barbey-histoire

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XI Un jour, sous la Restauration, – ni plus ni moins qu’un quart de siècle après la mort de cette Lasthénie de Ferjol dont j’ai dit la mystérieuse histoire, – sa mère, la barontie de Ferjol, qui avait survécu, et qui vivait toujours : – « Rien ne peut me tuer ! » – disait-elle avec la sauvage amertume d’un reproche à Dieu, qui l’avait épargnée, – la baronne de Ferjol dînait, en grande cérémonie, chez le comte du Lude, son parent, et, par parenthèse, l’un des meilleurs maîtres de maison de cette petite ville de Saint-Sauveur où l’on avait beaucoup dansé avant la Révolution, et même elle, Mme de Ferjol, alors Mlle Jacqueline d’Olonde, avec le bel officier blanc qui avait été son Ange noir ; car il l’avait vêtue de noir pour sa vie. À présent, on n’y dansait plus. Autre temps, autres moeurs ! Mais on y dînait. Les dîners y avaient remplacé les contredanses. Vieillie deux fois par le chagrin et par les années, on pouvait peut-être s’étonner de rencontrer dans la fête d’un dîner joyeux Mme de Ferjol, plus sévèrement pieuse que jamais, presque une sainte, si on pouvait être une sainte sans miséricorde. Elle y était, pourtant ! Cette femme, d’une force de caractère qu’on a pu juger, et l’ennemie de toute affectation extérieure, était 140


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