Galopin-sergent

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Qui aurait pu reconnaître aujourd’hui le petit conscrit qui, l’année précédente, suivait à contrecœur le sergent Rossignol ? Ce que c’est tout de même que l’orgueil militaire ! Il se développe sans qu’on y prenne garde, et l’ancien réfractaire devient peu à peu le modèle des soldats. Du jour où l’on endosse l’uniforme, on est tout de suite un autre homme, et l’on en arrive à considérer les civils comme des êtres inférieurs que l’on est obligé de protéger, parce qu’ils ne sauraient le faire eux-mêmes. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’on a pour eux du mépris, ce qui serait exagéré, mais on estime que ceux qui se font tuer, pendant que les bourgeois demeurent bien tranquillement chez eux, les pieds sur les chenets, méritent tout de même d’être placés audessus des « péquins ». Maintenant, j’étais grenadier et, qui plus est, caporal de grenadiers de la Garde. Nul sort ne me paraissait plus enviable, et je me voyais déjà sergent, avec la croix d’honneur sur la poitrine. Il s’agissait de la gagner, cette croix, mais je ne désespérais pas de l’obtenir. Quand je fus équipé, vêtu d’un bel uniforme neuf, j’éprouvai le besoin de me montrer et, avec Rebattel, qui n’était pas moins fier que moi de sa nouvelle tenue, nous nous promenâmes dans Paris, l’air hautain, lorgnant avec un sourire avantageux les femmes que nous croisions, et regardant insolemment les hommes. 170


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