite. Des six pages du mémoire luimême, rien, sauf la liste des pièces accompagnant la mâchoire de singe : une molaire supérieure, une phalange, deux moitiés de fémur, deux cuboïdes du tarse et un autre fragment de mandibule comportant trois paires d’incisives. Car Blainville veut se donner du temps pour préparer le rapport destiné à l’Académie qu’il a demandé et que la docte institution a accepté de réaliser. Pour ce faire, il veut les pièces à conviction 160 ! « On répétait comme saint Thomas : qu’il faut voir pour croire ; que M. Lartet confie à des mains sûres sa mâchoire ; que l’Académie en ait connaissance, et alors on jugera en connaissance de cause 161. », voilà ce que Desnoyers a entendu. Finalement, l’abbé Canéto, prêtre à Auch, lui-même intéressé par l’histoire naturelle, ami sûr de Lartet, est chargé de convoyer la précieuse trouvaille du Gers jusqu’à Paris. Avec certaines des petites pièces indiquées, la déjà fameuse mandibule parvient à destination. Cependant Lartet n’entend pas se dessaisir de l’original, du moins pour l’instant, malgré l’insistance de Blainville qui lui offre en échange un simple moulage 162 ! Blainville veut observer les précieux témoins de près : il lui semble impossible qu’en un même lieu « se trouvent réunis des ossements d’un singe d’Asie, d’un singe d’Amérique et d’un Maki ou d’un quadrumane
de Madagascar 163 », d’où cette inquiétude persistante du professeur.
gibbon ou pas ? courage, courage ! vous avez là un trésor !
On peut imaginer l’effervescence autour des précieuses reliques parvenues par les soins attentifs et empressés de l’abbé Canéto dans le sanctuaire scientifique de l’époque. Le messager rapporte au plus vite à Lartet les réactions : « On va mouler la mâchoire d’or, et vous la faire passer ensuite par voie sûre, puisque vous le désirez tant ; mais ces MM. aimeraient bien mieux ne vous en adresser que des moules… [sic] 164. » Puis vient le grand jour de la présentation du rapport de Blainville à l’Académie, le 26 juin 1837. Après s’être longuement étendu sur la répartition des singes sur les différents continents, le rapporteur entame une minutieuse présentation de chacun des éléments de la denture de la petite mâchoire de Sansan. Il conclut : « Le rapprochement fait par M. Lartet [des gibbons], est bien près de la vérité, d’autant Fig. 30. 1 : hémimandibule d’un gibbon. 2 : mâchoire du Pliopithecus antiquus de Sansan. 3 : Gibbon Lar. 4 : Gibbon cendré. 5 : Colobe guéréza. Ces exemples montrent la variété du pelage des primates. Celle du pliopithèque restera un mystère. Gervais, 1854, Histoire naturelle des mammifères, Curmer éd.
Repères Chronologie d’une révolutionnaire découverte 17 janvier 1837. Lecture de la première lettre de Lartet à l’Académie annonçant la mâchoire fossile d’un singe. 23 janvier 1837. Demande d’encouragement par Arago, Cordier et Blainville à l’Académie pour la poursuite des travaux de fouilles à Sansan. 29 mars 1837. Arrivée à Paris, chez le député Laplane, d’une deuxième lettre de Lartet, écrite à Ornézan le 18 mars 1837, contenant un mémoire complémentaire de six pages avec un dessin de la mâchoire du singe, à remettre à Blainville. 17 avril 1837. Lecture à l’Académie et impression dans les comptes rendus de la lettre d’accompagnement du mémoire nommé Nouvelles observations sur une mâchoire inférieure fossile, crue d’un singe voisin du gibbon, et sur quelques dents et ossements attribués à d’autres quadrumanes ; par M. Lartet. 19 avril 1837. Lettre de Jules Desnoyers à Lartet contenant, en outre, un message du 15 avril de Charles Laurillard. 19 avril 1837. Lettre de Blainville demandant expressément à Lartet de venir avec les ossements originaux ou bien de les lui envoyer. 22 mai 1837. L’Académie est avisée que les « pièces à conviction » lui sont adressées par Lartet. 6 juin 1837. L’abbé Canéto, prêtre (sulpicien) à Auch, une relation de l’avocat gersois, est chargé d’une mission spéciale. Il arrive à Paris, avec les fameuses pièces à conviction, rencontre Blainville et les autres complices du Muséum. Il apporte : une demi-mâchoire inférieure (Lartet a-t-il gardé l’autre moitié de la mâchoire d’or ?), une molaire, un autre fragment de mâchoire, un cuboïde (sur les deux), une phalange (mais pas les deux fragments de fémur). 26 juin 1837. Blainville présente son rapport sur l’envoi de la mâchoire du petit singe et de quelques autres ossements annoncés dans le mémoire du 17 avril 165.
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l’origine de l’homme
À la loupe La position théorique présumée de Lartet Le monde vivant L’étude des fossiles montre l’organisation d’êtres de plus en plus complexes en se rapprochant de l’époque actuelle. Cette lecture est donnée par l’observation de la superposition des couches géologiques, les plus anciennes comportant les espèces les plus simples. (Actuellement les plus anciens êtres vivants fossiles identifiés sont des bactéries de plus de 3,5 milliards d’années ; vers 570 millions d’années vivent des méduses, algues, éponges, vers, etc.). Contrairement à Blainville, Lartet n’affirme pas que la création est complète dès le départ, ou bien si elle l’est, c’est sous la forme d’énergie vitale, amenée à s’épanouir dès que les conditions climatiques le permettent. Cette énergie en sommeil et en germe, selon Lartet, donnera un jour peutêtre, dans le futur, de nouvelles espèces. Affirmant que les organismes sont destinés à s’éteindre lorsque les conditions climatiques leur sont hostiles, il s’éloigne de Blainville qui parle plutôt d’épuisement de l’espèce. Une population humaine antédiluvienne Elle aurait pu exister et ses traces se perdre, car vivant sur un continent maintenant englouti. Ceci renvoie à Cuvier, ou au vieux mythe de l’Atlantide. L’humain reconquiert ensuite les territoires momentanément fermés. (On connaît aujourd’hui en préhistoire ces périodes de variations climatiques qui créent des isolats de quelques dizaines de milliers d’années pour des populations confinées à certaines zones plus clémentes, lors des périodes glaciaires par exemple). Les singes sont des mammifères supérieurs, il en existe des restes fossiles. Rien ne s’oppose donc à la découverte de l’humain car son organisation est très proche de celle du singe. Noter qu’il ne s’agit pas de dire que l’homme descend du singe, mais que leurs organismes sont comparables et qu’ils ont pu être contemporains.
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les formations tertiaires abondent dans toute la région qui l’entoure. Il suffit donc de chercher. Bien sûr, pour mener ce vaste projet de prospection sur l’ensemble qui englobe au moins, la Haute-Garonne, une partie des Hautes-Pyrénées et le Gers actuels, on comprend aisément que des moyens conséquents sont nécessaires, ainsi que le temps : plusieurs années. En dernière analyse, pour Lartet, où dorment les mammifères fossiles, sommeille l’homme antédiluvien, cherchons… Ce texte montre un enthousiasme limité par ses moyens financiers et humains. Car explorer la région, puis ouvrir des chantiers, mobilisera des ouvriers pour des campagnes de plusieurs semaines. Plein d’espoir, Le paléontologue avait déjà projeté dès la fin 1838 une tournée de prospection, qu’il voulait confier à Pierrète, dans les zones historiques de trouvailles de mammifères, les plus grands et les plus mystérieux : les dinotheriums. Pierre Saint-Martin, dit Pierrète (1793-1870), arboriculteur, spécialisé en arbres fruitiers et d’ornement, s’est fait une réputation auprès d’une clientèle aisée. On dit qu’il est de frêle constitution, ce qui lui a valu ce surnom qui équivaudrait à « Petit Pierre 7 ». Lartet lui avait rédigé une lettre de mission, à montrer en cas de contrôle de police. Mais décembre arrive… et point de réponse de la capitale. Nouveau rappel avec son rapport de six pages… qui reste sans suite. Puis dans la lancée, rédaction d’un long récapitulatif de la géologie et paléontologie destiné à un supplément dans l’Annuaire du Gers pour l’année 1839. Il y donne les résultats de sa compilation de la faune fossile connue dans le département avec des considérations sur les ressources naturelles locales. Dans ce texte, point de grand déluge universel, mais seulement des accidents climatiques locaux. Or le phénomène régional d’envergure – à n’en pas douter –, c’est la surrection des Pyrénées 8. Quant au déluge (le mot y perd, sans majuscule, son sens sacré) qui occasionne le creusement de toutes les vallées qu’il observe autour de lui, le voici attribué à la fonte de neiges exceptionnelles, qui auraient fait « table rase » de la faune tertiaire 9. Grâce à d’habiles démarches administratives, à son rapport étayé au ministre, vers la fin de 1838 tout semble au point pour démarrer de nouvelles et grandes recherches. Pierrète est envoyé en exploration en Haute-Garonne, les fouilles à Sansan et à Simorre se poursuivent avec
des visées plus ambitieuses. Le naturaliste gersois y croit, comme en témoigne un brouillon de lettre dont le destinataire est inconnu, mais qui contient l’expression de son désir : « Vous savez, Monsieur, qu’il avait été convenu que, à partir du premier janvier prochain, les recherches géologiques dont la direction m’est confiée s’étendraient aux départements limitrophes du Gers. En conséquence la somme destinée à couvrir mes dépenses devrait être augmentée et convertie en allocation régulière. Le ministre très bienveillant pour moi voulut consulter l’Académie des sciences. L’avis de ce corps savant fut favorable… 12. » C’était sans compter avec les événements politiques nationaux : le roi dissout la chambre le 2 février 1839, nouvelles élections, nouvelle coalition, la gauche et le centre droit sont majoritaires, le gouvernement Molé tombe le 30 mars. Salvandy et Lacave-Laplagne ne sont plus ministres !
« la terre sans l’homme, c’était un mastodonte un spectacle dans sans l’arche spectateur de noë»
Repères Chronologie d’une stratégie qui manque son but 3 février 1838. Lettre du ministre de l’Instruction publique (Salvandy) à son collègue le ministre des Finances, qui semble lui avoir recommandé Lartet, annonçant qu’il accorde une indemnité de 1 000 F. « Je m’empresse de vous faire connaître ma décision en m’applaudissant d’avoir pu répondre à l’intérêt que vous inspire M. Lartet et qu’il mérite. » 11 juin 1838. Lettre de Lartet au ministre de l’Instruction publique, demande de fonds d’encouragement. 26 juin 1838. Les professeurs décernent à Lartet le titre de correspondant du Muséum.
16 juillet 1838. Rapport de Blainville à l’Académie sur l’intérêt de continuer à encourager les recherches de M. Lartet. 24 juillet 1838. Invitation de N. de Salvandy au ministère de l’Instruction publique. 25 juillet 1838. Envoi d’une demande de fonds à la suite du rapport de Blainville présenté le 16 juillet. 7 septembre 1838. Lettre de la préfecture du Gers aux maires du département pour favoriser toutes recherches de Lartet, correspondant du Comité des monuments historiques. 17 septembre 1838. Les professeurs-administrateurs répondent au ministre qui demande si l’allocation de 3 000,00 F par an demandée par Lartet ne peut pas être prise
pour la moitié sur le budget du Muséum, le ministre ayant annoncé que l’autre moitié serait prélevée sur les fonds du département du Gers. Les professeurs-administrateurs refusent. 19 novembre 1838. Long communiqué à l’Académie sur une tête de mastodonte trouvée dans une commune voisine de Simorre. 26 novembre 1838. Lartet prépare un sauf-conduit à Pierre Saint-Martin pour ses voyages de prospection. Décembre 1838. Fouilles à Simorre et à Sansan. 26 décembre 1838. Nouveau courrier, détaillant son vaste plan de recherche, justification de sa demande. 30 mars 1839. Chute du ministère Molé 13.
Fig. 33. Fouilles à Sansan vers 1890. Henri Filhol est assis dans le sondage. Photo d’Eugène Trutat.
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l’origine de l’homme
Êtes-vous transi, gelé ou bien seulement inondé, car nous avons vu tant de choses cette année ; encore sommes-nous menacés d’être finalement affamés si Dieu et les pommes de terre ne nous viennent en aide » en ce mois de décembre 1846. Cette même fin d’année Lartet a liquidé la société des mines de plomb argentifère de Guchan dont il est actionnaire (15 septembre 1846), peut-être y a-t-il également un lien entre cette cessation et le mauvais contexte ambiant, car, à la crise alimentaire, s’ajoute la crise économique.
Abécédaire paléontologique Le Macrotherium Et voici Laurillard parvenu à la famille des Megatheridés pour le dictionnaire. Il lui est nécessaire de vérifier auprès du naturaliste gersois : « Je pense bien que votre macrotherium doit entrer dans cette famille. Si vous avez des morceaux de tête, je vous prierai de me dire si le jugal [os de la joue] a une apophyse descendante comme chez les paresseux & le megatherium ; […] Je ne puis dire qu’un mot de cet animal, mais je serais bien aise de pouvoir assurer qu’il doit faire partie de cette famille. » Voilà bien une question embarrassante… Six jours s’écoulent et la réponse est expédiée : « Je regrette de ne pouvoir vous donner les renseignements que vous me demandez sur le Macrotherium. Nous n’avons encore découvert aucun morceau de la tête 100. » De la main de Lartet lui-même, un petit papier plié en quatre, conservé jusqu’ici, malgré les ans, dans une petite boîte en carton avec deux phalanges trouvées à Sansan, donne la première définition de cet animal tout à fait surprenant : « n° 18. Édentés. Macrotherium (animal long) J’ai ainsi nommé un animal gigantesque de l’ordre des Édentés caractérisé par des molaires analogues aux dents de l’oryctérope et des phalanges unguéales [dernière phalange portant l’ongle ou la griffe] bifurquées comme celles des pangolins. Cet animal dont les doigts devaient être armés d’ongles énormes avait la faculté de les rétracter au moyen d’un redressement des premières phalanges qui se repliaient sur les os du métacarpe et du métatarse. En quoi il différait des chats chez lesquels c’est la phalange unguéale seule qui est rétractile. La marche était ainsi rendue moins pénible et plus assurée. …/…
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1846. crise internationale et vie locale
Fig. 42. Paresseux actuel (Bradypus variegatus), cet animal dispose de trois phalanges terminées par des griffes longues et puissantes, comme le pangolin, petit mammifère de quelques kilogrammes, recouvert d’écailles et amateurs de fourmis. Mais rien à voir avec l’extraordinaire dimension de l’édenté de Lartet !
Fig. 43. Le squelette entier trouvé à Sansan par Henri Filhol (1890) lève le mystère du Macrotherium… sans tête, ou du Chalicotherium… sans corps…, désormais reconstitué et nommé Anisodon grande, Lartet, 1851. Le crâne est déformé et ne rend pas sa forme véritable du vivant du spécimen. Ce panneau exposé au Muséum national d’histoire naturelle mesure 2,80 m de hauteur, Ce puissant animal pesait peut-être plus d’une tonne 103.
Longtemps le pays avait hésité à se lancer dans les grands travaux nécessaires pour établir des lignes de chemin de fer, lorsque l’engouement s’en est subitement emballé, en tous points du pays : « Toutes les lignes de chemin de fer furent attaquées. Treize compagnies autorisées, cent autres formées, pour la plupart sur des bases insuffisantes, et sans autre espérance que celle d’être absorbées par des sociétés sérieuses et de
unsansan, mastodonte une merveille dans l’arche géologique de noë
vendre chèrement leur mort ; une concurrence déloyale organisée contre la spéculation honorable, […] des fortunes scandaleuses […]. Des catastrophes éclatantes donnèrent le signal d’une crise que l’état de la place en Angleterre ne fit qu’accroître. Immobilisées, les liquidités manquaient en France, les actions en quelques jours s’effondrent de 80 F, tombent à 5 F. » Dans le même temps, les ravages sur la pomme de terre, nourriture de base de la population pauvre, cause une « hausse extraordinaire du prix des céréales dans une partie de L’Europe » 106. Jusqu’à l’été 1847 où enfin la récolte est bonne, la situation est en bien des zones désastreuse, notamment vers les Pyrénées, frappant la majorité de la population avec une augmentation de la mortalité. La famine y multiplie les mendiants et les enfants trouvés, et des épidémies, surtout de variole, s’ajoutent aux calamités agricoles. La condition de la population ouvrière est déplorable. Cependant, même après la baisse du prix des céréales, les affaires ne reprennent pas, l’argent manque, même pour acquitter les impôts, l’économie tout entière s’en ressent, avec son cortège de conséquences, chômage et misère. Le Gers n’y échappe pas 107. En1846, les 2 700 électeurs masculins du Gers portent trois députés favorables à Guizot (majorité ministérielle) ; sont élus Lacave-Laplagne, Salvandy et Persil, dont deux auxquels nous avons eu déjà affaire dans le cadre des relations avec la capitale 108. Autant dire que le Gers a les faveurs des centres de décisions sous Louis-Philippe. Comme Salvandy a choisi d’être
Abécédaire paléontologique Palaeotherium hippoïde (ou equinum) Voici maintenant en préparation l’article qui concerne les Palaeotherium. Le nom de l’espèce indique clairement que certaines particularités le rapprochent du cheval. Lartet devance la demande : « J’imagine que vous attendez quelque renseignement de moi à propos de nos paleotherium et anoploterium de Sansan, pour ajouter à votre article de genre, dans le dictionnaire de M. d’Orbigny. Notre
député d’Évreux (où il est aussi élu car on pouvait se présenter dans plusieurs circonscriptions pour accroître ses chances), une nouvelle élection a lieu l’année suivante dans le Gers et le candidat Raymond Aylies, un ami de Lartet, bien que d’opinions sensiblement différentes et dans l’opposition, perd en face du candidat ministériel. Par ailleurs, Édouard Lartet lui-même est élu pour six ans, depuis 1843, au conseil municipal de Seissan, ayant prêté serment comme tous : « Je jure fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du Royaume 109. » L’année suivante (1847), Constant-Prévost et Laurillard poursuivent leurs efforts pour aider le lointain paléontologue retiré dans les collines de Gascogne. Un nouvel imbroglio politique (un député contestant le prix d’une autre collection à acquérir, qui masquerait une dépense pour du mobilier de l’école de Médecine) fait craindre à Laurillard que les acquisitions honnêtes ne pâtissent de ce soupçon (fondé ou non). Malgré tout, le petit homme garde son optimisme et se voit déjà rendu pendant le joli mois de mai (sic) auprès de cette chaleureuse famille dont tous les membres l’attendent avec impatience, chacun avec ses raisons propres. Louis pour apprendre à dessiner, découper des animaux, faire des pantins et cultiver son parterre, sa mère pour son jardin et sa douce sensibilité. Enfin, le père de famille ne s’en cache pas : « J’ai grand besoin de vous pour revoir mon catalogue paléontologique auquel je voudrais joindre les dessins d’une vingtaine de pièces les plus capitales, lesquels dessins feraient
palaeothorium equinum se trouve effectivement contemporain des mastodontes, dinotherium, rhinoceros, etc. et autres mammifères communément signalés dans des terrains d’un âge plus récent que vos plâtrières de Paris […] [celle de Montmartre en particulier où Cuvier avait trouvé de beaux exemplaires]. Il avait trois doigts développés mais ne marchait que sur un seul en tout semblable à celui du cheval. […] La tête était aussi à proportion plus longue avec un museau plus effilé et son os du nez assez prolongé pour faire supposer qu’il n’y avait plus ou presque pas de trompe 111. »
Lui l’a d’abord nommé Palaeotherium hippoïde. Aujourd’hui cet animal est nommé Anchitherium aureliense hippoïde. « Hippoïde » en raison de différences notables avec les autres anchithères, et que le paléontologue de Sansan avait bien décelées : gracilité et grande taille. Cet équidé conservateur se manifeste vers 20 millions d’années sur le continent eurasiatique et évolue peu, peuple des milieux forestiers subtropicaux et tempérés chauds, et son régime alimentaire est opportuniste 112.
…/… G. Cuvier avait connu une phalange unguéale de cet édenté de l’ancien monde et d’après sa forme, il avait dû la rapporter à un pangolin gigantesque auquel il assignait de 20 à 25 pieds de long. L’existence de dents molaires dans le macrotherium sépare cet animal des pangolins qui en sont dépourvus et il se trouve par là rapproché de l’oryctérope. Du reste il constitue un genre particulier dans sa famille 101. » Le Macrotherium dans le dictionnaire d’Orbigny – sous la plume de Laurillard – se trouve donc inséré dans l’article Megatheroiodes « une famille d’animaux fossile de l’ordre des Édentés, dont l’organisation offre sur une grande échelle un composé de Paresseux, des Fourmiliers et des Tatous actuels, et qui a pour type un animal décrit par Cuvier sous le nom de Megatherium. ». Laurillard ajoute : « Il est probable que le Macrotherium de M. Lartet, genre d’Édentés qui se trouve dans les terrains tertiaires de l’Europe, entrera dans la famille des Megatherides lorsque les nombreux ossements qu’en possède M. Lartet seront décrits. Nous ferons simplement remarquer ici que cet animal se rapproche, par sa phalange onguéale [sic] fendue, du genre Pangolin, qui habite aujourd’hui l’Asie. » Pas de tête, pas de tête… pour le Macrotherium ? Pas de corps pour son Chalicotherium (Anisodon grande) ? Un mystère tenace. Ce qui a fait dire à Laurillard : « Vous n’avez donc point encore trouvé la tête de votre édenté. Ce serait cependant un beau morceau à montrer à messieurs les Députés lorsque l’an prochain ils viendront voir votre collection car ils ont manifesté leur intention de venir au muséum exprès pour cela. Il est vrai que nous pourrions leur montrer une tête de n’importe quel autre animal qu’il n’y verrait que du feu 102. »
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Fig. 50. Portrait de Hugh Falconer, cp.
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Mais le mammouth, et l’éléphant d’Afrique ou d’Asie, ces deux derniers seuls survivants, ont une morphologie des dents assez proches, des dents en lames, à la différence des plus anciens proboscidiens qui eux avaient des collines. Pictet le disait bien : les éléphants sont « caractérisés par des molaires composées de lames verticales. Ces dents se succèdent d’arrière en avant, de manière qu’il n’y en a jamais à la fois qu’une ou deux de chaque côté de la mâchoire ». Oui, tout cela, il le savait, sur ces curieux animaux dont les dents poussaient sans cesse d’arrière en avant… poussaient au sens premier du mot (ôter quelque chose de sa place) jusqu’à le faire… tomber. Un peu plus loin, l’auteur précise : « Ces lames forment des losanges dans l’éléphant d’Afrique et des rubans transverses dans l’éléphant d’Asie. » Avec la délicatesse et la volupté du geste qui caractérise le véritable rat de bibliothèque, en admirateur des beaux livres, Édouard tourne le haut de son corps de quelques degrés sur sa droite, et feuillette l’atlas, jusqu’à la planche IX à laquelle le texte renvoie. Losanges… rubans… le paléontologue affûte la pointe de son crayon, prend un petit papier et décalque le dessin des trois molaires de ces Elephas, africanus (l’éléphant d’Afrique), indicus (l’éléphant d’Asie), et le primigenius, le mammouth éteint. Il ne fait pas injure aux conseils de son vieil ami, le pauvre M. Laurillard (dans le Midi on dit ainsi, d’une personne décédée le pauvre Monsieur. Il se souvient qu’une fois quelqu’un lui avait fait observer : était-il pauvre ? Non, c’est ainsi que l’on évoque souvent une personne disparue). Édouard note dans son carnet pour le mammouth « Molaires plus larges que dans l’Indicus, à lames plus minces que dans aucune autre espèce connue. Émail mince et à festons ». Il allait oublier et rajoute « et plus nombreuses ». Il regarde son petit dessin. Bien sûr il ne dessine pas aussi bien que Laurillard, et maintenant que Louis. Tenté de gommer pour corriger un peu, il se retient « De trop bien hé, lou mau arribo » lui revient le dicton gascon (qu’on pourrait traduire par le proverbe : le mieux est l’ennemi du bien). Puis il découpe délicatement le contour de son dessin, et le glisse soigneusement dans la page du carnet, pour le coller plus tard. Dans la colonne de droite, qu’il a réservée pour cela, il ajoute : diluv et cavernes. Car les débris fossiles du mammouth proviennent des cavernes ou bien des couches récentes dites du diluvium. Puis il tourne la page de l’atlas, et est déçu : il n’y voit pas d’autres dessins de ses chers proboscidiens, un sujet qu’il a décidé d’approfondir pour un jour publier quelque chose d’assez complet sur leur dentition. Il en a été encore plus encouragé lors de la visite de son collègue anglais Hugh Falconer à Seissan. Celui-ci n’a pas tari d’admiration sur la collection qu’Édouard lui a présentée : – My dear friend, s’est-il exclamé, you have a surpassingly rich and unrivalled collection. S’ensuivirent d’interminables discussions sur le nombre des collines de celui-ci ou celui-là, de la deuxième ou troisième molaire, de l’ajout ou de la suppression d’une espèce ou de l’autre, de la différence entre mâle et femelle, qui pouvait entraîner des confusions ou conduire à inventer de nouvelles espèces… Il en était devenu imbattable ! Falconer l’avait encouragé fortement à écrire un mémoire sur le sujet 219.
Fig. 51. À droite. Carnet de Lartet. SICD 199028 c.17 p. 55. 1 : À gauche. Molaires. 1 : de mammouth (Mammuthus primigenius). 2 : d’Éléphant d’Asie (Elephas maximus). 3 : d’Éléphant d’Afrique (Loxodonta africana). Pictet, 1853, Traité de Paléontologie, planche IX dessinée par Lartet dans son carnet.
un retour de fièvre dinotherienne un mastodonte bouleversé dans l’arche par… undesinge noë
Fig. 52. Extrait d’une gravure parue avec la publication d’Édouard Lartet en 1859 dans le Bulletin de la Société géologique de France, qui explique l’évolution de la dentition chez le juvénile Gomphotherium. Le remplacement des dents de lait est vertical, puis celui de molaires horizontal d’arrière en avant, au cours de l’avancement en âge des animaux. Dans les gencives des spécimens fossiles, armé d’un petit marteau, il creuse pour désincarcérer les germes de la seconde dentition, représentés ici, et tenter de comprendre la logique de leur succession. Lartet ne fonde ses conclusions que sur « l’autorité des fossiles » comme dit l’abbé Canéto 223.
le géant de la faune tertiaire, trente ans de traque
Puis, à son tour, lors d’une grande tournée sur le vieux continent (1856), Falconer se rend à Seissan 221. L’opinion des deux hommes se rapproche, même si les deux savants ne sont pas toujours d’accord 222. Le paléontologue français communique lui-même le résultat de ses travaux à la Société géologique de France, le 21 mars 1859, avec l’élucidation de la croissance et du remplacement des dents lactéales et des molaires tout au long de la vie de ces grandes espèces vivantes ou celles éteintes. Pour le macrotherium un espoir paraissait se lever, Lartet s’était rendu à Saint-Gaudens en septembre 1851 : « Avant de rentrer de Luchon ici [Seissan] j’ai été voir à St Gaudens (Hte-Garonne) un cabinet d’amateur où j’ai trouvé une mâchoire de mastodon angustidens, et, je crois aussi, un beau fragment de la défense du même. J’ai encore vu là sept vertèbres dorsales de Macrotherium, plus une tête de fémur, un astragale et de beaux morceaux de bassin que nous n’avons pas eu à Sansan. Tout cela a été trouvé au pied de la côte de St Gaudens, c’est à dire au point extrême de nos terrains tertiaires du côté des Pyrénées. […] Ce Monsieur ne se doutait guère du mérite de ces objets. Un habile aurait profité de son innocence ; j’ai été assez sot pour lui montrer à remonter les fragments épars de son bassin et pour lui révéler la valeur paléontologique de sa trouvaille. Il s’est alors rappelé qu’il avait envoyé en communication à M. Noulet une dent trouvée avec ces restes précieux laquelle dent provenait d’une tête entière qui avait été brisée par les ouvriers ; j’ai été visiter le gisement
avec lui ; les ouvriers qui y travaillent lui ont remis une vertèbre du cou d’un Macrotherium qu’ils venaient de déterrer et une demi mâchoire de Dicrocerus elegans qui est si généralement caractéristique de nos terrains tertiaires 233. ». Cet amateur se nomme M. Fontan, il est le cousin et beau-frère du médecin Jean-Pierre Amédée Fontan (qui soignait Adrien de Jussieu à Luchon 234) et l’auteur d’une Recherches sur les eaux minérales des Pyrénées. La colonne vertébrale du macrotherium s’allonge donc un peu mais s’arrête encore… avant le crâne ! Puis, en 1854 à Paris, avec le professeur Duvernoy, Lartet s’était penché sur chaque
Fig. 53. Troisième molaire d’une espèce nouvelle, nommée par Lartet Mastodons pyrenaïcus. Quel est ce mystérieux animal ? Vers 1854, le vétérinaire et maire du village de Saint-Frajou (31), Jean Figarol, remet au paléontologue d’abord trois molaires exceptionnellement massives, plus imposantes que celles du gomphotère, et quelques os trouvés lors de l’élargissement d’une voie publique de sa commune. Une quatrième molaire toute aussi spectaculaire complète la série ensuite. Une nouvelle espèce est née que Lartet nomme : Mastodon pyrenaïcus. À ces quelques dents s’ajouteraient des éléments notés dans un carnet de Lartet, vus chez M. Case à Saint-Bertrand-de-Comminges en 1862 et provenant d’Aulon, Peyrissas et Martres. Restent ces quatre molaires, dans les collections du Muséum national et du Muséum de Toulouse, d’un animal plus imposant sans doute que le Gomphotherium angustidens, mais demeuré jusqu’à maintenant inconnu. Affaire à suivre. Ce dessin aux crayons de couleur sur papier de Valérie Martin-Rolland a reçu le 2e prix en 2018 à l’International palaeontological illustration contest 220.
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l’origine de l’homme
Fig. 66. L’abri d’Aurignac. Légende (simplifiée) d’après Lartet, 1861, Nouvelles recherches…, Annales de Sciences naturelles. 1 : Coupe de la grotte ou cavité sépulcrale d’Aurignac et des remblais intérieur et extérieur. A : intérieur de la grotte. B : partie du remblai à l’intérieur de la grotte où se trouvaient engagés quelques ossements humains, des silex taillés, des bois de renne travaillés et des ossements assez bien conservés d’ours, de renard, de renne, d’aurochs, de cheval, etc. C : partie du remblai extérieur renfermant beaucoup d’ossements d’herbivores cassés, entaillés et souvent rongés par les carnivores. D : fragments de calcaire et terre éboulée en talus qui, avant la découverte de la grotte, en masquaient l’ouverture. E : assise de cendre, de charbon et de terre végétale constituant l’ancien foyer. F : deux lignes verticales de traits pointillés indiquent la place occupée par la dalle qui fermait la sépulture lors de la découverte faite par le terrassier Bonnemaison. G : emplacement désigné du trou par lequel les lapins se terraient dans la grotte. 2 : plan de la colline de Fajolles. A : emplacement de la cavité. B : source qui se dégorge dans le ruisseau de Rode, au bas de la plateforme sur laquelle était établi le foyer. 3 : galet creusé d’une dépression. 4 : silex taillé. 5 : merrain d’un bois de renne perforé d’un orifice (bâton percé). 6 : Manche d’outil aménagé dans un bois de renne travaillé et creusé.
Mais le plus intéressant est ce petit niveau cendreux noir, d’une quinzaine de centimètres d’épaisseur et quelques mètres carrés, « L’assise inférieure E, de cendre et de charbons, est celle qui donne en réalité, pour point de départ aux circonstances si complexes de cette station, l’arrivée de l’Homme, et l’établissement d’un foyer autour duquel il a dû prendre ses repas. » Des petites dalles de calcaire détachées de la paroi ont été disposées pour niveler le sol inégal ; et de minces plaquettes de grès, rougies par le feu sont mises au jour ici et là. 216
L’action de l’homme est indubitable, la « peuplade chasseresse » a laissé de nombreux os de ses proies (renne, cheval, et aurochs surtout, rhinocéros 36), fracturés pour en recueillir la moelle, reliefs de ses repas carnés, et portant les stries et raclages laissés par les tranchants pour détacher la chair, les tendons ou la peau de l’animal. Certains sont brûlés. Mais il y a mieux encore.
aurignac : des squelettes humains… l’homme…enfin enfin! les pièces à conviction : un outillage inconnu
Dans la zone du foyer, ont été abandonnés des « têtes de flèches » en bois de renne d’une forme inconnue, un curieux objet brisé décoré de stries, un poinçon très effilé… ainsi qu’une centaine d’outils et d’éclats en silex : « une partie au moins de ces outils en silex avaient été fabriqués sur place, car nous avons trouvé aux abords du foyer les noyaux des blocs d’où on avait détaché par un choc, des éclats de diverses dimensions 37 ». Ce sont bien des artefacts œuvres d’une population contemporaine du renne disparu des Pyrénées depuis bien longtemps, de même que le rhinocéros à narines cloisonnées (rhinocéros laineux) et encore l’éléphant (mammouth) dont le site fournit, dans le foyer, deux lames de molaires. Et, comme si les preuves n’étaient pas suffisantes, les lieux étaient aussi fréquentés, en l’absence des humains, par les hyènes des cavernes, dont les crocs redoutables venaient achever les
restes des repas. Ces fauves y ont laissé çà et là des coprolithes (excréments fossilisés). Or l’hyène des cavernes est un carnivore disparu d’Europe depuis des temps immémoriaux.
le festin des funérailles
Sans doute, cette quantité d’ossements indique que « des réunions successives se sont effectuées dans cet endroit. Ces réunions avaient probablement lieu à chaque époque d’inhumation des divers individus ensevelis dans la grotte ». Puis, lorsque la cavité a été comblée, l’homme a cessé de fréquenter cette station. « Dans la suite des temps, il aura suffi de l’action lente et prolongée des simples agents atmosphériques pour que des fragments détachés de l’escarpement du rocher adjacent et des terres meubles graduellement éboulées aient fini par recouvrir entièrement l’emplacement du foyer extérieur, et par masquer la dalle fermant la cavité sépulcrale, dont l’existence est demeurée ainsi complètement ignorée pendant une longue série de siècles. »
Fig. 67. Gauche. Objets trouvés dans l’abri d’Aurignac. Gauche. Entre crochets l’appellation actuelle. 1 : « Arme de bois de cerf ou de renne » [pointe de sagaie à base en biseau]. 2 et 3 : Poinçons. 4 et 8 : « tête de flèche lancéolée » [pointe de sagaie à base fendue]. 5 et 6 : « Lame en bois de renne » [lissoir]. 7 : lame en bois de renne décorée. 9 : « silex dans le type des couteaux » [lame retouchée et apointie]. 10 : canine d’ours des cavernes, jeune, percée dans toute sa longueur. 11 : six rondelles de coquille de Cardium, trouvées à travers les ossements humains. Droite. 1 à 3 : molaire, métatarse et phalange humaine. 4 : fragment de mâchoire d’ours des cavernes. 5 : partie d’une molaire de lion des cavernes. 6 : fragment d’une mâchoire d’hyène des cavernes. 7 : partie d’une molaire de mammouth. 8 : molaire de lait d’un rhinocéros laineux. 9 : molaire d’un boviné [aurochs ou bison]. 10 : partie d’une mâchoire d’un mégaceros. 11 : partie d’une mâchoire de renne trouvée dans l’intérieur de la grotte. 12 : bois de renne, « on y voit les stries nombreuses produites par les entailles faites avec le tranchant d’un silex mal aiguisé. Ce morceau, un peu roussi par le feu, a été trouvé dans le foyer, à travers les cendres. » D’après Lartet, 1861, Annales de sciences naturelles, Zoologie, t. 15, planches 10 à 12, tirage original, extrait de Album iconographique de Louis Lartet, 199074-25 et 26, SICD, modifié par ajout de la numérotation.
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l’origine de l’homme
Repères 1860-1861. Chronologie de la découverte d’Aurignac 1852. Jean-Baptiste Bonnemaison découvre une cavité. 25 août 1854. Joseph Vieu expédie un échantillon des trouvailles à Leymerie et en avertit Lartet : « Depuis quelques temps j’ai recueilli des coquillages, une dent canine de grand ours de caverne que j’ai envoyée aussi à M. Leymerie 38. » Mais il ne mentionne pas dans ce courrier les squelettes humains, qui n’auraient pas manqué de faire réagir rapidement le paléontologue. Décembre 1856. Leymerie envoie à Lartet une petite boîte avec quelques dents animales. 5 janvier 1860. Lecture d’une lettre de Lartet accompagnant l’envoi d’une pointe de flèche de Massat à la Société d’anthropologie de Paris. 19 mars 1860. Censure totale à l’Académie de la présentation relative aux traces d’outils en silex laissées sur des ossements contemporains d’animaux éteints, en particulier des traces relevées sur des ossements provenant de la collection de Cuvier. 7 ou 9 avril 1860. Édouard Lartet et Édouard Collomb vont à Abbeville 39. 16 avril 1860. Présentation à la Société géologique de France de la mâchoire humaine extraite de la grotte d’Arcy-sur-Cure par Paul de Vibraye. 7 mai 1860. Communication détaillée à la Société géologique de France par Lartet, sur les traces laissées par les instruments humains sur les os de la grande faune. Septembre-octobre 1860. Voyage pyrénéen de Lartet, arrêt de 24 heures à Massat, puis arrêt de trois jours à Aurignac. 18 mai 1861. Lecture solennelle par Lartet de la première note concernant la grotte sépulcrale d’Aurignac à la Société philomathique de Paris. Un grand mémoire de 60 pages est en cours d’édition, il va paraître dans les Annales de sciences naturelles, section zoologie. 12 juin 1861. Le texte de la note du 18 mai paraît dans L’Institut, Journal universel des Sciences et des Sociétés Savantes en France et à l’Étranger 40.
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À présent il est temps de conclure, et le paléontologue savoure sans doute les lignes qu’il ajoute à son texte. Le ton est ferme, presque péremptoire, si contraire à sa réserve naturelle : « L’état fragmentaire des os de certains animaux, leur mode de cassure, l’empreinte retrouvée de dents d’hyène sur les os nécessairement cassés à l’état frais, la distribution même de ces os et leur consécration significative, permettent de conclure que l’apport de ces animaux et la localisation de tout ces débris sont dus à l’intervention propre et exclusive de l’Homme. »
Cerf gigantesque, du Rhinocéros, de l’Hyène etc. mais encore du grand Ours des cavernes (Ursus spelaeus) qui paraît être, […] l’espèce la plus anciennement disparue de ce groupe de grands Mammifères, que l’on invoque toujours comme caractéristiques de la dernière période géologique ».
Puis rejet de l’habituel argument de violents et invasifs torrents d’eau dans les cavernes, « l’entraînement de ces débris par des agents naturels ne peut s’induire ni des pentes du sol, ni des circonstances hydrographiques environnantes », car la colline de Fajoles reste « soustraite à toute action d’eaux courantes ou torrentielles prenant naissance dans ce massif [la colline] montagneux ».
Le problème de la conciliation de la foi avec ces nouvelles données archéologiques est aigu, Lartet le sait. On peut même supposer que dans sa propre famille, où on lit La semaine religieuse 42, récuser le premier père Adam ne va pas de soi, comme le confirmera plus tard Armand de Quatrefages : « La découverte de l’homme quaternaire, en repoussant la première apparition de notre espèce à la surface du globe dans un passé difficile à concilier avec les opinions généralement reçues, avait déjà troublé bien des consciences. Le père Gratry (académicien, philosophe, théologien) et l’évêque d’Oxford s’étaient trouvés d’accord pour déclarer que supposer l’espèce humaine âgée de plus de six mille ans, c’était cesser d’être chrétien 43. »
Quant aux cataclysmes chers à ses détracteurs, on voit bien qu’ils n’ont pas eu lieu, car « il a suffi d’une simple dalle de quelques centimètres d’épaisseur et d’un mince recouvrement de terre meuble, pour conserver non seulement la sépulture close, mais encore, au dehors, les débris des repas funéraires et les divers ustensiles et armes que l’Homme y avait abandonnés ».
une sépulture de l’âge de la pierre la plus ancienne
De quand datent ces inhumations ? Selon Lartet, leur âge est indiqué d’abord par l’absence de tout métal, mais aussi par un exclusif usage du silex et de l’os qui font « remonter les circonstances de cette station d’Aurignac à cette période ancienne des temps anté-historiques, que les antiquaires désignent aujourd’hui sous le nom d’âge de la pierre ». En outre, il s’agit du premier âge de la pierre, celui dans lequel il convient de ranger également les objets du diluvium d’Abbeville. Le second âge de la pierre, plus récent, contient les haches de pierre polies 41. Cette haute ancienneté se confirme aisément « par la méthode paléontologique, la race humaine d’Aurignac se classerait dans le plus haut degré d’ancienneté où l’on ait jusqu’à présent constaté la présence de l’Homme ou des débris de son industrie. En effet, cette race a été contemporaine de l’Aurochs, du Renne, du
transgresser la chronologie mythique
On ne connaît pas la nature de la conviction religieuse ni la piété du paléontologue lui-même, qui semble toutefois un catholique modéré, d’une retenue qui ne voulait sans doute pas fâcher sa pieuse épouse. Il avait cherché si un texte quelconque donnait une date précise de la création et en avait trouvé de fort nombreuses, mais toutes différentes et surtout calculées par des chronologistes divers ; mais dans le texte biblique lui-même, il n’en avait trouvé aucune (du reste, Léonard Horner, en Angleterre, venait de proposer de supprimer des bibles anglicanes, la date de 4004 ans avant notre ère calculée par l’archevêque Ussher au xviie siècle, et incompatible avec les connaissances de la géologie 44). Le paléontologue français se sortait de ce terrain glissant par l’affirmation suivante : « Il y a, je le sais, des esprits qui, restés sous l’impression de leurs souvenirs classiques, hésiteront à accepter ces révélations (le mot est probablement utilisé sciemment, par comparaison avec la révélation du culte chrétien) inattendues sur l’ancienneté géologique de l’Homme, alors qu’elles leur semblent en désaccord avec des textes placés au-dessus de toute contradiction. Que ceux-là se rassurent ; la cosmogonie biblique échappe à toute application de chronologie positive. On
aurignac : des squelettes humains… l’homme…enfin enfin!
Fig. 68. Crâne d’ours des cavernes. Coll. Lartet, Université Paul Sabatier à Toulouse, déposé au Musée de l’Aurignacien à Aurignac.
n’y trouvera inscrite nulle part, je l’ai déjà dit, la date absolue des origines humaines, et les supputations systématiques des temps que l’on a voulu y rattacher ne participent en rien à l’autorité du dogme 45. » C’est ferme, courageux aussi, habile et rhétorique.
scientifique accessible à toutes les discussions, et, à tous les points de vue, susceptible de recevoir la solution la plus conforme aux faits et aux démonstrations expérimentales 46. »
le barbare conquérant d’hier et d’aujourd’hui ? rejeter le catastrophisme
Puis le paléontologue ne peut s’empêcher d’enfourcher le cheval de bataille des « cataclysmes » et des « révolutions » qui lui sont toujours opposés. De nouveau une demi-page d’une note où il les réduit – avec conviction et le ton quasi professoral, avec une assurance nouvelle – à des phénomènes locaux, limités dans le temps et dans l’espace. Il se permet de citer Aristote et les luttes qu’il avait dû mener contre les « révolutionistes de son temps », qui voyaient un changement complet au lieu de perturbations momentanées ; comme si, depuis l’auteur antique, la situation n’avait pas changé, Lartet ajoute : « Il ne se trouve dans la Genèse aucune date limitative des temps où a pu commencer l’humanité primitive ; ce sont les chronologistes qui, depuis quinze siècles, s’efforcent de faire rentrer les faits bibliques dans les coordinations de leur système. Aussi voyons-nous qu’il s’est produit plus de cent quarante opinions sur la seule date de la création, et qu’entre ces variantes extrêmes, il y a un désaccord de 3194 ans, seulement pour la période entre le commencement du monde et la naissance de Jésus-Christ. Du moment donc qu’il est reconnu que la question des origines humaines se dégage de toute subordination au dogme, elle restera ce qu’elle doit être : une thèse
D’ailleurs, précise le naturaliste, inutile de chercher dans les écrits historiques, car les peuples non sédentaires et chasseurs n’écrivent pas, n’ont pas de lois, mais des mœurs transmises par la tradition. Pas de ruines car le peuple qui chasse ne bâtit pas, ni temple pour les dieux ni palais pour les rois. Faisant un étrange détour par la critique de La guerre des Gaules de César, le paléontologue s’insurge contre la barbarie des sévices (couper les mains) et assassinats (enterrer vivant) perpétrés par le vainqueur des peuples gaulois : « On peut se demander après cela de quel côté étaient les barbares ! » Cet emportement est si inhabituel chez Lartet, qui ajoute même un point d’exclamation (peut-être le seul de tous ses écrits) que l’on peut un instant se demander s’il ne fait pas allusion à l’empereur du moment, très intéressé lui-même par Jules César, menant ces années-là une intervention militaire en Syrie, l’expédition du Mexique, etc. Sachant aussi que le Gersois n’était pas favorable à l’instauration de l’Empire et a refusé de prêter serment jusqu’alors… Un parallèle à lire en filigrane, peut-être, avec l’empereur romain asservissant le peuple de Gaule : « Si l’on suit avec attention les détails de cette longue lutte, [que Lartet a dû lire en latin dans le texte] soutenue pour la défense de la liberté contre l’ambitieux
Repères 1860-1861. Un conséquent faisceau de preuves - des squelettes humains indubitables - accompagnés de restes d’animaux éteints (ours des cavernes, rhinocéros, hyènes des cavernes, renne, etc.) - un site forcément non remanié car barré par une dalle - et pas d’inondation violente sinon la dalle n’aurait pas suffi à protéger le sépulcre - dans un lieu où il ne peut y avoir d’inondations diluviennes - un foyer, donc une occupation humaine avérée - avec les reliefs des repas - des os et objets brûlés en partie par le feu : donc forcément par intervention humaine - des outils taillés aux dépens d’animaux éteints depuis longtemps ou émigrés (renne) - certains objets comme des ébauches d’œuvre d’art - des traces de tranchants de silex pratiqués par l’humain sur des ossements pour détacher la fourrure ou les chairs - forcément des proies fraîchement abattues sinon leurs restes n’auraient pas été mordus et rongés par les hyènes - les hyènes des cavernes étant elles-mêmes disparues depuis le Quaternaire On le voit, les preuves sont nombreuses et irréfutables.
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l’origine de l’homme
proconsul qui, ne pouvant se résigner à rester le second à Rome, avait besoin de la conquête des Gaules pour arriver à la dictature, on remarquera que la mansuétude affectée du vainqueur s’y est plus d’une fois démentie. » Cette curieuse diatribe se termine par un retour vers le passé : « Mais à cette époque [celles des origines des peuples celtes, Gaulois…] l’Europe avait eu, depuis des temps inconnus, d’autres habitants, et c’est pour ceux-ci que le silence de l’histoire est à peu près complet 47. » En effet, nous sommes bien avant-l’histoire, dans la pré-histoire. Le recueil quasi exhaustif des données archéologiques disponibles effectué laborieusement et patiemment par le fouilleur d’Aurignac a éclairci sa vision de la succession et des assemblages de ces anciennes faunes. « Je m’occupe à présent de recherches ayant pour objet d’établir une gradation chronologique entre diverses stations des temps anté-historiques où les restes de l’homme et les traces de son industrie se trouvent associés à différentes espèces animales éteintes et dont la disparition me paraît avoir été successive », avait déclaré le paléontologue à son collègue anglais Léonard Horner 49.
À la loupe Une tentative de datation absolue Un géologue suisse, Adolphe Morlot (1820-1867) est peut-être l’un des premiers à avoir proposé à ce moment-là une datation absolue avec une méthode scientifique. Il a en effet calculé l’antiquité probable de trois sols végétaux superposés traversés et mis au jour à différentes profondeurs du delta de la rivière suisse de la Tinière, et dont chacun contenait des os humains ou des objets de l’industrie humaine appartenant respectivement à l’époque romaine, à celle du bronze et au dernier âge de pierre (âge de la pierre polie). D’après son estimation, on doit attribuer une antiquité d’au moins 7 000 ans aux plus anciens de ces débris, et pourtant il les regarde comme étant d’une date bien postérieure au temps où le mammouth et d’autres mammifères éteints prospéraient en même temps que l’homme en Europe 48.
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Dans les cavernes on ne dispose pas d’une stratigraphie étagée comme dans les carrières à ciel ouvert et, comme la connaissance de ces outils est jusqu’alors quasi nulle, comment tenter de s’y retrouver dans le déroulement chronologique de l’occupation des cavernes ? Eh bien, avec la faune 50. Voilà pourquoi le paléontologue-archéologue propose une première ébauche. Et c’est bien la première chronologie quaternaire, à la fois paléontologique et archéologique qu’il propose alors. Il associe dans la flèche du temps, d’une part une évolution de l’outillage, en fonction des stations où il a été trouvé, d’autre part le cortège de la faune. Si aujourd’hui, une telle construction paraît tomber sous le sens, il n’existe alors rien pour se repérer et affirmer que tel objet est plus ancien que tel autre, sauf quelques éléments d’ordre géologique et tous controversés. En d’autres termes, Lartet, pour la première fois, ordonne les productions humaines (des stations que nous nommerions aujourd’hui paléolithiques) antérieures aux habitations lacustres de la Suisse – dites néolithiques –, ou celles des « débris de cuisine » des pays du Nord, considérées comme plus anciennes (annexe 7).
conclusion, un monde nouveau surgit de la nuit des temps, une outrecuidante hérésie 51
C’est comme si, subitement, devant l’âge ordinairement admis de l’humanité, venait se placer une période de longue occupation humaine complètement insoupçonnée ou refusée auparavant. Pour éclairer le public, qu’il puisse tenter d’imaginer où vivaient ces groupes, le chercheur esquisse en outre la géographie disparue de ce monde où des prairies herbeuses nourrissaient de grands pachydermes, en lieu et place de l’actuelle mer du Nord, ainsi « les hommes qui avaient fabriqué les haches d’Amiens et d’Abbeville pouvaient passer à pied sec en Angleterre 52 », où la Sicile était reliée à l’Italie et l’Afrique à l’Europe. En 1821, soit quarante ans auparavant, le public avait été ébahi par le monde terrifiant dont il prenait connaissance, avec les premières découvertes de monstres comme Plesiosaurus ou Teleosaurus sortis de couches immensément anciennes, des reptiles gigantesques de plusieurs dizaines de pieds de longs, des dinosaures dirions-nous maintenant. C’était, ébauché par les travaux de Cuvier, une révolution de la pensée et la nécessaire révision du passé du globe. On peut avec assurance la comparer à ce choc qui a consisté à regarder, pour la première fois au xxe siècle, la planète Terre, photographiée de l’espace, donnant soudain à chacun la possibilité de ressentir la profondeur de l’univers. De même, tout à coup, en 1861, le public prend conscience de la présence d’un lointain prédécesseur, déjà habile artisan, voire peut-être même artiste et auteur de profils d’animaux gravés, inventeur d’un système de marques de chasse ou bien de repères mystérieux (fig. 67 G n° 8). Tout à coup, l’imagination peut voir ces hommes autour du feu, si loin dans l’infini du passé – et tout à la fois si proche du mode de vie de populations diverses de par le monde au xixe siècle, mais surtout de celles du Grand Nord. Ce peuple producteur de couteaux de silex « mangeait des gigots de Renne, des beafsteacks d’ours (Ursus spelaeus) et peut-être aussi des entrecôtes de rhinocéros ?… » raconte le paléontologiste à son confrère Boucher de Perthes. Puis, il complète : « L’un de ces couteaux a été un peu brûlé et en l’examinant à la loupe, vous y verrez des petites parcelles de cendres et de charbon qui ont servi à la cuisson des animaux susdits 53. » Et la réalité sortie de terre montre une organisation
aurignac : des squelettes humains… l’homme…enfin enfin!
Fig. 69. Première proposition de chrono-typologie relative. La disparition successive des grandes espèces fossiles conduit le raisonnement, mais il est corroboré par une toute première typologie de l’industrie et des œuvres d’art.
Une leçon de préhistoire 1. Le premier classement préhistorique de Lartet En établissant sa chronologie en quatre parties, Âge de l’Ours, Âge du Mammouth et du Rhinocéros, Âge du Renne, et Âge de l’Aurochs (annexe 7), Lartet, à côté de la faune, prend aussi en compte certaines caractéristiques dans l’outillage selon les sites. Il combine, ce qui n’a pas été mis assez en évidence auparavant par les commentateurs, ces deux critères d’observations. Son premier classement est le suivant, du plus ancien site au plus récent : – Aurignac (et aussi Arcy-sur-Cure couche inférieure) – Âge de l’Ours des cavernes – Saint-Acheul, Abbeville et aussi l’Infernet (Noulet), Grenelle, Clichy, Ver-sur-Oise, avec présence de restes aussi de l’Hyène, Megacéros – Âge du Mammouth et du Rhinocéros
familiale, sociale, des techniques de chasse, une vie spirituelle avec le respect des morts et des cérémonies funéraires… Sous la plume habile, sérieuse, ferme et documentée de Lartet, se déploie soudain un monde disparu, mais totalement nouveau, sur notre propre territoire, et peuplé de familles aux prises avec l’ours et le lion des cavernes.
On a voulu y voir une exclusive classification paléontologique, ce qui n’est pas juste, mais nous y reviendrons. Dans cette première tentative fondatrice, le paléontologue associait à la faune d’une époque, un type de production humaine, certes sommaire puisque naissante.
– Bise, Savigné, couche moyenne d’Arcy – Âge du Renne – Massat inférieure – Âge de l’Aurochs D’après ce premier essai, le plus ancien site serait Aurignac, viendrait ensuite Abbeville, les sites du nord de la France et de Noulet, puis Savigné et enfin Massat. Les deux plus récents comporteraient en outre des traces d’œuvres d’art. Entre l’occupation de chacun, précise l’auteur, pourraient s’être écoulés de nombreux siècles, d’ailleurs aucun animal domestique (chèvre, mouton) ou sauvage tels que sanglier, ni outils polis ne sont présents. Ces espèces du grand froid (renne, mammouth, rhinocéros laineux, ours des cavernes, etc.) signent donc l’ANTÉRIORITÉ, et donc la grande ANCIENNETÉ des objets et traces humaines qui les accompagnent.
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l’origine de l’homme
Fig. 90. Pièces utilitaires et d’art mobilier de l’abri de La Madelaine. Bâton percé de 4 orifices en bois de renne (24,2 cm). Grand harpon (13,2 cm). Harpon brisé (9 cm). Petit harpon (5,3 cm). Aiguille à chas (5,3 cm). Galet perforé et gravé de deux traits obliques et d’un profil de renne tête à gauche (6,2 cm). En médaillon détail du profil de renne, tête à gauche, gravé sur le galet. Collection du Musée d’archéologie nationale déposée au Musée de l’Aurignacien.
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1864, l’année des artistes l’homme… préhistoriques enfin
de fort diamètre, sur lequel le représenter ! Quelle inattendue et magnifique preuve ! Que faire ? D’abord le silence et… comme toujours, la prudence. Lartet explique : « Ne voulant pas, suivant la règle que nous nous étions imposée, publier cette découverte avant qu’elle se trouvât confirmée par un duplicata d’observations analogues, je m’étais contenté de montrer le morceau à quelques personnes des plus compétentes. Je citerai parmi elles, MM. De Quatrefages, Desnoyers, de Longpérier, qui l’ont, comme vous, examiné avec l’attention la plus scrupuleuse, ainsi que L. A. W. Franks, directeur de la Société des Antiquaires de Londres [et qui gère la collection Christy], lequel a bien voulu se charger de suivre sur le moulage et de noircir au crayon les traits de gravure les plus arrêtés et les plus caractéristiques des formes que l’on y distingue 259. » La présentation officielle survient seulement quinze mois plus tard, en raison des malheurs de l’année 1865 et grâce à la bienveillance habituelle d’Henri Milne Edwards. Entre-temps des moulages ont été effectués, et l’un d’eux est déposé à l’Académie le jour de la lecture de la correspondance de Lartet, 21 août 1865. Un ami s’y est précipité, toujours le même, comme pour le petit singe en 1837, Jules Desnoyers. Voici le compte rendu de ce témoin oculaire de la séance 260 :
« Mon cher M. Lartet, « Je sors de l’académie. L’éléphant est passé devant des juges plus ou moins compétents. Les non prévenus ont paru convaincus, les indifférents l’ont été en partie, les intéressés (tels que Decaisne Gervais) ont hoché la tête en disant tout bas : est-ce bien authentique ? M. d’Archiac est enchanté ainsi que M. de Quatrefages. M. de Beaumont est absent. « M. Edwards a exposé verbalement votre découverte, très sobrement, très clairement, appuyant sur le fait capital de l’analogie avec le mammouth et sur la preuve de contemporanéité. Il a déposé votre note qui va être imprimée et tirée à 100 exempl. Il fera faire un dessin du moule pour les annales dans lesquelles il reproduira votre notice, de sorte que vous pourrez peut-être, si bon vous semble, modifier dans le cas où l’on vous enverrait [illisible] de M. Edwards vous offre à condition de lui dire où. « J’ajoute que cette communication a paru capitale, si j’en juge par le silence avec lequel on a écouté M. Edwards. Les journalistes étaient
Fig. 91. Le mammouth de La Madelaine (24,8 cm).
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l’origine de l’homme
avides de voir et d’entendre, je leur ai fait porter le moule afin qu’ils jugeassent de visu. Les uns paraissaient éberlués, les autres (tels que l’abbé Moigno) assez indécis et même sceptiques. Nous verrons bien ! La presse d’ailleurs n’est pas l’Évangile, quoiqu’elle soit le credo de tant de gens. « Vous avez très bien fait de ne pas cacher plus longtemps la lumière sous le boisseau. Ce seul fait suffirait pour faire une réputation. La vôtre n’a pas besoin de ce complément… J’étais disposé à prendre la parole si quelque doute avait été émis. Mais à peine M. Edwards avait terminé que Decaisne a donné immédiatement la parole à M. Damour. Celui-ci a communiqué la première partie de son travail sur les différentes matières des haches dites celtiques. M. Roulin avait auparavant, à propos du dernier procès-verbal, donné quelques détails intéressants sur la manière dont ces instruments de pierre étaient introduits par des caravanes chez certaines populations de l’Amérique méridionale, comparé ces faits à celui de l’introduction des armes de pierre chez les populations antiques de la Gaule et d’autres contrées. C’était à l’occasion d’une lettre de M. Simonin et M. Élie de B., lue dans la précédente séance, et annonçant la découverte en Corse d’un très grand nombre d’armes de pierre de toutes sortes. « L’heure me presse, je n’ai que le temps, mon cher M. Lartet, de vous redire combien je vous suis attaché et dévoué. « J. Desnoyers « Mes respects à Mme Lartet, amitiés à votre fils. « Je pars vendredi pour rejoindre ma femme chez ma fille à Vieux-Thann (Haut-Rhin). si vous avez à m’écrire faites-le avant à Paris ; ou après (flèche vers Vieux-Thann). « Nous n’aurons probablement pas de réunion de la commission de st germain avant la fin des vacances. M. de Nieuverkerke est parti pour son [illisible]. Je dirai cependant à Longpérier que si l’on acceptait comme je l’espère, l’aide de M. Lagour [?], qu’on lui écrive avant le mois d’octobre. « Paris, lundi 21 août 5h1/2 »
276
Deux mois plus tard, toujours en congé, Desnoyers envoie quelques précisions : « […] J’avais bien recommandé avant mon départ, le tirage à cent exemplaires de votre communication à l’Institut et de son côté M. Edwards qui devait faire dessiner une lithographie (Elephas primigenius) et imprimer votre lettre dans les annales m’en avait promis pour vous 50 exemplaires. Je ne sais pas encore ce qui a été fait, il s’est absenté plusieurs fois pendant le mois de septembre. Mais je ne doute pas qu’il se soit souvenu de votre désir. Dès mon retour à Paris, je m’en occuperai aussi. « Ainsi que je vous l’avais envoyé rapidement, le jour même de la séance académique, l’impression des journalistes à l’apparition de l’Eléphan, a été un peu confuse. Tout en louant [?] l’importance et la nouveauté de cette découverte, ils ne l’ont pas,… je pense, bien comprise. L’abbé Moigno, plus que les autres, et très probablement sous l’influence de son savant et illustre conseiller M. Robert [Eugène Robert] y a vu la preuve incontestable que toutes vos belles découvertes des cavernes du Périgord, etc., dénotaient un âge plus récent que les dolmens et qu’il n’y avait plus à s’inquiéter des animaux perdus avec les vestiges humains. Il ne dit pas son dernier mot mais je ne serai pas étonné qu’il pensât faire honneur de ces dessins aux lapons qui auraient vu dans le nord les éléphants des glaces parfois [?] et en auraient fait de mémoire un dessin en souvenir de la mère patrie !! Plus l’idée est bizarre, plus elle me paraît digne de l’interprétation du fournisseur paléontologique des [illisible]. « - Plusieurs journaux ont reproduit plus tard à peu près textuellement votre lettre, entre’autres le Moniteur. Le Cosmos n’avait pas du tout compris… et avait parlé de mastodonte etc. et j’ai engagé un des rédacteurs à rectifier son erreur par la publication intégrale de votre lettre… 261. »
l’homme… enfin
chapitre 8
LES HOMMES PRÉHISTORIQUES SONT-ILS POTIERS ? Dans les dolmens et autres sites postérieurs, parmi les objets archéologiques se trouvent presque toujours des poteries d’âge récent de la pierre polie (Néolithique). Mais, parfois, de petits tessons de céramique s’ajoutent aux débris des cavernes avec la faune glaciaire. Ainsi, avec Christy, un morceau avait été trouvé Aurignac (1862) et, du même lieu, une petite anse surmontée d’un bouton est également signalée. En Belgique, Édouard Dupont décrit aussi des fragments de céramique. Tournal en avait également ramassé à Bize 262. D’où cette question, sans réponse pour l’instant, qui tracassait Lartet : les populations antéhistoriques connaissaient-elles la poterie ?
l’enquête de l’été 1865
Durant l’été 1865, cherchant les hommes préhistoriques de l’autre côté de la frontière pyrénéenne, Édouard et Louis Lartet fouillent les grottes de la zone de Torrecilla de Cameros, plusieurs sans succès, mais deux avec des résultats intéressants. Si les restes antédiluviens sont peu significatifs, en revanche, un magnifique niveau archéologique, dans la Cueva Lobrega, contient de la poterie décorée de cordons impressionnés avec le doigt. Les archéologues l’attribuent à la toute fin de l’âge de pierre avec animaux domestiqués. Pas de réponse donc sur l’ancienneté préhistorique de la céramique. Circulant également en piémont français, en quête de nouvelles cavités à explorer ou bien pour
conduire son épouse « prendre les eaux », comme le faisait la classe aisée sous le Second Empire, le naturaliste rencontre, à Bagnères-de-Bigorre, Célestin Vaussenat (1831-1891), ingénieur civil (à l’origine de l’observatoire du pic du Midi avec le Général Charles de Nansouty), lui-même bien intéressé par les grottes de Bagnères, lesquelles contenaient « inaccessibles jusqu’alors, et sous une couche considérable de détritus calcaires cristallisés sur place » 263, des débris d’industrie humaine, des fragments de poterie, des matières carbonisées d’origine étrangère, de l’argile calcinée, enfin tous les indices révélateurs d’une habitation humaine. En parallèle, Lartet enquête auprès des collègues. Paul Tournal de Narbonne est formel : « Il existe à Bize des poteries confectionnées à la main, et d’autres qui ont été fabriquées à l’aide d’un tour 264. ». Même question à Henri Filhol (1843-1902) de d’école de médecine et de pharmacie de Toulouse, dont le fils, avec Félix Garrigou (1835-1920), est un habitué des cavernes 265. Celui-ci a trouvé des poteries à Bruniquel (Tarn), au Mas d’Azil (Ariège) et à Sallèles-Cabardès (Aude). Et d’envoyer au paléontologue quelques échantillons ; en ajoutant qu’à son point de vue on ne devrait pas avoir de doute sur l’existence de la poterie à l’âge du renne. De quoi inciter à conduire plus avant l’investigation. Or, Vaussenat explique qu’à Ordizan, près de Bagnères-de-Bigorre, se fabrique encore une poterie fort semblable à ces tessons des grottes. Il rencontre des habitants d’Ordizan, se fait expliquer les méthodes de fabrication de ces ustensiles 277
l’origine de l’homme
Fig. 108. Crâne scié en deux parties de la genette fossile de l’Allier, utilisée par Lartet pour sa démonstration. Coll. Muséum d’histoire naturelle de Toulouse.
réinventant avec bonheur un espace vide, la cavité crânienne, avec une peu de plâtre et de colle, pour comparer avec l’encéphale qui, par le miracle de la fossilisation, parfois se pétrifie lui aussi et devient à son tour objet d’analyse ?
Fig. 109. Dessin (simplifié) présenté par Gratiolet, 1858, Note sur l’encéphale de Cainotherium, Société philomathique de Paris. C’est un cerveau plus petit que celui du lapin. L : lobe olfactif ; B : bulbe ; C : cervelet ; P : plis et circonvolutions.
La nature opère un perfectionnement, une transformation, donc nous sommes dans le transformisme. La cause agissante n’est pas définie, le paléontologue ne conclut pas, ne décide pas : est-ce la sélection naturelle ou l’influence des milieux ? Nous ne saurons pas, il est peu probable que ce soit la sélection naturelle. Celle-ci reste en attente de compréhension et de preuve. Celle-là était admise de longue date. La conces-
sion est minime et contradictoire avec les courriers destinés à Vogt – toutefois, les successeurs seront chargés à leur tour de déplacer cette limite « indéfinie ». L’influence du milieu ambiant (!) sur le paléontologue est perceptible. Ainsi, cette presque dizaine d’années écoulée, de 1859 à 1868, est d’une richesse et d’une vitalité scientifique extrême. À partir de 1863, avec les épisodes de la mâchoire de Moulin-Quignon, qui télescopent la parution de Huxley, annonçant les conséquences du texte darwinien, à savoir la parenté simienne de l’humain et les apports successifs par les fouilles (de restes humains, la Naulette, Engisheim, avec le réexamen de Arcy, Engis, Neanderthal) c’est tout l’enjeu de l’ascendance humaine qui se discute, et les positions philosophiques et religieuses s’exacerbent. L’exemple qui suit en est l’illustration, car Lartet, avec le mémoire Sur quelques cas de progressions organiques… ci-dessus évoqué, s’attire les foudres du père jésuite Jean-Marie Sanna-Solaro, ancien professeur du lycée royal de Salerne (Italie), puis professeur de physique et de chimie au collège secondaire ecclésiastique de Sarlat (Dordogne), impénitent fouilleur de grottes, en relation scientifique et relation de longue date.
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lartet au bord de l’abîme l’homme… transformiste enfin un opposant personnel, le père jésuite jean-marie sanna solaro
Dans une longue missive, en réaction au mémoire sur les cas de progression organique, le révérend père félicite Lartet de ne pas adhérer au transformisme de M. Darwin « cette cause ne pourra être défendue que par quelques demi-savants, mais je la crois définitivement perdue ». Puis il juge l’inverse : « Vous n’admettez pas d’un côté la transformation des espèces, de l’autre vous y allez sans le vouloir ; ou du moins vous faites un premier pas, un grand pas même, ce me semble, qui vous force à marcher toujours malgré vous. Il me semble en effet, qu’en admettant « un accroissement graduel d’énergie vitale et d’intelligence par le seul effet de la nature animée vers un perfectionnement dont la cause resterait toujours agissante et la limite indéfinie » vous ne faites que dire en d’autres [mots] moins explicitement si vous voulez, ce que M. Darwin a dit. Voici ces paroles que je prends à la page 151 de la première édition de son ouvrage « Je ne puis concevoir
aucune limite à la somme des changements qui peuvent s’effectuer dans le cours successif des âges par le pouvoir électif de la nature ». Vous admettez donc tous deux une action indéfinie de la nature tous deux vous la faites marcher vers un perfectionnement. Il est vrai que vous ne parlez que de perfectionnement du même type, lui va plus loin et il me paraît en cela plus logique d’après vos principes communs. Car on ne voit pas pourquoi cette action indéfinie de la nature s’arrête à produire des modifications profondes dans chaque espèce sans les transformer. » Ainsi le révérend reproche à Lartet de ne pas pousser son raisonnement plus loin, c’est-à-dire remonter vers l’origine de ces transformations, ce qu’a proposé Darwin en effet. Et le père jésuite se désole… et se fâche : « Il n’y a que le premier pas qui compte, dit-on ; ce premier pas fait, on glisse malgré soi vers l’abîme. La doctrine de la transformation des espèces est un abîme, vers lequel vous ne voulez pas marcher ; mais votre concession vous y entraîne malgré vous… »
Fig. 110. Illustration établie à partir du texte de Lartet pour montrer la progression de certains caractères (cerveau, dents) chez certaines d’espèces, genres ou familles au cours du temps. Les taxons sont placés en vis-à-vis de leur époque. La taille du cerveau s’accroît et les plis ou circonvolutions augmentent plus on avance vers le présent. Les dents chez les herbivores sont plus hautes chez les plus récents (hypsodontes) ; leur durée de vie, dépendant de la possibilité de se nourrir, sera donc plus longue. Les liens sont linéaires alors que dans les schémas de Gaudry (fig. 106) la forme est buissonnante et inspirée par le dessin de Darwin (fig. 103).
319
l’origine de l’homme
Finalement il remarque que les géologues ne marchandent pas le temps, puis ajoute entre parenthèses « l’église non plus tant qu’il ne s’agit pas de la création de l’homme ». Et, le voilà au fond de l’abîme : « Et, si maintenant nous descendons en direction du perfectionnement, nous verrons l’homme sortir du singe tout naturellement par la même action de la nature 435 !!! » Le docteur Paul Fischer, dans sa nécrologie écrit : « Il [Lartet] remarque les différences considérables qui existent entre la faune fossile de Sansan et la faune actuelle ; aussi n’admet-il pas que les animaux actuels aient pu descendre directement de la population miocène reconstituée par lui. » Il note aussi la publication sur la transformation d’espèces de 1868, mais ne mentionne pas le fait qu’elle traite de « modifications graduelles de divers organes ». En définitive, le père jésuite a probablement vu juste : Lartet veut « y aller » vers le transformisme comme l’indique son article de 1868, ses lettres à Vogt et son étude des cerveaux, et en même temps recule, comme semble l’indiquer une citation de Cuvier placée en tête de son travail sur les rongeurs (1869). Dans ce débat fondamental qui paraît périphérique de la préhistoire stricto sensu, mais se trouve au cœur de l’agitation scientifique et finalement de la philosophie, le legs de Lar-
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tet est maigre, sauf à considérer les prémisses d’une neuro-paléontologie (recherches menées auparavant par Gratiolet qui était farouchement anti-transformiste), alors qu’en paléontologie ses études ont apporté de nombreuses nouveautés, surtout grâce à Sansan, et qu’en archéologie préhistorique, il a magistralement œuvré à la reconnaissance de l’homme fossile et posé de justes fondations au premier classement chrono-typologique de ces cultures premières, que Mortillet va tordre et qu’Émile Cartailhac et l’abbé Henri Breuil remettront en ordre quarante ans plus tard (1905). Accordons à Lartet la circonstance atténuante du manque de temps. Eût-il été plus jeune en 1868 et cette ébauche transformiste aurait été portée plus loin, il n’en donne peut-être que les prodromes. L’apport de Mortillet, et, au fond, il est réduit, est d’avoir changé l’appellation en proposant « Moustérien » au lieu de « type du Moustier », c’est-à-dire l’énoncé, alors que le principe des éponymes est déjà dans l’appellation du départ. En revanche, il va faire divaguer la chronologie préhistorique pendant quelques décennies. Lartet avait aussi mis en garde contre l’idée d’un progrès linéaire des cultures et des arts qui aurait conduit jusqu’à nous, mais Mortillet n’en veut rien retenir.
l’homme… enfin
chapitre 13
CRO-MAGNON, NOTRE PLUS CÉLÈBRE ANCÊTRE Devenu une référence incontournable, au faîte de sa renommée, toujours aussi serviable et à disposition de ceux qui s’affairent autour de la multitude des débris et vestiges sortis des cavernes et stations d’Europe, notre vénérable savant est en permanence sollicité et, autant que sa santé le lui permette, répond avec bonne volonté, étudiant les spécimens préhistoriques et paléontologiques qui lui sont présentés. C’est ainsi qu’à partir de quelques éléments, il reconstitue quatre incisives ou défenses d’un animal fossile inconnu, proche des dugongs ou lamantins, mammifères marins. Ici il s’agirait d’individus de grande taille, proche d’Halitherium, dont il y aurait des fragments du mâle et de la femelle et qu’il décide de nommer, en l’honneur de M. Capgrand, son découvreur, Rytiodus capgrandi 436 qui évoluait gracieusement dans les eaux pures et bleues de l’océan alors en bordure des départements actuels des Landes et du Lotet-Garonne. Une autre synthèse de trente-huit pages paraît sur les ours et les rhinocéros, rétablissant quelques interprétations erronées des uns et des autres, ou attributions spécifiques inappropriées, occasion de répéter sa théorie de la migration vers le nord des espèces sensibles à la chaleur telles que le renne et le bœuf musqué, au moment du recul des glaciers et du réchauffement climatique 437. Quelques échanges sont particulièrement intéressants, car ils commencent l’aventure de deux grands sites appelés à devenir éponymes, Solutré et Châtelperron. Le naturaliste gersois-parisien a la primeur des informations et
son avis est sollicité au plus près de l’avancement des chantiers.
conseils aux fouilleurs de solutré et châtelperron
Le naturaliste Henry de Testot-Ferry (18261869) de Bussières (Saône-et-Loire) parcourt sa région sans relâche. Il est un ami d’Adrien Arcelin (1838-1904) 439. Ils explorent plusieurs sites du Mâconnais, à Vergisson une grotte, à Solutré au pied de la célèbre roche le charnier aux chevaux et une station de surface à Bussières, Chintré et autres. À partir du 25 juin 1866 et jusqu’au septembre 1867, autant que l’on sache, Ferry envoie vingt-neuf lettres, dont nous avons quatre réponses du naturaliste qui réalise la plupart des déterminations, de faune et d’industrie lithique 440, toujours tenu au courant de l’avancée des découvertes assez exceptionnelles. Le Creux-du-Charnier (ou Cros ou Clos) à Solutré (Solutré-Pouilly aujourd’hui), donne une très belle industrie. Ferry écrit : « Que M. Lartet reçoive l’expression de ma vive gratitude pour tous les services qu’il a bien voulu me rendre avec son inépuisable bonté ordinaire. C’est à lui que je suis redevable de pouvoir faire connaître avec toute certitude à mes lecteurs les noms des espèces animales qui se sont trouvées associées aux traces de l’homme dans nos différentes stations. C’est lui qui, par un généreux envoi, m’a mis à même d’identifier les silex taillés de Charbonnières et de Solutré avec 321
l’origine de l’homme
Repères Un conseiller sollicité, un maître informé Parmi tant d’autres, quelques exemples du courrier à traiter chaque semaine. 20 décembre 1864. Le Belge Édouard Dupont découvre, dépassant toute espérance, dans le Trou des Nutons près de Furfooz, 25 espèces animales avec des couteaux de silex et des os travaillés ainsi que des restes humains dans une autre petite cavité. 16 janvier 1865. Francesco Molon trouve des ossements dans une grotte de Vicence, route de Vérone en Italie. 23 janvier 1865. Victor Brun de Montauban trouve dans une caverne sous le château de Bruniquel sept flèches barbelées etc., il reprendra les fouilles des Batuts. 27 janvier 1865. JacquesRaoul Tournouër envoie une petite caisse de fossiles des calcaires de l’Agenais. 21 mai 1865. A. Feningre de Pierrefitte-sur-Loire décrit et dessine des dents et explique ses découvertes. 20 décembre 1865. L’abbé Pouech de Pamiers, voudrait les déterminations de dents qu’il a trouvées lors d’une fouille de la grotte d’Enlène en Ariège. 24 février 1866. Alexander Braun, directeur du jardin botanique de Berlin, demande la provenance de graines de micocouliers, parvenues de Lartet jusqu’à lui par la Suisse et son ami Desor. 21 mars 1866. Édouard Dupont, assis dans la caverne même, écrit à son « cher maître » « J’ai enfin découvert les débris des grands mammifères quaternaires dans les cavernes des bords de la Lesse » avec des ossements
humains. Il va apporter le tout à Paris pour le montrer à Lartet.
des plantes. » Un train de déterminations en perspective…
19 avril 1866. Philippe Beaune du musée de SaintGermain : « Je comptais sur le plaisir de vous voir à la dernière réunion de la commission. J’avais en réserve un crâne humain complet de l’âge de la pierre, trouvé sous une sépulture des bords de la Seine, accompagné d’ossements d’animaux, dents de chevaux etc. armes en silex et poteries. M. de Saulcy auquel je la montrais s’est extasié. »
le 19 mai 1866. L’abbé Audierne de Sarlat : des silex trouvés à Écorneboeuf, des trouvailles dans la grotte de Badegoule, etc.
21 avril 1866. Explication de Lartet à Gory, responsable des collections du duc de Luynes : « Voici M. Bourguignat dont le nom vous est sans doute connu, et peut-être aussi ses beaux travaux scientifiques, qui vient de se lancer dans l’exploration systématique des cavernes et déjà il nous donne pour la période humaine pré-historique, une chronologie chiffrée remontant à plus de 250 000 ans avant l’ère chrétienne. Ne vous hâtez pas de sourire, car avant deux ans, il vous le prouvera par a + b et à grand renfort de démonstrations et de calculs astronomiques. Il est à explorer, dans ce moment, les cavernes de votre région du sud-est aux environs de Grasse, et ces jours passés, il m’a annoncé l’envoi de 8 caisses renfermant à peu près 6 000 ossements. Rien que cela pour me désennuyer. M. Filhol, directeur de l’école de médecine de Toulouse travaille aussi de son côté, très profitablement pour la paléontologie pure. Il exploite dans l’Ariège, une véritable nécropole des grands carnivores éteints. Il y a trouvé de beaux restes de felis spelea, une superbe tête d’hyène et plusieurs crânes de grands ours des cavernes. Il a envoyé un de ces crânes avec bon nombre d’ossements au jardin
On pourrait citer encore M. Dawkins d’Angleterre, Pereira de Lisbonne… Jules Ollier l’informe des cavités nombreuses dont certaines ont servi d’habitations primitives, en Ardèche surtout dans le canton de Vallon-Pont-d’Arc, lui aussi a besoin de conseils pour comprendre les vestiges de la grotte de Louoï. D’autres lettres contiennent des discussions plus techniques, ainsi avec le professeur de géologie Igino Cocchi de Florence, ou bien une demande de relecture avant publication, comme le fait Alphonse Favre, géologue à propos d’une station de l’âge de la pierre à Veirier, près de Genève. Parfois Lartet propose des fonds pour financer des fouilles comme à Lautrec (Tarn) auprès de MM. Vène et Bonnet, et exhorte son correspondant « vous m’encouragez en m’engageant à chercher une sépulture de l’âge du renne » écrit Philibert Lalande de Brive. Lequel souhaite une confirmation de datation relative, (station de Chez-Pouré) pour classer l’outillage du type du Moustier 438.
ceux du Moustier et de Laugerie-Haute, et d’étudier, avec le secours de son expérience, cet âge du renne dont il est le créateur 441. » En effet, dès les premiers coups de piochon de jardin (sic), Ferry récolte silex et ossements et demande de l’aide aussitôt accordée bien sûr 442. 322
9 juin 1866. Édouard Filhol, directeur du Muséum de Toulouse, est parti trois jours fouiller, avec Eugène Trutat, la grotte de Lherm en Ariège. Résultat : de beaux crânes d’ours et autres belles pièces envoyées pour le ministre, que Lartet devra voir.
On multiplierait les exemples de cette correspondance conservée au Service interuniversitaire de Toulouse (SICD) et en ligne sur le site Tolosana.
Expédition d’une première caisse… travail du paléontologue parisien qui propose des échantillons de ses propres collections pour aider Ferry à s’y retrouver et comparer. Puis d’autres caisses se croisent… contenant des exemplaires de la grotte de Vergisson et du « couloir » de Chintré. Les explorations de Ferry se diversifient, des
cro-magnon, notre plusl’homme… célèbre ancêtre enfin
Fig. 111. La roche de Solutré, extrait de la lettre d’Henri de Ferry à Lartet, 14 février 1867.
stations nombreuses sont trouvées sur des gîtes à silex natifs. Vergisson ressemble en tous points à Aurignac, pense le naturaliste mâconnais 443. Avec la nouvelle année de bonnes nouvelles archéologiques : une fabrique de silex, des lances, des couteaux… par milliers, explique Ferry le 13 janvier 1867 sur le site le plus pittoresque de la région : le Creux-du-Charnier à Solutré « le sol y est jonché d’ossements de chevaux que je suppose modernes… 444 ». En creusant jusqu’à 1 mètre et 1 m 80 de profondeur, un niveau
intact, non remanié, des débris de cerfs (ou de renne) avec d’innombrables silex, parmi lesquels des lances : Ferry compare avec l’échantillon de Laugerie-Haute envoyé par Lartet, c’est en tous points pareil 445 ! Avec février, surgit une nouvelle fabrique, une « boutique » même cette fois, de « langues de chat », c’est-à-dire sur le type d’Abbeville. Les nouvelles sont si alléchantes que Lartet est démangé par l’envie d’aller voir « Que j’aurais envie d’aller causer de tout cela avec vous. Mais 323
l’homme… enfin table des matières
Remerciements ..........................................................................................7 Préface d’Yves Coppens .............................................................................9 Préambule de Noël Coye .........................................................................11 Avant-propos ..........................................................................................13 Avertissement ..........................................................................................14 partie i SCIENCE OU DOGME ? chapitre 1 années 1820. paris vibrante, paris savante .....................17 imaginons… 1822. Un jeune avocat au Jardin des plantes .......................17 Insatiable curiosité d’un jeune provincial à Paris ......................................19 le point d’histoire La Charte constitutionnelle ...................................19 l’enseignement des grands maîtres Cuvier, Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire .........................................................................21 repères Georges Cuvier et l’anatomie comparée .....................................22 L’exposition rhétorique de Cuvier et d’extraordinaires découvertes ..........22 à la loupe 1802. M. de Lamarck (1744-1829) divise le Règne Animal ...23 imaginons… 1822. Une visite au Muséum : Édouard découvre les fossiles de sa région ............................................................................24 à la loupe Anoplotherium et Palaeotherium ..........................................26 imaginons… 1823. La galerie d’anatomie comparée .................................27 chapitre 2 2 500 ANS DE COMBAT POUR LE TEMPS LONG DE LA TERRE ...................................................................................29 Depuis l’Antiquité, le temps long de la planète aux prises avec les dogmes religieux ......................................................................29 à la loupe La géologie en 1822 ..............................................................29 Jean-Baptiste de Lamarck successeur de Buffon .......................................31 La résurrection des premiers habitants de la Terre ....................................31 repères Quelques nouveaux fossiles célèbres ...........................................32 chapitre 3 1830. effervescence scientifique et révolution politique ....................................................33 le point d’histoire Révolution .............................................................34 Ami Boué : prosélyte de l’homme fossile .................................................34 1830. Une nouvelle société savante dans le vent de la liberté ...................34 Débats à la société : cataclysme ou changement lent ? ..............................35 à la loupe Le Déluge de Moïse, catastrophe mythique ...........................36 chapitre 4 Une famille de notables gersois .......................................37 Généalogie d’une famille de notables, les Lartet .......................................38 à la loupe Jean Lartet, éphémère seigneur du Petit Bédéchan .................39 le point d’histoire Les assignats ou… comment faire des affaires ? .......40 imaginons… 1832. Des restes antiques à Sempé .......................................40 Une double réfutation de l’homme fossile : le déluge… ...........................42 … et les inondations dans les cavernes à ossements ..................................43 Le docteur Schmerling et les cavernes de belgique ...................................43 Philosophe de l’évolution, étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) accueille Lartet ................................................................44 repères Un résumé de l’état de la question .............................................45
chapitre 5 ENTRÉE EN SCÈNE DE LARTET LE 7 AVRIL 1834 ........................47 à la loupe Organiser la nature 4..............................................................48 La colline de Sansan, révélateur de sa véritable passion ............................48 Lartet et les savants ..................................................................................49 Le jeune chercheur reçoit une aide publique ............................................50 Des tonnes d’ossements fossiles envoyés au muséum à paris ....................51 repères Chronologie d’une carrière prometteuse ....................................52 imaginons… 1836. Un savant près de la colline .......................................52 chapitre 6 LARTET ENTRE PALéONTOLOGIE, GESTION AGRICOLE ET TENTATION MINIèRE ...................55 édouard Lartet, gestionnaire occasionnel du domaine d’Ornézan ............55 à la loupe Un domaine agricole gersois dans la première moitié du xixe siècle ........................................................................................56 La tentation de l’exploitation de mines de plomb, argent et turquoise .....56 De l’alchimie à la physique, la licorne, mère des turquoises .....................57 imaginons… 1937. Relancer les mines de turquoises ? ...............................58 à la loupe 2001. Le mystère de la couleur turquoise et de l’orfèvrerie médiévale enfin levé .............................................................................61 chapitre 7 CHERCHEZ L’HOMME ! ...................................................................63 repères Blainville : une création unique et sans catastrophe ....................63 Nos cousins primates à la mode ...............................................................65 Extraordinaire, un primate fossile ............................................................65 imaginons… À Paris, au Muséum, le 17 décembre 1836 ..........................66 La mâchoire d’or ou… la chute d’Adam ..................................................67 à la loupe Découverte de la mâchoire du singe : première quinzaine de décembre 1836 .................................................67 Gibbon ou pas ? courage, courage ! vous avez là un trésor ! ......................71 repères Chronologie d’une révolutionnaire découverte ...........................71 à la loupe Mystérieux petit singe ...........................................................72 Les singes du bout du monde ..................................................................72 Le 26 novembre 1836 « a gigantic ape » : un singe gigantesque ................73 imaginons…1837. Un ecclésiastique séduit par le monde antédiluvien ......73 repères Calendrier exact des découvertes des premiers singes fossiles ......74 Entre le marteau et l’enclume ..................................................................77 repères Un été animé à l’Académie ........................................................78 L’homme tertiaire 7..................................................................................79 imaginons… 1839. Un soir d’hiver .........................................................80 Notes ......................................................................................................82 partie ii un mastodonte dans l’arche de noë chapitre 1 « LA TERRE SANS L’HOMME, C’éTAIT UN SPECTACLE SANS spectateur » .....................................................................89 imaginons… 25 juillet 1838. Un dîner au ministère de l’Instruction publique ........................................................................89 Un ambitieux plan de recherche, 26 décembre 1838 ...............................91 « Le type humain aurait-il manqué à la majesté de cette ancienne création ? » ...............................................................91 le point d’histoire Le ministère du château .........................................91 à la loupe La position théorique présumée de Lartet ..............................92 repères Chronologie d’une stratégie qui manque son but .......................93
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l’origine de l’homme à la loupe Le Tertiaire : la surrection des Pyrénées et la faune de Sansan ............................................................................94 chapitre 2 les cornes du diable .................................................................95 imaginons… 1839. La chasse à la bête terrible .........................................95 Le dinotherium intrigue depuis le xviiie siècle .........................................98 Une tête de géant à Paris .........................................................................98 Les cornes du diable, en terre de Gascogne ..............................................99 repères À quoi cet animal ressemble-t-il ? .............................................100 1843. Le dinotherium attend toujours : un « pied de nez » à blainville ..100 repères Un géant et son berceau ...........................................................101 chapitre 3 ÉDOUARD LARTET À LA CROISÉE DES CHEMINS ? ...............103 repères Chronologie de la fin d’une vie de garçon ! ..............................104 Le foyer de Léonide Barrère et édouard Lartet ......................................104 La correspondance avec Charles Laurillard, une source précieuse ...........105 abécédaire paléontologique 1841. Amphicyon ................................105 le point d’histoire 1842. En ce temps où glissaient sur la Garonne les bateaux à vapeur ...................................................106 Lartet cherche de l’aide pour reprendre ses fouilles ................................106 Un mois plus tard Laurillard est à la Bernisse ........................................107 imaginons… Mars 1845. Le printemps de Seissan ..................................108 abécédaire paléontologique 1844. L’article de Laurillard sur le Dinotherium dans le Dictionnaire universel d’histoire naturelle de Charles D’Orbigny .........................................................110 Reprendre la quête des origines de l’humain ..........................................110 Dans le nord de la France, des outils antédiluviens ................................111 chapitre 4 SANSAN, UNE MERVEILLEGÉOLOGIQUE .................................113 La colline, vestige de la berge d’un vaste golfe tertiaire ...........................113 Organiser les campagnes de fouilles .......................................................114 à la loupe Une campagne de fouilles à Sansan .....................................115 imaginons… 27 juillet 1845. La Faculté se transporte à Sansan ..............116 abécédaire paléontologique Édentés ...............................................118 1851. La coupe géologique de la colline ................................................118 Le catalogue de la riche faune de Sansan ................................................119 repères 1851. La coupe géologique de la colline ...................................119 abécédaire paléontologique Le Macrotherium .................................120 1846. Crise internationale et vie locale ..................................................120 abécédaire paléontologique Palaeotherium hippoïde (ou equinum) ...121 Le testament scientifique de Constant-Prévost .......................................122 abécédaire paléontologique Les rhinocéros, une histoire de cornes .. 123 à la loupe Le crépuscule de Sansan, il y a 14,8 millions d’années et la biozone « MN6 » ........................................................................125 chapitre 5 LE GERS DANS LA TOURMENTE POLITIQUE ..........................127 La proclamation de la République à Seissan ...........................................127 le point d’histoire La royauté de Juillet est tombée en trois jours ......128 édouard Lartet, un beau résultat au premier suffrage universel ..............129 Démission et résistance au conseil municipal .........................................131 échappée pyrénéenne dans les grottes ....................................................131 le point d’histoire Chronologie de la Révolution de 1848, de la IIe République jusqu’à l’Empire .................................................131 Le temps de l’insurrection .....................................................................132 imaginons… 4 décembre 1851. L’insurrection à la porte de la Bernisse ....133 Le temps de la répression .......................................................................135 à la loupe Épilogue d’une résistance républicaine ................................136
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chapitre 6 JEAN-BAPTISTE NOULET (1802-1890) LE REGRET DES PRÉHISTORIENS ..................................................................139 Jean-Baptiste Noulet savant toulousain .................................................139 L’Infernet, regret des préhistoriens ........................................................140 Le site archéologique du vallon de l’Infernet ..........................................141 Rattrapé par l’actualité politique ............................................................142 Lartet et Noulet, une paire d’amis .........................................................143 imaginons… 1852. Trois savants à Toulouse .........................................143 à la loupe La mise à jour de la classification géologique .......................144 Rencontre à Toulouse, Lartet, Laurillard et Noulet ...............................144 En attendant les restes humains… .........................................................145 repères Chronologie de la découverte du vallon de l’Infernet ...............145 à la loupe Épilogue d’un épisode clé de l’histoire de l’origine de l’Homme ......................................................................................147 chapitre 7 UN RETOUR DE FIÈVRE DINOTHERIENNE BOULEVERSÉ PAR… UN SINGE ................................................149 Le mystère des pieds du dinotherium ....................................................149 repères La forêt proboscidienne ...........................................................150 éléphants, mastodontes et dinotherium : une étude comparative ..........150 imaginons… 1854. Des dessins d’éléphants ............................................151 Le géant de la faune tertiaire, trente ans de traque .................................153 à la loupe Épilogue d’une longue traque au fabuleux animal ...............154 Un nouveau singe encore plus proche de l’humain ..................................155 Une magnifique collection grecque pour comparer ................................155 repères 1836-1856. Historique des découvertes de singes fossiles .........157 chapitre 8 LE DRYOPITHÈQUE PROCHE DE L’HUMAIN, UN ENJEU SCIENTIFIQUE, POLITIQUE ET « RACIAL » .......159 Des origines simiesques au lieu de « races » d’origine .............................159 Les mauvaises idées du siècle des lumières et du xixe siècle .....................159 à la loupe La « race » ...........................................................................160 Les barreaux de l’échelle des « races », entre science et préjugés ..............161 repères Hiérarchie, monogénisme, polygénisme ...................................162 Nouvelles mesures des crânes .................................................................162 L’école d’anthropologie américaine .......................................................162 Pour Armand de Quatrefages, l’inégalité des races est un fait .................163 à la loupe L’Assemblée nationale, vue par la revue Le conseiller des Dames en 1848 .............163à la loupe Un point de vue au xxie siècle . 164 Le dryopithèque et l’homme .................................................................164 Lartet, le dryopithèque et l’échelle des êtres ...........................................164 chapitre 9 ENTRE FOUILLES PYRÉNÉENNES ET SAVANTS PARISIENS .167 Les origines gauloises et lointaines du territoire de France .....................167 à la loupe 1856. Des preuves, des preuves ! Encore fallait-il savoir les reconnaître .................................................168 Lartet s’installe dans la capitale ..............................................................168 imaginons… Juillet 1853. Le départ pour Paris .....................................169 De nouvelles relations scientifiques ........................................................171 Les cavernes pyrénéennes, Massat ..........................................................171 à la loupe Des oiseaux gigantesques et inconnus ? ................................172 Les grottes de Massat .............................................................................173 repères Chronologie des informations et découvertes de grottes pyrénéennes .......................................................................174 Des couches archéologiques (encore) remaniées .....................................174
table l’homme… des matières enfin chapitre 10 LA BATAILLE DE L’HOMME OU L’ÉCHEC D’UNE VOLONTÉ OMNIPOTENTE .........................................177 Léonce Élie de Beaumont, un opposant coriace .....................................177 à la loupe Ambiguïté du mot « diluvium » ...........................................178 Les grottes de Brixham ou comment les Anglais ont grillé les Français au poteau ........................................................................179 repères Les cinq derniers points de Louis Constant-Prévost sur l’histoire de la Terre ......................................................................180 le point d’histoire Dès 1754, Buffon, une vision de l’homme préhistorique ..................................................................180 Boucher de Perthes : un pont sur l’inconnu entre les temps géologiques et l’époque actuelle .................................180 Démontrer l’existence de l’humain sans restes humains ! .......................182 Des preuves de l’homme préhistorique par les traces ..............................182 Le secrétaire perpétuel de l’Académie est furieux ...................................183 La mâchoire d’Arcy-sur-Cure ou une intense émotion ...........................184 imaginons… 16 avril 1860. Société géologique de France, une séance mémorable .........................................................................185 chapitre 11 LA VÉRITÉ SORT DES CAVERNES ...............................................189 Une science s’ébauche ...........................................................................189 Retour sur le terrain : fouilles et courses paléontologiques .....................190 Une visite dans la grotte de Massat ........................................................190 La caverne de Las Hajoles ......................................................................190 imaginons… 12 décembre 1860. Lartet le mystérieux .............................192 Notes ....................................................................................................194 partie iii l’homme… enfin chapitre 1 LA RÉVISION DU PROCÈS DE L’HOMME FOSSILE .................205 Un rejet systématique de toutes les preuves ...........................................206 imaginons… 1861. Rêverie 2.................................................................206 Préparer son argumentaire .....................................................................208 La faune et l’outil sont des fossiles indicateurs .......................................208 Les anciennes « races humaines », essai d’ethnologie comparée ..............209 Géographie européenne au temps des chasseurs de rhinocéros ? .............209 Réfutation de la chronologie biblique ....................................................210 à la loupe Les catholiques, les sciences et le récit biblique au xixe siècle .211 chapitre 2 AURIGNAC : DES SQUELETTES HUMAINS… ENFIN ! ............213 Une découverte fortuite dans un petit vallon .........................................213 à la loupe 150 ans de mystère : la disparition des squelettes ? ...............214 émotion au village, des squelettes ! ........................................................214 Quatre ans plus tard, on informe Lartet ................................................214 Sondage sur la colline de Fajolles ...........................................................215 Le sépulcre de l’homme antédiluvien .....................................................215 Le foyer primitif de l’homme préhistorique ...........................................215 Les pièces à conviction : un outillage inconnu .......................................217 Le festin des funérailles ..........................................................................217 repères 1860-1861. Chronologie de la découverte d’Aurignac .............218 Une sépulture de l’âge de la pierre la plus ancienne ................................218 Transgresser la chronologie mythique ....................................................218 Rejeter le catastrophisme .......................................................................219 Le barbare conquérant d’hier et d’aujourd’hui ? .....................................219 repères 1860-1861. Un conséquent faisceau de preuves .......................219 à la loupe Une tentative de datation absolue ........................................220
Conclusion, un monde nouveau surgit de la nuit des temps, une outrecuidante hérésie..........................................................................220 une leçon de préhistoire 1. Le premier classement préhistorique de Lartet .......................................................................221 chapitre 3 en ordre de bataille ...............................................................223 Le duel Boucher de Perthes – Eugène Robert ........................................223 repères Le duel Boucher de Perthes – Eugène Robert ...........................224 Un soutien indéfectible à Boucher de Perthes ........................................224 Nouveaux heurts à l’Académie ...............................................................225 Et la flèche du Parthe ............................................................................226 Lartet affiche son désaccord ...................................................................227 La partie est gagnée, une consécration pour Lartet .................................227 chapitre 4 UNE DÉCOUVERTE EXTRAORDINAIRE A ABBEVILLE...........229 Lartet en voyage avec un ami britannique Henry Christy ......................229 imaginons… Septembre 1862. La caverne d’Aurignac ............................230 Nouvelle fouille à Aurignac ...................................................................232 Boucher de Perthes annonce une découverte extraordinaire ...................233 Une dent humaine avec des haches taillées ............................................233 repères Victor Hugo et l’homme fossile ...............................................234 Les visiteurs se pressent sur place ...........................................................234 à la loupe Un premier plan de campagne : « Venez vous-même carrément lire votre découverte à l’Académie » ...236 Le doute britannique… envoyé au Times 2............................................239 La certitude continentale .......................................................................240 La mâchoire d’abbeville, « l’une des causes célèbres de la science » .........241 Un comité d’experts franco-britannique ................................................241 chapitre 5 UN AVOCAT AU PROCÈS DE LA MÂCHOIRE ...........................243 Samedi 9 mai 1863, première audience du procès des haches ................243 Un test grandeur nature ........................................................................243 imaginons… Le procès de la mâchoire ....................................................244 Retournement de situation ....................................................................247 L’expédition d’Abbeville ........................................................................247 Louis Lartet provoque un imbroglio supplémentaire .............................248 imaginons… Coup de théâtre à Moulin-Quignon ..................................248 Une presque unanimité .........................................................................251 à la loupe Un séisme médiatique pour une mâchoire pestiférée ...........252 La mâchoire authentique et ancienne ....................................................252 Des cervelles remaniées ..........................................................................252 chapitre 6 LE PÉRIGORD, NOUVEL ELDORADO DES FOSSILES .............255 Henry Christy (26 juillet 1810 – 4 mai 1865) .......................................255 Collectionneur d’objets ethnographiques ...............................................257 repères 1836. Le classement des trois âges de Christian J. Thomsen .....257 Lartet et Christy troglodytes ..................................................................258 repères Préparation et calendrier des réjouissances estivales ..................259 La famille Laganne ................................................................................260 Un terrain de fouilles convoité ..............................................................261 La grotte des Eyzies ...............................................................................262 Une brèche pour tous les musées d’Europe ............................................262 à la loupe La grotte des Eyzies. Quelques détails et déductions ............263 imaginons… Soir d’été à Laugerie-Basse ................................................264 Laugerie-Haute fabrique de lances, Laugerie-Basse manufacture de bois de renne .................................................................................266 Le moustier, un type d’outil inconnu ....................................................266 La Madelaine (la Madeleine) .................................................................267 Gorge d’enfer ........................................................................................267
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l’origine de l’homme à la loupe Les comptes de décembre 1864 pour les fouilles du Moustier .......................................................................................267 repères Le stock de La Madelaine à la fin des fouilles (diminué de ce qui a été expédié au fur et à mesure à Paris et Londres) .............268 une leçon de préhistoire 2. Deuxième essai de chronologie (1865), révision de Lartet, apport de Christy ..................................................269 chapitre 7 1864, l’année des artistes préhistoriques ...................271 Laugerie-Basse extraordinaire manufacture d’œuvres d’art .....................271 repères Les œuvres d’art au grand jour .................................................272 Une annonce importante de la concurrence ...........................................272 Des résultats au-delà de toute espérance ................................................273 Le mammouth de la Madelaine, pièce maîtresse ....................................273 chapitre 8 LES HOMMES PRÉHISTORIQUES SONT-ILS POTIERS ? .........277 L’enquête de l’été 1865 .........................................................................277 Promenade à Ordizan ............................................................................279 Sans potier, sans tour et sans four ..........................................................279 chapitre 9 AU CŒUR DES GRANDES MANIFESTATIONS DE L’EMPIRE .281 Un savant très sollicité ...........................................................................281 le point d’histoire Le Second Empire ................................................282 Le musée de Saint-Germain-en-Laye .....................................................282 L’exposition archéologique à l’Exposition universelle de 1867 ...............283 repères Le musée de Saint-Germain-en-Laye .......................................284 imaginons… 5 mars 1867. Voyage au centre de la famille Lartet ............284 L’Exposition universelle de 1867 ...........................................................286 Lartet membre de la commission de l’histoire du travail ........................288 Le jury des objets préhistoriques ............................................................288 chapitre 10 COMPARER, CLASSER, EXPOSER .................................................289 repères Une géographie chronologique à l’Exposition universelle .........290 Une exhibition scientifique pour spécialistes ..........................................290 22 juin 1867. Ambiance à l’Exposition ..................................................290 Le retour en France de Gabriel de Mortillet (1821-1898) ......................291 Mortillet, un épigone ingrat ..................................................................292 repères Dernière logique chrono-typologie lartetienne .........................293 repères L’affaire de l’Homme tertiaire ..................................................295 Le congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistorique .296 à la loupe Un document troublant ......................................................297 chapitre 11 CHARLES DARWIN, LARTET DANS LA TOURMENTE PHILOSOPHIQUE ............299 Charles Darwin (1809-1882), l’homme fossile et la sélection naturelle .. 299 La bataille d’Oxford et la réception du texte en France ..........................302 repères Quelques premières recensions en France du livre de M. Darwin ....................................................................................303 repères Les citations de Darwin dans le carnet de notes de Lartet .........304 Traduire ou trahir .................................................................................304 « Ces lèvres-là ne parleront jamais » .......................................................305 La parenté avec le singe à la société d’anthropologie de paris .................305 Un sujet en évolution accélérée ..............................................................306 Violente réaction ecclésiastique au congrès de 1867 ...............................307 Monseigneur Dupanloup s’en prend au… ministre ...............................308
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chapitre 12 LARTET AU BORD DE L’ABÎME TRANSFORMISTE .................311 L’homme des cavernes est-il un singe perfectionné ? civilisé ? ................311 Qu’est-ce que la « civilisation » ? ............................................................311 L’aveu au professeur Carl Vogt ? ...........................................................313 Les lettres de l’aveu ? .............................................................................313 à la loupe Le point de vue de Pascal Tassy ...........................................315 Un prosélyte actif ..................................................................................316 Prouver la transformation des espèces ? ..................................................317 à la loupe Une collection de moulages de cerveaux ..............................317 Un opposant personnel, le père jésuite Jean-Marie Sanna Solaro ...........319 chapitre 13 CRO-MAGNON, NOTRE PLUS CÉLÈBRE ANCÊTRE ................321 Conseils aux fouilleurs de Solutré et Châtelperron .................................321 repères Un conseiller sollicité, un maître informé ................................322 Guillaume Bailleau à Châtelperron ........................................................325 repères La découverte de notre plus célèbre ancêtre ..............................327 Cro-Magnon : les sépultures de l’homme fossile enfin ! .........................328 Le sépulcre des troglodytes du Périgord .................................................329 Empoignade anthropologique ...............................................................329 à la loupe Un jeune vieillard, un nouveau-né et un coup de pioche sur une tête féminine .........................................................330 Une autre mauvaise idée de Mortillet ....................................................330 Ultimes activités parisiennes ..................................................................331 L’effondrement de l’Empire ..................................................................332 chapitre 14 épilogue .........................................................................................335 Du singe de Sansan à Cromagnon, une trajectoire exceptionnelle ..........337 De l’avocat provincial au savant parisien respecté ..................................338 Culture politique ...................................................................................338 Penchants théoriques .............................................................................339 Notes ...................................................................................................344 annexe 1 Édouard Isidore Amand Hippolyte Lartet .............................................353 annexe 2 La correspondance reçue par édouard lartet .........................................354 annexe 3 Histoire mouvementée du temps long et de l’évolution .........................365 annexe 4 1845. La propriété de la bernisse à seissan (AD32-3E22539) ...............368 annexe 5 Reconnaissance de l’homme fossile entre preuves, épreuves et censure ...369 annexe 6 Les fouilles effectuées par lartet ............................................................373 annexe 7 La chronologie lartetienne .....................................................................376 annexe 8 Calendrier d’une affaire d’état ...............................................................378 annexe 9 Comptes du premier voyage de l’été 1863 .............................................379 annexe 10 Le catalogue des potiers d’Ordizan ........................................................380 annexe 11 Les plaques de brèche de la grotte des Eyzies .........................................381 annexe 12 Les objets présentés à l’Exposition universelle ........................................383 annexe 13 Quelques voyages d’édouard lartet ......................................................384