La gazette de la
15 juin 2014 2 €
lucarne
n 70 o
La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris – tél. : 01 40 05 91 29 – http://lalucarnedesecrivains.wordpress.com
LE SPORT Les deux sports les plus populaires en France, en nombre de licenciés, sont le football et l’exercice souverain de la parole critique. JeanClaude Killy le confirme en ces termes : « Notre pays est incom parable, mais il n’est pas toujours facile d’être français. Le Français est, naturellement, un donneur de leçons. Il sait. Dans cette posture, il est quasiment unique au monde. » Guy de Maupassant, dans Fort comme la mort, avait déjà identifié cette gymnastique de la langue légèrement acerbe : « ils étaient exercés à ce sport de la causerie française fine, banale, aimablement malveillante (…) qui donne une réputation particulière et très enviée à ceux dont la langue s’est assouplie à ce bavardage médisant. » Alors, en bons Français, peut-on conseiller à nos coéquipiers tricolores d’être tout simplement un peu plus sport ? L’esprit du fair-play est plus efficace qu’un long discours et peut viser aussi juste qu’une simple expression amicale, comme celle utilisée si souvent par Gatsby, dans le roman Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald : « Old sport » – dont la meilleure des traductions en a été aussi la première : « Vieux frère ». Jean-Baptiste Féline
Le boxeur des ombres Bruno Testa
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out petit, je boxais mes peurs de mes poings rageurs, quand la lumière s’éteignait. Je me battais contre les ombres qui menaçaient de m’ensevelir, m’enlevaient ma mère dans le noir. Plus tard, je boxais avec mon père. C’était notre terrain de jeu, de connivence. Dans la cour de l’école, on jouait aussi à la boxe, parfois pour rire, parfois pour de vrai. À l’adolescence, je boxais mon image dans la glace. Je combattais mes boutons d’acné, mes rougeurs, inventant des uppercuts vengeurs face à un visage qui se dérobait. Je poursuivis durant des a nnées mon reflet jusque devant le miroir des toilettes des boîtes de nuit, vengeant par une garde souveraine mes échecs auprès des filles. Je tombai amoureux, la boxe s’éloigna. Je la retrouvai avec l’aîné de mes enfants quand
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Éditorial
revinrent instinctivement les gestes que j’avais eus autrefois avec mon père. J’étais cette fois dans l’autre camp et m’amusais des coups désordonnés de mon fils tout à sa fureur de me toucher tandis que j’esquivais. Nous assurions ainsi la continuité des hommes, des querelles jouées, assumées, querelles feintes qui rapprochent. La quarantaine venue, je boxais moins, ou de manière imaginaire quand quelqu’un m’énervait, au travail, en voiture, qu’il me fallait régler ces contrariétés dans ma tête. Une boxe dépressive pleine de fantômes qui ravageaient parfois mon cerveau amer.