JANVIER-FEVRIER 2017
N4
janvier 2017
théâtre danse musique : prenez rendez-vous !
Des spectacles mais aussi des rencontres avec les artistes, des ateliers de pratique pour tous (tous les mercredis et les samedis selon votre âge hors vacances scolaires)… + des tarifs de 6 à 13€* contact/Infos équIpe Des relatIons avec le publIc et accueIl-bIlletterIe 04 76 00 79 00 *tarifs spécifiques sous conditions
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04 76 00 79 00 mc2grenoble.fr
EDITO Pour bien commencer l’année, quoi de mieux que le nouveau numéro de Quartier Chic ? On y cause de la manière de vivre nos quartiers en pleine mutation et de diversité au théâtre. Ici et tout au long de l’année, nous continuerons à vous parler des initiatives créatives de nos quartiers, de ceux qui font bouger les lignes et qui donnent de l’espoir. Et au vu de ce que l’on nous prédit en 2017, de l’espoir, de l’énergie et de l’audace, il va nous en falloir beaucoup. Ami-e-s de tous poils, habitants des quartiers populaires ou d’ailleurs, bobos, babos, zozos, unissons-nous contre la paresse intellectuelle et la promesse de sombres lendemains. Continuons à être curieux, c’est la meilleure manière d’être vivant. Brahim Rajab
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5 13 Magazine culturel des quartiers populaires, imaginé par l’équipe du Prunier Sauvage. Ce numéro est tiré à 2000 exemplaires, il est distribué avec l’aide d’ACTIS. Rédacteur en chef : Brahim Rajab Coordination et graphisme : Lise Blein-Renaudot Comité de rédaction : Jacopo Rasmi, Antonin Delabouglise, Léa Deshusses, Elsa Chardon, Karim Kadri Couverture : Lise BRmontage réalisé à partir d’une photo du quartier Mistral prise par Emilie Gagnière. Avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles Auvergne Rhône-Alpes
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LE CHIC Sommaire 4 Echos Quartier
17 WEB / LECTURE
DJEMAÏ 5 nasser Rencontre avec l’univers du
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dramatuge
AIRE DE JEUX
actE 7 1er Focus sur un dispositif artistique engagé
9 LE DOSSIER :
LES LABO-VILLES
9 • Villeneuve - Laboratoire de l’Utopie 10 • Marseille - Après la fête 12 • Jean-Romain Mora, réalisateur 13 • Hans Van der Meer, photographe 15 • Illustration
quartierchic.journal@gmail.com
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ECHOS QUARTIER
Les balcons et la barre sont barre Anatole
France, c’est la Tour de Pise
de Mistral ! » Un habitant du quartier mistral
Made in Mistral
La voix des gens
L'équipe du collectif Déclic a participé au travail de mémoire réalisé par les acteurs locaux du quartier Mistral, afin d'accompagner les derniers habitants de la barre Anatole France qui sera détruite l'année prochaine. En novembre 2016, le collectif est allé à la rencontre des derniers habitants de la barre Anatole France et de certains habitants du quartier Mistral. Au fil des discussions, ces habitants ont raconté leurs histoires, leurs espoirs et leurs déceptions vis-àvis du quartier. Ils ont également partagé les endroits qu'ils ont fréquentés et les souvenirs qu'ils gardent en ces lieux. A partir des ces témoignages et des photos prises dans le quartier, Déclic a réalisé des cartes postales « Made in Mistral ».
Les gens, c’est vous, c’est nous, c’est les autres, les gentils, les méchants, les absents, les timides, les rigolos, les tristes… Bref c’est tout le monde! Avec “La voix des gens”, projet de web radio participative animé depuis 2004 par le collectif d’artiste Dyade et en partenariat avec les étudiants de la colocation solidaire « Kaps » du quartier Mistral, on s’aperçoit qu’il y a autant de points de vue que d’interlocuteurs. . Dans le cadre de la rénovation urbaine et avec le soutien de la ville de Grenoble, les kapseurs sont allés recueillir la parole des habitants et professionnels du territoire au sujet de la transformation de leur quartier. L’outil radio permet d’aborder des personnes afin de recueillir leurs paroles et leurs ressentis concernant les changements qui s’effectuent dans leur environnement. Vous pouvez écouter les interviews sur www.lavoixdesgens.fr
© : Collectif Declic - Projet Made in Mistral
penchés. La
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RENCONTRE
Nasser djemaï
E ntre deux
Du 11 au 28 janvier, la MC2 accueille Vertiges, la nouvelle pièce de Nasser Djemaï. Quartier Chic a sauté sur l’occasion pour revenir sur l’univers du dramaturge et les questions inhérentes, voire obsessives, dans son oeuvre qui touchent de près aux problématiques de notre petit magazine. A quel point la construction de soi est-elle soumise à des influences extérieures? Comment l’individu gère-t-il l’appartenance à deux cultures différentes? Où se trouve la limite entre intégration et annihilation de l’individualité?
Une étoile pour Noël ou l’ignominie de la bonté Dans la pièce Uné étoile de Noël édité en 2006 chez Acte sud, intégration rime avec uniformité ; s’il veut être accepté, Nabil, le personnage principal, doit effacer toute trace d’appartenance à une autre culture. Teindre ses cheveux en blond, adopter un certain phrasé, changer de prénom, il usera de tous les artifices pour se sentir légitime, intégré au sein de la communauté française. Nabil doit faire les preuves de ce qui devrait lui être normalement acquis comme droit commun et incontestable : appartenir à une nation, ici la France. En passant par la négation de soi, Nabil pense accéder à la reconnaissance du groupe. Un pari risqué et illusoire, une bataille perdue d’avance car, et comme il lui est rappelé à la 5
fin de la pièce:
Mais en même temps les choses sont comme elles sont et elles ne changeront jamais. Tu entends ? […] C’est la loi de la nature.
Comment aller vers les autres si on est incapable d’aller d’abord vers soi-même? Mais est-il possible d’aller vers soi lorsqu’on est porteur de complexes qui ne nous appartiennent pas directement? Renier ses origines c’est la réponse de Nabil au désir de son père qui, au début de la pièce, le presse :
“Nabil… Faut pas ti ressembles à papa. Faut pas ti rissembles à moi.”
Le père devient un antagoniste et le fils dépositaire d’un fardeau qui n’est pas le sien, d’un complexe d’infériorité qui le pousse à annihiler tout ce qui le définit comme être différent des autres.
Invisibles C’est encore à cette loi de la nature, injuste et apparemment immuable, dont Martin fait la douloureuse expérience dans Invisibles. A la recherche d’un père jusqu’alors inconnu, il fait la connaissance de cinq chibanis, ces hommes venus du Maghreb dans les années 50 pour travailler en France. Alors que Martin s’insurge contre les conditions déplorables dans lesquelles vivent ces hommes, l’un d’eux lui réplique : “Toute la vie on est on est invisibles. On est invisibles, et tu crois qu’ils vont nous
Nasser djemaI - DRAMATURGE
Ces hommes dupés, trahis, conservent néanmoins leur dignité, refusant d’aller mendier les miettes d’un festin auquel leur travail a largement contribué. Nasser Djemaï choisit de les situer dans les Enfers, le royaume des morts de la mythologie grecque. Un monde souterrain, peuplé des ombres du passé, et qui symbolise bien la place à laquelle la société a choisi de les reléguer. Pour Martin, cette descente aux Enfers, cette rencontre avec les chibanis, marque aussi un premier pas dans la résolution de la crise identitaire. Lentement, douloureusement, Martin change et c’est un nouvel homme qui remontera à la surface. Fils de l’amour interdit d’une française et d’un chibani, écœuré par l’immoralité de son travail d’agent immobilier, Martin, celui qui a vu l’invisible, est désormais plus lucide sur lui et la place qu’il occupe par rapport aux autres. Pour se prémunir face à l’impitoyabilité de la société, les chibanis se réfugient vers une autre forme de communauté : celle formée par les liens de l’amitié. Un logement misérable mais avec une table pour jouer aux cartes, un quartier malfamé mais avec un banc pour s’assoir et commenter ensemble le spectacle de la rue.
Dans Une étoile pour noël, Invisibles et à présent dans Vertiges Nasser Djemaï s’intéresse à la place de l’individu dans les entités comme la société française ou la famille. Les personnages tel Djemaï se confrontent constamment à l’autre. L’intégration est une question centrale que l’on retrouve à bien des niveaux. Le dramaturge avoue s’être longtemps interrogé quant à l’utilisation de la langue dans Invisibles. C’est le personnage de Martin qui justifie l’usage de la langue française dans un contexte où les personnages devraient normalement
s’exprimer en arabe. Un choix dont les implications transcendent les seules considérations linguistiques et qui pose des questions face aux codes établis. Comment, dans le système majoritaire qu’est le théâtre français, rendre compte aujourd’hui du multiculturalisme? Doiton toujours favoriser la compréhension du plus grand nombre (dans ce cas les francophones) au risque de dénaturer l’essence même du propos, rendre visible une minorité? EC
© : Pascale Cholette
© : Sébastien Calvet - Une étoile pour noel
donner ça maintenant? Maintenant on sert à rien, vieux, fatigués, ils vont s’occuper de nous? Y a pas de confiance.”
Vertiges
Du 11 au 28 janvier à la MC2 Vertiges est une plongée au cœur d’une famille, dans une cité qui s’est terriblement dégradée où Nadir va se sentir à la fois en pleine familiarité et tellement étranger. À travers ce voyage initiatique, Nadir tentera de renouer les fils de son identité, d’échapper aux délires fantasmatiques – les siens et ceux de la société – sur ces quartiers aujourd’hui paupérisés qui, il y a cinquante ans, étaient encore des lieux d’espoir et d’avenir.
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FOCUS
La diversité
en
acte
Promouvoir la diversité sur les plateaux de théâtre en permettant à 20 jeunes apprentis acteurs ayant subi des discriminations dans leur parcours de suivre des masterclasses avec des professionnels de renom, telle est la mission de 1er Acte, projet porté par trois institutions culturelles : La Colline, théâtre national, le TNS, Théâtre National de Strabourg et le CCN2, Centre chorégraphique national de Grenoble. La démarche ne pouvait qu’attirer notre attention. Nous avons profité de la semaine de formation à Grenoble pour rencontrer des participants du programme. Nous voilà donc sur un banc devant la MC2 avec trois jeunes gens de la promo. Emile, grand gaillard filiforme aux dreadlocks plaqués et une nonchalance qui cache une vraie vivacité d’esprit, Lou petit bout de femme dont on devine une énergie débordante et une gouaille à toute épreuve. Enfin, venu d’Orléans, il y a Shuaib au physique de star bollywoodienne. Ce 26 novembre la soirée est un peu fraîche mais nos futurs comédiens se prêtent volontiers au jeu de l’interview.
QC : Que vous apporte l’expérience 1er Acte ? Emile : On a l’impression d’ouvrir plein de portes et on explore sans cesse différentes pratiques, la voix, le corps, etc. Le fait d’être tous ensemble sur une semaine par session, ça nous permet de nous immerger dans une sorte de bulle et d’aller en profondeur dans les sujets. On crée aussi un véritable esprit de groupe entre nous. QC : Quel a été votre premier contact avec l’art, l’élément déclencheur ? Shuaib : pour moi, c’était en primaire. La 1ère fois qu’on m’a applaudi, c’était un effet très fort. Mais par la suite, je n’étais pas très encouragé à continuer. Au lycée, il y avait un groupe théâtre mais la responsable m’a recalé. Ça a fait naître une colère en moi et j’ai tout fait pour rentrer au Conservatoire. 7
Emile : Moi, je suis tombé amoureux d’une fille qui suivait des cours aux Beaux-arts, ça m’a donné l’envie de m’orienter là-dedans. Mais c’est surtout ma mère qui m’a initié à l’art et m’a encouragé dans cette voie. En fait, c’est très lié aux femmes ma relation avec l’art. Lou : je viens d’une famille d’artistes. Mon père est comédien et ma mère était metteure en scène. Moi, je ne voulais pas faire de théâtre mais à la mort de ma mère, je m’y suis mis et j’ai aimé ça, j’ai continué dans cette voie. C’était ma façon d’honorer ma mère au début. QC : Quel regard portez-vous sur votre métier et votre avenir au théâtre ou dans le cinéma ? Lou : à la base, le théâtre est populaire, ce n’était pas un truc réservé à la bourgeoisie. J’ai l’impression qu’aujourd’hui c’est de plus en plus fermé, élitiste. Le public est toujours le même. Emile : moi, je suis optimiste. Les choses s’améliorent doucement, même si ça reste une question de réseau en fait. Dans les écoles nationales, les gens tissent des réseaux et on reste dans l’entre soi. Un peu comme dans la politique quoi. Lou : Mon père s’appelle Karim.il est arrivé d’Algérie et a commencé le théâtre à l’âge de 17 ans. A l’époque il pouvait jouer du Molière ou Œdipe sans problème. Aujourd’hui, on lui propose surtout des rôles de musulman extrémiste. Il me le dit lui-même, il y a trente ans, on regardait si je savais jouer ou non mais maintenant, c’est n’importe quoi. QC : Et ça vous inquiète en tant que futur(e)s comédien(ne)s ? Shuaib : quand on m’a proposé
© Jean-Louis Fernandez
de jouer le rôle d’un terroriste dans une série de France 4, je ne me suis pas posé de questions. Je voyais juste l’opportunité de pouvoir faire ce que j’aime, jouer un rôle. Emile : j’espère quand même qu’à un moment, tu auras la possibilité de faire autre chose… Lou : en Angleterre, si le comédien est bon, on s’en fout de sa couleur ou de son origine. Alors qu’en France, ce n’est pas encore le cas. Du moins sur les scènes nationales, car dans les petits théâtres la situation est meilleure. Emile : Le Théâtre est différent du Cinéma qui laisse moins de place à l’imaginaire, l’image y est préfabriquée, il y a des normes à respecter. Le Théâtre, laisse beaucoup plus de place à l’imaginaire. J’ai entendu l’humoriste Kévin Razy dire un truc intéressant à ce sujet sur le Cinéma : « En France, si un arabe, un noir ou un chinois joue un rôle, c’est toujours qu’il y a une raison en lien avec son origine ». Shuaib : pour la série Falco sur TF1 par exemple, on demandait pour le casting « des jeunes de cités ». On s ‘est retrouvé avec des noirs et des arabes, ou ce qui y ressemblaient, à jouer les racailles pour les besoins du film.
QC : Comment pensez-vous pouvoir lutter contre cette assignation ? Lou : notre rôle à nous, jeunes comédiens et comédiennes et de venir remplis et sûrs de ce que nous sommes. On ne doit pas se laisser imposer les choses. Emile : Mais on n’est pas dupes, on sait que cela va prendre du temps. Avec de jeunes scénaristes et metteurs en scènes, les choses vont changer j’espère. QC : Quels sont vos modèles ? Lou : comme acteur c’est Leonardo Di-Caprio car il ne m’a jamais déçue dans ses rôles et comme metteur en scène Robert Lepage. A 12 ans, j’ai vu un spectacle de lui qui durait 6h et j’étais scotchée. Shuaib : Sharuk Khan et Hrithik Roshan les monstres sacrés de Bollywood et comme metteur en scène Christopher Nolan qui pourrait me faire jouer tout ce qu’il veut… Emile : Aï Weiwei, parce que ce que je respecte le plus dans l’art, c’est la mise en danger. Comme nous le disait Stanislas Nordey, Directeur du TNS, le métier de comédien et un métier dangereux et Aï Weiwei sans être comédien est un artiste qui a passé sa vie à se mettre en danger. BR www.tns.fr/ier-acte 8
DOSSIER - Les labo-villes
Les l abo-villeS Ce dossier est dédié aux quartiers mutants et aux villes laboratoires. A Grenoble, Marseille et aux quatre coins de la France, des quartiers voient surgir de terre des bâtiments flambant neufs au milieu des barres poussiéreuses. Comment les habitants vivent la destruction de la tour qui les a vu grandir ? Quels sont les enjeux, politiques et intimes cachés derrière toutes ses pelleteuses ?
Un vaste projet de rénovation urbaine entamé en 2008 est en cours à la Villeneuve. L’objectif? La mixité. Redonner de l’attractivité au quartier pour faire revenir les classes moyennes.
La Villeneuve, une expérimentation urbaine et sociale En 1973, le complexe architectural de l’Arlequin sort de terre. 2200 logements pour 9000 habitants. Il marque le début de la construction d’une ville intégrée qui comprend plusieurs écoles, un collège, un centre de santé, une maison de retraite, une salle de spectacle (l’Espace 600) et même un canal de télévision, qui s’articule autour d’un parc de 11 hectares. La mixité sociale est l’un des principes fondateurs. La Villeneuve constitue l’une des premières expériences de mixité dans l’habitat où les logements sociaux côtoient l’habitat privatif au 9
sein d’un même immeuble. Mais l’utopie a été de courte durée. Très vite, les classes sociales moyennes ont déménagé. A cela, s’ajouterait une répartition déséquilibrée des logements sociaux, relégués à la périphérie de la ville, mettant à mal le principe de mixité sociale au sein de la Villeneuve. Un relooking pour redonner de l’attractivité au quartier. Un pari bancal. Aujourd’hui, l’objectif est de réhabiliter des logements de la Villeneuve afin de faire revenir les classes moyennes. Il s’agit de rénover (amélioration thermique et désamiantage), de réaménager des logements (nouvelles montées) et d’améliorer l’accès au cœur du quartier (destruction d’une partie du 50). Effectuer tous ces travaux en site occupé a entraîné des désagréments, aussi bien pour les ouvriers que pour les habitants. Ces derniers se sont d’ailleurs mobilisés pour s’adresser collectivement aux bailleurs sociaux et transmettre leurs doléances afin d’obtenir réparation pour les nuisances subies. Cette rénovation partielle a également suscité un sentiment d’abandon notamment de la part des commerçants de l’Arlequin. Leurs locaux se dégradent et ferment les uns après les autres. Comment maintenir les commerces en place et faire venir de nouveaux commerçants tout en étant proche du centre commercial de Grand Place est une question cruciale. Ces commerces de proximité s’adressent en priorité aux habitants du quartier mais pourquoi ne
pourraient-ils pas aussi, en étant plus visibles et plus proches d’un axe passant, être fréquenté par des gens de passage. Comment intégrer la ville dans la ville? Une question à la fois sociale et urbanistique. Ce projet de rénovation urbaine souffre d’un manque de vision globale. L’ensemble est doué d’une réelle complexité architecturale, doublé d’une grande diversité de type d’habitat. Raisonner dans ce type d’habitat et assurer la cohérence des projets constituent donc un véritable défi. La Villeneuve, comme son nom l’indique, est une ville dans la ville. Elle possède toutes les infrastructures nécessaires à un fonctionnement autonome, tout en étant relié au reste de la ville par un tramway. Cette tentative de ville nouvelle, comme beaucoup d’autres dans les années 70 en France, a échoué. Comment connecter la Villeneuve au tissu urbain ? Le quartier de la Villeneuve, parfois considéré comme une forteresse, fait la taille du centre historique de Grenoble. Pourrait-on imaginer une subdivision du quartier de la Villeneuve en plusieurs cœurs de quartiers, qui seraient reliés entre eux, non plus seulement par un parc ou des chemins piétonniers mais par des rues ou ruelles, générateurs de flux et donc de vie ? Améliorer les conditions d’habitat est certes louable mais cette rénovation partielle de la Villeneuve, suffira t’elle pour attirer de nouveaux ménages ? Ne faudrait-il pas faire face à la réalité et à ses enjeux plutôt que de persister à faire vivre l’utopie de l’époque ? LD
La fête est finie de Nicolas Burlaud est un film dénonciateur, réalisé suite aux travaux réalisés dans le cadre de Marseille capitale européenne de la culture en 2013. L’objectif de cette rénovation ? La vitrine de la ville.
La fête est finie est un film de Nicolas Burland sur Marseille, et Marseille - c’est vrai - est une ville unique, hétéroclite. Pourtant ce Marseille nous parle de toutes nos villes, de certains phénomènes qui touchent de près les vies urbaines de tout un chacun. Ce documentaire se déroule autour d’un événement exceptionnel, à savoir la “capitale européenne de la culture”. Marseille 2013 a signifié une pluie d’argent sur la ville finançant une série innombrable d’activités, de spectacles, de projets (tantôt éphémères, tantôt permanents) dans le domaine culturel et artistique. Une beauté foisonnante, bien sûr. Toutefois, 10
DOSSIER - Les labo-villes La fête est finie, film documentaire Nicolas Burland et ses camarades ne peuvent pas s’empêcher de se méfier de cette grande mise en scène, ce “simulacre”. Qu’est-ce qu’il se passe derrière ce voile de musique, parades, expos ? La ville est en train de se transformer radicalement et la grande fête européenne est le cheval de Troie de ce changement, aussi radical qu’inaperçu. Gentrification Le tissu urbain et social est en train de subir des interventions profondes. Dans les zones centrales de Marseille, autour du port notamment, la ville devient une grande vitrine pour les touristes et les grands investisseurs. Un centre commercial après l’autre, un logement rénové après l’autre, un musée après l’autre, le processus de gentrification est en œuvre et les vieux habitants de ces quartiers populaires sont expulsés (plus ou moins paisiblement).
“Au nom de quelle culture est-on en train de mener cette politique ?” Au nom de quelle culture, est-on en train de mener cette politique? Une culture institutionnelle et touristique, une culture marchande et spectaculaire… C’est leur culture, de quelle que manière : à savoir, une culture qui tombe du haut, qui déblaie le chemin pour les bénéfices de grands groupes financiers, qui rend toute surface propre, homologue et policée. Marseille n’est pas un cas solitaire, sa situation 11
fait écho à ce que beaucoup de gens sont en train de vivre un peu partout. Au cinéma le Club à Grenoble, la projection du film avec son réalisateur avait déclenché un grand débat sur la situation grenobloise - le quartier de Saint Bruno en sait quelque chose. Pour une culture non-rentable Quelle culture pour quelle ville? Telle est la question que pose le film. On pourrait prendre un parti alternatif celui d’une culture locale, quotidienne, partagée. La culture des gens qui habitent un lieu, un quartier, et qui ne cessent pas de reconfigurer leurs espaces quotidiens au jour le jour. Certes, ce n’est pas une culture très rentable ni très gouvernable. Certes, du côté des institutions, des démarches de soutien et de coordination de ces cultures et de ces vies urbaines restent encore à inventer. Elles ne pourront probablement l’être que si les priorités de nos institutions apprennent à privilégier l’autonomie, la pluralité et tout ce qui est durable… JR
DOSSIER - Les labo-villes Jean-Romain Mora, réalisateur
Quartier Chic : Comment es-tu arrivé au cinéma ? je suis arrivé au cinéma avec du temps. J’ai toujours été fasciné par ce que l’on pouvait faire avec le cinéma. Des choses impossible dans la vraie vie. S’approcher d’un visage par exemple, l’observer de très près, longtemps. C’était et c’est toujours magique. Mais cela demande une certaine confiance pour vouloir en faire son métier. C’est parfois long. Alors je suis arrivé au cinéma après avoir été peintre en bâtiment, plagiste, manutentionnaire, facteur, boulanger et j’en passe. Après avoir repassé mon bac plusieurs années après l’avoir loupé. Après avoir repris les études et obtenu un diplôme. Tu as vécu au quartier de la Plaine, peuxtu nous décrire ton quartier ? La plaine c’est un quartier atypique de Marseille. C’est un lieu où différentes couches de population se croisent et habitent. C’est plutôt rare dans ce coin de la ville où les différents quartiers sont très marqués socialement. Le marché qui s’y tient trois fois par semaine en est l’exemple parfait. Et puis c’est un quartier festif et convivial avec une véritable culture de la lutte, de la contestation. Et avec la passion du foot évidemment… Quel message as-tu envie de faire passer à travers ton film ? J’ai voulu raconter l’importance des lieux de notre enfance. C’est là, pendant ces
© : Graphisme - Laetitia Soufflet
Interview de Jean-Romain Roma autour de son court-métrage Plaine, réalisé dans le cadre du concours vidéo ouvert à tous à partir de 16 ans “Filme ton quartier” lancé par France TV.
quelques années de l’enfance que nous vivons des expériences qui nous laisseront un souvenir impérissable. Qui ne se souvient pas de la maison où il a grandit ? J’ai eu la chance de devenir père il y a quelques années et c’est une expérience qui m’a invité à revisiter mon passé et mon éducation. Avec Plaine, je voulais croiser ces deux témoignages. Visuellement avec une ballade dans le quartier à travers les yeux de ma fille et en y ajoutant mes mots. Plus largement, je choisis d’évoquer tout ça car nous nous préparons à quitter cette ville, et plus encore car ce quartier va subir une importante réhabilitation. Et qu’il est essentiel d’en garder une trace avant que les travaux et le temps changent le visage de ce quartier et de ces souvenirs. LBR
Plaine est en ligne
https://vimeo.com/181774652 12
bien rangée Vous est-il déjà arrivé de traverser certains quartiers, ou certaines villes, en ayant l’impression de traverser un décor ? Une sorte de mise en scène reconstituant au plus près les rues et les places que nous connaissons mais en mieux rangé. Plus quadrillé. Plus aseptisé.
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arrangées plusieurs villes hollandaises de taille moyenne. Les conseils municipaux commandent leur mobilier urbain à l’aide de catalogues et de brochures qui répondent à presque tous les besoins d’un centre-ville, depuis les poubelles jusqu’aux bancs publics.
Hans Van Der Meer s’amuse à mettre en parallèle le catalogue avec les aménagements de ces villes. Souvent, il choisit d’insérer dans ses images les passants qui se fondent parmi le mobilier urbain. Le résultat interroge sur la place de l’humain dans ces super-organisations urbaines. L’environnement est façonné par Hans Van Der Meer, photographe l’usuel et le monde marchant. documentaire reconnu Quelle place reste-t-il pour le vivant et internationalement suite à ses deux l’aléatoire dans des quartiers ou les êtres séries sur le football amateur Dutch humains semblent eux-mêmes avoir des places Fields (1998) et European Fields (2006), prédestinées, calculées à l’avance avec des s’est forgé un regard sans pareil pour normes précises par des entités politiques et souligner l’absurde et l’ordinaire qui commerciales ? l’entourent. Dans sa série La Hollande Et si le cadre des photographies de Hans Van en catalogue, Hans Van Der Meer Der Meer est typiquement néerlandais, cela photographie la manière dont sont pourrait être n’importe où en Europe. 5 LBR
DOSSIER - Les labo-villes Hans Van der Meer, photographe
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DOSSIER - Les labo-villes HARLEM
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WEB / LECTURE Pour ce numéro, la rubrique lecture de Quartier Chic est consacrée à deux médias en ligne qui, à l’image de Quartier Chic, luttent tous deux contre des stigmatisations engendrées par d’autres médias. L’un a pour vocation d’être la voix des quartiers sensibles et l’autre travaille à redorer le blason du monde arabe en dévoilant une scène culturelle foisonnante et en pleine mutation.
Bondy Blog
Onorient Né d’une collaboration de jeunes marocains habitant à Paris, le webzine Onorient a pour objectif d’équilibrer l’image négative, sombre et morose, du monde arabe pour s’intéresser à une création qui traduit une dynamique foisonnante. Dans une tribune publiée sur le webzine en mars 2015, trois des membres fondatrices d’Onorient, Oumayma Ajarrai, Hajar Chokairi et Ghita Chilla, expriment ce qui les anime dans ce projet : « Dans un contexte où les yeux du monde sont rivés sur l’Orient, l’influence accrue d’une image alliant extrémisme religieux et arriération sociétale alimente des préjugés ignorant les apports de ce berceau civilisationnel et ses remises en question. […] la vision véhiculée par certains courants occidentaux, qui ne mettent le projecteur que sur cette triste part de l’actualité, contribue de facto à associer la représentation de l’Orient aux forces qui cherchent justement à l’anéantir culturellement. […] » Les derniers articles en date publiés sur le webzine nous présentent le musicien Bei Ru qui revisite les classiques du répertoire arméniens en y mêlant des rythmes électro, la BD Love story à l’iranienne de Jane Deuxard, la première édition du festival du film fantastique Maskoon (hanté en arabe) à Beyrouth… Bref, Onorient est une source d’informations qui offre une vue imprenable sur les nouveautés de cette scène culturelle, ses tendances de fond et ses talents. onorient.com 17
© : Delphine Ghosarossian - une partie de l’équipe du BB
En 2005, alors que la France des banlieues se soulève, des journalistes suisses du magazine l’Hebdo décident de couvrir l’actualité au cœur du conflit. Ils s’installent dans un local de la cité Blanqui de Bondy en Seine-Saint-Denis et analysent les événements au plus près de sorte qu’on ne puisse pas leur reprocher de gratter du papier depuis un appartement parisien. Trois mois plus tard l’Hebdo se retire de l’expérience mais une équipe de jeunes journalistes locaux reprend le blog. Qu’ils s’appellent Sabine, Pierre, Hanane, Mehdi ou Badrou les bloggeurs racontent tous les aspects de la banlieue, les bons comme les mauvais. L’éducation, le racisme, l’islam, la place des femmes, la culture ou l’immigration, tous les sujets engagés sont bons tant que ceux-ci font entendre la voix des quartiers populaires. A présent le Bondy Blog, dit BB, a tellement grandi qu’il est devenu une institution avec 5000 vues par jour sur son site internet et une trentaine de blogueurs entre 15 et 30 ans en formation, en emploi ou en galère. bondyblog.fr LBR
AIRE DE JEUX
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Réponses du jeu concours “Qui est qui ?” du Quartier Chic n°3 - de gauche à droite et de haut en bas : Frankenstein, Wallace dans “Wallace et Gromit”, le Roi dans “Le roi et l’oiseau”, Superman, Mickey, Jack L’épouvantail dans “l’Etrange noël de Mister Jack”, Kirikou, Le Chafouin dans “Alice au pays des merveilles”, Charlie Chaplin. Félicitation aux 3 gagnants, Hedi, Paola et Edwin, pour leurs bonnes réponses !
Bleu de ciel, 1940 (détail). Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat.
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