Hors-série L'écran Cinélatino 2019

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Chef rédacteur : Manny Calavera Chef éditorial : Doriane Job Maquettiste : Célia Hassouni Rédacteurs : Stella, Supertramp, Le Comte Gracula et Dolores Correctrice : Adeline Dekockelocre Affiche CinéLatino : Ronald Curchod

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PRENEZ PLACE - Sommaire -

.Critique 4 Los Silencios, de Beatriz Seigner (2018) .Chronique 6 Las niñas bien, d’Alejandra Márquez Abella (2018) et Jazmines en Lídice, de Rubén Sierra Salles (2019) .Ring 10 Los Tiburones, de Lucía Garibaldi (2019) .Critique 14 La Camarista, de Lila Avilés (2018) .Rencontre 17 Interview de Lila Avilés .Palmarès 2019

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Critique

CRITIQuE © CinéLatino

Los Silencios,

de Beatriz Seigner (2018) Entre morts et vivants, les apparences sont trompeuses ! Dès le départ, Los Silencios annonce dans son nom la sobriété d’un film sur le deuil et les réfugiés. On se doute que le film a pour thème principal l’arrivée dans un pays que l’on connaît peu avec des conditions très précaires, voire dangereuses. Une femme, qui a fui un pays en guerre civile, arrive au Brésil avec ses enfants pour s’installer dans la forêt amazonienne où elle va essayer tant bien que mal de faire reconnaître son statut de réfugiée. Pour l’instant, rien de très complexe,

bien que les péripéties administratives sont tout aussi frustrantes pour nous que pour la mère. C’est sous forme de communauté que l’on retrouve les habitants de « l’île » dans laquelle habite cette petite famille. De la difficulté de trouver du travail à la menace de se faire expulser pour privilégier la construction d’un casino, la vie des populations d’Amazonie est illustrée par ce danger constant (qui

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morts ont une place parmi nous quand ils n’auraient pas dû perdre la vie.

peut s’étendre même jusqu’au danger de mort). On sent que les discussions et les négociations ne servent à rien, et que si la famille veut s’en sortir, elle doit capituler. Même les recherches pour le corps de son défunt mari sont coûteuses, obligeant Amparo (la mère) à monétiser son deuil.

Malgré l’atmosphère pesante du deuil, Los Silencios est avant tout un film contemplatif qui se définit par – surprise – son silence. Les dialogues sont courts, parfois banals, ce qui nous amène à écouter davantage le silence par rapport au bruit. Les couleurs froides et l’ambiance généralement sombre contrastent fortement avec la scène finale dont les couleurs sont fluorescentes. De longs plans silencieux doublés par des personnages qui ne parlent presque jamais contribuent à effacer la limite entre le silence des morts et le monde bruyant des vivants.

Ce qui rend ce film original et méritant, c’est la relation entre les morts et les vivants qui s’illustrent parfaitement bien avec le retour du mari, jusqu’alors disparu. Ces fantômeslà n’ont pas pour vocation de nous faire peur ou de nous hanter, ils sont simplement les reliques d’un monde passé. Ils occupent l’espace comme ils l’auraient occupé de leur vivant, si seulement ils avaient eu le choix de vivre. Ils sont là quand on demande l’avis de tous les résidents par rapport à la construction du casino. Grâce à la réalisation minutieuse, les apparences trompeuses nous induisent en erreur, et l’on confond souvent vivants et morts. Car pour Beatriz Seigner, les

Un film qui raconte, de manière précise et réelle, la vie complexe des exilés colombiens tout en rendant aux morts une vie qu’ils ont perdue injustement. Brillant dans sa quiétude.

- Supertramp -

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© Imdb


Chronique

CHRonique © Imdb (Las niñas bien)

Las niñas bien, d ‘Alejandra Márquez (2018) et Jazmines en Lídice, de Rubén Sierra Salles (2019) Jazmines en Lídice et Las niñas bien, deux récits de la perte Dès l’instant où j’ai vu ces deux films lors du 31e festival Cinélatino, j’ai eu envie de les mettre en parallèle tant ils me semblent traiter le même sujet avec des points de vue différents : le deuil, la perte de sens au sein d’une famille gérée par une femme devant composer avec l’absence masculine.

cartels de la drogue. On y suit Meche entourée de ses filles qui avancent douloureusement pour se remettre de cette perte impardonnable. Las niñas bien explore une perte plus métaphorique. C’est Sofía qui sera au cœur du récit. Mère de famille richissime, elle se retrouve confrontée à une crise économique et subit les contrecoups de plein fouet. Petit à petit elle perd tout le confort social auquel elle était habituée.

Jazmines en Lídice, c’est la perte au sens propre : un film construit sur la douleur de la mort injuste d’un fils, d’un frère, d’un amant tué par les

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Jazmines en Lídice et Las niñas bien mettent avant tout des femmes en avant. Le premier film est d’ailleurs totalement féminin : la masculinité dans le film est réduite au deuil (le fils tué par les gangs) et à la violence (le gang qui vient intimider la mère). L’image masculine n’est pas plus glorieuse dans Las niñas bien : si des hommes sont présents au casting, leurs personnages brillent pas leur absence. Ils sont au cœur des conversations des femmes mais ne traversent l’écran qu’à de rares occasions, pour des soirées, pour donner de l’argent. Ce ne sont plus des personnages, ce sont des fonctions.

devant de la scène. Pourtant toutes deux réagissent de la même manière face à la perte : avec une dignité grave. Meche se bat pour préserver sa vie, sa maison, son quotidien. Elle se rattache à des gestes anodins pour ne pas sombrer et faire face. Sa fierté la met même en danger, puisqu’elle refuse de quitter sa maison malgré les menaces constantes du cartel. Sofía, sous ses airs superficiels, sent la crise arriver et essaye d’y remédier. Elle tente, en tous points, de sauver les apparences même quand elle se retrouve ruinée. Pour elle, il ne s’agit pas d’un caprice, mais du seul et unique moyen d’exister face à une mère absente et une vie qui ne lui a laissé aucun choix. Enfermée dans sa chute, elle mettra en place des stratagèmes (renvoyer discrètement du personnel, acheter des crèmes moins chères, retoucher ses robes elle-même) pour continuer à faire partie de cette haute société dont la superficialité est l’unique recours qu’elle possède face à son vide existentiel.

Les figures féminines qui régissent ces deux films semblent au premier abord très différentes. Meche, dans Jazmines en Lídice, est issue d’une famille pauvre. Elle parle peu, reste murée dans son deuil, refuse d’avancer. À l’inverse Sofía est issue d’un milieu très riche, elle est volubile, à l’aise, aime être sur le

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© Cinélatino (Jazmines en Lídice)


L’environnement des deux héroïnes est principalement féminin dans les deux films. Dans Jazmines en Lídice, le chœur de femmes qui entoure Meche est une forme de sororité : toutes se soutiennent, s’aiment, essaient d’avancer malgré les rivalités qu’elles vivent entre elles. L’entourage de Sofía est au contraire terriblement toxique. Les femmes forment une sorte de club très select’ duquel sont éjectées les personnes qui perdent de l’argent sans aucune forme de procès. Sofía n’a pas d’amies, uniquement des modèles à qui se comparer. Si Meche se sent seule, Sofía, elle, l’est réellement.

À l’inverse, Las niñas bien s’ouvre dans le chaos, le bruit, la fureur  : une scène de fête d’anniversaire déjantée avec énormément de monde, montage saccadé, bruit, bling-bling et paillettes. Le ton est donné : le film sera dynamique, voire épuisant. À l’opposé total, donc, du calme d’un Jazmines en Lídice… Et pourtant. Au cœur de ce chaos, Sofía semble se noyer pour ne pas penser. La musique tonitruante, les flashs et les fêtes sont autant de manières pour elle de s’anesthésier. Sofía parle énormément avec son groupe “d’amies”, mais n’échange jamais. Elle est terriblement seule face à la chute inexorable de sa famille, et la fin du film montre combien, malgré ses efforts, elle n’a pas pu enrayer ce mouvement.

Si l’on compare les deux ouvertures de films, l’opposition est frappante : Jazmines en Lídice est un film du silence, du bruit sourd, de l’étouffement. Les sons mettent une dizaine de minutes à devenir audibles. Les images sont énigmatiques, très longues, très lentes. On met d’ailleurs un certain temps à comprendre la totalité de l’intrigue, et l’intégralité du film est baignée dans cette aura de mystère, de non-dits, de secrets. Pourtant, au cœur de ce silence, les langues finissent par se délier, et la fin du film est pleine d’espoir : à force d’amour, de dialogues et de pleurs, le groupe de femmes réussit à avancer. La fin du film est lumineuse, signe un nouveau départ et permet d’avancer.

Ces deux films, dans des environnements sociaux très différents, montrent deux portraits de femmes battantes et courageuses qui luttent, à leur manière, contre le vide avec dignité et force. La question de l’environnement semble finalement être la clef de la réussite, ou pas, de l’enrayement de la chute : si la première, bien que très pauvre, réussit à s’en sortir grâce à l’aide de ses proches, Sofía continue de s’enfoncer, entourée d’amies de façade et d’un mari qui ne sera jamais un soutien pour elle. - Dolores -

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RING

Critique

LE RING © Cinélatino

Los Tiburones,

de Lucía Garibaldi (2019) L’affrontement d’aujourd’hui sera bestial, que dis-je, mordant, puisqu’on s’attaque au sujet de Los Tiburones (Les Requins dans la langue de Bigard !). Ce film, signé Lucía Garibaldi, raconte une rumeur sur la proximité de requins qui met en alerte les habitants d’un petit village de pêcheurs. On y suit Rosina, adolescente d’une quinzaine d’années, qui s’éveille à la sexualité et semble bien décidée à expérimenter ses émois en provoquant Joselo, un jeune pêcheur du village. Si ce film a fait à Dolores l’effet d’une douche froide, pour Gracula il n’a pas volé son Prix Coup de Cœur du jury de Cinélatino ! Sortez les crocs, ça va saigner !

let's fight ! 10


Gracula : Pour une accro aux séries et films teens comme moi, j’ai adoré voir un aspect plus sérieux de l’adolescence mis en avant dans Los Tiburones. Les enjeux de la découverte de la sexualité, du mal-être constant et du fait de ne pas trouver sa place dans le monde sont au cœur du film et traités sérieusement, pas comme une simple passade ou un prétexte à rire. D’ailleurs le film est d’une gravité assez incroyable ! Los Tiburones est un film vraiment subtil. Mais je comprends que pour une accro à La Momie, un film aussi intelligent soit difficilement compréhensible…

Dolores : Tsss que c’est petit ! Retourne regarder Les Nouvelles Aventures de Sabrina et on en reparle, d’accord ? OK, les sujets abordés par Los Tiburones sont importants, je te l’accorde. Mais de là à lui attribuer autant de prix au festival ? Je me demande ce que ce film réussit à mieux accomplir que d’autres sur le sujet du mal-être adolescent. Rien qu’à Cinélatino je trouve que Los Reyes, pour les documentaires, et Miriam miente, pour la fiction, traitent les mêmes sujets avec beaucoup plus d’intérêt ! Car ce que je reproche à Los Tiburones, ce n’est pas son propos, mais plus sa fadeur cinématographique. Le montage est lent, la bande-son clichée, le scénario loin d’être palpitant...

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Gracula : Fadeur cinématographique ? Je te rappelle qu’on parle d’un film uruguayen, évidemment qu’il peut pas avoir le faste d’un Pirates des Caraïbes ! Même si l’on reste dans l’Amérique latine à titre de comparaison, un film uruguayen n’aura jamais le même budget que des films brésiliens ou argentins qui font office de blockbusters dans ces contrées. Alors je trouve ça un peu malvenu de critiquer sa mise en scène, surtout quand on voit l’importance qu’a eu le film : premier film d’Uruguay présenté à Sundance, premier film de Lucía Garibaldi et il a déjà gagné le prix de la meilleure réalisation, point que tu lui reproches très injustement ! Tu t’y connais sans doute mieux que les critiques de Sundance pour pouvoir sortir de tels arguments ?

Dolores : Je trouve très important qu’un film d’Uruguay, et réalisé par une femme qui plus est, trouve sa place parmi de grands festivals comme Sundance. Mais à sujet égal, il y a des traitements bien plus intéressants. La métaphore de l’arrivée des requins, épée de Damoclès qui plane sur tout le film pour lui donner des pseudo-airs de thriller, manque de corps. Même l’actrice principale semble parfois manquer d’implication dans son jeu. Je sais bien qu’elle se doit d’incarner une adolescente quasi invisible dans sa famille, mais son effacement nous empêche de totalement la connaître. Et ne pas avoir d’attachement pour le personnage principal d’un film n’aide pas à adhérer à son propos !

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Gracula : Ce n’est pas de la faute de Lucía Garibaldi si tu as la capacité émotionnelle d’une petite cuillère ! L’interprétation de Romina Bentancur nous replonge vraiment dans nos complexes d’ados. Les situations qu’elle traverse sont universelles, et la transparence que tu lui reproches est justement une manière de nous laisser de la place pour nous incarner en elle. C’est un film cérébral et sensible avant tout, pas un film à rebondissements. Mais il réussit tout ce qu’il entreprend avec finesse et brio.

Dolores : On peut faire de l’intellectuel sans tomber dans le cliché du film auteuriste lent et, n’ayons pas peur des mots, chiant… En plus, je trouve que Lucía Garibaldi joue avec des codes cinématographiques qu’elle maîtrise visiblement (aspect thriller avec la menace des requins, phases de comédie avec les employés, élans de lyrisme avec de longs plans-séquences sur les bords de plage…), mais qu’elle n’utilise jamais à bon escient. La bande-son semble posée aléatoirement sur certaines scènes, leur donnant des airs de faux clips franchement insupportables. La réalisatrice est loin de manquer d’idées, mais j’ai peur qu’à la placer trop rapidement sur un piédestal, elle en oublie qu’elle possède une marge de progression bien réelle… Car en l’état, Los Tiburones manque de mordant.

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Critique

CRITIQue

© Imdb

La Caramista,

de Lila Avilés (2018) La Camarista raconte le quotidien d’Eve, femme de chambre d’un grand hôtel de Mexico, chargée, jour après jour, de remettre en ordre ce que les clients ont dérangé. À la fois glaçant et émouvant, le premier film de Lila Avilés dénonce l’aliénation au travail. Retour sur ce film découvert lors de la dernière édition de Cinélatino, avec une critique à deux voix de Supertramp et Stella. Silencieux et sombre, La Camarista est un film profondément politique dans lequel on voit un portrait des personnes qui travaillent dans l’ombre autour de nous : le facteur, le commerçant, la femme de chambre, toutes ces personnes auxquelles on ne prête que peu d’attention, et qui pourtant ont aussi une vie. Ici, il s’agit d’Eve, une femme de chambre dans un hôtel de grande renommée au Mexique. Elle jongle entre son travail,

des extras en tant que babysitter et les quelques coups de téléphone qu’elle peut passer à son fils de quatre ans. Mais c’est une vie unique que l’on observe d’un œil bienveillant, presque sympathique. Lila Avilés parvient à communiquer beaucoup malgré une grande économie narrative. On ne sait pas grand chose des personnages du film : les dialogues sont très rares.

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Véritable métaphore de la vie sociale au Mexique, La Camarista est un environnement étouffant. Eve essaie tant bien que mal de se hisser au 42ème étage, alors qu’elle travaille au 21ème, car plus on monte dans l’hôtel et mieux on est payés. Il n’est pas difficile d’y voir ici une recherche d’ascension dans l’échelle sociale. Eve s’y perd, demande chaque jour à l’intendance s’ils comptent lui donner le poste au 42ème. Dans la même idée, Eve tente de prendre des cours grâce à un professeur engagé spécialement par la direction de l’hôtel. Cette jeune femme de chambre (24 ans !) essaie tant bien que mal de s’en sortir et de grimper le plus haut possible, pour le bien-être de sa famille.

Chacun suit son emploi du temps mécaniquement, laissant peu de choses transparaître. Pourtant, on ressent une grande empathie pour chacun. La caméra capte les petites interactions du quotidien, les regards qui se frôlent dans un couloir vide, les mots échangés à la sauvette dans un ascenseur. Sans vraiment les connaître, on comprend un peu mieux la vie de ces travailleurs. Les acteurs, à la fois froids et expressifs, parviennent à exprimer énormément. L’actrice qui joue Eve (Gabriela Cartol) est faite pour ce rôle. Elle réussit à dresser le portrait d’une femme silencieuse, timide et soumise qui rentrerait dans les murs pour se cacher si elle le pouvait. Efficace et travailleuse, elle est souvent félicitée par ses supérieurs, mais sans jamais être récompensée. Sa vie est répétitive, très longue et fatigante, et pourtant on refuse d’en perdre une seule miette, comme si nous partagions avec Eve l’envie (et l’espoir) de voir quelque chose changer. Et ce n’est pas faute d’essayer.

Lila Avilés construit l’hôtel comme une machine impitoyable dans laquelle toute humanité semble impossible. Du matin au soir, Eve arpente des chambres identiques comme un fantôme silencieux visiterait des lieux de vie, chaque chambre contenant des petits morceaux d’existence laissés çà et là par les

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© Imdb


clients. Les chambres se comptent par milliers : ce bâtiment infernal, d’où la caméra ne sort presque jamais, devient un labyrinthe dans lequel Eve est prisonnière. Il semble empêcher tout contact humain : on ne se parle que par talkies-walkies, ou à travers une vitre, et les rares liens noués peuvent disparaître du jour au lendemain, sans explication, régis par une mécanique plus forte que soi.

ses hurlements de rage dans la laverie du sous-sol de l’hôtel que personne n’entendra. On se demande jusqu’où cet équilibre fragile tiendra… Derrière ces cadres fixes se cache une instabilité : la composition subtile des plans joue avec la profondeur de champ, les vitres, pour nous révéler des choses cachées. L’hôtel n’est pas aussi lisse qu’il en a l’air… Notre avis : La Camarista est un très bon film brillant et plein de ressources qui, malgré son silence omniprésent, en dit long sur la situation sociale mexicaine. Ce premier long métrage est impressionnant de maîtrise et nous happe du début à la fin. Un film impactant !

Sous l’œil avisé de Lila Avilés, qui démontre pour son premier film un talent particulier pour le cinéma, se dessine un environnement où l’on suffoque. En effet, on ne quittera jamais l’hôtel, et cela a tendance à nous rendre fous. Les seules conversations avec l’extérieur se font par téléphone. Les quelques plans larges montrant Eve observant par une fenêtre la ville de Mexico, mettent l’accent sur ce besoin de s’échapper, de monter le plus haut possible, afin d’atteindre le toit du bâtiment. C’est donc dans un hôtel sombre et étroit que l’on observe une vie ratée, et qui le demeurera peutêtre à jamais.

- Stella et Supertramp -

La caméra filme la vie ordonnée d’Eve en plans fixes, pourtant on sent parfois le cadre trembler, comme si tout pourrait voler en éclats. Eve est ainsi constamment sur le fil, dans une violence contenue qu’elle exprime parfois dans des scènes intenses où la machine implacable se grippe, comme

© Imdb

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La Rencontre

LA RENCONTRE © Imdb

Interview de Lila Avilés, réalisatrice mexicaine

Cette article est la version courte d’une rencontre s’étant déroulée le 26 mars 2019 à la Cave poésie dans le cadre du festival Cinélatino. Elle a été réalisée en anglais qui n’est la langue maternelle d’aucune des participantes. Les réponses ont donc pu être légèrement modifiées durant la traduction et dans le travail de synthèse. La version longue et entière est disponible sur le site de L’Écran. Qu’avez-vous voulu transmettre avec ce film ? Ce film est né il y a longtemps, huit ans environ. Tout a commencé avec l’artiste française Sophie Calle, quand je suis tombée sur son livre de photos Hôtel. Déguisée en femme de chambre dans un hôtel de Venise, elle a pris une série de photos sur le thème de l’absence, en se focalisant sur les effets personnels que les clients laissent dans les chambres. L’inspiration du film vient à la fois de ce livre, de mon imagination, et d’un mélange des deux. Une fois que j’ai saisi quel devait être le personnage principal, le reste a émergé naturellement. Cette histoire contient plusieurs sujets qui m’importent : l’absence, l’identité, la sexualité, la verticalité, et au milieu de tout cela aussi la question d’être un étranger, et d’être une femme.

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Le cadrage est très statique, avec peu de mouvements de caméra et une composition soignée. Pourquoi avoir fait ce choix ? Je suis obsédée par la composition. J’adore la photographie, et lorsque je suis en tournage, le moment que je préfère est avec le directeur photo. Comme je viens aussi du théâtre, j’adore voir les gens agir spontanément. Un professeur génial m’a dit un jour : la où se trouve l’œil, se trouve la vie. Il faut savoir regarder ce qui se trouve devant soi, sans chercher à trop l’expliquer. Vous avez un casting professionnel et amateur ? Oui, moitié-moitié. L’actrice principale en fait son métier. Pour moi, il faut qu’il y ait une alchimie. Acteurs, non-acteurs, directeur photo… Avec toute l’équipe, il faut qu’il y ait une confiance, qu’on se comprenne et qu’on soit soudés pour porter ensemble la même vision du film. J’ai été très fière de la communauté qui s’est formée, au niveau humain. J’ai l’impression que votre film est constamment en équilibre fragile entre chaos et stabilité. C’est un thème important dans le film ? Oui, dans les hôtels il y a de la vie qui se déroule, et il faut ensuite l’effacer pour les clients suivants. Le film parle de cette métaphore, chaque jour les femmes de chambre frappent à des portes de chambres qui ne s’ouvrent pas, ça parle d’ordre et de chaos, et aussi de méditation. En rangeant ce que les autres ont laissé, on comprend des choses sur soi-même. En faisant ce film, j’ai compris beaucoup de choses sur notre relation aux objets. Parfois, on peut mieux se connaître grâce aux autres, mais dans cette histoire c’est l’absence de l’autre qui nous révèle à nous-même. Dans ce film, les êtres humains n’ont quasiment pas d’interaction directe, ils communiquent à travers un téléphone ou une vitre, ou échangent quelques mots dans un ascenseur. Votre film montre-t-il l’individualité dans la société aujourd’hui ? Bien sûr. Les gens sont séparés par des frontières, des murs. Ce serait magnifique que chacun puisse vivre sur sa terre avec sa famille. Mais c’est une autre histoire. Il y a aussi d’autres frontières, invisibles, entre les gens qui s’aiment, dans les relations humaines, au travail… Parfois, on a besoin d’un peu d’électricité pour que quelque chose se passe.

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Votre film montre presque exclusivement des femmes. Le considérez-vous comme un film féministe ? On m’a posé la même question à Paris. Le journaliste me disait : “il n’y a aucun homme dans ce film”. Mais non, il y a quelques personnages masculins. Je pense que l’égalité, c’est le plus important. Je ne veux pas m’imposer et dire “je suis féministe !” Je souhaite que chaque femme puisse avoir une voix, que la libération des femmes soit possible dans chaque pays. Pour moi, c’est important d’être ici avec vous, deux femmes, et parler de ce film qui parle de femmes. Je suis consciente que beaucoup de femmes ont travaillé dur pour que je sois ici aujourd’hui. Pendant ces huit ans, avez-vous eu des difficultés ? Oui, nous n’avons eu que 17 jours de tournage. J’ai produit le film, et j’ai eu besoin de fonds pour la postproduction. On a dû assembler les rushes en un mois pour pouvoir présenter le film à un festival, puis encore un mois et demi de montage pour un autre festival, et au milieu de tout ça il y a eu le séisme au Mexique, et c’était très compliqué. Mon monteur, que j’adore, a été incroyable, il a tout pris sur lui. Cela a été une aventure. Lorsque l’on a un projet qui nous tient à cœur, il faut le faire jusqu’au bout. Que ce soit un livre, un tableau, de la médecine, il ne faut pas penser, il faut y aller. - Entretien réalisé par Gracula et Stella -

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Palmarès 2019

Palmarès 2019

© Mauricio BUSTAMANTE NARVÁEZ

- Compétition FICTion . Grand prix coup de cœur : Los Tiburones, de Lucía GARIBALDI (2019) . Prix spécial du jury coup de cœur : Las niñas bien, d’Alejandra MÁRQUEZ ABELLA (2018) . Mention spéciale du meilleur acteur coup de cœur : Steevens BENJAMIN dans Perro bomba de Juan CÁCERES . Prix du public fiction La Dépêche du Midi : Temblores, de Jayro BUSTAMANTE (2019) . Prix Fipresci, prix de la fédération internationale de la presse cinématographique : Todos Somos Marineros, de Miguel ÁNGEL MOULET (2019) 20


. Prix SFCC de la critique Toulouse 2019 : Miriam miente, de Natalia CABRAL et Oriol ESTRADA (2018) . Prix CCAS, prix des électriciens gaziers : Monos, d’Alejandro LANDES (2019) . Prix rail d’Oc, prix des cheminots : Temblores, de Jayros BUSTAMANTE (2019)

- Compétition Court- métrage . Prix révélation : Arcángel, d’Ángeles CRUZ (2018) . Mention spéciale du jury révélation : Susurro bajo la tierra, de Lilia ALCALÁ (2017) . Prix du public court-métrage : Casi famoso, de Gonzalo DÍAZ (2018) . Prix « COURTOUJOURS » : En la carretera, de Miguel Antonio ZANGUÑA (2018) . Mention spéciale COURTOUJOURS : Susurro bajo la tierra, de Lilia ALCALÁ (2017) . Prix signis du court-métrage : Dulce, de Guille ISA et Angello FACCINI (2018) . Prix CCAS du court-métrage - Prix des électriciens gaziers : En la piel de Lucía, d’Ángel DEGUILLERMO et Mayra HERMOSILLO (2018) 21


- Compétition Documentaire . Prix documentaire de Toulouse sous l’égide des médiathèques de la région : Cuando cierro los ojos, de Sergio BLANCO et Michelle IBAVEN (2019) . Prix du public documentaire La Dépêche du Midi : The Smiling Lombana, de Daniela ABAD LOMBANA (2018) . Prix signis du documentaire : Cuando cierro los ojos, de Sergio BLANCO et Michelle IBAVEN (2019)

- Plateforme professionnelle - Cinéma en construction 35 . Prix cinéma en construction Toulouse : Algunas bestias, de Jorge RIQUELME SERRANO . Prix MACTARI cinéma en construction : Ceniza negra, de Sofía QUIRÓS UBEDA . Prix spécial CINÉ+ en construction : Algunas bestias, de Jorge RIQUELME SERRANO . Prix des distributeurs et exploitants européens : Algunas bestias, de Jorge RIQUELME SERRANO

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© Mauricio BUSTAMANTE NARVÁEZ


- Cinéma en développement 14 . Prix BRLAB : La misteriosa mirada del flamenco, de Diego CÉSPEDES . Premier prix french KISS : Somos muchas más, de Julia HEIMANN et Natalia LACLAU . Deuxième pris french KISS : À voix basse, de Patricia PÉREZ et Heidi HASSAN

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© Hélène LECOMTE


- Contacts asso.lecran@gmail.com L'ĂŠcran (uT2J)

www.asso-lecran.fr

assolecran


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