La Russie d'Aujourd'hui

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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO

Opinions

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LA DIPLOMATIE RUSSE S’AFFIRME Andreï Ilyashenko POLITOLOGUE

A IGOR DEMKOVSKY

ENTRE KIEV ET MOSCOU Alexandre Baounov JOURNALISTE

L

’Ukraine se plaint que le gouvernement, pourtant élu par son peuple, ne laisse pas le pays intégrer l’Union européenne. L’Europe est fâchée que le Kremlin empêche l’Ukraine d’intégrer l’Union européenne. L’UE n’est pas la panacée, mais on ne dit rien à ce sujet. Ni sur certaines réalités du triangle Ukraine-Russie-UE. La vérité est que la famille européenne ne brûle pas du désir d’accueillir l’Ukraine dans son cercle intime, comme bien d’autres pays d’ailleurs. Il y a dix ans, rappelons-nous l’indignation des Grecs, vexés que l’Europe se proclame descendante de l’Empire de Charlemagne. Je partage l’indignation des Grecs, mais je comprends Bruxelles. L’Europe se serait bien passée de parents pauvres comme la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, la Macédoine, l’Albanie, de la Lettonie, de la Lituanie et même de la Grèce et de Chypre, pourtant traditionnellement capitalistes. Elle tend aujourd’hui à dénigrer ces pays : qu’est-ce qu’ils font chez nous, qu’est-ce qu’ils nous apportent ? « La Roumanie et la Bulgarie doivent se réjouir d’avoir sauté à temps dans le train en marche », me disait en 2007 l’ambassadeur de l’Union européenne à Bucarest. Aujourd’hui, le tableau de la page 23 de l’Eurobaromètre montre bien que la grande majorité des pays membres, anciens

et nouveaux, considèrent que le processus d’élargissement de l’UE est terminé, selon un sondage pourtant effectué peu après le début de la révolution orange de 2004 en Ukraine. La famille européenne ne se soucie pas vraiment de l’Ukraine. C’est la Russie qui la préoccupe. Elle prétend s’intéresser à l’Ukraine mais n’a que la Russie en tête. Si les frontières de l’Ukraine débouchaient drectement sur le Caucase, s’il y avait seulement un océan et non un pays de l’autre côté de ces frontières,

la Russie devienne soudain plus proche de l’Europe que l’Ukraine ou quelque autre pays parmi nos voisins communs. Quels que soient le régime, le pouvoir ou l’idéologie en place à Moscou, l’Europe sera toujours plus proche d’un voisin de la Russie que de la Russie elle-même. Bien sûr, il y a un nouveau marché à explorer parmi d’autres enjeux, mais la raison majeure d’une association avec l’Ukraine ne réside pas tant dans l’attrait que représente Kiev pour l’Europe que dans la répulsion que celle-

Dans le triangle Ukraine-UE-Russie, Moscou pèse plus lourd que Kiev dans les décisions européennes

La famille européenne a aussi ses riches et ses pauvres et certains de ses membres sont plus égaux que d’autres

l’Europe agirait en fonction de ses rapports avec l’Ukraine uniquement et déciderait si celle-ci est une nation suffisamment fraternelle et européenne pour l’inviter ou non à rejoindre l’Union. Mais que ce soit pour l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie ou la Biélorussie, la famille européenne base ses décisions sur ses relations avec la Russie – même pas sur les dites relations d’ailleurs, mais sur le fait même que la Russie existe à la place de l’hypothétique océan, qui aurait évidemment été bien préférable. Dans le triangle formé par l’Europe, la Russie et les voisins de celle-ci, on n’imagine pas que

ci éprouve à l’égard de Moscou. L’image d’une Europe se portant au secours de l’Ukraine face à l’autoritarisme russe est fausse. L’Europe se prononcerait en faveur de n’importe quel autre voisin de la Russie plutôt que de la Russie elle-même quels que soient les occupants du Kremlin ou la façon dont ils se comportent. Ses frontières ne se situeront jamais ni le long du Pacifique ni de l’Oural. La frontière en question passe quelque part dans les environs du fleuve Dniepr à quelques kilomètres près. Voilà pourquoi l’Europe pense à la Russie quand elle parle de

l’Ukraine. Elle veut que l’Ukraine s’extraie du giron de la Russie et en assume les conséquences. Elle est parfaitement consciente que le jeu qui consiste à séparer l’Ukraine de la Russie aura un coût, mais elle veut que l’Ukraine le prenne à sa seule charge, emportée par son enthousiasme et sa croyance à un rêve. Car l’Europe qu’imagine l’Ukraine est évidemment un rêve – celui d’une famille dont tous les membres sont égaux, se tiennent bien et vivent dans la prospérité. Cette Europe-là n’existe pas. L’Europe a aussi ses riches et ses pauvres, et certains de ses pays membres sont plus égaux que d’autres. Une poignée de signatures prestigieuses au bas d’un document officiel ne peut pas changer les conditions sociales, l’importance numérique ou la qualité d’un peuple, le produit intérieur brut d’un pays ou son taux d’endettement par rapport à ses réserves. Quels que soient les sentiments qu’il inspire, le président biélorusse Alexandre Loukachenko entretient avec le Kremlin des relations qui sont plus d’égal à égal que celles des Grecs avec Merkel : imaginez ce qui se passerait si le patron d’une grosse entreprise allemande était arrêté en Grèce. À ce jour, il n’est pas un seul pays d’Europe orientale dont l’accession à l’Union européenne en ait fait un pays d’Europe occidentale. Article initialement publié sur le site Slon.ru.

LU DANS LA PRESSE LA NOUVELLE VOIX DE LA RUSSIE

LA VOIX DE MOSCOU

LA VÉRITÉ, RIEN QUE LA VÉRITÉ

PROPAGANDISTE-EN-CHEF

Piotr Tverdov NEZAVISIMAÏA GAZETA / 10.12

Éditorial

THE MOSCOW TIMES / 11.12

vec la fin de la Guerre froide, les menaces se sont déplacées au niveau régional ; aussi le fait que le monde a réussi à éviter de nouvelles guerres régionales est-il le principal succès de l’année 2013. Une guerre dite « humanitaire » contre la Syrie et une frappe préventive contre l’Iran étaient bien à l’ordre du jour, mais les efforts diplomatiques ont permis, au minimum, de reporter ces conflits. Dans les deux cas, Moscou a joué un rôle de premier plan, dicté par ses intérêts nationaux. Dans le cas syrien, la position fondamentale russe consistait à dire que le conflit intérieur ne devait pas servir de prétexte à un changement de régime sous la pression extérieure, même avec l’aval des Nations unies, comme ce fut le cas en Lybie. L’ONU n’a pas été créée dans ce but. L’avenir politique syrien doit être décidé par les Syriens avec l’aide, le soutien et la médiation de la communauté internationale dans le cadre d’un dialogue politique. L’été dernier, il est devenu clair que la principale force de l’opposition armée au régime d’elAssad était désormais composée d’organisations islamiques radicales qui partagaient les principes et les méthodes d’Al-Qaïda, ce qui va à l’encontre des intérêts de l’Occident, des régimes arabes laïques et de la Russie. Moscou et Washington se sont rapidement entendus pour organiser une conférence de la paix sur la Syrie. Cependant, l’utilisation d’armes chimiques dans les environs de Damas, imputée aux troupes gouvernementales, a contraint Obama à s’engager sur la voie qu’il évite soigneusement, la voie militaire. Lavrov, le chef de la diplomatie russe, l’a sauvé. Moscou a convaincu el-Assad d’accepter la liquidation totale de son arsenal chimique, ce qui a permis de neutraliser les arguments de ceux qui souhaitaient entrainer les États-Unis dans une nouvelle guerre régionale. La stabilité du Proche-Orient est préservée. Le régime de la non-prolifération des armes de destruction massive est renforcé, tout comme le rôle de l’ONU et du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix. Le scénario militaire a été évité dans le cas iranien également.

Tout en soutenant les sanctions de l’ONU à l’égard de l’Iran, Moscou a toujours exigé que le problème du nucléaire iranien soit réglé autour de la table des négociations. La Russie, qui partage une frontière commune avec l’Iran, cherche à empêcher non seulement le déploiement d’un programme d’armes nucléaires, mais aussi les troubles provoqués par les sanctions occidentales et le chaos généré par les frappes militaires. Le « Plan Lavrov », déjà élaboré depuis deux ans, prévoit l’abandon progressif du programme nucléaire contre celui des sanctions, pour s’éloigner, étape par étape, de la « ligne rouge ». Rien ne laisse présager des négociations faciles sur l’accord principal qui devrait rassurer la communauté internatio-

Le Kremlin doit ses succès internationaux au fait que ses objectifs recoupent les intérêts des autres acteurs nale et permettre à l’Iran de développer son industrie nucléaire civile en toute quiétude et, surtout, éliminer la menace du conflit qui pèse sur la région. L’année 2014 sera décisive. Il faut souligner que la diplomatie russe doit ces succès principalement au fait que ses objectifs coïncident avec les intérêts fondamentaux des principaux acteurs mondiaux. Mais parfois, cela ne suffit pas. L’année 2013 a aussi été marquée par une crise dans les relations russo-américaines avec l’affaire Snowden. Le Washington officiel est très contrarié que le lanceur d’alerte sur l’espionnage de la NSA soit hors de portée de la justice américaine. Mais il est difficile de croire que là est la vraie raison de l’annulation de la visite d’Obama à Moscou comme au temps de la Guerre froide. Le président américain ne pouvait risquer de rentrer de Moscou sans Snowden. N’empêche que Poutine et Obama se sont entretenus en privé lors du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg. Une autre rencontre est prévue à Sotchi en été 2014, à l’occasion du prochain sommet du G8. D’ici là, les diplomates des deux pays trouveront peutêtre la base d’un compromis. L’auteur est un spécialiste du Proche-Orient.

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Gueorgy Bovt

GAZETA.RU / 09.12

Par décret, Vladimir Poutine a démantelé l’agence de presse RIA Novosti et la radio La Voix de la Russie, pour former l’agence internationale « Rossiya Segodnya ». Deux raisons sont invoquées : économies budgétaires et nécessité de promouvoir une image positive de la Russie à l’étranger. La direction de la nouvelle structure a été confiée à Dmitri Kiselev, l’un des présentateurs de la télévision russe les plus loyaux à l’égard du pouvoir. Réalisé par Veronika Dorman

La décision de Poutine est logique dans un contexte de consolidation de l’élite autour de valeurs conservatrices. Pendant les trois mois où Poutine s’est battu pour la Syrie, il a dû passer son temps à expliquer aux pays occidentaux la politique russe, dont personne n’avait cure. Au cours de son troisième mandat, Poutine a fini par formuler les intérêts nationaux du pays. D’où la nécessité de créer une agence d’information étatique, « Rossiya Segodnya », pour expliquer, clairement et sans contradictions, à l’étranger proche et lointain ce que sont ces intérêts. La politique étrangère russe devrait paraître plus prévisible et logique qu’elle ne l’est aujourd’hui.

La réorganisation du mécanisme de propagande d’État, Ria Novosti, à la veille des JO de Sotchi, témoigne du fait que les ressources idéologiques et financières de l’État russe sont sur le point de se tarir. Il reste de moins en moins de gens auxquels le pouvoir peut confier la création d’une image positive de la Russie. Dans un contexte de stagnation économique, la Russie est en manque de fonds, même pour financer sa propagande. Il devient de plus en plus difficile d’expliquer nos intérêts nationaux au reste du monde, parce que ces intérêts ne sont pas compréhensibles pour la nation elle-même, et même parfois pour le pouvoir.

La nomination de Kiselev est l’une des réponses les plus prévisibles du Kremlin aux événements en Ukraine. Pour l’élite dirigeante, les événements de Kiev sont une conspiration occidentale contre les intérêts de la Russie dans l’espace post-soviétique. Kiselev ne cesse d’expliquer dans ses journaux télévisés que Kiev est devenu « le dernier champ de bataille », que les manifestants pro-européens sont en fait en « guerre contre la Russie ». Pour les leaders russes, maintenant que la confrontation avec l’Occident est irréversible, pourquoi faire semblant? Pourquoi rester respectable si pour l’Ouest, la Russie est un ennemi géopolitique qui doit être vaincu?

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