La Russie d'Aujourd'hui

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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

Opinions

LE PARTENARIAT UERUSSIE, JUSQU’OÙ ? Fiodor Loukianov POLITOLOGUE

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ors du 30ème sommet Russie-Union européenne ce mois-ci, le président russe, Vladimir Poutine, va sans doute, une fois de plus, prononcer un discours dans lequel il ne manquera pas de proposer à l’Europe une coopération stratégique et un rapprochement politique. Dans ce domaine, Poutine a toujours su rester dans la continuité. Que ce soit à la veille de son premier mandat, au début des années 2000, lorsque les perspectives de coopération étaient prometteuses, ou à la fin 2010, lorsque les rapports étaient plus tendus, ou encore pendant la période où il était Premier ministre, il a toujours tenu le même discours. La Russie et l’UE doivent mettre leur potentiel en commun, ce qui apparaît évident et indispensable pour faire face à la rude concurrence mondiale en ce XXIème siècle. Personne ne conteste ce fait. La difficulté reste de trouver le point de convergence. Pour l’UE, il paraissait évident que ce devait être le modèle européen, l’ensemble des valeurs et des normes de l’Europe unie. La Russie n’aurait qu’à les adapter, et en avant pour le rapprochement. Pour Poutine, la dynamique devait venir des deux côtés et mener à un partenariat sur un pied d’éga-

lité. Moscou contestait la volonté de l’UE d’imposer ses critères, sans toutefois rejeter le bien-fondé de certaines normes européennes. Avec le nouveau mandat de Poutine, bien des choses ont changé. La Russie a, en toute connaissance de cause, choisi de refuser le modèle qualifié d’européen. Dans les années 19902000, elle a vécu sa part de querelles avec ses partenaires européens sur les questions de politique et de valeurs, campant toujours sur ses positions, défendant sa « particularité nationale » et mettant l’accent sur l’impossibilité pour elle d’atteindre aussi rapidement le même niveau de démocratie que celui vers lequel les autres pays avancent depuis des siècles. Sans rejeter la recherche d’une vision et d’un objectif à l’échelle mondiale, Moscou a toujours revendiqué le droit de choisir la voie et le tempo pour y parvenir. Aujourd’hui, la Russie a tout simplement abandonné l’idée même de l’existence de cet objectif imposé de l’extérieur. Le modèle européen « standard » n’est plus un étalon pour elle et ses valeurs sont remises en cause. Moscou, qui refusait auparavant la notion même de « valeurs » et insistait sur la nécessité de trouver des intérêts communs, soutient aujourd’hui des valeurs très conservatrices. L’affaire Pussy Riot révèle la rupture à ce sujet.

En Europe, on parle de persécution politique, d’atteinte à la liberté d’expression ; en Russie, on emploie le terme de « blasphème ». D’un côté le progressisme européen et de l’autre, le conservatisme russe.

La rupture des valeurs est évidente : d’un côté le progressisme européen et de l’autre, le conservatisme russe

Les divergences politiques entraverontelles la coopération économique entre la Russie et l’UE ? Face à l’effondrement des principes moraux et idéologiques soviétiques et post-soviétiques, la société russe tente de trouver un autre socle. Le fait de se tourner vers les valeurs culturelles et religieuses traditionnelles n’est pas un phénomène exceptionnel. De plus, il n’est pas dit que l’identité nationale va se forger sur cette base traditionnaliste - le vent peut tourner. L’Europe, de son côté, n’est pas à l’abri de sérieux revirements au vu du

rythme et de l’ampleur des chamboulements internationaux. Néanmoins, pour le moment, les trajectoires entre la Russie et l’UE divergent et laissent peu d’espoir de rapprochement dans un avenir proche. En économie, c’est tout l’opposé. La Russie vient d’entrer dans l’Organisation mondiale du commerce. Ce n’est pas le coup de baguette magique qui va attirer la manne céleste des investissements internationaux, mais l’intégration de la Russie dans un cadre réglementaire international contribuera à rassurer les entrepreneurs étrangers et à leur donner des garanties. L’Europe n’avait pas attendu l’adhésion à l’OMC pour voir dans la Russie non seulement un fournisseur de matières premières, mais un énorme marché au pouvoir d’achat sans cesse croissant et un pays à la recherche de partenariats technologiques. Comme l’a révélé, dans un entretien privé, un haut fonctionnaire européen, la Russie représente pour l’Europe le dernier Eldorado, donnée non négligeable dans le contexte actuel de stagnation du marché européen et de l’instabilité des marchés mondiaux. Les entrepreneurs européens souhaitent vivement que les divergences politiques n’entravent pas leur coopération économique avec la Russie, pas plus qu’elles ne les avaient empêchés d’investir en Chine. Bien sûr, le climat d’investissement en Russie n’est pas au beau fixe, mais à défaut d’autres débouchés... Reste la question : comment parvenir à concilier ces deux tendances contradictoires - le désaccord idéologique et l’attirance économique ? Ou bien les partenaires européens devront fermer les yeux sur les particularités nationales russes, ou bien la Russie devra se tourner de nouveau vers le modèle politique européen ; sinon, la coopération économique risque de pâtir de ces querelles. Moscou a bien conscience des changements qui se produisent, particulièrement révélateurs sur le marché de l’énergie. L’âge d’or et la toute puissance de Gazprom sont révolus. Dorénavant, il va falloir se battre pour garder ses clients et adapter ses tarifs, en Europe mais aussi en Asie, vers laquelle la Russie se tourne de plus en plus. Sur le plan culturel et historique, la Russie est certainement plus proche de l’Europe et cela ne risque pas de changer. Mais l’Europe se retrouve soudainement reléguée à la périphérie. La Russie étant située aux trois quarts sur le continent asiatique, elle se doit d’y affirmer rapidement sa position stratégique. Et c’est sans doute vers quoi seront tournés ses efforts ces prochaines années. Rédacteur en chef du journal Russia in Global Affairs.

LU DANS LA PRESSE VRAIES OU FAUSSES PROMESSES?

Le discours du Président Vladimir Poutine à la nation était très attendu. Cette allocution annuelle est l’occasion d’énoncer un programme d’action, d’envoyer des signaux à divers groupes économiques ou sociaux, de rassurer et surtout de faire des promesses. Mais selon la plupart des observateurs, le chef de l’État s’est cantonné à des abstractions ou des sujets déjà évoqués maintes fois, en évitant les questions réellement brûlantes. Préparé par Veronika Dorman

RIEN QUE DES PAROLES

L’AUTOMNE DU PRÉSIDENT

RÉFORME SANS CONSENSUS

Éditorial

Éditorial

Boris Mejouev

GAZETA.RU/ 13.12

VEDOMOSTI/ 13.12

IZVESTIA/ 13.12

Le pouvoir commence à comprendre que le pacte social de la dernière décennie est rompu (les citoyens ne se mêlent pas des affaires de l’État qui ne se mêle pas de leur vie privée, tout en les faisant profiter de la rente pétrolière). Le président est au pouvoir depuis trop longtemps pour que les gens croient à ses paroles. Il est difficile d’être le « président de tous les Russes » dans un système où d’importants groupes sociaux et politiques ne sont pas représentés, en vertu du nettoyage opéré par Poutine lui-même depuis son arrivée au pouvoir. Son discours ne dit pas dans quel sens va la Russie. Et aucun nouveau pacte n’a même été défini.

Poutine a balayé l’éventail habituel des questions, en racontant comment vit le pays (parfois difficilement, mais de mieux en mieux, en somme) et comment il vivra bientôt (encore mieux), une série de mantras et de propositions. L’allocution était relativement courte, moins cohérente, moins concrète que d’habitude et imprégnée d’une certaine lassitude. Le message essentiel étant la confirmation de la stabilité comme caractéristique principale de la présidence de Poutine. Mais cette « stabilité » détonne avec une demande croissante de changement, formulée clairement par la société en 2012. Ce n’est pas la stabilité, c’est une stagnation.

Poutine fait un pas vers l’opposition, mais cette dernière est incapable d’en faire de même dans le sens de la conciliation, ce qui témoigne de sa faiblesse politique et de son inaptitude à jouer un rôle politique sérieux. Il est difficile d’imaginer que l’opposition puisse réellement avoir un impact sur le pouvoir aujourd’hui, comme par exemple Sakharov hier. Mais cet apolitisme de l’opposition reflète l’apolitisme de toute notre société. L’opposition ne peut soutenir un pouvoir pour lequel elle n’est qu’un obstacle à la conduite des affaires. Mais il faut admettre que le pas principal a été accompli : Poutine a reconnu la nécessité absolue d’une réforme politique.

L’ISLAM POLITIQUE ISOLE MOSCOU Evgueni Satanovski POLITOLOGUE

L

e « printemps arabe » se propage d’un État à l’autre, même si le processus a dérapé en Syrie. En 18 mois, la guerre civile a tourné à la lutte entre ethnies et confessions, avec ingérence étrangère. La récente visite du ministre des Affaires étrangères russe dans la péninsule arabique a démontré le refus des acteurs locaux de tenir compte de la position de la Russie. Alors que la chute du régime syrien ferait le jeu des forces djihadistes internationales, Moscou et Pékin ont bloqué, au Conseil de sécurité de l’ONU, toute résolution qui aurait débouché sur une intervention selon le scénario libyen. Ce qui n’exclut pas la délimitation d’une zone d’interdiction aérienne ; la création, à la frontière avec la Turquie, d’enclaves territoriales indépendantes de Damas ; ainsi que des opérations contre l’armée syrienne. La renaissance de l’islam politique au Proche-Orient est susceptible de s’étendre au-delà. L’éventualité d’un « printemps centrasiatique » en Ouzbékistan et au Kazakhstan grandit, surtout en cette période de changement de génération au pouvoir, avec le recours possible aux renforts kirghizes et tadjikes. Ce qui entraînerait la propagation de « l’islamisation démocratique » au Xinjiang chinois, à la région de la Volga et au littoral russe de la Caspienne. Il n’est techniquement pas impossible de provoquer des affrontements entre islamistes et autorités locales dans la zone transfrontalière russe et chinoise, en invoquant la liberté de religion et l’égalité sociale, avec le soutien de la communauté internationale. Les cellules salafistes d’Asie centrale et de Russie, ainsi que les sépa-

ratistes ouïghours de Chine, peuvent être sollicités avec des appuis financiers identiques à ceux du « printemps arabe ». Les capacités de la Russie à endiguer la menace islamiste sur son territoire ne sont pas négligeables. Mais la situation dans le Caucase du nord montre qu’il ne faut pas relâcher les efforts. Une coopération avec les gouvernements centrasiatiques est urgente dans la perspective du départ prochain des troupes occidentales d’Afghanistan. Le pouvoir d’influence de la Russie sur les États impliqués dans la propagation du « printemps arabe » est limité, voire nul. Le seul pays intéressé par un dialogue avec la Russie, en vertu de ses intérêts économiques, c’est la Turquie. Les monarchies du Golfe manifestent une hostilité croissante envers Moscou, et la rhétorique

Les États impliqués dans la propagation du « printemps arabe » craignaient l’URSS. La Russie les indiffère des médias sous leur contrôle rappelle l’époque de la guerre d’Afghanistan, à la différence près qu’ils craignaient alors l’URSS et que la Russie les laisse aujourd’hui indifférents. Quant à l’Iran, il n’éprouve aucune gratitude ni pour la résistance russe aux sanctions internationales à l’ONU, ni pour l’aide russe à la construction de la centrale nucléaire de Busher. On notera en passant que les sanctions sur l’exportation de gaz et de pétrole iraniens font plutôt les affaires de Gazprom et de Moscou... Evgueni Satanovski est président de l’Institut du ProcheOrient.

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