Lettres de la Marquise de M***au Comte de R***

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LETTRES DE LA MARQUISE DE M*** AU COMTE DE R***

Lettre XXXVII

La précieuse Madame de *** a donc enfin pris sur son austère vertu de vous faire la plus hardie déclaration qui ait jamais été. Mon Dieu! qu’elle m’a divertie, et que je vous suis obligée de m’avoir donné ce plaisir! Que de langueurs! que de douleurs! quel fatras! Sérieusement les infantes n’auraient pas écrit d’un autre style à leurs ennuyeux chevaliers. Vous me sacrifiez donc cette belle aventure? je vous en remercie de bon cœur; mais me permettrez-vous de faire mes réflexions sur les motifs du sacrifice? vous craignez l’ennui, et les beaux sentiments qu’elle vous aurait peut-être débités à toute heure, ne vous auraient pas amusé autant que mon étourderie. D’ailleurs faire toujours de longues dissertations sur le mérite de la constance; parler du plaisir qu’un amour détaché du vice cause à une âme délicate; n’oser rien espérer, ou dissimuler ses désirs; se faire un crime de profiter d’un moment heureux : voilà tous les plaisirs que vous avez imaginés auprès d’elle : mais détrompez-vous. Les femmes qui paraissent si sévères, ne sont pas les plus inaccessibles aux désirs; et celle-ci en lisant les romans, n’en a que mieux connu la nécessité de les abréger. Vous n’auriez pas tant souffert sous son empire que vous avez pu le croire, et son impatience prévenant la vôtre, ne vous aurait pas laissé un seul jour dans le doute d’un bonheur parfait. Que vous êtes bon! vous pouviez si bien ménager cette infidélité, que je ne m’en serais pas aperçue. Comment avez-vous pu vous refuser au charme de compter une 92


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