la lettre des écoles supérieures d'art, n° 8

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A quoi sert un étudiant en arts plastiques ? du bourgeois occidental de la Belle-époque, sans chapeau, sans corsets ni fixe-chaussettes. C’est un vêtement assez coûteux, et pas forcément adapté à la vie de tous les jours. De même qu’on ne sait pas à quoi sert un étudiant en arts plastiques, on ne sait pas à quoi sert le costume du salarié, ni pourquoi certains métiers l’imposent et pas d’autres, ni pourquoi il doit être si terne (hors cravate, justement), ni pourquoi on doit s’habiller pareil pour travailler et pour assister à un enterrement, ni pourquoi la situation est si différentes pour les femmes. Le monde « sérieux » est saturé de codes plus ou moins incompréhensibles ou absurdes, vus de l’extérieur en tout cas, mais ceux-ci doivent avoir une raison de persister, bonne ou mauvaise, sinon ils auraient disparu. Or il est courant et il semble légitime de se demander si un étudiant en arts plastiques ou en philosophie sert à quelque chose, mais je remarque que personne ne se demande jamais si une cravate ou un costume servent à quelque chose.

ment douées pour survivre et proliférer (fourmis, bactéries) n’ont aucun besoin.

Jean-Noël Lafargue a été étudiant aux Beaux-Arts de Paris (atelier Caron). Il est maître de conférences associé à l’Université Paris 8, professeur à l’École Supérieure d’Arts du Havre, intervenant à l’Esac de Pau, l’Eesi d’Angoulême, l’Erba de Rennes, e-Artsup institut… Réalisateur ou programmeur d’une douzaine de cdroms, il collaborate régulièrement avec des artistes comme Claude Closky et Jean-Louis Boissier.
 Il est co-auteur, avec Jean-Michel Géridan, de l’ouvrage Processing : Le code informatique comme outil de création, édité en 2011 par Pearson. Il a publié Entre la plèbe et l’élite (Atelier Perrousseaux, février 2012) et Les Fins du Monde, de l’antiquité à nos jours ( Bourin Editeur, Octobre 2012).
Il a créé le site Scientists of America.

La création artistique, elle, existe depuis plus de 30 000 ans (7). Elle est antérieure à l’invention de l’agriculture, et donc antérieure à tout ce qui découle de l’agriculture : les clôtures, les territoires, les propriétaires, la transmission, le mariage, les transactions commerciales, la prostitution, les chiffres, l’écriture, l’argent, la richesse, la spéculation, la loi, l’inégalité, l’esclavagisme, le travail rémunéré, la philosophie, les prêtres, la monarchie, et enfin le surpoids, les caries et les dieux uniques qui ont besoin d’argent. Non seulement l’art est plus ancien que tout cela, mais il n’a pas disparu avec l’introduction de l’agriculture, et au contraire, il a continué à se développer, avec ou sans argent, prenant dans certaines civilisations une importance tout à fait extraordinaire. Depuis le début du XIXe siècle, nous vivons dans un monde où l’image est (c’est un poncif mais il n’est pas faux) omniprésente. On ne sait pas à quoi servent l’art, les artistes, les étudiants en art, les collectionneurs et les décrypteurs d’images, mais ils ne servent sans doute pas à rien. Et on peut en dire autant des disciplines que l’on regroupe un peu artificiellement sous le terme de « sciences humaines ». Est-ce qu’un polytechnicien qui a étudié les sciences, les techniques, la physique et la mécanique, avec les meilleurs enseignants est vraiment utile à l’humanité lorsqu’il décide de faire une carrière de grenouille de conseils d’administration ? Qui estce qui est le plus utile à la société : un trader ou un éboueur ? le paysan qui nous nourrit, ou l’administrateur du fonds de pension qui spécule sur le prix du blé ? Je ne devrais pas avoir à vous souffler la réponse.

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Au fait, sur cette bonne Terre, qui est-ce qui sert réellement à quoi que ce soit, en dehors des lombrics qui fertilisent le sol et des insectes pollinisateurs ? Qui est-ce qui peut se mériter de valoir plus que son poids en compost ? L’honneur de l’espèce humaine, c’est de pouvoir faire autre chose que simplement survivre : penser, créer, observer, par exemple. Des choses dont on ignore à quoi elles servent, ni si elles servent à quoi que ce soit, et dont des espèces vivantes particulière-

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7 La grotte ornée de Chauvet, un des plus anciens exemples, daterait de 30 000 ans avant notre ère, mais nous ne la connaissons que grâce à sa situation protégée : s’il a existé une forte création picturale, à la même époque ou même bien plus tôt, à l’air libre, il ne peut rien en rester.

N° 08 • Décembre 2012

Directeur de la publication : Jacques Sauvageot Conception graphique : Vincent Subréchicot

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La lettre des écoles supérieures d’art


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