La gazette de la
15 juillet 2012 2 €
lucarne
n 50 o
La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris – tél. : 01 40 05 91 29 – http://lucarnedesecrivains.free.fr
e r u t i r c é n e e r u t i r c é D’ Fifty/fifty
Permis d’écrire
US Mission Geneva (performance aux Nations unies à Genève)/crative commons
Éditorial
Angélique Condominas
Cinquante, un beau chiffre, l’air de rien. À mi-parcours, à mi-vie. Quinquagénaire. À moitié. À l’égal. Fifty-fifty, à l’anglaise. Cinquante numéros, la moitié de la centaine. Quatre ans et demi de textes et de prétextes. D’écritures, de confitures, de déconfiture. Des amitiés nouvelles, des amitiés perdues. Cinquante pour cent, pas encore la majorité. Reste à conquérir l’autre moitié. Reste à parcourir la suite du chemin. Reste à poursuivre sa vie. Avec vous, avec d’autres. À traverser les cinquantièmes rugissants, les cinquantenaires mugissants. Alors, vous vous mettez sur votre cinquante-et-un pour le cinquante-et-unième ?
Armel Louis
E
lle était minuscule et je lui écrivais. In utéro, je lui écrivais. Je pensais, dérisoire, convoquer la chance, amadouer l’avenir autour de mon nombril, le sceller vers le bien. C’est fou, les mères et leur imagination. Je l’inventais du stylo, ça me donnait une contenance : elle était mon contenu, j’étais son contenant. Mes histoires de poupées russes habitaient mon silence, j’étais heureuse de ce bonheur fat de matrone assise sur son utérus. Et je lui écrivais, je l’écrivais, c’était juste entre nous, enfin, entre moi en somme. Le jour prévu, elle vint au monde, comme on me l’avait dit. Ça s’est fait naturellement, elle était à l’heure, c’est tout. Je n’ai voulu aucun des expédients qui apaisent les douleurs de l’enfantement. Je voulais mettre au monde « à l’ancienne » pour clouer le bec des vieilles pies. « Bonne mère », ça s’achète au rayon de la souffrance. J’ai voulu acheter mon lot en une seule fois. Je l’ai mise au monde dans la douleur, et ma foi, cela me parut soutenable. Elle,
c’était déjà une reine. Pas un cri, pas une plainte. La vie lui allait comme un gant dès la première inspiration. Les yeux grands ouverts, le souffle régulier, elle me scrutait de son petit regard sombre. Un regard qui t’oblige à être. Fini les sornettes sur tes bouts de papier : elle était autre. Il faudrait vivre, et ne plus rien inventer. Dès le début, elle prit ce qu’il y avait à prendre sans jamais rien réclamer. Dès le début, elle mit les voiles. Sans tambours ni trompettes, à sa mesure, elle mit les voiles. À quatre pattes, à deux pattes : loin là-bas, au fond du jardin du pont d’Asnières, sur ses petites guiboles, elle allait le plus loin possible. Elle n’oubliait jamais son chemin, elle n’oubliait jamais de revenir. Elle faisait sa route sans rien demander à personne. Elle était de ces bébés tranquilles qui, si tu leur piques leur doudou, Suite page 3.
Angélique Condominas : Auteur-compositeur, elle a chanté à La Lucarne des Écrivains en duo avec son compagnon Frank Schluk sous le nom de Frangélik. Elle a publié ses textes dans Mots Nomades.