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La performativité du genre est un concept issu des théories de Judith Butler qui réfère au caractère répétitif et social du genre à l’intérieur du processus hétéronormatif de réitération et de maintien des normes de genre. Judith Butler, Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity, New York, Routledge, 1990, p. 272. iv Terme qui réfère à une pratique sexuelle hétéronormative et qui exclut d’emblée toutes autres formes de sexualités dites « non-conventionnelles » tels le fétichisme ou les pratiques sadomasochistes (BDSM). iii

Bibliographie FOUCAULT, Michel, Histoire de la sexualité 1 : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1997. 211 p. HARAWAY, Donna, Manifeste cyborg et autres essais : Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007, 333 p. PRECIADO, Beatriz, Testo Junkie : Sexe, drogue et biopolitique, Paris, Grasset, 2008, 389 p. RUBIN, Gayle, Surveiller et jouir : Anthropologie politique du sexe, Paris, EPEL, 2010, 484 p. WITTG, Monique, La pensée straight, Paris, Amsterdam, 2007, 119 p.

fait écho aux narrations qu’ille installe dans chaque photographie comme autant de témoignages visuels de la vacuité du genre. La fiction du genre Avec la série Queer Portraits, tout un univers de reconfiguration identitaire devient possible. Par le truchement du métissage des genres, Levine dévoile la caducité du système de représentation binaire homme / femme. Les codes représentationnels des genres polarisés, clé de voûte de la reconnaissance unisexuée, sont ici brouillés, les frontières catégorielles effacées. Le genre queerisé devient la fiction d’une réalité en composition, insaisissable puisque performatif. L’entité queer se réinvente sa propre histoire aux limites de la norme, se construit une grammaire propre pour se dire et se renouveler sans cesse. Sa langue n’a pas de langage, son corps étant la tour de Babel du discours hétéronormatif. Les portraits de Levine concourent à enrichir ce dialecte en construction, à façonner ces identités en mutation. Ils en sont la preuve tangible, réhabilitation d’une langue disparue, premier pas linguistique vers une syntaxe qui permet enfin d’articuler l’hybride, le multiple. Qu’est-ce que l’identité par ailleurs, sinon qu’une des fictions du corps ? Bien que lieu privilégié de l’identité, le corps n’est-il pas davantage le théâtre de la « performativité du genreiii », incessant travail de reconfiguration et de réitération des codes hétéronormatifs ? Caricature de lui-même, le corps, pour exister, se doit d’enfiler les costumes de cette tragédie schizoïde où tous les actants miment la grande fiction du genre. Quoiqu’au service d’une esthétique étudiée, les mises en scène de Levine pour Queer Portraits enrichissent la réflexion autour des identités multiples, baroques, queers. Corps transcyborgiens Que les modèles soient photographiés par Levine presque exclusivement sur des lits et des canapés n’est pas, à mon sens, accidentel. L’iconographie du canapé est marquée du sceau psychanalytique, véritable lieu sacrificiel de l’inconscient pathologique. Ainsi offert à l’œil inquisiteur du psychanalyste, le sujet, laissé à la vulnérabilité du divan freudien, voit son identité sexuelle scrutée à la loupe hétéronormative. Toutefois, les sujets de Queer Portraits échappent à ce diagnostique, au régime hétérosexuel « vanilleiv ». Ce que le travail de Levine propose, c’est plutôt l’affirmation d’une communauté en périphérie de la normativité hétérosexuelle, les corporalités hybrides et androgynes exhibées par les œuvres de l’artiste dévoilant la teneure fictive du genre. Ces corps queers sont aux limites de l’humanité, avatars de l’hyperhétérosexualité. La bicatégorisation du genre, artefact anthropologique de la modernité, échoue à sa production polarisée. Le genre n’est finalement que la fiction d’une féminité et d’une masculinité utopiques. Minotaure du genre, la figure genderqueer apparaît dès lors être le mariage consanguin de notre future humanité. En réponse à l’hyperféminisation et à l’hypermasculinisation des corps contemporains produits aux stéroïdes, hormones, pilules, implants, liftings, prothèses, etc., le corps queer revendique une libre expression de l’inspécificité du genre.

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