La quete numero 150 janvier12 decembre13

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Éditorial

Un bien p a s c o m m e l e s au t re s Après des années de tergiversations, le Québec semble finalement sur le point de se doter d’une politique du prix unique pour les livres. Il était temps ! Au cours de la dernière décennie, 10 % des librairies ont dû fermer leurs portes. Il n’en reste qu’environ 225 pour desservir l’ensemble de la province. L’avenir ne s’annonce guère plus rose pour celles qui ont survécu. En seulement quatre ans, soit de 2005 à 2009, les parts de marché des librairies indépendantes ont chuté de 38 % à 28 %, selon l’Observatoire de la culture et des communications du Québec. La politique du prix unique oblige tous les détaillants à vendre les ouvrages au montant fixé par l’éditeur pour une durée déterminée. L’instauration de ce plancher permet de contrer la concurrence agressive des grandes surfaces et des grandes chaînes qui liquident les bestsellers internationaux dès leur parution. Le palmarès des meilleurs vendeurs est le même pour tout le monde et ce sont ces mêmes livres qui permettent aux petits commerces locaux de survivre. C’est bien dommage, mais aucun libraire ne fera fortune grâce au dernier recueil de poésie de Serge Mongrain ou au plus récent essai philosophique de Will Kymlicka. Et vous ne trouverez pas ces œuvres, pourtant essentielles, sur les tablettes d’un Walmart entre Fifty Shades of Grey et un vieil Harlequin. Fournir un éventail diversifié de publications de qualité, y compris en dehors des centres urbains, est une fonction primordiale des librairies. 6

Le livre est un bien particulier. C’est le véhicule privilégié des idées et le poumon de la véritable liberté d’expression, celle qui a quelque chose à dire. Une librairie ou une bibliothèque bien garnie devrait être un service essentiel dans une démocratie libérale. À l’ère des opinions tous azimuts qui se bousculent sur les blogues et les lignes ouvertes, et qui encombrent les ondes radiophoniques tout comme les téléviseurs, il est précieux de pouvoir encore trouver des arguments articulés en plus de 140 caractères. La littérature est également garante de la vitalité de la langue et plus généralement de la culture. L’enclave qu’est le Québec ne peut se permettre d’ignorer ce fait. En barrant la voie aux rabais outranciers sur les bestsellers, le prix unique donne une chance aux auteurs d’ici et aux écrivains émergents. Acheter québécois est un principe plus facile à suivre lorsqu’il n’en coûte pas le double. Pour ces raisons, le livre ne devrait pas être soumis aux pressions excessives du marché de masse. L’uniformisation de l’offre n’a pas sa place sur les rayons des librairies. Malheureusement, depuis 2004, le nombre de titres publiés par les éditeurs québécois a diminué de près de 6 %. Selon une étude réalisée par deux chercheurs de l’École d’économie de Paris, le libre-marché fait diminuer le coût des meilleurs vendeurs, mais contribue aussi au gonflement de celui des ouvrages à plus faible tirage.

prix unique n’a pas affecté l’évolution du marché du livre dans les 14 pays où elle a été implantée. À titre d’exemple, la Finlande, la Suède et la Norvège ont vu les prix des livres croître de la même façon, bien que seule la dernière ait adopté le prix unique. Il n’y a donc pas d’inflation indue et l’accessibilité aux livres est préservée à long terme. Il faut rappeler que les associations réclamant le prix unique au Québec demandent une mesure qui n’affecterait que les neuf premiers mois suivant la publication et tolèrerait une variation de 10 % du montant fixé par l’éditeur. Qu’on se rassure, il sera donc toujours possible d’acheter Madame Bovary pour moins de dix dollars. Le prix unique ne ferait que donner un coup de pouce bien mérité à un milieu unique, qui en a un urgent besoin. Il ne faut pas oublier que le livre demeure la première industrie culturelle au Québec, selon le ministère de la Culture. Celui-ci génère 800 millions de dollars par année et près de 12 000 emplois. Les émules du matricule 728 qui décrient une énième subvention aux parasites artistiques peuvent contenir leur bile.

François Pagé

La même étude souligne d’ailleurs qu’en dehors d’un effet redistributif vers les œuvres plus marginales, la politique du

réalise l’espoir

Décembre 2012 - Janvier 2013


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