Magazine L'écran décembre 2018

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n°19

Magazine d ‘arts audiovisuels


Édito

manny CALAvERA

Rédacteur en chef

Alors que le froid s’abat doucement sur nos frêles épaules emmitouflées sous quelques couches de coton et de laine, tentant vainement de retrouver la douce chaleur que nous octroyait l’été indien (parti trop tôt), l’Écran réapparaît pour sa deuxième édition de la saison 2018/2019 et entend bien se joindre aux délices euphorisants de la fin d’année. Éclairés par les guirlandes lumineuses et conjugués à un bon thé/chocolat/vin chaud : voilà la posture idéale pour déguster les quelques louanges (ou les blâmes !) que nous tirons aux multiples œuvres sélectionnées par nos soins. Et puisque les réjouissances décembrales sont faites pour être partagées, pourquoi ne pas vous aussi, lecteurs, nous faire part de vos textes les plus inspirés ? Billet d’humeur, critique, chronique… peu importe ! Envoyezles-nous ! Si cela nous est possible – et avec votre accord, nous nous ferons même un plaisir d’en publier certains sur nos plateformes. Alors, pensez-y ! Et pour rester dans un esprit festif et convivial, comment ne pas mentionner notre événement de ce début de mois ? La Nuit du Cinéma revient animer le campus de l’UT2J pour le plaisir de tous les cinéphiles et autres noctambules étudiants, et c’est avec une immense fierté que l’Écran a pu en être à l’origine ! Merci encore au CIAM, service culturel de la fac, de nous avoir accordé l’aide et la confiance nécessaires au retour de cet événement dans les meilleures conditions possibles ! Et, bien sûr, merci aussi à tous ceux qui ont fait de cet événement le succès qu’il a été. On vous attend avec impatience pour la prochaine ! Restez connectés...

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Cependant, n’allez pas croire que décembre va s’achever simplement sur ce mag et cette formidable Nuit ! Nous avons d’autres surprises sous notre sapin… à commencer par une série de retours sur le Toulouse Game Show, que nous avons le plaisir de couvrir pour la deuxième année consécutive ! L’occasion pour nous de renouer avec les bornes d’arcades, le retrogaming, le jeu vidéo d’hier et d’aujourd’hui (qui a dit VR ?), mais également avec tout ce qui constitue la culture pop et geek de près ou de loin : séries, films, comics et manga (entre autres). Comme à chaque fois, le salon sera l’occasion d’assister à des conférences et des interviews de quelques « guests » dépêchés pour l’occasion (d’ailleurs, les fans de Buffy contre les vampires vont se sentir à nouveau chez eux...) ! Et comment ne pas parler de la finale de la Coupe de France de cosplays ? Bref, tout ça à suivre bientôt sur notre site ! Enfin, c’est aussi le temps pour l’Écran d’emprunter un nouveau chemin : celui des ondes ! Bon, ok, techniquement, une webradio ne transite pas par les ondes radiophoniques, mais bon, on s’est dit que ça faisait plus authentique… bref ! Tout ça pour dire que vous aurez bientôt le plaisir (ou le malheur) de nous entendre sur la plateforme de nos potes de chez Good Morning Toulouse (qu’on salue fort chaleureusement !), et ça causera cinéma, bien évidemment ! Mais on ne vous en dit pas plus… Rendez-vous sur les réseaux sociaux pour en savoir plus : on prévoit une émission par mois, juste pour le plaisir ! Ah, et pour finir : bonne fin d’année à tous !

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© pexels

Photo couverture : pexels.com Chef rédacteur : Manny Calavera Chef éditorial : Doriane Job Maquettiste : Célia Hassouni Rédacteurs : Eye In The Dark, The Watcher, Abbey , Crash, Supertramp, Gonzo Bob, Le Comte Gracula et Lilith Correctrice : Adeline Dekockelocre

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éditorial

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. Box-office :

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Bohemian Rhapsody de Bryan Singer (2018)

. Le Ring :

. Les films d’auteur : Qu’est-ce qu’un film d’auteur ?

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. Pedro Almodóvar Par Le Comte Gracula

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Halloween de David Gordon Green (2018)

. Rétrospective :

Sommaire

PRENEZ PLACE

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Clerks : les employés modèles de Kevin Smith (1994)

. Marie-Hèlène Méaux 22 Professeur de cinéma en CPGE au Lycée Saint-Sernin et à l’Université Jean-Jaurès

À NE PAS LouPER 5

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Critique

BOX-OFFICE

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CRITIQuE BOX-oFFICE Bohemian Rhapsody

de Bryan Singer avec la participation de Dexter F letcher, en salle le 31 octobre 2018 Bohemian Rhapsody : God save the Queen ! Queen et le cinéma, c’est très loin de se limiter qu’à ce projet de biopic autour de son chanteur Freddie Mercury et de l’émergence du groupe au cours des années 70. La présence du groupe passe tant par les chansons écrites au service de certains films (Highlander avec Who Wants to Live Forever ?) que les films eux-mêmes citant leur titres (Suicide Squad, Edgar Wright citant Brighton Rock dans 6


Baby Driver, Moulin Rouge avec la reprise de The Show Must Go On par son casting et tant d’autres).

il semble enchaîner à la va-vite les étapes qui constituent pourtant la naissance de la relation entre Freddie Mercury et les membres originels du groupe Brian May et Roger Taylor.

Le projet n’en était que plus alléchant avec l’arrivée de Bryan Singer, mais les désaccords entre Singer et le studio, ainsi que les retombées de l’affaire Weinstein ont obligé la FOX à le remplacer par Dexter Fletcher. Les premiers retours à l’avantpremière mondiale sont très partagés, et je partage cet avis : je ne considère pas que Bohemian Rhapsody (le film) rende honneur comme il le devrait au groupe.

À l’inverse lorsque le film essaye de nous faire découvrir une facette plus intime de la vie du leader de Queen, cela sonne invariablement faux : que ce soit lorsqu’il est évoqué sa relation avec sa première petite amie Mary Austin (dont les dialogues lors des scènes intimes sont, au passage, bien mièvres), ou bien la découverte de son homosexualité, qui arrive comme un cheveu sur la soupe.

Passé une courte introduction au Live Aid à Wembley et après avoir constaté le bon travail du chef opérateur Newton Thomas Sigel, le biopic ne va pas laisser beaucoup d’occasions à son spectateur de respirer, tant

© mademoisellemodeuse

Le film, pendant sa première heure, semble plus intéressé par les concerts du groupe sur scène à tel point qu’on accélère

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© Imdb

le travail en studio pour y arriver. Néanmoins, même là on suffoque (comment être emportés par le concert si Singer ou Fletcher surcut les plans et ne s’attardent que passivement sur les réactions du public ?).

Et quand bien même le concert de charité du Live Aid laisse enfin la réalisation avoir un vrai impact au niveau sonore comme au niveau visuel, on peut se demander quel est l’intérêt d’un point de vue scénaristique d’enchaîner sur quatre chansons à la suite. Il suffirait plutôt d’aller visionner le concert original, sans playback, pour ressentir l’énergie de la musique de Queen.

Je me doute que résumer près de 15 ans d’un groupe en 2 heures 15 est difficile, mais là tout semble n’être abordé qu’en surface et sans profondeur. Si la deuxième heure calme un peu le jeu, laisse enfin l’occasion à la caméra et au montage de se poser et prend plus son temps pour les scènes intimes de Mercury, à ce moment-là c’est trop tard pour nous investir entièrement dans l’entreprise, où nous faire ressentir de l’attachement et de l’empathie pour les personnages. Ce qui manquait dans la première heure se ressent beaucoup trop.

Trop expéditif et lisse sur les origines du groupe, étouffant dans son découpage, son montage et dans l’enchaînement de la vie du groupe et de sa star, ce biopic ne trouve le salut que grâce à la performance bluffante d’un Rami Malek tout en mimétisme dans la peau de Freddie Mercury qui tient sur tout le film. 8


J’aurais très largement préféré un film biographique prenant plus de risques, qui va où on ne l’attend pas, à l’image du groupe et de la personnalité flamboyante qu’il essaye de dépeindre. En étant prévisible, déjà vu, et en manquant de créativité, Bohemian Rhapsody trahit l’âme profonde du fantasque Freddie Mercury.

ou les dilemmes profonds de l’homme, comme avait pu le faire par exemple The Doors d’Oliver Stone. Au final, Bohemian Rhapsody ravira les fans désirant voir un gros show, malheureusement pour moi, je m’attendais à un biopic musical sortant des sentiers battus.

Le mythe Mercury, sa dégaine, son génie scénique, tout le monde le connaît. Ici, on survole l’histoire d’une personnalité et d’un groupe en ne s’attachant qu’à cette image de surface, sans surprendre ni nous faire apprendre des nouvelles choses, comme l’intimité

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- Abbey

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Chronique

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FILMS D'AuTEuR Qu'est-ce qu'un film d'auteur ? Quand on vous dit « films d’auteur », ça vous fait penser à quoi ? Certains diront « c’est pas ma came, c’est pour les bobos intellos ce genre de films » , d’autres se diront « bon je pourrai au moins me faire mousser en disant : j’ai vu le dernier Godard et franchement... oui... c’était pas mal... il y avait une vision très intéressante sur la vie de couple et la violence qui peut en

émaner... blablabla ». Souvent on retrouve trois définitions qui sont toutes plus ou moins vraies. La première définit le film d’auteur comme étant créé par un réalisateur qui est aussi scénariste de son film. La seconde considère que cela serait un terme associé aux films à petit budget qu’on ne retrouve 10


que dans les salles d’art et d’essai. Enfin, la dernière définit un film d’auteur comme réalisé par un metteur en scène qui ferait apparaître dans chacun de ses films son identité. Une constance apparaît alors au niveau des thèmes, des obsessions esthétiques, des choix de mise en scène etc... qui vont définir le style de ce réalisateur.

se rattacher. Cette nouvelle vision de la critique a impulsé à la fin des années cinquante un mouvement de création cinématographique : La Nouvelle Vague, les réalisat. eu.r.ice.s qui faisaient partie de ce courant venaient s’opposer aux normes établies à ce momentlà dans le cinéma français qui laissaient à leur goût trop de place aux scénarios littéraires et au jeu d’acteur très théâtral. L’idée commune était d’apporter du renouveau dans le domaine de l’écriture, de la réalisation, mais aussi de la production et ils s’inspiraient de films de réalisateurs comme Hitchcock, Cocteau ou Renoir.

À l’origine c’est François Truffaut, alors critique dans le célèbre magazine Les Cahiers du cinéma, qui, en 1955, va pour la première fois établir une théorie auteuriste du cinéma, dans une des ses critiques. Il explique que cette politique (qui est alors pratiquée par les critiques des Cahiers du cinéma) apporte de la consistance à la critique cinématographique puisqu’on analyse un film non plus comme faisant partie intégrante d’un genre (auquel une multitude d’autres réalisateurs peuvent se rattacher), mais bien comme l’une des pièces du puzzle que constitue la filmographie d’un réalisateur. Une approche qui divergeait de l’idée, alors communément établie par la critique, selon laquelle un film était soit réussi soit raté du moment qu’il correspondait, ou non, au genre auquel il était censé

Il y a aujourd’hui une scission entre les films d’auteur et les films à gros budget, ce qui n’était pas le cas à l’époque vu les réalisateurs qui ont inspiré ce mouvement. C’est en partie dû au fait que bien souvent on confond « films à gros budget » avec « films de commande ». Ces derniers sont en effet sans personnalité car le réalisateur est seulement appelé par une société de production pour réaliser un film qui a déjà été pensé sans son avis, et qui sera terminé sans qu’il n’ait de droit de regard sur le produit 11


final destiné au divertissement pur. Mais il faut l’admettre, c’est aussi parce qu’il y a eu une évolution du sens de « film d’auteur » qui se définit de nos jours comme étant un film à petit budget porté sur le psychologique. Cela dit mettons fin à ce mythe, car oui, les films à gros budget peuvent aussi être des films d’auteur, on peut trouver un style à la plupart des réalisateurs de films à petit budget comme de films à gros budget. Tarantino en est un bon exemple, n’importe quel amateur de cinéma pourra reconnaître son style dans les films qu’il réalise.

Maintenant si vous avez envie de découvrir des films d’auteur, je vous propose d’aller au cinéma tout simplement, car derrière un film se cache, la plupart du temps, un (ou plusieurs) auteur(s). C’est à vous de choisir la personnalité qui vous correspond le mieux, que ce soit Noé, Rohmer, Nolan, Audiard ou Tarantino, vous avez même le droit de tous les apprécier. Faitesvous plaisir et allez aussi tester de nouvelles expériences dans les grands cinémas comme dans les petits cinémas d’art et d’essai.

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- Lilith

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Tu as du retard sur ta lecture cinéphile, sériephile, gamophile ?!

Rien n'est encore perdu ! Retrouve tous les magazines de l'écran & des articles exclusifs sur notre site internet :

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RING

Critique

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LE RING Halloween

de David Gordon Green - octobre 2018

The Shape (Gonzobob) VS Michael Myers 2.0 (The Watcher)

À l’occasion des 40 ans de la franchise Halloween et de la sortie du nouvel opus, The Watcher et Gonzobob se livrent à un duel de géants en faisant s’affronter The Shape, le tueur des films originaux, et le Michael Myers 2.0 de la version 2018 signée David Gordon Green.

Let's Fight ! 14


The Shape : Alors tu es bien mignon avec ton film, mais Halloween (John Carpenter, 1978) et Halloween 2 (Rick Rosenthal, 1981) sont des classiques intemporels. Ton Halloween du dimanche n’est même pas un slasher, d’ailleurs c’est quoi ? Un remake, un reboot, un soft reboot, un sequel ? Tu n’es qu’un ersatz, une pâle copie qui reprend tous mes gimmicks : la tête penchée sur le côté, ma respiration haletante, ou encore ma propension à clouer des teenagers aux murs avec un couteau..

Michael Myers 2.0 : J’ai éliminé de la timeline chaque détail qui avait permis à tes pathétiques suites d’exister. On reprend là où la saga aurait dû s’arrêter. Après l’original. Je suis la vraie suite. Celle qui est entièrement validée et approuvée sans regrets par notre père John “Big” Carpenter.

The Shape : Mais elle existe déjà la vraie suite ! C’est Halloween 2 et son ambiance de huis clos, le film se passant presque entièrement dans un hôpital. Le film commence dix minutes après les évènements du premier volet. Pas le temps de niaiser, j’ai pas besoin comme toi de 40 ans pour revenir à la charge, je suis increvable ! Et puis de mon temps, on avait besoin d’une bonne raison pour massacrer du teenager à la libido incontrôlable : j’essayais de tuer ma soeur Laurie. Toi tu n’es qu’un vulgaire tueur psychopathe parmi tant d’autres.

Michael Myers 2.0 : Tu n’es qu’un amateur qui improvise trop, obnubilé par des obsessions de frustrés post-soixantehuitards. Hormis ton buzz initial, tu as couru après Jason Voorhees, Freddy Krueger, Chucky ou Ghostface pour continuer à exister. Tu étais leur inspiration, ils t’ont dépassé, je vous supplante tous : 40 ans de terreur nocturne indétrônable et une famille brisée. La façon dont j’attaque Laurie Strode chez elle est une leçon de chasse en huis clos. Je n’ai aucun concurrent, je suis l’apex predator. Chacun de mes meurtres est une démonstration de ma supériorité par rapport à toi dans sa réalisation.

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The Shape : Ah ben Laurie justement, parlons-en ! Ton film fait absolument n’importe quoi avec son personnage. Le rapport de force s’inverse totalement, elle passe de final girl par excellence à prédateur surarmé et surentraîné, et tu deviens une simple victime expiatoire. Elle t’attend depuis 40 ans en picolant sec et en tirant sur des mannequins de supermarché, le tout entrecoupé de crises de paranoïa aigües... Michael Myers 2.0 : Elle fait plus durant les 1h30 de mon film que sur les quatre de ta saga. Elle est à la fois le symbole des travers de l’Amérique paranoïaque post 11 septembre et la femme qui se rebelle contre le joug du patriarcat : aucun homme en soutien où derrière qui se cacher, une fille élevée à la dure pour faire face aux abus du monde moderne. En l’attaquant, je l’ai forcée à s’élever au-delà de sa condition et de ses faiblesses. Elle me doit tout. Je l’ai libérée des jougs de l’existence en l’enfermant dans sa névrose. L’actrice Jamie Lee Curtis ne s’y est pas trompée en déclarant qu’elle serait “toujours la fille d’Halloween”. The Shape : Tu n’apportes rien à la mythologie de la saga, et la prives même de son développement le plus intéressant. Ton film fait partie de la vague de remakes qui pullulent sur nos écrans et exploitent sans vergogne la nostalgie du public. Moi au moins j’étais discret, on ne voit mon visage qu’une poignée de secondes. Je reste pour toujours The Shape, le mètre-étalon du tueur de slashers, alors que tu démythifies complètement le personnage de Michael Myers... Michael Myers 2.0 : Mais je suis un mythe : je frappe n’importe qui, n’importe où, je me dissimule dans les moindres recoins de l’écran. Nul ne peut m’échapper ni s’opposer. Me voir avec ou sans masque ne change rien à la nature inéluctable du destin de mes proies. Le Boogeyman, c’est moi et aucune balle, aucune voiture, aucun couteau ne me fait flancher là où tu t’écroules toutes les cinq minutes. Tu es comme Snake dans les premiers Metal Gear : une fois repéré tu crèves et utilises un “continue”.

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RÉTRO

Critique

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CRITIQue

rétroSPECtIvE Clerks : Les employés modèles De Kevin SmIth , 1994

Clerks : une fresque hilarante et corrosive de la contre-culture américaine. Ajoutez : une bande de potes, des cassettes pornos, un paquet de clopes bon marché, un humour cinglant et des péquenauds, beaucoup de péquenauds. Vous obtenez Clerks. Premier film de Kevin Smith, mais

également le premier à s’inscrire dans le View Askewniverse, univers fictif rempli de lieux et personnages récurrents dans la filmographie de Smith. Un cinéma fermé sur lui-même et réservé à quelques nerds aficionados donc ? 18


faire un film sur des jeunes qui se font chier (la caméra servant à filmer le tout). Plus sérieusement, le jeune âge de Smith au moment du tournage n’est ici pas un défaut mais bel et bien un atout car ainsi il réalise un long sur les jeunes, pour les jeunes et fait par des jeunes. Sous couvert de comédie, il crée un tableau juste des problématiques de la génération X : le manque d’ambitions, de perspectives d’avenir et l’incompréhension face à un monde laissé bien crade par la génération des baby-boomers bien trop occupée à profiter de la douceur de vivre des années d’après-guerre pour faire attention à la suivante.

Jeune parce que sachant que Smith a l’âge de mon père (mon vieux est né en 1970), il a au moment de la sortie du film 24 ans, zéro film à son actif, une caméra et une bande de potes qui se font chier. Il décide alors de

Populaire parce que c’est le milieu dont provient Smith, une classe moyenne qui n’a que très peu d’accès à la culture « officielle », dictée par les académiciens, et qui se réfugie dans la contre-culture pop.

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Eh bien.. non. Les références internes à l’univers du réalisateur et de sa bande de potes incarnant les personnages du View Askewniverse ne viennent ici que s’ajouter aux nombreuses références à la contreculture pop des 90’s américaines. Le long-métrage conte l’histoire de Dante et Randal, deux jeunes qui travaillent respectivement au Quick Stop (l’équivalent d’un tabac/ presse) et au RST Videos (magasin de location de vidéos), et nous plonge dans leur quotidien ponctué d’évènement tragi-comiques. Lors de sa sortie en 1994, Clerks peut se résumer en quatre mots : jeune, populaire, indépendant et irrévérencieux.

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Les 90’s marquent les débuts de MTV, du grunge et l’âge d’or de la VHS. Tous ces éléments forment un bain pour les protagonistes qui passent leur temps à feuilleter des comics et à regarder des films de série B, en faisant un taff qui ne les passionne pas pour subsister. La bande-son composée majoritairement de succès indie et grunge de l’époque, tels que Got Me Wrong d’Alice In Chains, sert cet aspect populaire du film. Un schéma dans lequel il est facile de se reconnaître pour un jeune américain de l’époque et des références que tout américain moyen peut comprendre sans peine. En témoignent les 3,1 millions de dollars au box-office que réalise le film rien qu’aux ÉtatsUnis.

cet aspect-là une cohérence entre le sujet traité, original, et la façon dont il est traité qui est également originale. Car ce serait une erreur de limiter Clerks au champ de la simple comédie populaire et niaise. La volonté de critiquer, de dénoncer le biome de l’Amérique moyenne n’est pas moins réelle que celle de choquer et de provoquer. Irrévérencieux donc ? Oui ! Et à un moment où cette recherche des limites de l’incorrect avait encore un peu de charme avant de tourner à la vulgaire pornographie de la provoc’. Ce film sonne comme une autocritique de la société patriarcale (Smith a conscience d’y appartenir et en est paradoxalement fier) qui semble trouver sa métaphore dans la relation entre Dante et Veronica, toujours sur un ton provocant. Le machisme de l’américain moyen y est caricaturé à merveille par la réplique décrivant les exploits sexuels de sa compagne : « My actual girlfriend sucked 36 dicks » (« Ma copine a sucé 36 bites »).

Indépendant parce que pour un tel bénéfice, Smith n’aura eu besoin que de la somme dérisoire de 27 000 dollars et d’aucun producteur en dehors de son pote Scott Mosier qui est également co-monteur du film. Aussi parce que l’œuvre a été couronnée au Sundance Festival ce qui constitue, du moins pour l’époque, une victoire en tant que cinéaste indépendant. Sont à louer sous 20


plus de regarder Clerks) sont autant d’éléments qui apportent un aspect corrosif à cette œuvre et qui en font un incontournable du cinéma indépendant américain.

Les dialogues crus, l’apologie jouissive de la petite délinquance et surtout la scène où Caitlin (l’ex-copine de Dante) couche par erreur avec le cadavre d’un vieil homme dans les toilettes du Quick Stop (vous vous demandez comment c’est possible ? Raison de

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- Crash

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La Rencontre

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LA RENCONTRE

Interview de Marie-Hélène Méaux,

Professeur de cinéma en CPGE au lycée Saint-Sernin et à l ‘Université Jean-Jaurès

Marie-Hélène Méaux est enseignante depuis trente ans. Elle est professeur de cinéma au Lycée Saint-Sernin et à l’Université JeanJaurès. Aujourd’hui, elle nous parle de son métier et son impact dans le monde du cinéma.

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Pouvez-vous nous rappeler votre parcours ? Est-ce le parcours lambda pour accéder à votre position ?

Que vous apporte votre métier ? Qu'est-ce qui vous plaît le plus ? Et ce qui vous plaît le moins ?

M-H. M : J'ai fait des études scolaires jusqu'au bac. Je suis allée ensuite en hypokhâgne puis en khâgne (CPGE littéraire). En 1989, j'ai eu le concours de l'École Normale Supérieure et j'ai continué mes études de lettres modernes à Paris III. J'ai passé l'agrégation en 1992. J'ai fait un master 2 mais je n'ai pas eu envie de faire de la recherche. J'ai commencé à enseigner pour vivre quelque chose de concret. C'est par le biais de l'enseignement que j'ai trouvé ce goût pour le cinéma (tout en étant cinéphile de mon côté). Lier les deux me paraissait le meilleur choix. J'ai ensuite fait six ans en cours de cinéma (option lourde qui compte au bac). Puis une option cinéma s'est ouverte en CPGE littéraire à Saint-Sernin, j'ai donc accepté le poste. J'y travaille depuis six ans.

M-H. M : La pédagogie m'intéresse, l'enseignement en général me plaît. Je prends beaucoup de plaisir à préparer des cours sur des sujets nouveaux. J'aime acquérir les connaissances, les organiser et faire passer cette dite connaissance. Mais le cœur du métier, pour moi, c'est le contact avec les élèves. Lorsqu'on fait passer une connaissance, on la transmet certes intellectuellement mais on provoque aussi une émotion. C'est un plaisir qui peut se ressentir à tous les niveaux, avec les plus jeunes comme les étudiants. Ce qui me plaît le moins, c'est la correction des copies mais aussi toute la dimension administrative. Les réunions, les organisations pour les projets de tournage, les commandes de matériel, etc... Cependant, il faut dire qu'avant tout, le métier de professeur permet une grande liberté où on peut organiser son travail. De plus, la prépa me permet de travailler avec des élèves souples, compréhensifs et motivés qui s'intéressent à la matière. 23


Tout en étant professeur, travaillez-vous aussi sur des projets cinématographiques concrets tel que des tournages par exemple ?

métier aussi est une médiation... Une méditation institutionnelle. On dit que les études de cinéma ont très peu de débouchés, qu'elles ne sont pas prometteuses pour trouver du travail. Êtesvous de cet avis ?

M-H. M : Je n’ai jamais été dans des projets de réalisation, de tournages, etc... Je n’ai jamais été attirée par ce type de production. En revanche, je serais intéressée dans l’écriture d’ouvrages théoriques, des articles de recherche ou autre. Donc ce serait en majorité de l’écriture, plus que de la réalisation.

M-H. M : Je ne partage pas du tout cet avis. Dans le domaine de la culture, on n’est pas dans quelque chose de fixe. Il est difficile aujourd’hui d’être jeune et de vouloir faire du cinéma. Mais on doit se dire que c’est pareil partout : le théâtre, la musique... La culture n’a pas forcément le vent en poupe. Maintenant, par rapport à des études considérées plus classiques, plus sécurisées, le cinéma est porteur. On va avoir de plus en plus besoin d’enseignants en cinéma, de recherche en cinéma. On a besoin de faire du cinéma pour enseigner des lettres modernes ou des lettres classiques. Durant les concours d’enseignement, on a de plus en plus d’épreuves de cinéma. Globalement, les sciences humaines ont besoin d’avoir des connaissances sur le cinéma de fiction ou bien sur le cinéma documentaire. L’étude d’image,

On connaît les « métiers du cinéma » basiques tel que réalisateur, perchiste, producteur, scénariste, etc... Connaissez-vous des métiers, qui comme le vôtre, ne sont pas reliés à la pratique directe du cinéma ?

M-H. M : On pense à toute la médiation culturelle. Il faut penser à tous ceux qui organisent les projections des films, qui organisent le marketing , etc... Les gens qui travaillent dans les cinémathèques, les cinémas en général, font tout autant partie du monde du cinéma. Ainsi, mon

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le montage, les symboles dans le cinéma, c’est vraiment des outils essentiels dans l’enseignement aujourd’hui. Le cinéma a de beaux jours devant lui.

des études de cinéma, de passer un CAPES d’une autre matière, puis faire de la recherche en cinéma. Au moins d’aller en master et de faire un maximum dans la maîtrise du cinéma.

Quels conseils pourriezvous donner à un étudiant voulant devenir professeur de cinéma ?

Très rapidement pour conclure... : des conseils de livres ou de films à voir ?

M-H. M : Il faut passer des concours d’enseignement dans d’autres disciplines, se construire une culture cinématographique très solide. Un des manques, c’est qu’il n’y a pas de CAPES et d’agrégation de cinéma. La plupart des gens qui aiment le cinéma sont souvent marginalisés, ils sont professeurs d’histoire ou de lettres modernes. Moi j’ai cette chance de pouvoir parler uniquement de cinéma. Donc je suis vraiment privilégiée. À l’université, c’est plus simple d’accéder à un métier d’enseignant de cinéma. Mais les places sont rares. Je leur conseille donc de faire

M-H. M : J’ai beaucoup trop d’idées en tête. Dans l’immédiat rien de particulier. Mais je conseille le film The Guilty (Gustav Möller, 2018) que je trouve très intelligent et très bien fait.

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- Supertramp et Crash

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LGDC

par Le Comte Gracula

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PEDRo ALMoDóvAR 26


- PEDRO ALMODÓVAR Almodóvar est d’abord pour moi une affiche. Une immense affiche rouge, de laquelle Penélope Cruz me dévisageait. J’avais dix ans, et une femme que j’admirais avait l’affiche de Volver affichée dans son salon, derrière son canapé. Pedro Almodóvar était un nom, qui du haut de mon jeune âge m’était interdit. C’est donc devenu une petite obsession, comme beaucoup de films et de réalisateurs qui sont présentés comme « pas de ton âge ».

la caméra s’ancre et qui portent le film. Pour moi qui ai grandi dans une famille matriarcale, cela ne pouvait faire qu’écho. J’ai ensuite découvert ses autres films. Talons aiguilles, la complexité des relations mère-fille et la plus belle chanson du monde, Piensa en mí interprétée par Luz Casal. Tout sur ma mère, la douleur d’une mère, et un regard tellement différent de celui entendu au lycée sur la prostitution, la drogue, le sida, la transidentité ; une présentation de personnages complexes, touchant-e-s, sans moralisation ou jugement sur elleux. Ma première déception aussi, Parle avec elle, dont les personnages principaux sont à moitié des femmes dans le coma et à moitié des hommes bien vivants. Et la réalisation que je n’aime pas des hommes cisgenres (cisgenre : « individu dont le genre de naissance, le corps et l’identité personnelle coïncident »), et hétérosexuels d’Almodóvar, qui sont souvent dérangés et dérangeants, confirmée par La piel que habito et son personnage de chirurgien fou. Les amants passagers m’a réjouie, le huis clos et l’aspect comédie musicale me font le revoir à chaque coup de mou...

J’ai attendu la fin du collège pour voir mon premier, Volver forcément. Une claque, selon l’expression consacrée. L’impression de voir mes sensations tourbillonnantes et tumultueuses d’adolescente filmées. La joie, la colère, le désespoir, la tristesse, le tout mélangé et exacerbé par toutes ces femmes, qui me rappelaient les miennes de femmes. Les femmes de ma famille, pieds-noirs espagnoles, grandes gueules, caractérielles, aimantes, bruyantes, mais surtout fortes. Leur omniprésence, leur solidarité, leur assurance bravache même dans les moments les plus durs. Almodóvar aime les femmes, elles sont centrales. Il a ses actrices fétiches, qui reviennent, sur qui 27


Un critique m’a un jour dit qu’Almodóvar était un réalisateur clivant. On tombe en amour de ses films ou ils nous laissent de marbre. J’aime passionnément ses films chatoyants, colorés, pleins de vie même dans la mort. J’aime moins ses drames, ses ambiances poisseuses, pesantes et malsaines. Je suis fascinée par ses personnages de femmes, ses personnages masculins me révulsent dans leur grande majorité. J’adore ses transitions du comique au tragique, je redoute ses drames. Mais un Almodóvar ne m’a jamais laissée sans réaction. Il a toujours réussi à provoquer quelque chose, que ce soit de l’enthousiasme ou une sorte de fascination morbide.

(rien à voir avec le fait qu’il s’agit du mien de prénom évidemment). À part ça il ne m’a pas marquée, comme un téléfilm de l’après-midi. J’avais même oublié son existence, alors que je l’ai vu au cinéma à sa sortie. Il ressemble à un wedding cake : beaucoup d’emballage sans trop de fond. Et c’est le retour que j’ai eu de beaucoup de personnes de mon entourage qui aiment Almodóvar : c’est un film plat. Il a par contre séduit celleux qui ne le connaissaient pas. J’attends donc le prochain Dolor y gloria prévu pour 2019 pour savoir si la magie almodóvarienne marche toujours sur moi - Le Comte Gracula

© 2011 - Sony Pictures Classics

Je n’ai qu’une exception. Julieta a un point pour lui, son titre qui est très objectivement le plus beau prénom du monde

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- TOP 5 DU REDAC -

© imdb

1. volver (2006) 2. tour sur MA Mère (1999) 3. talons AIGuILLES (1992) 4. LES AMANTS pASSAGErS (2013) 5. LA pIEL quE HABITo (2011)

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À ne pas louper

- Centre culturel Alban-Minville - Le Cratère -

95 Grande Rue Saint-Michel www.cinemalecratere.

© imdb

>> com

À l’occasion de la sortie du dernier film du réalisateur d’anime japonais Mamoru Hosoda (Miraï, ma petite sœur, sortie nationale le 26 décembre), deux soirées spéciales sont organisées le 15 et 21 décembre à partir de 19h, au cours desquelles quatre longmétrages seront projetés. Ainsi le 15, vous pourrez voir Summer Wars (2009) et Les Enfants loups, Ame et Yuki (2012). Le 21 ce sont La Traversée du temps (2006) et Le Garçon et la Bête (2015) qui seront diffusés. Un conseil : foncez ! où

13 Rue Saint-Bernard

>> abc-toulouse.fr

1 Place Martin Luther King www.bellefontaine-

>> milan.org

© wikipedia

- L’ABC -

© Madhouse Productions

Le cinéma d’art et d’essai toulousain organise une projection spéciale de Les Sorcières de Salem (Raymond Rouleau, 1957) le 14 décembre à 20h, dans le cadre de l’événement Le Cratère fête la laïcité 2018 (du 10 au 14 décembre). Recalé des salles obscures pour des raisons de droits de diffusion jusqu’en 2005, ce drame historique franco-allemand et au scénario signé Jean-Paul Sartre relate le célèbre procès de sorcellerie de 1692. Entre critique acerbe d’un puritanisme tendancieux et allégorie du maccarthysme, une œuvre à visionner au moins une fois dans sa vie.

Son nom ne vous dira peut-être rien et pourtant. Charley Bowers, grande figure du cinéma d’animation américain et papa du personnage burlesque Bricolo qu’il interpréta dans ses courtsmétrages comiques mêlant animation et prises de vue réelles, sera à l’honneur, le 26 décembre à partir de 14h30, lors d’un ciné-concert pendant lequel trois de ses courts seront projetés avec un accompagnement au piano. L’occasion de découvrir ou de redécouvrir un artiste qui fut, pendant longtemps, injustement oublié. Événement en partenariat avec la Cinémathèque de Toulouse.

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- Cinéma -

Wildlife : une saison ardente (drame) de Paul Dano, sortie le 19 décembre 2018

Avec Carey Mulligan, Jake Gyllenhaal, Ed Oxenbould…

Premier film, en tant que réalisateur, de Paul Dano (Little Miss Sunshine, There Will Be Blood, Prisoners) Wildlife est l’adaptation cinématographique du roman éponyme de Richard Ford. Dans les années 60, la famille Brinson vient d’emménager dans le Montana. Alors que le mariage de Jeanette et de Jerry vole en éclats, leur fils Joe, adolescent sensible de 14 ans, devient le spectateur impuissant de l’éclatement de sa famille.

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- Série -

You [Parfaite] (drame, thriller), de Sera Gamble et Greg Berlanti, saison 1, lancement le 26 décembre, Netflix France

Adaptation télévisuelle des romans éponymes de Caroline Kepnes, cette nouvelle série américaine oscille entre drame et thriller psychologique avec une intrigue dans l’air du temps, made for les générations y et z (biberonnées à internet). Joe, jeune gérant d’une librairie, a le coup de foudre pour Beck une jeune écrivaine. Alors qu’une romance naît entre eux, son obsession amoureuse pour la jeune femme va conduire Joe à la stalker sur les réseaux sociaux, afin de pénétrer son entière intimité et ainsi éliminer le moindre obstacle qui menacerait leur idylle. À voir absolument !

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- Jeu Vidéo -

Just Cause 4 (action, aventure), sortie le 04 décembre (PC // PS4 // ONE)

Quatrième opus de la licence éponyme, Just Cause 4 vous transporte à Solís, une contrée fictive d’Amérique du Sud. Vous serez dans la peau de Rico Rodriguez, personnage principal de la série, bien décidé à affronter de nouveaux ennemis dans sa quête de retrouver son père disparu. Niveau nouveautés : des effets météorologiques extrêmes tels que des blizzards modifieront la physique du jeu en temps réel grâce à un nouveau moteur de jeu. De quoi rendre la partie encore plus intéressante !

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Les pépites du 7ème art selon nos Rédacteurs EYE IN THE DARK  : L’étrange Noël de Mr. Jack de Henry Selick (1993) CRASH : American Pie, Paul et Chris Weitz (1999) Le comte Gracula  : Les amants passagers, Pedro Almodóvar (2013) SuPERTRAMP : Capharnaüm, Nadine Labaki (2018) LILITH : L’imaginarium du docteur parnassus, Terry Gilliam (2009) The Watcher : Nid de Guêpe, Florent Emilio-Siri (2002) Gonzo BOB : Free Fire, Ben Wheatley (2016) ABBEY : L’histoire sans fin, Wolfgang Petersen (1984)

- Eye In The Dark


- Contacts asso.lecran@gmail.com L'ĂŠcran (uT2J)

www.asso-lecran.fr


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