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Il n'y a pas de service public sans public

Une chaîne n'est pas un terrain vierge et ne se soumet pas à tous les projets. Elle est corsetée dans un cadre légal, elle repose sur un gisement de public, elle dispose de structures techniques spécifiques et ses équipes forment une personnalité collective. En bref, une chaîne a une histoire qu'il faut connaître, aimer et respecter pour permettre un changement sans déperdition. Il faut de l'humilité et une capacité d'écoute et d'enthousiasme. La marge de manœuvre est essentiellement déterminée par l'existant. Il n'y a pas de génies providentiels. Les dirigeants de TFl ont eu l'habileté de garder la chaîne, une fois privatisée, sur le gisement de la télévision publique. Ils ont su positionner la, chaîne commerciale en valorisant son image précédente. D'ailleurs l'origine du malaise de la société française à l'égard de France 2, est en partie liée à ce trouble schizoide que jette TFl, privée-publique, dans le paysage national. Pour France 2 aussi, la mission est claire. Il m'arrive de dire en plaisantant que la télévision a deux fonctions essentielles: vider et remplir la tête. Il y a mille façons de purger et remplir qui vont de l'élégant au crapuleux. Mais faire oublier, c'est un joli rôle, un beau métier, c'est la fonction extatique de la télévision. Aider à faire voyager dans la tête, à oublier les soucis, les tracas, à rire et à s'émouvoir. C'est tout le projet du spectacle. La télévision publique a un rôle essentiel dans le domaine de la distraction, elle ne doit pas être confinée aux missions de service ou aux tâches d'apprentissage. Elle ne peut être cantonnée à des fonctions subsidiaires, à faire ce que le privé ne souhaite pas faire car il estime que certains types de programmes ne sont pas rentables. Le divertissement, pour le plus grand bénéfice des téléspectateurs, doit être soumis à la concurrence privé/public. C'est aussi dans cet affrontement que la télévision publique doit manifester le plus de personnalité, d'inventivité et d'audace et c'est là que le métier public est le plus dur à exercer car c'est là aussi que l'image est la plus floue et les critiques les plus violentes. Il y a beaucoup à faire et il faut encourager la prise de risque et accepter l'échec ou la transgression. Je suis convaincu qu'il n'y a pas de création sans transgression ni iconoclasme, sans au moins bousculer les habitudes, les idées acquises. France 2 remplit la tête quand elle nourrit l'opinion par les magazines, les débats ou les rendez-vous d'information, elle divertit aussi, elle nourrit l'émotion et les rêves: L'Instit, Napoléon, etc. J'ai un jour entendu Umberto Ecco dire: «La télévision cultive ceux qui ont un métier abrutissant, tant pis si elle abrutit ceux qui ont un métier cultivant. » J'adhère sans nuance à ce propos. J'ai été privé du confort des résultats de France 3 et parachuté à France 2 en juillet 1996, à la demande du nouveau Président, dans une situation de crise car la chaîne était en conflit avec ses animateurs producteurs. Il a fallu bâtir la grille dans des conditions acrobatiques et faire en 6 semaines ce qui se fait d'habitude en un an. C'était de la chirurgie de champs de bataille, je crois que nous avons préservé l'essentiel mais je n'ai connu à France 2 que le temps de la cicatrisation. HERMÈS 37, 2003

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