La Gazette de la Lucarne n° 60 - 15 juin 2013

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La gazette de la

15 juin 2013 2 €

lucarne

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La Lucarne des Écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 Paris – tél. : 01 40 05 91 29 – http://lalucarnedesecrivains.wordpress.com

V ari a t i o n s Éditorial Dans la langue française, le « tu » et le « vous » se font mutuellement de l’ombre et se regardent en chiens de faïence sans jamais se rencontrer : une bizarrerie de plus, me direz-vous, mais tellement précieuse dans les relations interpersonnelles ! N’est-il pas en effet délicieux de tutoyer tout à coup quelqu’un que les hasards de la vie ont mis sur votre chemin et que vous vous appliquiez jusqu’alors à vouvoyer, histoire de lui montrer que vous n’étiez pas encore entré(e) dans son intimité ? N’est-il pas confortable de vouvoyer des ados qui sont aussi vos élèves, pour bien leur signifier que vous ne les prenez pas pour des gamins mais aussi qu’il est hors de question de faire copaincopain avec eux ? Mais, quand la distance n’existe plus, je retiendrai la jolie formule de Luciana Donatella : « Je te dis tu, tu me dis vous, qu’importe au fond, l’essentiel passe entre nous et dans ce langage-là, tu et vous se confondent pour devenir tout simplement nous. » J’oserai pour clore le sujet, un conseil de lecture sous la forme d’un merveilleux petit livre de Raymond Jean intitulé Tutoiements, Seuil 2000. Caroline Rimet

et v ou s t u en

Je vous vois Hélène Tayon

M

es parents sont de petits bourgeois plu­ tôt gauche intello mais la sœur de Papa s’est entichée d’un aristo fin de race, un peu alcolo, qu’elle a épousé. Ils ont une fille qui vient de rentrer des States, plaquant une brillante carrière d’avocate d’affaires pour se consacrer à la reproduction des moutons noirs de Jersey sur les terres de leur château à moitié délabré, en Lozère. Tante Minette et Tonton Louis s’y sont installés avec fifille, la très opulente Laurine, et le trio n’arrête pas d’aider les brebis à agneler, aidé par Marcel, un grand berger velu qu’on dit être accro aux appas de la cousine Laurine, porteuse de boléros décolletés-serrés. On rentre d’une semaine là-bas, du matin au soir dans les bergeries bouseuses du domaine, c’est la saison des naissances. Hier, en fin d’après-midi, un agneau, juste sorti du ventre de sa mère, n’arrête pas de c­ ouiner. Tante Minette, un peu ­dépassée

par les aléas de la vie ovine, appelle sa fille d’une voix flûtée : « Chér ie, venez vite, il faudrait que vous coupiez le cordon de cette petite femelle, elle est empêtrée dedans. » La mère et la fille se vouvoient, on sait que c’est une tradition dans la famille de Tonton Louis... Laurine, les mains dans un placenta, crie sans se retourner : «  Maman, vous faites chier, c’est pas possible d’être aussi manche ! Vous seriez assez con pour laisser crever une bête ! Bon dieu, faut vous sortir la tête du cul, merde ! Marcel, apporte la Bétadine et frotte la bestiole, elle a froid ! » Le berger se précipite, mais, parce qu’il zyeute les seins de ma cousine, prêts à jaillir du caraco, il percute Tonton Louis, planté souriant

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