La Gazette de la Lucarne n° 63 - 15 octobre 2013

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La gazette de la

lucarne

15 octobre 2013 2 €

n  63 o

La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris – tél. : 01 40 05 91 29 – http://lalucarnedesecrivains.wordpress.com

... De l’emploi du pseudo en littÉrature ... Éditorial

La bataille de

Marc Albert-Levin

Georges Nicole Lapierre

L

es œuvres les plus provocantes de Georges Bataille ont été publiées sous divers noms d’emprunt (Lord Auch pour Histoire de l’œil, Louis Trente pour Le Petit et Pierre Angélique pour Madame Edwarda), ses autres ouvrages étant signés de son p ­ atronyme. Une prudence compréhensible, dira-t-on, car son statut de fonctionnaire et l’emploi qu’il occupait à la Bibliothèque nationale étaient peu compatibles avec des publications érotiques alors confinées dans l’« enfer » des bibliothèques ­privées. Tel n’était pas, toutefois, son seul motif. Il a lui-même ­a ffirmé écrire pour effacer son nom et celui de son père. Et sans doute plus encore pour effacer l’image de ce géniteur terrifiant, malade, aveugle et impotent, rongé par la syphilis et fou, selon son

Patrick Le Divenah

« Tout le monde ne réussit pas comme moi à rester totalement inconnu sous une bonne demi-douzaine de noms de plumes. », me disait l’autre jour ce vantard de Zéglobo Zéraphim, alors que nous préparions ce numéro sur le thème du pseudonyme. En effet, les douze pages de cette gazette nous permettrontelles de savoir enfin qui nous lisons, qui nous avons lu ou qui nous lirons ? Qui sont ou qui furent en réalité Yasmina Khadra, Vernon Sullivan, Henri Beyle, Bernardo Soares, Ilan Halevi, Léon Camhais, Shatan Bogat, Pierre Trente ? Le Dictionnaire des pseudonymes, illustres ou inconnus, risque d’être encore plus volumineux que le Who’s Who. Vaut-il mieux être célèbre sous un pseudonyme qu’inconnu sous son vrai nom ? Question sans doute aussi oiseuse que de se demander s’il est préférable d’être riche et malade plutôt que pauvre et en bonne santé. Cri du nègre littéraire inconnu : « Surtout, ne pas être célèbre et ne pas payer trop d’impôts ! »

fils. Un fils qui aurait dû ne pas être et aurait préféré ne pas naître, de cet homme-là en tout cas. Dans son refus radical et farouche de l’héritage p ­ aternel, Bataille serait donc l’exemple parfait de l’auteur mû par un désir d’auto-engendrement que l’usage de pseudonymes vient confirmer et renforcer. En se renommant l’écrivain, créateur et démiurge, peut devenir à la fois père et fils de son œuvre. Or, cette bataille de l’effacement, Georges ne la gagne pas. Michel Surya, dans son éclairante biographie (Georges Bataille, La Mort à l’œuvre, Paris, Gallimard, 1992), montre Suite page 3.

Nicole Lapierre est également l’auteure de Causes communes, des Juifs et des Noirs, paru chez Stock, en 2011.


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