Revue LeChassis #5 Automne / Hiver 2018

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leChassis

Edi Dubien

Open Studio

Nicolas de Ribou Chasseur de Tête

La Fonderie Darling Réseautage

Charlotte EL Moussaed Perspective

Sébastien Peyret Liste A

Ève Chabanon

Associations

Élodie Merland

Support de la création Émergente | Automne-hiver 2018 | Free/Gratuit |

#5

Entrevue


ANGELIKA MARKUL

artiste lauréate

du Prix MAIF pour la Sculpture 2o17, a été accompagnée sur plusieurs mois par la fonderie d’art Susse, située

à Malakoff (Hauts-de-Seine), pour réaliser une œuvre en bronze, présentée au public pour la première fois en septembre dernier au MAIF Social Club à Paris. Distinction unique en son genre, le Prix MAIF

pour la Sculpture est le seul événement dédié au travail du bronze dans le panorama de l’Art Contemporain en France. Cette singularité permet aux jeunes

générations d’artistes d’appréhender un savoir-faire

précieux et ancestral mais souvent trop difficile d’accès. Surtout, ce Prix apporte un soutien concret et

engagé envers les artistes, par un accompagnement et un suivi des lauréats sur le long terme.

Le Prix MAIF pour la Sculpture permet chaque année à un artiste plasticien émergent de réaliser une première œuvre en bronze dans une approche contemporaine. La MAIF souhaite ainsi soutenir la création contemporaine et renouveler le regard porté sur le bronze, un matériau noble mais difficile d’accès. En favorisant les collaborations entre artistes et artisans, elle fait ainsi vivre les valeurs de partage de la connaissance et de respect de la personne qui lui sont chères. © Olivier Moritz / MAIF


RÉSIDENCES D’ARTISTES  : UNE NOUVELLE MONNAIE D’ÉCHANGE  ? En juin dernier, Thierry Tuot, président du Conseil d’administration de la Villa Médicis à Rome, a été missionné par le gouvernement pour élaborer une cartographie des résidences artistiques publiques et privées, l’objectif affiché étant de créer « un système national de sélection et d’orientation des artistes ». Dans une circulaire adressée aux préfets de région en 2o16, l’État avait déjà entrepris de réorienter la finalité des résidences artistiques. Le texte demandait de réserver ce terme de résidence aux actions favorisant la rencontre avec la population, dans une logique de politique culturelle territoriale : faciliter l’accès aux œuvres dans les territoires et associer le public au travail des artistes. Dans le décret, les résidences dites de création, de recherches et d’expérimentation ne faisaient pas exception, elles devaient comprendre un moment d’échange avec le public, voire une présentation en fin de résidence. Elles devraient pourtant constituer des moments où les exercices de communication avec le public ou le marché peuvent être mis entre parenthèses. Pourquoi faudrait-il montrer sa production, pourquoi ne serait-ce pas un moment où l’on pense seulement à ce qu’on va faire, des moments d’essais-erreurs ou de silence qui pourraient être improductifs, et qui ne donneraient même pas lieu à la construction d’un discours  ? De nombreuses résidences servent surtout aux artistes à survivre. S’ils avaient le choix, ces derniers préféreraient sans aucun doute celles dans lesquelles ils pourraient développer leur pratique artistique sans contrepartie. Il est fort à parier que les objectifs de l’État désireux de créer, réorienter ou « supprimer » des résidences en fonction de ses « objectifs stratégiques », comme le rappelle la mission confiée à Thierry Tuot, n’accorderont pas beaucoup de place à des résidences qui ne serviraient pas d’abord leurs intérêts en termes de politique culturelle. Souhaitons alors qu’ils s’inspirent d’autres résidences, à l’étranger notamment, dont tout l’intérêt se situe dans le fait de ne pas demander aux artistes d’être efficaces ou productifs pendant ces périodes limitées. Faire confiance, croire que ces temps uniques, même s’ils ne sont « que » des moments de réflexion, auront des répercussions à court ou long terme est primordial. Être confronté à un environnement inhabituel, en tant qu’artiste ou auteur, suffit à ce qu’une résidence porte ses fruits. Nathalie Desmet

Édito

Directeur de la publication et fondateur : Romain Semeteys Rédactrice en chef  : Nathalie Desmet Directeur artistique : Thomas Guillemet Photographe : Salim Santa Lucia Contributeurs : Ana Bordenave, Chris Cyrille, Nina Leger, Noémie Monier Contact annonceurs : romain@lechassis.fr

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NOVEMBRE À VITRY PRIX INTERNATIONAL DE PEINTURE DE VITRY-SUR-SEINE

DU 18 NOVEMBRE AU 16 DÉCEMBRE 2018 VERNISSAGE ET ANNONCE DES LAURÉATS : SAMEDI 17 NOVEMBRE À PARTIR DE 18H

E X P O S I T I O N D ES Œ U V R ES S É L E CT I O N N É ES

jury et réglement du prix :

GALERIE.VITRY94.FR/

59, avenue Guy-Môquet 94400 Vitry-sur-Seine I 01 43 91 15 33

http:// lechassis .fr/revue/ leChassis

Estèla Alliaud

Julien des Monstiers

Open Studio

Open Studio

Aliocha Imhoff

Les Tanneries

Kantuta Quirós

Cneai=

Réseautage

Perspective

Laurent Lacotte

Michel Poitevin

Perspective

Liste A

Joseph Kouli

Tara, Nicolas Floc’h

Liste A

Associations

Côme Clérino × Tools of Food

Les Ateliers Vortex

Associations

Réseautage#2

Léandre Bernard-Brunel

Claire Migraine

Entrevue

Entrevue

Support de la création Émergente | Automne-Hiver 2017 | Free/Gratuit |

#3

Chasseuse de Tête

Fabien Léaustic

Support de la création Émergente | Printemps-été 2018 | Free/Gratuit |

La revue Lechassis, directement chez vous !

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&

&

Chasseurs de Têtes

Réseautage#1

Laura Porter

Colette

leChassis


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Open Studio

Edi Dubien

La fin d'un empire — conte d'atelier

Texte de Nina Leger

Liste A

C’est vraiment l’urgence de notre époque qui m’intéresse, qui me fait avancer «» Entretien avec Sébastien Peyret

| Photographié par Salim Santa Lucia

p. 4—11

| Par Romain Semeteys

Perspective

Portraits et figures Charlotte EL Moussaed | Par Noémie Monier

p.

Entrevue

Faire rire les inconnus Les mots vifs d’Élodie Merland

12 — 18

Chasseur de tête

Pour un slow curating Nicolas de Ribou | Par Nathalie Desmet

p.

p. 28 — 31

20 — 24

| Par Ana Bordenave

p. 32 — 37

Réseautage

La Fonderie Darling Entretien avec Caroline Andrieux

VU VU VU Sur les réseaux

| Par Nathalie Desmet

p.

38 — 41

p. 26 — 27

Associations

L’art de créer du commun

s

Entretien avec Ève Chabanon | Par Chris Cyrille

p. 44 — 49

Wanted Une sélection d’œuvres à moins de 5000 euros p. 50

Playlist

Sommaire

Sélections électives/ affinités créatives p.  51

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Edi

Nina Leger

Salim SANTA LUCIA

Dubien

Texte

Reportage photographique :

Nina Leger est chercheuse et romancière. Après Histoire naturelle (JC Lattès, 2o14), son deuxième roman, Mise en pièces, est paru en 2o17 chez Gallimard. Il a été récompensé par le prix Anaïs Nin et par le prix de la Vocation.

La fin d'un empire — conte d'atelier

Il est assis sur un tabouret. Il parle. Les verres de ses lunettes se couvrent de reflets et j’ai beau regarder, impossible de trouver ses yeux. Les images bougent sur les lunettes, fragments changeants d’atelier, toiles, sculptures, dessins jetés les uns contre les autres le temps d’une histoire rapide.

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Ça commence par un garçon. Quel âge a-t-il ? Huit ans, dix ans ? Il ne sourit pas, n’est pas grave ou sérieux pour autant — disons qu’il est pensif. Des bras fins, longs, abandonnés contre son corps nu. Est-ce un effet de la lumière ? Son torse s’élargit, des muscles nouveaux découpent sa silhouette, ses cheveux bouclent en dégageant son front, ses yeux se ferment, la fatigue le prend, il est adulte et il s’assied, les bras passés autour de ses jambes, la tête posée sur ses genoux. Les couleurs ont quitté son visage, peau blanche comme la pierre : on le croirait statue. Enfant à nouveau, il est debout, les yeux grands ouverts dans les reflets indistincts. Brusquement, un éclair brun traverse la pièce — les lunettes ont bougé —, un lièvre qui bondit, corps tendu, horizontal, corps rapide et aussitôt disparu, messager suivi d’un chevreuil, d’un oiseau — tête jaune, ailes grises —, d’un loup, d’un agneau rouge. Les bêtes surviennent à chaque modification de l’angle des lunettes. Elles s’avancent, tourbillonnent, s’éclipsent. Une ourse grise — pas lent et balancé, respiration alourdie —, un écureuil, un chien minuscule et, soudain, des mots reflétés à l’envers : « la fin d’un empire », des mots qu’il a écrits dans un coin de l’atelier, en lettres capitales. La fin d’un empire. Le garçon demeure seul. Dans un mouvement très lent, son image se multiplie à la surface du verre. Bientôt, il occupe tout l’espace et sa figure répétée se fige en un réseau serré. On dirait que tout est terminé quand, à nouveau, un lièvre. D’un blanc éclatant cette fois et plus grand que l’enfant. Une lance de bois lui est passée à travers le corps, aurait dû le tuer, mais l’a laissé lentement vivant.

Nouvelle parade de bêtes, triste et lente cette fois, une ourse (la même ou une autre ?), son épaule saignant d’une blessure, un chien qui marche sans poser au sol la quatrième de ses pattes, un agneau dont le cou est taché de sang et un chevreuil, l’encolure écrasée par un bloc de pierre. Dans la clairière de reflets, les corps blessés se superposent. Les images se brouillent et s’embrassent si fort que les corps ne sont plus distincts. Les animaux font un, le garçon y compris — on ne demandera pas si c’est que l’humain est fait animal ou si l’animal a été élevé à la grâce de l’humain car il y a si longtemps que ces distinctions ont disparu, qu’elles ne sont plus que des fantômes au creux d’obscurs rétroviseurs. Les contours flottent, les formes coulent, une teinte très douce enveloppe les corps, les blessures ont disparu. Une teinte très douce, peut-être un bleu tendre, ou bien un gris — pour en juger, il faudrait voir cela de plus près, il faudrait s’approcher… mais il enlève ses lunettes. Les reflets disparaissent ; les histoires s’arrêtent. Je vois ses yeux. Il rit de quelque chose, se gratte la nuque, se lève. L’atelier se recompose. Le demi-jour, les rayons du soleil arrêtés par des tissus jetés sur les fenêtres — des motifs de fleurs et de fruits —, l’odeur d’ombre et de renfermé, les figurines abîmées, les objets trop nombreux, les outils amassés sur les étagères, la sensation des couleurs qui vibrent au dehors, le bleu saturé, le vert mordant, le monde intense de l’été.

Il propose de me laisser seule. Peut-être est-ce ainsi qu’une idée me viendra dit-il, peut-être doit-il partir pour que me vienne l’inspiration. Il passe la porte, disparaît dans un soleil rapide — tout cesse.

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Titre de rubrique

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CHARLOTTE EL MOUSSAED : (1)

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PORTRAITS ET FIGURES (2)

E |01 & 02  Rembobiner - Poèmes choisis, 2016. Vidéo HD, durée 7 minutes 40

C Par Noémie Monier

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P E R S P E

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C T I V E

Dans les œuvres de Charlotte EL Moussaed, les langages se croisent, se superposent, se percutent. La manière dont elle échafaude leurs interactions répond à une nécessité grandissante de mettre à l’épreuve le cadre de l’image pour trouver des échappatoires. C’est en ce sens que l’édition et la vidéo viennent étoffer une production photographique où les images s’érigent par paire, souvent rythmées en séries. Rarement solitaires. Dans ses œuvres, la temporalité est flottante. Difficile de savoir dans quelle décennie on se situe, preuve que les points d’ancrage du quotidien ne subissent que de très minimes évolutions. Certains font figure de monument : le mixeur de la grand-mère ; le bijou du costume rituel ; le comptoir de la salle d’attente. Charlotte EL Moussaed investit son rapport à l’identité à travers la quête d’un juste positionnement pour observer son environnement, trouver une place où il est possible d’accueillir, de relayer, ou encore de générer du lien et de lui donner sens. Si elle tire des portraits, c’est pour mieux les ériger en énigmes dont il n’est pas question de lever le mystère. Bien au contraire. À l’origine il y a cette capacité à déceler ce qui dans le réel aurait pu procéder de la mise en scène, ce que l’aléa produit de fictionnel. Et cette possibilité d’extraction qu’offre le choix du cadre, la direction de la lumière, comme pour ouvrir une fenêtre sur ce qui jusqu’à présent était dissolu, perdu dans l’environnement quotidien. Et c’est ce quotidien qui transparaît dans sa plus criante vérité : abrupt, incertain, furtif. Dense et insuffisant. L’ennui et le silence deviennent substance, accrochés aux objets immobiles et aux espaces désertés. La série de photographies Totem et Tabou constitue le point de départ de son travail. D’une part il y a les bibelots qui trônent dans l’appartement familial depuis son enfance. D’autre part des diapositives institutionnelles montrant des mines d’extraction de cuivre qu’elle a récupérées lors d’un voyage au Chili. Totem et Tabou les met en perspective, dans une mise en scène rudimentaire où l’image projetée tient lieu de décor à l’objet qui trône en son centre. Éclairage vulgaire et grain suranné confèrent à cette série une désuétude mélancolique, maintenue dans un espace-temps où son histoire personnelle côtoie l’Histoire de ce pays qui est le sien par voie de transmission. De ce voyage dans le pays d’origine de sa mère, elle revient forte d’intentions dont cette œuvre porte les traces : chercher à définir une esthétique du politique, interroger le statut de l’image et investir le champ du portrait, parler du folklore et de sa fascination pour ce type d’objets artisanaux. Et rendre hommage à l’ordinaire.

Il y a dans cette collecte quelque chose de générique, chacun peut y voir ses propres bibelots, ces objets chéris ou honnis qui drainent la construction de notre rapport au monde ; car l’évolution de notre regard sur eux, leurs qualités esthétiques, n’a d’égal que celui que nous portons sur nos parents, notre histoire familiale, ce socle intime et social à partir duquel notre appréhension du dehors et de l’altérité s’est tissée au gré d’adhésions et de dissociations. Cette réalité immédiate une fois décortiquée révèle sa multitude de couches sémantiques. Ces objets sont loin d’être uniquement décoratifs, leur véritable fonction d’identité est de rassurer : ce sont des objets transitionnels qui, en ce sens, font office de figures. À partir de Totem et Tabou commencent à se dessiner les pistes principales qu’elle va emprunter, au premier rang desquelles surgit la volonté d’investir le champ du portrait. Elle l’inscrira directement dans un spectre élargi aux objets et aux espaces. Le portrait est un sujet académique par rapport auquel les photographes sont amenés à prendre position. Celle que Charlotte EL Moussaed choisit d’adopter est humble, retirée. Elle se met au service du portrait en se faisant simple vecteur. En ce sens elle accepte son rôle d’« instauratrice » au sens où l’entend Souriau : « l’artiste n’est jamais le seul créateur, il est l’instaurateur d’une œuvre qui vient à lui, mais qui, sans lui, ne procéderait jamais vers l’existence ». Plus que d’une intention esthétique, c’est « un état qui échappe au discours, proche de la danse ou de la transe » (selon ses propres mots), qu’elle éprouve lorsqu’elle est en studio et qu’elle tire le portrait de figures animées ou inanimées. Par ailleurs un sentiment d’étrangeté persiste, effet de ce décalage qu’induit l’utilisation des codes du documentaire dans le cadre d’une démarche subjective. Si pour Charlotte EL Moussaed la question de l’autre est éminemment politique, cette forme de neutralité lui permet de respecter une certaine éthique du portrait, en préservant ce que l’autre ne voudrait pas montrer. Il est plutôt question d’aller déceler ce que transmettent les autres langages, ceux qui échappent aux mots pour prendre la voix des gestes, des postures, des attitudes. Ce cheminement la mène à se détacher de plus en plus d’une volonté de produire de belles images. Les œuvres génèrent désormais leur esthétique propre, creusent et nourrissent des disparités, et élargissent le cadre à l’intervention d’autres formes de langages. Des mécanismes de transcription commencent à apparaître. L’irremplaçable met en scène un faux jeu de miroir, révélant les incohérences qui se nichent dans les moindres recoins du corps. Et du décor. C’est dans tout ce qui échappe

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au cadre que le portrait surgit, qu’il puise sa puissance et sa véracité. C’est parce qu’il se dérobe au visible que le récit peut se déployer. De la même manière, Au lecteur et Les Malassis reposent sur la surimpression d’un texte qui défile tout au long de la vidéo. Image et verbe se juxtaposent, induisant chez le spectateur un va-et-vient dynamique entre les deux médias. La déperdition d’informations est inévitable, créant un hors champ augmenté au sein duquel s’ouvre un nouvel espace de projection.

format et au support par le biais de plusieurs éditions, qui voient les mots et les textes prendre leur place au sein des œuvres. Comme une dimension sémantique qui viendrait enrichir ou confronter celle de l’image. Le passage au support vidéo, l’usage du mouvement et de la durée, s’inscrit aussi dans un désir d’aller vers des formes de plus en plus scénarisées, où le vivant s’appréhende toujours plus directement.

L’aspect narratif se lie de plus en plus à la présence du corps, ou par effet de contraste, à son absence. C’est comme ça que le travail de Charlotte EL Moussaed commence à flirter avec la perfor(4) mance, tant il est question d’éprouver les différentes manières d’habiter l’image, d’apparaître et de disparaître, d’être incarné ou éthéré, de trouver dans son rapport à l’autre des « modes d’existence ». En suivant cette volonté de transcender l’espace photographique, Charlotte EL Moussaed investit les possibilités qu’offrent les contraintes relatives au

|1 Etienne Souriau, Les Différents Modes d’existence, Paris, PUF, 2oo9, cité par Vincianne Despret dans Au bonheur des morts, récits de ceux qui restent, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2o15 |2

op.cit.

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| 03  Portrait Charlotte EL Moussaed, © Salim Santa Lucia, pour leChassis | 04  L’Hésitant, 2015, Photographie argentique moyen format, dimensions variables

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Titre de rubrique

| 05 & 06  L’irremplaçable, 2016. Deux photographies contrecollées sur aluminium, et posées sur équerres en aluminium, tirage chacune

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| 07, 08 & 09  Les Malassis, 2017, vidéo HD,

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avec la chorégraphe et danseuse Bintou Dembélé.

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GALERIE CHRISTOPHE GAILLARD

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Nicolas de Ribou Pour un slow curating

Nico ©J

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Nicolas de Ribou vit et travaille entre la Belgique, la France et l’Espagne. Il développe des projets curatoriaux indépendants depuis 2oo9 et a travaillé en tant que chargé de production au Fresnoy, chargé de la gestion de la Collection Famille Servais, et fut directeur de Poppositions, foire alternative à Bruxelles (Édition 2o16). Il a été curateur invité à La Box, école nationale supérieure d'art de Bourges (2o17) et participe à la direction artistique de Supersimétrica, rencontre internationale d’espaces d’art indépendants à Madrid. Propos recueillis par Nathalie Desmet

En tant que curateur indépendant, quelles sont vos préoccupations ? Vous avez dit partir du principe que vous écrivez dans l’espace, que voulez-vous dire ?

Nicolas de Ribou © Julie Deutsch

Je me définis comme curateur – auteur  – médiateur, un terme n’étant pas dissociable des deux autres. Chaque projet d’exposition est pour moi un acte d’écriture, une écriture non textuelle, une écriture de l’espace. Chaque œuvre est sélectionnée dans une volonté de construire un parcours, de proposer une lecture du monde dans lequel nous vivons pour mieux questionner nos interprétations et nos positions. L’objectif principal de ma pratique de curateur est sans aucun doute de chercher la formulation la plus juste à ces quest io n ne me n t s . M e s r ec he r c he s actuelles m’amènent à explorer différentes problématiques liées aux territoires et aux usages qui en sont faits  par les individus. Que nous

donnent-elles à voir, à comprendre de nos sociétés? Comment nous construisent-elles? Comment les histoires personnelles influencent notre compréhension de l’Histoire, du passé, mais surtout nous permettent d’envisager notre quotidien, notre futur? Au sein de l’exposition, j’accorde de l’importance aux récits que chaque œuvre porte intrinsèquement, tout en travaillant avec précision à leur présence aux autres pour favoriser une participation active du public au sein de l’ensemble. Je considère que l’acte de médiation le plus fort est celui qui est inscrit dans l’écriture du projet , à tr avers une sélection d’œuvres et une mise en espace offrant sans détour une place centrale au public qui n’est alors pas envisagé comme un regardeur passif à qui l’on viendrait servir un discours imposé a posteriori. Les supports de médiation textuels, si nécessaire, sont envisagés et pensés comme partie intégrante du dispositif d’exposition, dès sa conception.

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Entre 2o12 et 2o16, vous avez

Que signifie le slow curating

été l'assistant du collectionneur

que vous appelez de vos vœux ?

belge Alain Servais et curateur

Est-ce une façon de redonner

de sa collection. Que peut

de la place à la recherche et

apporter un curateur à une

à l’écriture ?

collection qui, par essence, est le propos de quelqu’un d’autre ?

Construire une collection relève d’un processus instinctif mêlant goût esthétique, réflexions personnelles, soutien à la création et analyse des marchés. Dans le cas de la Collection Famille Servais, ce processus a commencé il y a une vingtaine d’années et se développe de manière croissante depuis lors, tout en évoluant avec son temps. Le rôle du curateur, et je crois que le terme convient parfaitement à l’emploi sans qu'il soit nécessaire d’opérer une distinction avec celui d’assistant chargé de collection, consiste à prendre soin de ces œuvres. À défaut de les choisir, il s’agit de les accueillir, les découvrir, d’étudier leur comportement, suivre leurs réactions, les entretenir, les renforcer, parfois les réparer, les accompagner, les écouter, les faire vivre, et pour cela, les rendre visibles. Chaque année, la Collection Famille Servais effectue un nouvel accrochage dans un lieu qui lui est dédié à Bruxelles. Le curateur opère alors une sélection d’œuvres proposant une mise en perspective de la collection selon une problématique qu'il définit en totale indépendance. Cette proposition naît d’une analyse et d’un regard personnel sur les acquisitions, et permet au collectionneur de découvrir sa collection autrement. Cela lui offre l’opportunité d’une remise en question permanente de son propre regard sur «  ses  » œuvres, tout en créant un contexte de partage avec ceux qui souhaitent les découvrir.

Cette réflexion part du constat que nous vivons dans un monde qui va vite, et où chaque jour la diffusion de nos actions, not a mment à t r avers les réseaux sociaux, devient plus importante que le contenu de nos actions. Nous évoluons dans le monde de la publicité où le produit n’a plus beaucoup d’importance, puisque rendu obsolète à peine créé. En art, c’est le même mécanisme qui opère, l’artiste et le curateur doivent produire toujours plus de projets, mais l’œuvre et l’exposition sont désormais pensées comme des act ions de promot ion momentanée, et non plus comme des a c t i o n s vo u é e s à d u r e r d a n s l e s mémoires et s’inscrire dans une histoire. Le slow curating permettrait au curateur de s’ef facer derrière ses projets, de revendiquer un certain droit à la déconnexion virtuelle pour mieux reconnecter au réel, de prendre le temps de la pensée et donc de la recherche et de l’écriture. Cependant, il ne faut pas oublier ce que cela implique en terme de contrats et donc de revenus financiers pour un curateur indépendant. De ce fait, j’envisage de plus en plus le curating, pratique essentielle dans ma vie, comme une activité conjointe à d’autres activités professionnelles ayant peu ou pas de lien avec l’art. Je crois de moins en moins à l’intérêt de la professionnalisation de cette pratique, et de plus en plus à l’urgence de l’ouvrir à d’autres perspectives, la reconnecter à divers environnements, et l’infiltrer dans le quotidien sans qu'il soit besoin de la définir comme telle.

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Forever Young | Collection Famille Servais | The Loft | Bruxelles | 2017 | © Hugard & Vanoverschelde Bucarest 10.11.2017 | Visuel pour PROTECT ME FROM WHAT I WANT (Talk and screening) | Island | Bruxelles | 2018 | © Nicolas de Ribou

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Vous avez fait une résidence de recherche curatoriale en Roumanie, qu’est-ce qui vous semble le plus intéressant à retenir de cette scène ?

L’engagement et l’action des espaces d’art indépendants roumains sont sans doute ce qui a le plus retenu mon attention. Que ce soit ma rencontre avec les fondateurs de Lateral Art Space à Cluj dans le cadre de leur proposition pour la biennale d’art contemporain de Timisoara dans une station-service désaffectée, mais aussi à Bucarest avec Sandwich, un espace d’exposition extérieur étroit d’à peine un mètre entre deux ateliers d’artistes, Salonul de Projecte et sa réflexion sur les formats d’expositions, ODD et son attention aux croisements entre arts plastiques, musique et performance, et Kilobase pour sa vocation à infiltrer l’art là où on ne l’attend pas.

En tant que directeur artistique des foires alternatives Poppositions (2o16) à Bruxelles et Supersimétrica (2o18) à Madrid, dédiées à des espaces indépendants, qu’avez-vous eu envie de changer dans

un tel évènement se confrontait. Qu’estce qu’être alternatif quand on est soumis à la pression de la réussite commerciale ? Pour moi, cela ne fonctionnait pas, je ne voyais pas d’adéquation à ces deux critères, je suis donc parti. Mon souhait de recentrer le projet sur un format de rencontre internationale d’espaces d’art indépendants évacuant toute préoccupation commerciale de l’évènement, en travaillant davantage sur un programme d’accueil de professionnels de l’art, de visites, de rencontres, d’échanges ainsi que d'exposition avec une programmation événementielle et performative libérée des contraintes de la tenue d’un stand, a trouvé un écho à Madrid ou j’accompagne désormais Supersimétrica depuis deux ans. Même si le projet reste fragile, que se peauf ine encore son format et se développe ses f inancements, nous avons la grande fierté avec Angela Cuadra, Daisuke Kato et Bernardo Sopelana de financer presque intégralement la venue et le séjour d’une dizaine d’espaces d’Amérique Latine et du sud de l’Europe à Madrid au moment d’ARCO. Nous proposons en f in de journée une exposition, un programme de rencontres, d’actions et de performances de qualité dans un lieu opérant comme un forum ouvert à tous au cœur du quartier d’Arganzuela où plus de la moitié des visiteurs sont issus de la population locale. Le reste du temps est consacré pour les espaces invités à la découverte de la ville, de la scène locale et des évènements liés à l’effervescence du moment.

la perception des foires commerciales ? Poppositions existait déjà depuis quatre éditions lorsque j’ai accepté de reprendre la direction artistique de l’évènement. Le challenge étant de confirmer Poppositions comme une alternative à Ar t Brussels en accueillant aussi bien de jeunes galeries que des espaces indépendants à quelques encablures de la grosse machine. Malgré ma fierté d’avoir mené à bien, avec l’équipe qui m’accompagnait , cet évènement au succès critique qu'il a obtenu, je me suis assez vite rendu compte des limites auxquelles

Chasseur de Tête

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PABLO

TOMEK


VU VUVU

VU

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PRIX DES AMIS DES BEAUX–ARTS DE PARIS LES LAURÉATS 2018

PRIX THADDAEUS ROPAC

MAX BLOTAS PRIX AGNÈS b.

THIBAUT BOUEDJORO 1

PRIX BEAUX-ARTS MAGAZINE

YOANN ESTEVENIN PRIX KHALIL DE CHAZOURNES

BILAL HAMDAD PRIX DU CABINET WEIL

AGATA INGARDEN PRIX DU PORTRAIT–BERTRAND DE DEMANDOLX–DEDONS

CÉSAR KACI Partenariat


Les Amis des Beaux-Arts de Paris ont pour vocation d’aider au rayonnement de l’une des plus anciennes institutions parisiennes, l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris. Fondée en 2007 par agnès b., qui en est la présidente, l’association soutient de façon active ses élèves et les artistes qui en sont issus. L’association participe aussi à la programmation culturelle de l’École en créant chaque année de grands rendez-vous fédérateurs comme la remise des Prix des Amis ou la master class qui ouvre son dîner de gala. La master class de 2017 a présenté Giuseppe Penone ; celle du 10 décembre 2018 sera consacrée à Anselm Kieffer. Tout au long de l’année, l’association convie ses adhérents à de nombreuses visites d’art contemporain à Paris et en province. Elle leur ouvre également les portes de l’École, leur donnant accès à ses richesses (lieux historiques, expositions, collections) et à ses ateliers de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Ouen, ce qui leur permet de rencontrer les professeurs et les élèves qui y développent leur pratique artistique. Enfin, les Amis des Beaux-Arts de Paris parrainent et soutiennent quelques élèves au cours de leurs études et les accompagnent lors de leur insertion dans la vie professionnelle, durant les cinq années qui suivent leur diplôme. Chaque année, fin juin, au moment des portes ouvertes de l’École, l’association décerne ses prix à des élèves sélectionnés par un jury de professionnels de l’art. Ces prix sont financés par des mécènes privés. En 2018, six élèves ont été récompensés parmi quatorze étudiants présélectionnés. Il s’agit de Thibaut Bouedjoro-Camus (prix AGNÈS B.) ; Max Blotas (PRIX THADDAEUS ROPAC) ; Yoann Estevenin ( PRIX B E AUXARTS MAGAZINE) ; Agata Ingarden (PRIX DU CABINET WEIL) ; Bilal Hamdad (PRIX KHALIL DE CHAZOURNES) et César Kaci (PRIX DU PORTRAITBERTRAND DE DEMANDOLX-DEDONS). Cette année, l’exposition des présélectionnés se tenait dans la Chapelle des Petits-Augustins, haut lieu chargé d’histoire. D’excellente tenue, l’exposition a mis en valeur des univers personnels et variés. Le jury a choisi de récompenser quatre artistes aux pratiques multiples (vidéo, installation-écran, dessin, sculpture, céramique,

installation-sculpture) et deux peintres. Leurs œuvres présentées dans ces pages offrent un excellent reflet de l’enseignement artistique d’aujourd’hui, enrichi par la maturité d’étudiants entrés pour la plupart aux Beaux-Arts de Paris après un cycle d’études à l’extérieur. Elles révèlent de vraies personnalités et augurent d’un avenir prometteur pour ces jeunes artistes. Les travaux des lauréats, ont été présentés au public du 10 au 21 septembre 2018, lors d’une exposition qui s'est tenue dans les locaux d’agnès b. 17, rue Dieu à Paris. Outre la remise annuelle de ces prix, l’engagement des Amis des Beaux-Arts prend également la forme de deux bourses, dotées chacune de 5 000 euros. Elles récompensent des étudiants diplômés et sortis de l’Ecole depuis moins de cinq ans. En s’associant au Chassis, support engagé dans la défense de la jeune création artistique, l’association souhaite contribuer à la diffusion des œuvres de ses lauréats qui deviendront des artistes à suivre. Les Amis des Beaux-Arts de Paris remercient tous les mécènes et les adhérents qui ont contribué à la vie de l’association en 2018. Max Blotas MAXBLOTAS@YAHOO.FR

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MAXBLOTAS.COM INSTAGRAM @MAXBLOTAS Thibaut Bouedjoro +33 (0)6 88 45 43 23 THIBAUT.BOUEDJORO1@GMAIL.COM INSTAGRAM @BOUCAM_TBC Yoann Estevenin +33 (0)6 22 12 24 58 ESTEVENIN.YOANN@HOTMAIL.FR YOANNESTEVENIN.COM INSTAGRAM @YOANN_ESTEVENIN Bilal Hamad +33 (0)6 19 45 19 45 ARTBILO@HOTMAIL.COM BILALHAMDAD.COM Agata Ingarden +33 (0)7 50 99 20 17 AG.INGARDEN@GMAIL.COM AGATAINGARDEN.COM César Kaci CESARKACI@HOTMAIL.FR

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PRIX THADDAEUS ROPAC

MAX BLOTAS

En 332 avant notre ère, Alexandre le Grand conquiert les rives du Nil et devient Pharaon. Les grands travaux d’Alexandrie préfigurent l’uniformisation culturelle qui, tout autour des rives de la Méditerranée, transformera les cités, toutes conçues à l’image des autres, semblant alors former un grand réseau interconnecté de sœurs urbaines. Trois postes de vidéosurveillance (cctv) sont connectés à des boîtes en plastique d’où s’échappe le clair bruit d’une fontaine. Une télécommande permet d’apprécier plusieurs flux vidéo en direct d’une cité antique dans laquelle un éclairage LED simili soleil s’étale sur les parois en carton. De fortes vapeurs de vin rouge émanent de sous le couvercle, baignant la pièce d’une douce odeur sucrée et rancie. Max Blotas construit des systèmes qui questionnent le régime même de production et d’existence des images.

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Dans ses installations les objets produisent de façon autonome des flux de réalités parallèles,

filmés en direct. L’artiste créé des systèmes dynamiques complexes qu’il distord. Ces nouveaux espaces-temps indépendants rendent concrets les liens invisibles du réseau grâce aux décalages plastiques qui interviennent dans la réception des images. Ces simulacres sont pourtant toujours vrais. Ils précèdent le réel, et laissent entièrement intact le principe de la réalité, ne troublant que sa perception virtuelle.

*FINE*AEGYPTI*, 2018 Juin 2018 sculpture interactive, Vue d’exposition Prix des Amis des Beaux-Arts, écrans LCD, vidéo switch, cite hellénistique miniature, caméras de surveillance, éclairage LED « simili-soleil », vin rouge, pompe d’aquarium, Arduino, boîte acrylique vidéo en direct

©photo Carmen Aves


PRIX AGNÈS b.

THIBAUT BOUEDJORO

« Comme s’il y avait dans l’occupation du peintre une urgence qui passe toute autre urgence. Il est là, fort ou faible dans la vie, mais souverain sans conteste dans sa rumination du monde ». L’ŒIL ET L’ESPRIT, Merleau-Ponty.

Je m’es saie à cet te rumination par le langage de la peinture. Marqué cette année par le My the de Sisyphe d’Alber t Camus, j’explore des questions identitaires : raciales, familiales, philosophiques. Chargée de symboles qui me sont chers, je tente de faire de ma peinture l’exutoire de questionnements existentiels. Questionnements qui, je le crois, nous sont tous communs car ils sont la conséquence d’un constat  : celui du chaos. Par la mondialisation et la modernisation, nous faisons tous face à des contradictions fortes de valeurs,

de cultures, d’origine, de sexe. Être métis est une incorporation directe de cette tension du monde. Ce chaos peut également transcender le temps et ainsi toute chose est chargée de ses rapports aux autres. On peut alors reprendre l’idée du « Tout-Monde » d’Edouard Glissant. Il faut pouvoir penser le global et le local à la fois. Tous ces rapports, même les plus violents, s’intègrent dans ce «Tout-Monde». Par lui on peut éprouver le monde sans céder à son uniformisation. Alors le chaos est ordre, et de ce deuxième constat émane un calme. C’est ce calme qu’il m’est urgent de capter en peignant la substance des choses. Car seule la peinture, processus de création d’images des plus longs, permet d’appréhender la substance de ce qui est observé. SANS TITRE, 2017 Huile sur toile, 150 × 150cm

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PRIX BEAUX-ARTS MAGAZINE

YOANN ESTEVENIN

Quand j’imagine un nouveau projet, je tente de retrouver ma candeur d’enfance, lorsque mes yeux étaient encore vierges des codes de l’histoire et du poids qui colle aux images et aux objets, qu’ils les fantasmaient et les travestissaient encore de manière inconsciente. D’aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs, je pense avoir toujours voué un culte aux objets.

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Au travers de mes voyages, ma passion pour l’Objet s’est orientée vers les masques, costumes, livres et bestiaires du monde entier. Je m’intéresse à l’iconographie et aux objets de cultes développés par les différentes civilisations du monde, ancestrales et contemporaines. Leurs imageries ressortent dans mes œuvres, tels des souvenirs dans un rêve diurne. Les icônes et les démons, les costumes, le temps, les aires de jeux, l’anatomie et la magie m’intéressent tout particulièrement, et sont devenus des thèmes récurrents dans mon travail. Ces différentes formes mêlées au milieu desquelles j’évolue constituent le répertoire

dans lequel je viens puiser mon inspiration. Je crée les différents éléments qui composent mes œuvres en accordant une attention particulière aux liens tissés entre l’expérience des matériaux et la mémoire, entre le geste créateur, l’instinct formel et l’imagination visuelle. Cette curiosité plastique m’a amené à développer mon travail autour de différents médiums tels que la céramique, la forge, le bronze, le dessin et la gravure. C’est souvent le travail de la matière qui fait remonter en moi le souvenir de formes et d’images qui m’ont marqué, me les ramenant sous une forme nouvelle.

LA CONFRÉRIE DES DIABLES, 2018 Céramiques émaillées Vue d'exposition 10 ans de Céramique aux Beaux-Arts de Paris


PRIX KHALIL DE CHAZOURNES

BILAL HAMDAD

Pour peindre, je choisis des personnes anonymes croisées au hasard de ma vie quotidienne, des personnages solitaires, absorbés dans leurs activités, ou figés dans leurs attitudes insolites. En les représentant, cliché fugace d’un fragment de vie, je crée un espace pictural dans lequel j’interroge l’idée d’intimité qui s’en dégage à leur insu. J’essaie de mettre en valeur l’anodin, l’inaperçu, et rendre public son aspect privé, jardin secret, mais en le développant dans son côté sympathique, en une vision attirante et colorée. Dans mon travail, l’espace, notamment architectural, est très important. Le portrait qui y figure n’est pas seulement pour moi un visage, mais aussi un autre espace qui complète la dimension picturale. Fasciné par le travail de l’ombre et de la lumière, je mets en valeur leurs contrastes sur l’expression des visages, et sur les contours citadins. En d’autres termes, je capte l’instant, tout en développant mon œil, mon regard, au gré de

mes pérégrinations visuelles, où l’essentiel est exprimé, restitué au regard du public. Je peins la métropole parisienne en tentant de lui donner la forme d’« herméneutique de la surface » du sociologue allemand Siegfried Kracauer. Aussi, ma démarche plastique rejoint ce dernier, quand il déclare que « le lieu qu’une époque occupe dans le processus historique se détermine de manière plus pertinente à partir de l’analyse de ses manifestations discrètes de surface, qu’à partir des jugements qu’elle porte sur ellemême ». Observation du temps présent, cliché de la surface, donnant l’aperçu d’une histoire, autant personnelle que sociétale, mes peintures peuvent être assimilées à un reportage sur la métropole, sur sa vie passée et présente, et sur celle des gens qui y vivent.

ESCALE, 2018 Huile sur toile, 240 × 200 cm Collection privée

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PRIX DU CABINET WEIL

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AGATA INGARDEN

La Maison est loin de tout village. Elle a sa propre atmosphère qui fait d’elle un lieu idéal pour l’émergence d’un microcosme. La distorsion de la perception du temps et de l’espace, en lien avec l’époque singulière de l’année, dans le sens social (les vacances) et les conditions atmosphériques intensif iées (chaleur) permet l’avénement d’une situation spécifique. Une maison entourée d’un jardin d’oliviers, de figuiers et de grenadiers d’un côté, et de l’autre suspendue sur les rochers qui mènent à la mer devient la scène d’événements à peu près aussi importants que le reste. [..]L’apparition d’un serpent dans le jardin devient aussi important ou futile que ce que nous allons préparer pour le dîner ou savoir si le vent souffle de l’est ou de l’ouest. L’espace dans la maison et son environnement est limité. Montagnes au nord, mer au sud, une route sans fin à l’est (comme si quelqu’un avait oublié de dessiner la suite), un village à l’ouest. En s’approchant des limites, on se retourne toujours au centre. Même si elles sont loin dans la mer, les voix des nageurs s’entendent de la maison - plus ils s’éloignent, plus leur conversation semble claire. Tous les jours se ressemblent, de sorte que le jour de l’arrivée, chacun a le sentiment d’avoir toujours été là. On ne sait plus très bien

si c’est le premier jour car le cinquième sera exactement le même que le premier, et le dernier pourrait tout aussi bien être le premier.[..] Peu importe qu’on soit sur le point d’arriver ou qu’on ait passé là un certain temps, ne pas être là le jour présent équivaut à la non-existence. Si bien que le temps existe, ou n’existe pas, qu’aux abords de la Maison. Piégé dans une boucle hors du temps, on est restreint à un nombre limité de mouvements, d’activités à entreprendre, réduit à être tout simplement. On arrête de flotter à la surface de l’ennui et on le considère depuis les fonds de l’océan - l’extraordinaire calme présence. THE HOUSE STORIES, Agata Ingarden partie de “The House Project”

THE ARM, 2018 video 4'41'' min


PRIX DU PORTRAIT–BERTRAND DE DEMANDOLX–DEDONS

CÉSAR KACI

Dans mon travail, la vidéo est la base de la narration, le niveau zéro de l’illusion de réalité. Puis à la diégèse, au monde fictif, de déborder sur le réel. Installations, objets, décors, racontent une histoire autant que le font les films dans l’espace. Au même titre que la caméra ellemême, que l’on oublie sans ignorer, l’auteur et sa présence sont intégrés aux univers fictifs en tant que narrateur présupposé. Le voyeur et sa caméra sont le vecteur de fiction : le monde devient spectacle à partir du moment où il est observé. Le film est un discours indirect libre prononcé par le personnage caméra. Je suis aussi membre du groupe fictionnaliste. Composé d’artistes curateurs et théoriciens, nous organisons des expositions et publions des éditions. Ma vidéo, L’aube Blanche, est une fiction documentaire pour laquelle j’ai suivi et pris en photo deux inconnus dans des lieux publics de Richmond, Virginie. La vidéo composée des scans de ces photos invente, via un rapport d’enquête narré en voix off, une vie à ces passants anonymes. Une histoire de culte néochrétien qui soulève cette dualité du Sud des Etats-Unis   : raffinement, richesse et hospitalité cachent un héritage sombre d’esclavagisme

et de croyances religieuses décadentes. Ces personnages à double facettes s’inscrivent dans la tradition littéraire de la Southern Gothic Fiction.

8 L’AUBE BLANCHE, 2018, vidéo, 10' min

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Rencontre avec

Membre du groupe de collectionneurs Lumière, mécène de l’espace d’exposition associatif Atlantis, vice-président du comité exécutif de Marseille Expo 1... Sébastien Peyret est une personnalité qui compte sur la scène artistique marseillaise. Pharmacien dans la vie, cet actif quinqua collectionne l’art contemporain depuis une dizaine d’années et porte son engagement envers les artistes qu’il apprécie bien au delà de la cité phocéenne. 28

Sébastien PEYRET © Salim Santa Lucia, pour leChassis

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Par Romain Semeteys


Sébastien PEYRET © Salim Santa Lucia, pour leChassis

C’est vraiment l’urgence de notre époque qui m’intéresse, qui me fait avancer

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Sébastien, comment vous est venu le goût de la collection ?

Sébastien Peyret        Je crois, en prenant du recul, que tout est

finalement parti de la musique. Avant de collectionner l’art contemporain, j’étais un grand amateur de vinyles. Cette passion a commencé lorsque j’étais étudiant, j’étais du genre à partir dans une recherche effrénée de rares pressages d’un groupe américain indé. Je préférais sauter un repas et économiser assez d’argent pour m’acheter la perle rare ! Voilà, ensuite le temps passe, disons qu’en m’embourgeoisant, j’ai commencé à aller vers d’autres centres d’intérêt, à m’intéresser à l’art.

Comment conciliez-vous ces deux univers relativement éloignés ? S.P.        Il faut bien comprendre que j’ai toujours eu cette

volonté de vouloir coller à mon époque, de la sentir, la décoder. Et qui de mieux que les artistes pour comprendre le monde actuel ? Si je ne m’étais pas intéressé à l’art contemporain, je serais passé à côté de tellement de choses... Quand je bois un verre avec Neil Beloufa ou Camille Blatrix, les mecs ont toujours un temps d’avance, ils réfléchissent tout le temps ; ils sont dans la vitesse, la modernité. Je veux savoir ce qui se passe maintenant, tout de suite. Pour moi, il n’y a aucune logique pérenne dans l’art. C’est vraiment l’urgence d’une époque qui m’intéresse.

Alors, que recherchez-vous spécifiquement dans vos acquisitions ?

S.P.       Je collectionne l’art contemporain depuis 1o ans

maintenant, mais je dirais que je suis en accord avec ma collection depuis vraiment 4 ans. Je me dégage de plus en plus

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de la partie conceptuelle de l’art qui ne m’intéresse plus vraiment. Plus j’avance, et plus je remarque que ce qui m’intéresse dans une œuvre c’est un côté un peu weird, ce petit truc inexplicable, qui fait assurément la différence pour moi. J’aime le bizarre, les pièces qui me dérangent, je suis presque dans une approche mystique de l’art.

Vous pensez à des artistes en particulier qui ont ce rapport à l’étrange ?

S.P.       Pendant longtemps j’ai acheté beaucoup de sculptures,

mais pour des questions de facilité, c’est vrai que la peinture est bien plus pratique quand on collectionne ! Je pense à Neil Beloufa et la finesse de ses recherches sociologiques, Renaud Jerez qui imagine le corps humain du futur, Jean-Marie Appriou l’artisan façonnier, et Camille Blatrix avec sa poésie surannée… À mon sens, ces quatre là font partie des tous meilleurs de leur génération. Au niveau international, je rajouterai Gili Tal, Tobias Spichtig, Chadwick Rantanen, Olga Balema...

Votre soutien envers la création passe-t-il aussi par d’autres actions, moins individuelles ?

S.P.        En effet. Nous avons monté un groupe de

collectionneurs sur Marseille, Lumière, avec une dizaine de copains. Mais attention, nous ne sommes pas du tout dans une optique d’investisseur ou je ne sais quoi. Cette initiative part principalement de la frustration de ne pas pouvoir acheter des œuvres plus ambitieuses, plus grandes. Avec ce système, chacun met une somme dans le pot commun, et on fait ensuite tourner les œuvres chez chaque participant, tous les mois. Nous avons également monté Atlantis, un lieu d’exposition associatif rue du Chevalier Roze à Marseille. C’est un espace entièrement privé, qui ne reçoit pas de subventions publiques, pour nous permettre de garder une totale indépendance. Bien sûr, c’est forcément un sacrifice financier pour nous, mais l’idée est de construire quelque chose de vraiment qualitatif, sans aucun retour direct. Si ce n’est de la satisfaction.

Suite à ces démarches, vous êtes-vous aussi engagé auprès de Marseille Expos1 ? S.P.       Effectivement, je siège au conseil d’administration

de l’association en tant que vice-président. Je pense avoir été sollicité par l’équipe pour le regard que je peux avoir sur l’international et les différentes expériences personnelles vécues à l’étranger, dans des foires d’art ou des événements artistiques intéressants.

Marseille semble beaucoup se dynamiser, non ?

S.P.        Mais oui, il y a une effervescence incroyable,

c’est excitant. Il faut savoir que nous sommes partis de loin, la ville était bien « bordélique ». La clef du succès a été de s’ouvrir, de faire venir des gens de l’extérieur. Bien sûr la gentrification est aussi passée par là, mais il faut désormais garder un bon équilibre entre le populaire et les ambitions de chacun.e. Pour résumer : Marseille est devenue sexy. | Association créée en 2oo7 dont l’objectif est de promouvoir l’art contemporain à l’échelle de la Métropole Aix-Marseille Provence.

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| 1 Renaud Jerez | Miroir noir | Vue de l’exposition | Les Abattoirs - Frac Occitanie

Toulouse | Courtesy de l’artiste et Crèvecœur | Paris © Sylvie Léonard | 2 Martin Soto Climent | Espace Lumière | 2017 | | 3 Exposition où va l'esprit | Espace Lumière | 2018 | | 4 Renaud Jerez | Metamorphosis | 2017 | Vue de l'exposition KAI10 | Arthena Foundation | Düsseldorf | Courtesy de l’artiste et Crèvecœur | Paris

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FAIRE RIRE LES INCONNUS Par Ana Bordenave

Élodie Merland  © Salim Santa Lucia, pour leChassis

Les mots vifs

d’Élodie Merland


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Élodie Merland  © Salim Santa Lucia, pour leChassis

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En se promenant à un détour de rue, un mot retiendrait notre attention. Une petite intervention viendrait perturber l’existant avec discrétion. Nous croiserions sans le savoir une œuvre d’Élodie Merland. Originaire du nord de la France, diplômée de l’École Supérieure d’Art du Nord-Pas de Calais DunkerqueTourcoing, puis de l’École Supérieure d’Art de Toulon, Élodie Merland navigue entre performance, édition, installation et graffitis d’un autre genre. Soulignant la réalité sans la flatter, l’artiste a exposé entre autres à Dunkerque, Rennes, Folkestone au Royaume-Uni, et Roubaix dont pour Watch This Space 9. | À notre arrivée, nous nous sommes arrêtées le temps pour vous d’écrire à la craie blanche sur un muret la phrase suivante : « Seul avec son propre silence ». Une grande partie de votre travail s’inscrit dans le tissu urbain et ces phrases que vous écrivez à la craie, à la bombe de peinture ou en collage en sont les exemples. Peut-on parler de réappropriation de l’espace, ou êtes-vous avant tout motivée par la recherche d’une nouvelle forme de communication ? | Prendre un bout de mur ou choisir d’investir un lieu, c’est me l’approprier pour un temps. Lorsque j’étais aux Beaux-Arts de Toulon, l’un de mes projets consistait ainsi à aller chaque dimanche pendant un an dans une cabine téléphonique où j’invitais quelqu’un à m’appeler. Je les nommais mes Galeries d’une heure (2oo9-2o1o). Ce qui m’intéressait avec les cabines, c’est que l’on peut se les approprier et y être rejoint par téléphone. C’est aussi un point de vue, comme un panneau d’affichage libre, un endroit que tu ne choisis pas, ouvert sur la ville.

ETRE A SEC DE TENDRESSE

Mes interventions ont également un lien précis avec le lieu et ce que j’en perçois. Lors d’une résidence en 2o16 à Folkestone j’ai réalisé un collage de papier peint avec la phrase « No time for a romance » dans un espace qui semblait idyllique, mais où il s’y entassait beaucoup de déchets. J’ai donc décidé d’écrire cette phrase, mais dès le lendemain le papier a été arraché et brûlé. À mon sens, cela prouve qu’elle y avait sa place. Folkestone est une ville paisible avec des ateliers d’artistes et un public éduqué pour l’art. La brûler était radical. Il n’y avait ni le temps pour une idylle, ni pour autre chose. | Si votre travail est lié à une exploration des lieux, quelle est votre relation aux personnes qui les habitent et les traversent ? Dans le projet des Galeries d’une heure, le public semble à la fois la source, le matériau et le destinataire.

ENTREVUE

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No time for a romance*

| Pour Les galeries d’une heure lorsque l’on m’appelait, je prenais une boussole et je décrivais Nord-EstSud-Ouest les passants, les voitures, les maisons… Cela devient des cartes postales de l’instant. La notion de carte postale me plaît, car je l’associe à des lieux où l’on n’a pas toujours envie de se rendre. Il y a un peu d’humour, un rapport à la poésie également. Travailler dans l’espace urbain met en contact avec un public plus large et différent que celui enfermé dans un musée ou une galerie. Le lieu a le pouvoir de s’adresser à cette diversité. J’apprécie d’écouter discrètement ce qu’il se dit aux endroits où j’écris. À Folkestone sur le Zig Zag Path, j’ai noté le mot « Breathless ». La promenade très pentue laisse les passants essoufflés et il se trouve là un point de vue où les arbres coupent cette vue vers l'horizon. C’est une petite victoire de réussir à faire rire dans une autre langue, et il est aussi incroyable que le mot reste depuis deux ans, bien que tout soit tagué autour ! | À propos de votre résidence à Roubaix en 2o17 avec le programme Watch This Space, vous avez dit mieux vous exprimer avec des mots, avoir besoin d’écrire. Cela est-il toujours le cas ? | Le texte est essentiel dans mon travail comme matériau et comme accompagnement, car un certain nombre de mes projets nécessite une explication. Mes inspirations sont également souvent littéraires. L’expression Bruits de fond vient de Georges Perec, le projet des Galeries d’une heure évoque La vue (19o3) de Raymond Roussel bien qu’il décrit des choses sorties de son imagination.

Pour faire écho à la question précédente, les mots ont pour moi une fonction de communication avec le public dans l’espace urbain. Pour chacun de mes projets, j'utilise la langue du pays : en anglais à Londres et Folkestone, en tchèque à Prague, en français à Paris et Roubaix, etc. Je ne parle pas toutes les langues, mais je fais en sorte de trouver les bonnes personnes pour m'aider à traduire. Ces traductions sont importantes pour que mes mots soient compréhensibles par le plus gr and nombre. D'autres fois, j’ai joué avec ma mauvaise maîtrise de la langue comme dans l'édition Parler des mots dits (2o16), résultat de ma résidence à Folkestone. Pendant six semaines, j'y ai écrit un journal sur ma confrontation avec la langue anglaise, mes difficultés d'échange, mes incompréhensions. J'ai tenu à ce que celui-ci soit publié sans correction, afin que ce soit mon propre anglais avec ses maladresses et ses erreurs. Les langues m'intéressent comme un matériau à chaque fois différent. | Il y a l’écriture musicale également, que l’on peut voir plus qu’on ne l’entend dans le Concert pour 52 cabines téléphoniques (2o1o). Cet intérêt est-il issu d’une éducation musicale ?

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BREATHLESS  | Folkestone  | 2016  | Installation in situ  | Bombe de peinture aérosol  | Tirage photographique sur alu dibond | 30 × 40 cm.

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SMILE IS NOT LAUGH  | Folkestone  | 2016  | Installation In situ  | Lettres adhésives  | Tirage photographique sur alu dibond | 30 × 40 cm.

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ALONE IN HIS OWN SILENCE  | Londres  | 2016  | Installation in situ  | Craie blanche | Tirage photographique sur alu dibond | 30 × 40 cm.

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ESCAPADE | 2018  | Installation | Acier corten | 974 × 487 × 115 cm.

| J’ai utilisé l’écriture musicale, car le son m’intéresse à travers les bruits de fond. En utilisant les cabines téléphoniques, j’ai eu envie de réaliser un concert que personne ne pourrait entendre dans son intégralité. Leurs tonalités sont différentes selon leurs dates de fabrication, mais elles ont une durée identique. J’ai donc composé une partition, réuni 52 personnes pour 52 cabines et un chronomètre en guise de chef d’orchestre. Le concert ne s’adressait pas au public présent, mais aux passants bien qu’ils ne puissent pas savoir ce qui se jouait et ne pouvaient entendre qu’une cabine, un instrument. À cette époque, je n’avais aucune formation musicale. Je me suis plus tard inscrite au conservatoire. Il me semblait logique d’apprendre à lire la musique. C’est comme apprendre une nouvelle langue. Par ailleurs, les partitions sont un objet qui m’attire esthétiquement, car ce système d’écriture particulièrement sur les partitions contemporaines, crée des formes esthétiques autres. | Comme le reste de vos œuvres vos performances sont discrètes et intimes. Pour Is she Counting Waves (Folkestone, 2o16) vous pointez le doigt sur l’horizon sans un mot. Avec Love is waiting (Folkestone, 2o17) le texte et le mouvement sont passifs et répétitifs. La performance cependant est une forme artistique que l’on imagine active et extravertie. Vos mises en scène semblent cultiver cette contradiction ? | Love is waiting est une des rares performances dans lesquelles je parle. Souvent, cela se résume en un geste que je fais durer. Avec Vois mon souffle sur le même thème, je déplaçais des lettres en béton pour écrire « Je plierai les draps seule » en enregistrant mon souffle augmenter peu à peu. L’ennui du public m’intéresse. Par ailleurs, Love is waiting est un texte personnel, mais ce qui me plaît lorsqu’on parle d’amour c’est que tout le monde s’y retrouve. C’est en tout cas ma conclusion après l’avoir joué à Folkestone. | Vous créez une rencontre entre vos histoires personnelles et une volonté d’universalité ? | Lors de ma résidence à Roubaix, j’écrivais à la première personne du singulier, car mon travail dans cette ville se développait à partir de mon histoire personnelle. Cependant à cette exception près je préfère éviter d’utiliser le « je ». Plus récemment, j’ai également réalisé une résidence à Bourbourg dans une maison de retraite où les résidents perdent la mémoire. Les phrases que j’ai écrites à la suite sur des tôles d’acier parlent de solitude, de manque de tendresse, d’envie de mourir ou de sexualité : « Le temps ce n’est plus de notre âge », « Prends-en plusieurs ça ne se voit pas ». Je voulais que ce soit des phrases que tout le monde aurait pu prononcer. Si ce que j’écris est toujours issu d’un sentiment personnel, je m’adresse à tout le monde.

ENTREVUE

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A   Vue de l’exposition « Buveurs de Quintessences » à la Fonderie Darling - petite salle, 2018 © Maxime Boisvert

Entretien avec Caroline Andrieux Propos recueillis par Nathalie Desmet

La Fonderie

B    Vue de l’exposition « Buveurs de Quintessences » à la Fonderie Darling - Grande salle, 2018 © Maxime Boisvert

Darling

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Réseautage


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Depuis quand existe la Fonderie Darling ? Quelles étaient, au début, les orientations de ce lieu et comment a-t-il évolué depuis ? (1)     La Fonderie Darling existe depuis 2oo2. Le premier bâtiment, celui des expositions, a été inauguré en juin, le deuxième, celui des ateliers des artistes en octobre 2oo6. L’objectif est identique depuis que je m’implique dans la réhabilitation de lieu : créer un centre d’art alternatif qui abrite à la fois un pôle de création et de production, avec la mise en place d’ateliers d’artistes locaux et de résidences internationales et un pôle de diffusion par l’organisation de différentes plates-formes qui visent à mettre en contact le public et les œuvres : expositions, performances, lectures, ateliers portes ouvertes, ateliers créatifs. Les orientations ont évolué principalement avec la conception de la Place Publique dans la rue, devant les bâtiments, depuis maintenant 11 ans. Sa vocation est de devenir permanente toute l’année, mais pour le moment nous l’opérons seulement durant l’été. Nous avons développé un cycle de performances, une fois par semaine durant 12 semaines. Ce format d’expression permet de développer des publics, de mettre en contact les artistes et le public et d’animer le quartier, de faire réfléchir la population de proximité sur différents enjeux. Il y a aussi une forme de critique de l’art public qui impose souvent des « monuments ». Nous mettons les artistes au cœur de notre projet.

La Fonderie Darling est à la fois lieu d’exposition, lieu de production et lieu de résidence pour des artistes québécois, mais aussi étrangers. Comment s’articulent ces activités ? (2)     Les interactions entre les deux pôles se font de manière organique, par exemple lors des vernissages où les artistes peuvent ouvrir leurs portes au grand public. En accédant à l’espace de travail des artistes, en voyant des œuvres en train de se faire, en posant des questions sur les processus de création, cela facilite la compréhension des œuvres dans les expositions. Pour l’artiste, ces regards « non autoritaires » permettent d’affirmer ou de réviser certaines pistes. Bien que ce ne soit pas une obligation, de nombreux artistes qui ont un atelier exposent dans les salles d’exposition. La proximité de l’atelier aide à la compréhension de l’espace. Les artistes en résidence ont l’obligation de faire une présentation publique, ce qui permet des discussions avec un plus petit groupe. Celles-ci sont souvent suivies d’une visite de l’atelier. Les interactions entre les artistes locaux et internationaux sont nombreuses et durables.

Vous avez un rapport privilégié avec la France, de nombreux artistes français ont d’ailleurs séjourné à la Fonderie. Qu’apportez-vous de spécifique à ces artistes en résidence ? (3)     Il n’y a pas vraiment de différence pour l’accueil d’un artiste français et celui d’une autre nationalité. Je crois que la particularité de nos résidences est d’être immergé dans un lieu hautement professionnel tout en bénéficiant d’un encadrement humain et amical. De petites communautés se forment et fusionnent, comme celle des artistes étrangers en résidence, car ils ne sont que 4 à la fois. Il y a la communauté des artistes locaux, des stagiaires, des employés. Nous organisons des programmes de réseautage dédié à chaque artiste en portant une attention particulière à son travail et le mettant en contact avec des professionnels qui pourraient être intéressés. Étant donné que je suis française d’origine, ainsi que d’autres employés, il y a évidemment

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une complicité inéluctable qui opère. Les projets auxquels j’ai été associé en France — Usines éphémères, Hôpital Éphémère, l’Usine de Méru... — m’ont permis de bien connaître la scène artistique et les démarches des artistes. Également, depuis 25 ans, nous organisons des résidences en France pour des artistes et des commissaires québécois et canadiens. Cette année et depuis 2 ans, grâce au soutien de l’Ambassade du Canada, de la Ville de Paris et de La Panacée, des commissaires canadiens séjournent à Paris durant la FIAC, profitant de tous les programmes mis en place autant par la Foire que par des institutions (Institut Français, Fondation Ricard...), puis se rend à Montpellier, à l’École des Beaux-Arts pour y faire une conférence et dans le centre d’art pour présenter son travail et s’inspirer de celui réalisé.

Vous venez récemment de faire écho à l’exposition inaugurale « Ultra vide » avec « Buveurs de quintessences ». Cette dernière sera d’ailleurs montrée au Casino Luxembourg-Forum d’art contemporain en janvier 2o19. Que signifie pour vous cette réactualisation et quelles nouvelles orientations curatoriales souhaiteriez-vous insuffler pour les prochaines années ? (4)     De façon intuitive, je me suis intéressée au vide en art, et ce depuis 2oo2, lors de l’inauguration de la Fonderie Darling. J’ai souhaité comprendre les démarches des artistes dans cette quête du vide, ce qui m’a mené à réaliser une thèse de doctorat bientôt achevée. Cette recherche m’a permis d’approfondir ces démarches qui prennent ancrage dans le New York des années 196o. À la lueur de plusieurs œuvres, j’ai mis en évidence qu’une intention critique tout autant qu’une recherche d’infini structuraient les œuvres, une articulation qui se retrouve dans de nombreuses œuvres d’art actuel. Les orientations pour les prochaines années seront principalement de poursuivre notre réflexion sur les espaces d’exposition et de choisir les meilleurs projets pour les activer, mêlant tout autant soutien aux artistes émergents, aux artistes reconnus qu’aux projets internationaux. Il y a des projets en gestation, mais je ne pourrais en parler que d’ici la fin de l’année 2o18.

http://www.fonderiedarling.org

Réseautage

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Adriana Disman | Thresholding | 2018 | Performance dans le cadre de l’exposition « Buveurs de Quintessences » | Fonderie Darling | © Christian Bujold

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Laissez la bohème aux bourgeois ; revendiquez le droit de vivre de votre rt.

adagp.fr

En tant qu’auteurs, les artistes ont des droits. L’ADAGP s’engage à leurs côtés pour les défendre. Etre un jeune artiste plasticien aujourd’hui

Etre un jeune artiste est une liberté magnifique, celle de créer, de s’exprimer et de questionner le monde. Mais c’est aussi une profession qui demande un véritable engagement face aux difficultés qui jalonnent ce chemin : utilisation non autorisée des œuvres, risque de précarité, manque de reconnaissance et de soutien, etc. Pour aider les artistes et faire respecter leurs droits, l’ADAGP agit au quotidien auprès de milliers d’entre eux.

Vous avez dit ADAGP ?

Fondée par des artistes, l’ADAGP est la première des sociétés d’auteurs des arts visuels au monde. Ele représente 170 000 auteurs de tous les pays, dans toutes les disciplines des arts visuels : peinture, sculpture, photographie, design, bande dessinée, illustrateurs jeunesse, graffiti, art vidéo, art numérique, architecture... Au cœur d’un réseau international de 50 sociétés sœurs, l’ADAGP perçoit et répartit les droits des artistes, les protège et se bat pour l’amélioration du droit d’auteur. Elle répond à 3 missions principales : - Perception et répartition des droits d’auteur ; - Défense des droits d’auteur en France et à l’international ; - Soutien à la création.

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Dou


Pourquoi adhérer à l’ADAGP ?

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Adhérer à une société d’auteurs et revendiquer les droits qui vous sont dus participe à votre professionalisation. • Une équipe de 56 salariés s’occupe de gérer vos droits d’auteur sur tous les supports en France et à l’étranger, négocie vos droits, contrôle les utilisations de vos œuvres, vous libère de toutes ces démarches administratives ; • Vous bénéficiez d’un conseil juridique ; • Vous pouvez intégrer gracieusement vos images dans la banque d’images de l’ADAGP (ADAGP Images) et bénéficier d’une plus grande visibilité en France et à l’étranger ; • Vous participez au renforcement du secteur des arts visuels.

L’ADAGP soutient les artistes aux différentes étapes de leur carrière L’ADAGP conduit une action culturelle en soutenant financièrement des projets valorisant les arts visuels et leurs créateurs (salons, festivals, expositions). Elle accorde des aides directes aux auteurs des arts visuels afin de les soutenir à des moments clés de leur parcours professionnel. Les Révélations encouragent des artistes en début de carrière. Une bourse de recherche a été mise en place avec la Villa Vassilieff. Les bourses « Collection Monographie » aident les artistes ayant plus de dix ans de carrière à publier leur première monographie. L’ADAGP s’est également engagée dans des actions qui visent à améliorer la visibilité des artistes de la scène française à l’étranger. Enfin, elle contribue aussi au fonds de formation continue des artistes.

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SOUTENIR LA JEUNE CREATION L’ADAGP mène de nombreuses actions pour encourager les artistes émergents en partenariat, entre autres, avec le BAL, le Cnap, le Fresnoy, Jeune Création, le salon MAD, le salon de Montrouge, le Palais de Tokyo, ou encore la Villa Vassilieff. En 2018, l’ADAGP remettra 6 Révélations aux jeunes talents sélectionnés par un jury coprésidé par Philippe Ramette et Elizabeth Garouste. Les disciplines artistiques représentées sont diverses : • arts plastiques, • livre d’artiste, • bande dessinée, • illustration jeunesse • art urbain • art numérique – art vidéo. Les lauréats, célébrés lors de la grande soirée de remise des prix organisée au Centquatre-Paris en janvier 2019, reçoivent chacun une dotation de l’ADAGP et leur portrait filmé et diffusé sur le site d’Arte.

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Propos recueillis par

Chris Cyrille

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Après avoir étudié à la Haute École des Arts du Rhin (HEAR) de Strasbourg et à l’université Paris-Sorbonne, l’artiste pluridisciplinaire Ève Chabanon rejoint l’Open School East à Londres en 2o16. Elle est lauréate de la 9e édition du Prix Sciences Po pour l’art contemporain en 2o18. Fondé sur la collaboration, son travail (performatif, cinématographique, curatorial…) engage toujours plusieurs participants – souvent minorisés par des structures de pouvoir – autour de dispositifs ou de plateformes au travers desquels il s’agit de créer du commun ; à l’image de The Surplus of The Non-Producer, œuvre exposée à la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette (Lafayette Anticipations) dans le cadre de l’exposition « Le Centre ne peut tenir » (2o juin-9 septembre 2o18), pour laquelle elle a collaboré avec Abou Dubaev, un artisan stucateur, et plusieurs associations travaillant avec des personnes en exil. À cette occasion, l'œuvre exposée est à la fois une sculpture accompagnée d’un décor en arrière-plan, constitué de compositions florales qui évoluent chaque semaine, et un projet de film tourné à l'issue de l’exposition.

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| 01  Composition florale réalisée par Ana Véga pour la semaine d'inauguration de l'exposition «  The Center Cannot Hold  », à Lafayette Anticipations, 2018 © Courtesy de l'artiste

ÈVE CHABANON


| 01  Composition florale réalisée par Ana Véga pour la semaine d'inauguration de l'exposition «  The Center Cannot Hold  », à Lafayette Anticipations, 2018 © Courtesy de l'artiste

L’art de créer du commun

Votre travail est souvent collaboratif, que ce soit dans votre performance Antisocial Social Club organisée à la mairie de Barking près de Londres où vous rejouez un débat politique au sein d’une chambre municipale avec des résidents, ou dans votre œuvre The Surplus of the NonProducer réalisée en collaboration avec le stucateur Abou Dubaev. Quelle place cette dernière prend-elle dans votre travail ? É v e C h a b a n o n : J’ai très peu travaillé de manière non collaborative. Ma pratique est toujours contextuelle. Par exemple, pour la Fondation d'entreprise Galeries Lafayette, la demande était de travailler avec Thot, une association parisienne proposant des cours de langue française à des personnes en exil. Concernant la performance à Barking, elle résulte de six mois de vie sur place, dans un espace communautaire et artistique. Je démarre donc généralement avec le contexte donné puis les rencontres que je fais dirigent mes propositions. The Surplus of the Non-Producer est d’abord une sculpture — un plateau — issue d’un travail collaboratif avec l’artisan stucateur Abou Dubaev dont le métier est, entre autres, de copier le marbre avec une méthode très ancienne qui est le stuc. D’origine tchétchène, Abou Dubaev travaillait en Russie. Il est en France depuis quatre ans. Ce n’est ni un voyage ni une destination choisie, mais une chose qui s'est en quelque sorte imposée. Notre conversation a démarré sur la manière dont cette situation influence son travail et les difficultés réelles et symboliques qui se posent à lui, comme le manque d'offres d'emplois, d’espace et de matériels. Cette collaboration a donc été un bon point de départ pour introduire l'idée de « non-production ». Une autre personne très importante est Inès Mesmar. Elle a fondé La Fabrique Nomade, une association qui œuvre à la réinsertion professionnelle d’artisans en exil ayant obtenu le statut de réfugié en France. C’est par l'intermédiaire d'Inès que j’ai rencontré Abou. Puis il y eu une sorte de partenariat entre la

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Fondation et La Fabrique Nomade afin qu'Abou Dubaev puisse être salarié durant le projet plutôt que d'être rémunéré en tant qu’auto-entrepreneur ou artiste. Le statut de salarié permet en effet une prise en charge sociale plus importante, notamment en termes de santé, d'accès au chômage ou de logement. Ce qui est intéressant c’est que cela nous a aussi permis de dessiner, en contre-forme, certaines fragilités liées à la précarité (relative) du statut d'artiste. Comment est né ce projet ? É . C : L'une des trois curateurs de Lafayette Anticipations, Anna Colin – nous nous sommes rencontrées à l'Open School East – a proposé mon nom pour faire partie de l’exposition. J’ai ensuite rencontré François Quintin, directeur de la Fondation, qui m’a proposé de travailler avec Thot. Après ma rencontre avec les directrices de l’école, j’ai suivi une session entière d’apprentissage avec les apprenants, en tant qu'assistante de cours. Je me suis alors rendu compte de leur incroyable diversité en termes de cultures, d’âges, de classes, etc. J'ai aussi constaté, en discutant avec les classes, que très peu d’apprenants ont l'opportunité de continuer leur profession en France, quand cela était désiré. Cela m'a d'autant plus marquée que, pour ma part, ma pratique est un élément fondateur de mon identité et un pilier de mon équilibre mental en quelque sorte. C'est durant cette période que j'ai commencé à travailler avec Marianne Pierot, avocate spécialisée dans le droit des étrangers, rencontrée par l'intermédiaire de Thot. L'idée initiale était de trouver des failles dans le système en s'intéressant aux facilités de mobilité inhérentes au statut d'artiste en France. Nous nous sommes alors interrogées sur les moyens d’utiliser ou détourner ce statut pour faciliter l'accès à l’emploi pour des personnes en exil. Comment vous êtes-vous partagé la production avec Abou Dubaev ? É . C : J’ai proposé à Abou de réaliser une pierre massive, d’inventer ensemble un minéral. Puis, au fur et à mesure, la pierre s’est réduite à un plateau qui servira de « pièce de conversation » pour le film à venir. La mise en place a été laborieuse au départ, pour des raisons de communication (Abou débute l'apprentissage du français et ma connaissance du tchétchène est assez limitée) et de

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| 02 & 03  Eve Chabanon et Abou Dubaev lors de la production du plateau dans les ateliers de Lafayette Anticipations © Courtesy de l'artiste | 04  Composition florale réalisée par Ana Véga pour la semaine d'inauguration de l'exposition «  The Center Cannot Hold  », à Lafayette Anticipations, 2018 © Courtesy de l'artiste

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méthodologie. Dans sa pratique, Abou a comme ambition de copier la réalité, de créer une confusion entre l'artificiel et le réel. Je lui ai donc proposé des photos de pierres « Paesine », dites aussi « marbres ruines » ou « pierres à image », parce qu'elles sont connues pour représenter des paysages entiers, des villes détruites ou des bords de mer… Nous avons modifié les formats des reproductions pour éviter la tentation de recopier, puis les couleurs, et petit à petit les textures. Au début, Abou m'a laissé observer la mise en place, puis il m’a montré comment travailler le stuc et on a fini par travailler à quatre mains. J'étais un peu son assistante. Nous avons, d'une certaine manière, tous les deux, essayé de sortir de notre zone de confort. Il a fini par me transmettre la technique. C'est un don extraordinaire, certainement bien plus précieux que ce que j'ai pu lui proposer à travers le projet. Avez-vous rencontré des difficultés ? É . C : Je n’aurais probablement pas, de moi-même, collaboré avec des personnes en exil. J'ai l'impression que le travail le plus efficace est certainement celui des activistes et des associations et non celui d'artistes « de passage ». Lafayette Anticipations est au centre, en termes de pouvoir politique, économique et médiatique, mais aussi en termes d'emplacement puisqu'elle se situe dans le Marais, au cœur de Paris. D'une certaine anière, en tant qu'artiste, je pouvais constituer une passerelle. Il faut savoir qu'en plus des associations déjà nommées, d’autres ont été au cœur du projet comme les Ateliers des Artistes en Exil, l'atelier de couture Mode Estime, ou bien le très beau projet du Pain et des Roses. Et puis il y a le problème inverse, c'est-à-dire la dette médiatique que payent constamment les personnes en situation d'exil. Nous nous sommes beaucoup interrogés sur les rapports d’ « exotisation », ou les façons de refuser de tourner certains corps en objets consommables d'empathie. Nous avons donc décidé de profiter de la plateforme Lafayette tout en reposant à chaque étape du projet deux questions : où est la violence (qui l'exerce, qui la subit) ? Et où est le risque (qui le prend qui le définit) ?

Comment évoluera votre œuvre commune ? É . C : Je travaille sur un film de fiction, Le Surplus du Non-Producteur, qui était le projet de départ lors de la création du plateau avec Abou, celui-ci en constitue le décor principal. L’équipe du film est principalement constituée de « non-producteurs », de personnes en exil qui n'ont a priori rien en commun. L'équipe est également le sujet du film. Un an et demi plus tard, il semble que le travail vient juste de commencer et il nous reste beaucoup à faire… Enfin, pouvez-vous nous décrire vos futurs projets collaboratifs ? É . C : Je travaille aussi en ce moment à un autre film pour le FRAC Grand Large à Dunkerque. On y parle des musées des Hauts-de-France et on y invite les conservateurs et directeurs de ces musées à se réunir autour de la fiction suivante : « Le musée brûle, vous ne pouvez sauver qu'un objet, lequel ? ». On leur demande d'éviter d'emporter une œuvre ou un artefact présent dans leur plan de sauvegarde et on dessine ensemble une sorte d'histoire parallèle des collections, en repensant par la même occasion la question de la valeur. Ce qui nous donne ensuite la possibilité d'aborder la question de la responsabilité et de l’autorité que chacun représente vis-à-vis de la préservation et la construction d'une mémoire collective. Le scénariste du film Le Surplus du Non-Producteur, Abdulmajeed Haydar, m'a aussi proposé de réaliser une web-série, écrite, produite et jouée par des membres de la diaspora syrienne exilés à Paris. Le projet est assez amusant, on en discute encore.

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| 05 & 06  Vue de l’installation lors de la première semaine, pour l'exposition «  The Center Cannot Hold  », à Lafayette Anticipations, 2o18. © Pierre Antoine

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WANTED

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Une sélection d'œuvres à moins de 5000 € 1) Radouan Zeghidour 3000 euros

Évasion | 201 8 Photo de peinture pariétale imprimée sur du cuivre brulé et figé dans un drapé de cire blanche,  80 ×  60 cm.

2) Sépànd Danesh 4500 euros

Conor Mcgregor, alias « La Méduse » | 2017 Acrylique et spray sur toile, 100 ×  80 cm Courtesy de l'artiste et BACKSLASH Gallery

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Loïc Le Gall, attaché de conservation au Centre Pompidou et commissaire indépendant

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La Mer (1999) de Nine Inch Nails Et quand le jour arrivé Map touné le ciel Et map touné la mer 2ooo ou 2oo1. Nine Inch Nails, le groupe du compositeur Trent Reznor, diffuse dans ses concerts un grand triptyque de Bill Viola pour un titre en particulier, La Mer. Ce morceau évoquait évidemment la mer, un de mes besoins fondamentaux, mais aussi de toutes nouvelles choses pour moi. Poésie créole et art vidéo. En creusant alors, des mondes inédits se sont ouverts. Francophonie et dérivés de langues d’un côté et art contemporain de l’autre. Les collaborations entre musiciens et artistes donnent l’occasion à tout un public pas forcément familier à l’art de son temps - dont moi-même à l’époque - de pouvoir s’y intéresser. Sonic Youth et Raymond Pettibon, Arto Lindsay et Kara Walker ou Lady Gaga et Jeff Koons créent autant de ponts entre des univers complémentaires, qui pourtant s’ignorent souvent encore.

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Hélène Giannecchini, écrivaine et critique d'art Une boîte à visage humain C’est une petite boite – elle tient dans la paume de ma main –, certainement en cuivre. Son couvercle a les reliefs d’un visage humain, ou presque. Un homme moustachu, coiffé d’une créature à queue de poisson me regarde de ses trois yeux. Je l’ai volée dans une chambre devenue immobile, je voulais un morceau de cet espace déserté. Quoi de mieux pour un souvenir que d’être une tête qui s’ouvre ? J’ai attendu plusieurs heures avant de l’ouvrir sur le quai d’une gare de banlieue pour y découvrir trois mégots : ma tête sacrée était un cendrier ! J’ai vidé ce crâne plein de cendres sur les voies en riant. Aujourd’hui posée sur une étagère, elle me rappelle que la mélancolie prend aussi des formes dérisoires.

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leChassis       �         Directeur de la publication et fondateur : Romain Semeteys

|    Rédactrice en chef : Nathalie Desmet    |    Directeur artistique : Thomas Guillemet

|    Photographie : Salim Santa Lucia    |    Contributeurs : Ana Bordenave, Chris Cyrille,

Nina Leger, Noémie Monier    |    Relecture : Sylvie Simmat

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|    Conseillère juridique : Camille Diotel    |    Typographie : Sporting Grotesque,

fonderie Velvetin, par Lucas Le Bihan    |    Zarbi Chassis, Thomas Guillemet

|    Date de parution : automne 2018

o |    Tous droits réservés Lechassis    |    Contact annonceur : romain@lechassis.fr

|    www.lechassis.fr    |    Cette revue est éditée par l’association Lechassis

|     Dépôt légal à parution. Les opinions exprimées dans ce magazine engagent la seule responsabilité de leurs auteurs

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|    La reproduction, même partielle, de tous articles, photographies, contenus est interdite

|    Revue semestrielle gratuite, ne peut être vendue

|    Impression en Lituanie : Repro

|    SIRET No 80776319800015

o                    |    Numéro ISSN est le 2553-1158

Sur la couverture : Dans l’atelier d’Edi Dubien, Photographies : Salim Santa Lucia pour Lechassis © Portraits : p.4—11 Edi Dubien. p.15 Charlotte EL Moussaed. p.28 Sébastien Peyret. p.36 Élodie Merland. Photographies : Salim Santa Lucia pour Lechassis ©

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KEN SORTAIS CHASSIS-EDITIONS.CO @CH ASSIS_EDITIONS


L’actualité de l’art contemporain

Des ressources Des dispositifs pour les artistes de soutien et professionnels à la création

Plus de 85 000 œuvres en ligne

500 événements par semaine dans toute la France, 2000 lieux référencés dans l’annuaire.

Offres d’emplois, appels à candidatures, aides, prix, bourses, résidences, guides pratiques, informations professionnelles sur l’activité artistique.

Deux répertoires d’œuvres achetées et commandées par le Cnap pour le Fonds national d’art contemporain. Ces œuvres sont susceptibles d’être prêtées et déposées auprès d’institutions culturelles.

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Des soutiens destinés aux artistes, aux théoriciens et critiques d’art, aux restaurateurs ainsi qu’aux structures privées (galeristes, éditeurs, producteurs audiovisuels).

Centre national des arts plastiques est l’un des principaux opérateurs du ministère de la Culture dans le domaine de l’art contemporain.

design graphique : God save the screen

www.cnap.fr


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