Quartier Chic 2

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MAI 2016

LA CULTURE A

DROIT DE CITé

QUAR TIER CHIC

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Un pôle de ressources & de compétences CRÉAT

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PÔLE ENTREPRENEURIAL ET DE COOPÉRATION implanté à Grenoble, Mistral - Eaux claires


Edito Tout d’abord, un immense merci à tous ceux qui ont soutenu Quartier Chic, que ce soit financièrement ou par la mise à disposition de compétences. C’est grâce à votre élan solidaire que nous pouvons continuer encore un peu à vous proposer une autre lecture culturelle et une autre vision de la diversité dans notre beau pays du fromage et des étiquettes. Dans notre second numéro, vous avez la possibilité de découvrir des personnalités créatives et passionnées, ainsi que des initiatives culturelles qui font bouger nos quartiers. Nous avons aussi la joie d’accueillir de nouvelles plumes telles que Jacopo, habitant du quartier mistral qui partage avec nous son amour pour le cinéma d’auteur. Si comme lui vous souhaitez rejoindre la communauté des rédacteurs, des graphistes ou tout simplement continuer à soutenir le projet car il en a encore besoin, contactez-nous sur quartierchic.journal@gmail.com Bonne lecture à tous Brahim Rajab

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Magazine culturel des quartiers populaires, imaginé par l’équipe du Prunier Sauvage. Ce numéro est tiré à 2000 exemplaires, il est distribué avec l’aide d’ACTIS. Conception : Brahim Rajab, Lise BleinRenaudot, Denis Carrier Couverture : LBR

LE CHIC Sommaire 4

ECHOS QUARTIER

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PORTRAIT

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DOSSIER

Actualités d’ici

Hugo Viallet - cinéaste

Les quartiers se bougent

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DANSE

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CRITIQUE CINE

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COLORIAGE

Rachid Ouramdane Chorégraphe

La mer en flamme Gianfranco Rose

Merci à nos nombreux soutiens dont : La SEMITAG, Camille CHAIX, Yves NOIRCLERC, Benjamin TROCME, Benoit FOUET, Hichem Bouafoura, Anne Cruaud, Emilie GAGNIERE, Marie-Thérèse Chaix, Danielle OLIVIER, Stéphane BOEUF, Petite Poissone...

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ECHOS QUARTIER

Musée en cavale

Le plasticien Samuel Rousseau, les peintres Duncan Wylie et Philippe Cognée, le photographe Thomas Thruth, le légendaire street artist Ernest Pignon Ernest et j’en passe… Dites-vous que toute cette clique de génies s’est échappée du Musée de Grenoble pour être exposée du 17 mai au 10 juin à la MDH du secteur 3 de Grenoble. Pour cette escapade en quartier populaire, le musée propose une exposition sur le thème «Lieu de vie, lieu de rêve». Une façon d’envisager la ville et les lieux du quotidien sous le prisme de l’art grâce à une série d’oeuvres contemporaines et internationales réalisées entre 1975 et 2009. Un sujet qui touche tout particulièrement les quartiers Mistral et Eaux-Claires étant donné les prochaines interventions du programme de rénovation urbaine.

© Samuel Rousseau, Plastikcity, 2006, installation

Marwa contre

les

vampires

Athéna est encore un nourrisson lorsqu’elle est recueillie par le clan des loups. Humaine au destin unique, elle est transformée en vampire pour accomplir la prophétie : sauver le monde ! Non, ceci n’est pas le pitch de la prochaine série héroïco-fantastique sur écran, ni le scénario du dernier jeu vidéo à la mode, mais bel et bien une aventure littéraire écrite par une jeune habitante du quartier Mistral que rien ne prédestinait à cela. Marwa Kadri est une jeune fille qui derrière ses jolies boucles noires et ses éclats de rire, cache une détermination admirable. Du haut de ses 17 ans, elle présente fièrement son ouvrage intitulé « Survival », le premier tome d’une trilogie où l’humanité est une espèce fragile, dont la destinée qui lui échappe, est plus que jamais compromise ! Marwa qui a souvent été à contre-courant, faisant face aux railleries et au scepticisme de certains, avec pour fidèle alliée sa petite sœur, est encore émue d’avoir été publiée par les éditions Baudelaire. Elle qui a choisi des études scientifiques plutôt que littéraires, qui se rêve en justicière internationale pour Interpol, a encore plein d’idées et d’envie d’écriture. Souhaitons bonne continuation à cette admiratrice de Stephen King, et gardons un œil sur l’enfant prodige ! 4


© Dessinez Créez Liberté

Margaux, 16 ans, 1ère

La parole aux crayons Sur une proposition de Fatima Makanza, présidente de SOS Racisme Isère, la Bibliothèque des Eaux-Claires Mistral a accueilli pendant la Quinzaine de lutte contre le racisme et les discriminations, du 15 au 25 mars, une exposition itinérante conçue par l’association Dessinez, Créez, Liberté. Cette exposition est au cœur du projet # Je dessine destiné à valoriser et à diffuser les dessins d’enfants et d’adolescents envoyés spontanément à la rédaction de Charlie Hebdo suite aux attentats de janvier 2015.

Les thématiques abordées sont plus que jamais d’actualité puisqu’il y est notamment question de liberté de conscience, de liberté d’expression et de création mais aussi des valeurs de la République et de solidarité dans un contexte qui nous incite à nous rassembler pour dire non au terrorisme. Au cours de cette quinzaine, 5 classes de primaire et lycées du quartier (école élémentaire Anatole France, Lycée Vaucanson et Lycée Louise Michel) ont eu le privilège de découvrir cette exposition accompagnées de leur professeur et des représentants de SOS Racisme qui en assuraient la médiation. Les échanges ont été particulièrement intéressants et sans tabou : la caricature, la religion, la laïcité, le respect de l’autre, la lutte contre les amalgames ont ainsi pu être abordés collectivement.

«J’ai voulu traduire les émotions d’une jeune immigrante, tiraillée entre son passé difficile, son pays en guerre et son départ vers un autre pays que le sien. Mais aussi la difficulté de s’exprimer en tant que personne, sans faire d’amalgame. Avoir espoir en l’imagination et le courage pour traverser ces dures épreuves.»

Mention spéciale à tous ceux qui ont à leur tour dégainé leur crayon pour exprimer leur soutien à cette initiative de l’association Dessinez Créez Liberté qui Olga, 15 ans, 3ème mérite d’être saluée. Pour ceux qui veulent prolonger la visite, l’ouvrage #Je dessine : la jeunesse dessine pour Charlie Hebdo après le 7 janvier est disponible à la Plus d’informations sur le projet bibliothèque Eaux-Claires Mistral. #Je dessine : www.dessinezcreezliberte.com Virginie Chaigne

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C’est la fêêête ! La Prairie, on la traverse pour aller chercher les enfants, pour prendre le 12, on y salue le voisin, mais ce Vendredi 27 Mai 2016, on la transformera en terrain de fête et de jeu. Le Quartier Mistral c’est plus de 1 000 habitants qui ne se rencontrent pas toujours, mais cette fois-ci, on restera des heures à profiter de ce petit coin de verdure. Les petits, à dos d’âne ! Les grands, sur scène devant le micro ! Les adultes, sur la piste de danse ! Les anciens, à table ! Cette après-midi-là, on se baladera dans le quartier pour découvrir de grands dessins de personnages fantastiques créés par les élèves de l’école et l’artiste Petite Poissone, disséminés dans tout Mistral. On goutera à de multiples plats salés et sucrés cuisinés par le CoHaMis, Les p’tits plats dans les grands ou Idées gourmandes. On sera captivé par des histoires racontées avec la Bibliothèque de rue ou par la conteuse Léopoldine, des histoires que l’on pourrait même fabriquer avec du découpage et du papier coloré. On se fera tirer le portrait avec la famille et tous les amis. On discutera ensemble du devenir du quartier. On découvrira des danses du monde entier, du Bosphore au Brésil. On applaudira les enfants de la Maison de l’Enfance Bachelard et leurs djembés. On chantera les refrains populaires avec le groupe de Cheb Amine. On écoutera aussi. Le son de Mistral, le son du quotidien de ce petit quartier. Grâce à la Compagnie Ici-même, à des habitants ouverts, et grâce à Radio Campus, Mistral résonnera à travers la ville et au-delà des montagnes. A bon entendeur, nous serons nombreux cette après-midi là.

CF

A gauche :

Hermessage

A droite :

Mercuredents

Dessins réalisés par les éléves de l’école Anatole France avec Petite Poissone. Venez découvrir le parcours street art réalisé avec tous les dessins des enfants lors de la fête de quartier MistraL le 27 mai !

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PORTRAIT

FILM THEM ALL Dégaine décontractée, cuir et ray ban, Hugo Viallet est un grenoblois qui sait ce qu’il veut. Entrepreneur indépendant de génération en génération, son arrière arrière grand-père n’est autre que le célèbre industriel politicien en costard nœud pap’ Félix Viallet, mort sur scène en dénonçant les financements vérolés de la politique. Ça vous donne une idée de la trempe des Viallet. A présent c’est à son tour de choisir sa voix. Et son dada à lui, c’est la vidéo.

Son premier film, il l’a réalisé en IUT avec des camarades de promo. « C’était l’histoire d’un flic qui cherchait à faire sa rédemption. Mais c’est du vieux dossier maintenant !». C’est cette première expérience de tournage qui lui a donné le goût pour l’image. Son orientation trouvée et un master d’info com’ en poche, Hugo ne perd pas son temps pour mettre les choses en place et créer sa propre entreprise : KAM Production («K comme le Kangourou

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pour le moyen de mémo»). Le jeune homme à la casquette nous confie que son passage à Mistral en tant que service civique à l’AFEV lui a appris à développer un sens pratique et débrouillard : « On avait rien à la base donc l’idée c’était de trouver des plans B et de faire quand même». A l’époque il avait même créé une petite association pour mettre en place des concerts et autres événements culturels sur Mistral. A côté de ses prestations audiovisuelles, Hugo s’investit personnellement aux côtés de son ami et rappeur grenoblois Kespar en réalisant plusieurs de ses clips dont «Décalé» ou encore «Jodie Foster». L’univers des clips reprend les codes du hip-hop à l’américaine à la sauce grenobloise et une bonne couche d’autodérision. Prochain objectif : un «kill them all». Un pur film d’horreur ou tout le monde meurt. Hugo n’a pas l’habitude de faire les choses dans la demi-mesure vous étiez prévenu. LBR

kamproduction.fr


DOSSIER - LES QUARTIERS SE BOUGENT

© Denis Carrier

E] R [ Et si on commenCait A se parler et A apprendre les uns Des autres

?

Il y a comme un frémissement dans certains quartiers populaires de Grenoble, des initiatives qui répondent à un besoin de dialogue et une envie de partage de connaissances. Que ce soit à Mistral avec le projet « Démocratie en chantier » ou à Villeneuve avec les rendez-vous « Pour comprendre », il y a des acteurs qui ont compris que sans égal accès au savoir, à la culture et sans espaces de dialogue citoyen, on ne pourra pas continuer à parler de véritable démocratie. Un élan que Quartier Chic salue et vous présente dans son dossier «Les quartiers se bougent». 8


DOSSIER - LES QUARTIERS SE BOUGENT

à Villeneuve Ce soir du 20 novembre dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble, la salle polyvalente est comble. Un beau panel représentatif pour de vrai ! On y croise des jeunes en jogging et des moins jeunes habillés en…moins jeune, des mères et des pères de familles, des foulards et des cheveux dans le vent, il y a presque toutes les nuances chromatiques d’épiderme que la nature peut offrir. Tous écoutent avec intérêt Saïd Bouamama. Le sociologue, docteur en socio-économie, explique son analyse du processus d’enfermement de nos quartiers populaires, insiste sur la nécessité de mettre en place des espaces d’autonomie, exhorte à ne pas inverser les choses quant à la notion de vivre ensemble « ce sont surtout les riches qui veulent vivre entre eux », et se préoccuper surtout de l’égalité, « la vraie question c’est l’égal accès à… ». La soirée est organisée par la Régie de quartier et l’association Villeneuve Debout. La Régie de quartier a été créée en 1989 par des habitants de Villeneuve. Elle intervient sur des missions de correspondants de nuit, de sensibilisation à l’environnement, de récup, d’entretien des montées, etc. aujourd’hui la Régie emploie 85 salariés dont 70% viennent du quartier. Jouda Bardi, médiatrice, chargée de développer des projets participatifs au sein de la Régie fait partie des organisateurs du projet « Pour comprendre», sorte d’université populaire et d’espace d’expression libre. A ces côtés, il y a Cindy Drogue, seule salariée de Villeneuve Debout. L’association voit le jour en 2010, suite aux événements tragiques vécus dans le quartier avec la mort d’un jeune braqueur et des tensions avec la police fortement médiatisées. Sa première action consiste à inviter JeanMarc Mahy. Cet ex-taulard vient alors partager avec les habitants du quartier son expérience carcérale. C’est la pièce de théâtre « Un homme debout » tirée de la vie de Marc Mahy qui a inspiré le nom de l’association. La nécessité de créer des espaces de dialogue paraît comme une évidence, surtout suite aux attentats

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de Charlie Hebdo nous raconte l’un des fondateurs de Villeneuve Debout. Avec ses cheveux blanc en bataille, ses yeux bleus et son allure de vieux loup des mers breton, Alain Manach’ est un militant pur jus, il fait partie des « historiques », ces habitants de la première heure qui ont vécu l’utopie de la Villeneuve et son évolution. Avec le cycle « Pour comprendre », il s’agit de mettre un peu de pédagogie et redonner du sens à l’éducation populaire. « On peut parler de thèmes larges mais aussi de choses plus liées à l’actualité proche, comme essayer de comprendre la loi El Khomri par exemple ». L’idée étant surtout de travailler en partenariat avec d’autres structures, dans une perspective de co-construction. Reste que même si on retrouve une véritable mixité dans le public qui se mobilise sur les rencontres, sur la gouvernance on croise toujours les mêmes personnes qui donnent de leur temps pour proposer et faire avancer les choses. Peut-être encore les effets de nombreuses années de dépolitisation, de culture de l’individualisme, d’occupationnel abrutissant dans notre société et particulièrement dans nos quartiers populaires ? Tout est à construire mais c’est le signe d’un début de changement positif que nous saluons. B.R

Prochaine rencontre

à la Villeneuve le 02 juin La géopolitique et ses impacts en France


à mistral L’Islam, thème omniprésent dans nos sociétés, nos médias, nos cultures. Pour ce 3e et dernier rendez-vous, le cycle « Démocratie en chantier » a choisi d’interroger l’essence même de ce qui fonde cette religion, l’histoire du Coran et du prophète Mahomet.

Comprendre leur Histoire, questionner leur contexte, c'est aussi bousculer nos représentations, nos clichés, nos a priori sur ce qu'est l'Islam aujourd'hui, ce qu'il représente au regard de la pluralité des cultures et des modes de vies qui fondent notre société. Pour mettre en lumière ces approches, qui mieux que Rachid Benzine, islamologue, considéré par nombres journalistes et chercheurs comme initiateur de la mouvance des « nouveaux penseurs de l'Islam », invité à cette occasion par le Prunier Sauvage à s'exprimer sur une partie de ses recherches, le 26 avril au soir. La forme de l'événement, qui se voulait interactive, proposait donc une « conférence-discussions » en trois temps : l'intervention de Rachid Benzine, qui traitait notamment des faits historiques

contextualisant la genèse du Coran dans ses écrits comme dans sa transmission orale, et celle du prophète, déconstruisant des représentations mythifiées à son sujet. Ensuite venait le temps des échanges et des questions avec l'intervenant, précédé d'un temps de discussion en groupe afin d'évoquer les incompréhensions, les interrogations, les sentiments en réaction à l'exposé, afin que tous puissent s'exprimer. Cette soirée, organisée par le Prunier Sauvage en partenariat avec la Maison de l'Enfance Bachelard (MEB), l'association Alter-Egaux (représenté par Ali Djilali) et l'AFEV, fut à nouveau le témoin d'un mélange, fruit de l'esprit « Démocratie en chantier », associant l'approche universitaire et l'analyse du public, pour aboutir à un objectif commun : comprendre, partager, éclairer un sujet sociétal qui nous questionne et nous fascine. Antonin Delabouglise

Pour en savoir plus Le Coran expliqué aux jeunes de Rachid Benzine publié aux éditions du Seuil 10


RENCONTRE

Rachid

Ouramdane

Ce qui nous frappe d’emblée avec Rachid Ouramdane, c’est la douceur de la voix. Un ton sans grandes variations, qui vous met à l’aise, vous enveloppe d’une manière presque hypnotique. Malgré un agenda de globe-trotter très serré, et des collaborateurs qui piétinent dès son arrivée, il a accepté gentiment de consacrer du temps pour Quartier Chic. Le nouveau directeur, avec Yohan Bourgeois, du Centre Chorégraphique National de Grenoble, nous reçoit dans son bureau avec vue sur le Vercors et accessoirement, sur le campement improvisé du mouvement Nuit Debout. Lui dont le travail artistique est nourri par un certain regard et une curiosité à l’égard du monde, voit sous ses fenêtres les soubresauts d’une époque en tension. D’ailleurs, deux ans après les émeutes de 2005 qui ont embrasé les banlieues, cette envie de dialogue avec le monde mène Rachid Ouramdane à Gennevilliers où il va à la rencontre d’une jeunesse malmenée par les médias de masse. C’est en partant des pratiques des ados, par le thème du sport que le chorégraphe les implique sur un travail artistique. A travers cette création qui s’intitule « Surface de réparation », les participants ont été amenés à se questionner sur des notions d’identités et sur leur place dans la société française. C’est le cas de ce champion de boxe qui combat sous les couleurs tricolores alors que ces parents sont considérés comme

des sous-citoyens. L’exil, la violence de l’Histoire, la mémoire sont autant de thèmes que Rachid Ouramdane traite dans ses créations comme «Superstars» avec le ballet de l’Opéra de Lyon, où il travaille avec des danseurs venus d’autres pays, et où se raconte la grande Histoire au travers de parcours individuels. Ainsi, cette danseuse sud-africaine, issue de la classe dominante blanche, qui pendant sa chorégraphie apporte un témoignage de son enfance, où à l’âge de treize ans on lui apprenait le maniement des armes pour protéger la communauté de la population noire. Dans «Témoins ordinaires», une réflexion sur le thème de la barbarie et la torture, c’est entre autre son histoire intime qui se révèle au travers de l’expérience de son père, algérien enrôlé dans l’armée française en Indochine. Rachid Ouramdane n’hésite pas à utiliser des univers et des média différents, comme la vidéo, l’enregistrement de témoignages pour les besoins de ses créations. Il travaille avec des artistes talentueux et hors-normes. Comme sur la création « Tordre » avec deux

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danseuses singulières, l’américaine Annie Hanauer, qui danse magistralement avec une prothèse au bras et la lithuanienne Lora Juodkaïte, qui du fait d’une fragilité mentale, tourne sur elle-même de manière vertigineuse depuis sa plus tendre enfance. Là où beaucoup verrait un corps amoindri par le handicap, lui décèle la virtuosité.

« Notre

imaginaire

sensible n’est pas assez habité par la diversité » Rachid Ouramdane entre dans la danse à l’âge de douze ans par la case Hip-hop dans son quartier de Cran-Gevrier dans la banlieue d’Annecy. Lorsqu’un centre de formation de football lui ouvre grand ses portes, le garçon décline fermement la proposition pour se consacrer à ses études. C’est dans le cadre de celles-ci qu’il est amené à quitter son quartier et qu’il découvre d’autres esthétiques de la danse. Il comprend progressivement que cet art « est une forme de prise de parole ». Il s’éloigne du Hip-hop et la danse devient son métier, un univers professionnel déconnecté de la sphère familiale, il avoue que ses parents ne l’ont jamais vu danser. Pourtant sa singularité et sa sensibilité en font un danseur de renommée internationale. D’ailleurs, la reconnaissance vient d’abord du Ministère des affaires étrangères avant celle du Ministère de la culture. Même s’il se refuse à aborder les questions de double culture comme un handicap et que lui-même ne prétend pas avoir eu à en souffrir, il ne peut s’empêcher de constater le manque de diversité dans le monde de la culture. « Même si l’histoire de l’art est faite d’un ailleurs », partout il faut continuer encore à se battre contre l’assignation identitaire. Pour Rachid Ouramdane, « La complexité de l’individu doit pouvoir s’exprimer de la même façon

chez tout le monde » et ne pas se laisser enfermer dans une condition. L’héritage culturel que beaucoup de français issus de l’immigration portent est une force, et non un handicap. Ainsi, l’artiste s’engage avec le Centre Chorégraphique National de Grenoble au côté du Théâtre National de Strasbourg sur le projet « 1er acte », un dispositif qui donne une chance aux jeunes de 18 à 26 ans, victimes de discrimination dans leur parcours artistique, d’intégrer une formation théâtrale de grande qualité. Plus d’informations à ce sujet sur : www.facebook.com/1er.acte www.ateliers-1er-acte.tumblr.com B.R

Prochain spectacle

TORDRE

de Rachid Ouramdane du 5 au 8 octobre 2016 à la MC2 : Grenoble.

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La mer en flamme !

CRITIQUE CINEMA

Gianfranco Rosi à Lampedusa.

Gianfranco Rosi est un cinéaste instable, qui a toujours bougé: il est italien, il est né à Asmara en Afrique, il a vécu en Turquie, il a étudié la réalisation cinématographique à New York… Son cinéma (documentaire), lui-aussi, a beaucoup bougé: il a tourné son premier film en Inde (Boatman, 1993), son deuxième en Californie (Below Sea Level, 2008), après il a travaillé à la frontière mexicaine (El Sicario room 164, 2010) et dans la banlieue romaine (Sacro G.R.A., 2013)… Et on ne sait plus exactement si c’est son cinéma qui suit l’esprit nomade du cinéaste ou si c’est le cinéaste qui suit la vocation itinérante de son documentarisme. Dans cette pratique du déplacement, un principe a toujours orienté ses mouvements: une espèce de parti pris des oubliés, des existences ordinairement anormales, des profils borderline… Un passeur indien sur le fleuve Gange, un killer mexicain, une communauté d’homeless au coeur du désert californien, les habitants des marges de Rome: toute une série de vies fragiles et invisibles, très peu spectaculaires. Il habite à côté d’elles pendant de longs repérages, il gagne leur confiance par son silence, par son humble écoute dépouillé de tout jugement. Par sa patience discrète il a, dans chaque cas, été capable de faire surgir la parole et le récit de ces expériences humaines précaires et marginales. Il s’agit d’individus, souvent menacés par le mépris ou le stéréotype, jamais effleurés par un regard social attentionné et ouvert. Devant la caméra de Rosi, cependant, ils retrouvent une dignité et une puissance fabulatrice insoupçonnées.

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Photographie tirée du film La mer en flamme de Gianfranco Rosi

C’est un cinéma qui brave de nombreux principes du cinéma commercial mais aussi du cinéma expérimental, “d’auteur”. Et pourtant il a su gagner une place importante à l’intérieur du paysage cinématographique contemporain, tout en donnant une visibilité rare au genre du “documentaire de création”. Après un premier exploit au festival de Venise avec son film Sacro G.R.A, premier documentaire à remporter le festival en 2013, Gianfranco Rosi goûte à nouveau le succès avec son dernier film, Fuocoammare, au festival de Berlin. L’opération était très délicate et terriblement actuelle, incontournable: filmer les migrations méditerranéennes depuis leur cœur, l’île de Lampedusa. Un sujet très difficile, très sensible. Mais, de quelque manière, ce cinéma qui ne connait pas les frontières, ce cinéma capable de donner une voix et une histoire à ceux qui en ont été expropriés, ne pouvait pas se soustraire à ce défi. Les migrants, donc, Lampedusa, donc. Mais comment filmer tout cela? Comment le faire sans tomber dans les clichés des discours médiatiques, dans les tons d’un reportage journalistique, dans les rythmes accélérés des infos sensationnalistes? C’était le défi de cette année de tournage que Rosi a passée à Lampedusa. Un pari gagné, selon le jury berlinois qui lui a attribué le prix en reconnaissant à la fois la valeur esthétique et politique de ce film.

Jacopo Rasmi


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couleur brutES

dans ce monde de

de

Mettez y Un peu

po u r petit s et g r a n d s oi s if s

coloriage


PRÉSENTATION DE LA SAISON 16/17 MERCREDI 8 JUIN À 19H — ENTRÉE LIBRE EN PRÉSENCE D’ARTISTES DE LA SAISON

www.theatre-hexagone.eu — 04 76 90 00 45


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