Extrait de "Un Art en expansion"

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Thierry Groensteen

un art en expansion Dix chefs-d’œuvre de la bande dessinée moderne

LES IMPRESSIONS NOUVELLES



extrait



Introduction Jadis littérature d’évasion réservée à la jeunesse et tenue en haute suspicion par les élites culturelles, la bande dessinée a mué et le regard porté sur elle s’est lui aussi modifié. Elle a grandement gagné en considération. On la tient désormais pour une littérature à part entière, qui s’est diversifiée en investissant de nouveaux domaines (l’Histoire, l’intime, la science, la philosophie, la poésie quelquefois…) et en s’inventant de nouvelles formes (le journal, le reportage, l’essai…). Elle a conquis de nouveaux publics et s’est émancipée du format de l’album traditionnel « à la française » – toujours dominant pour la production commerciale organisée en genres et en séries – pour adopter une multitude de formats et faire droit à des œuvres à forte pagination, souvent désignées désormais comme des « romans graphiques » 1. Cette histoire est aujourd’hui assez bien documentée 2. Ce livre-ci voudrait apporter un autre regard sur les grandes évolutions de la bande dessinée dans la période moderne, en se focalisant sur dix œuvres essentielles dont on trouvera ici des (re)lectures minutieuses. Nous parcourrons plus d’un demi-siècle de création, en ponctionnant un seul ouvrage dans les années soixante (La Ballade de la mer salée, d’Hugo 1.  Je n’ai pas beaucoup de goût pour cette appellation. Elle a pu avoir une utilité historique, une efficacité tactique, mais elle introduit dans le domaine de la création une catégorisation floue et, à mon sens, inutile. Je ne l’utilise donc qu’avec parcimonie et par commodité. Pour une discussion du concept de roman graphique, je renvoie à mon article sur le sujet dans le Dictionnaire esthétique et thématique de la bande dessinée, publié en ligne sur le site de la revue NeuvièmeArt2.0. 2.  Je l’ai moi-même retracée dans La Bande dessinée, son histoire et ses maîtres, Paris/ Angoulême, Skira Flammarion / Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, 2009.


Pratt), soixante-dix (Le Garage hermétique de Jerry Cornelius, de Moebius), quatre-vingt (Watchmen-Les Gardiens, d’Alan Moore et Dave Gibbons) et quatre-vingt-dix (L’Ascension du Haut Mal, de David B.), pour nous attarder davantage aux deux dernières décennies, représentées par Fun Home, d’Alison Bechdel, Faire semblant c’est mentir, de Dominique Goblet, Là où vont nos pères, de Shaun Tan, Habibi, de Craig Thompson, Building Stories, de Chris Ware, et enfin par le « Grand Récit » (Alpha… directions et Beta… civilisations) de Jens Harder, encore inachevé. Ces dix titres constituent, faut-il le souligner, une sélection arbitraire, dans la mesure où plusieurs dizaines d’autres livres de bande dessinée auraient pu y figurer aussi bien. Mais une sélection motivée, chacun de ces livres ayant ouvert une brèche, concrétisé une avancée, proposé un nouveau modèle de récit ou porté une tendance émergente à son point de perfection. Pour le dire en quelques mots, de manière exagérément simplificatrice, Pratt a introduit le souffle romanesque dans l’aventure dessinée, Moebius a dynamité les codes de l’intrigue au profit d’un feu d’artifice d’inventions, Moore et Gibbons ont montré que les récits de genre étaient compatibles avec la densité psychologique et avec les interrogations (politiques, sociétales, métaphysiques) les plus sérieuses, David B. a inventé une nouvelle rhétorique visuelle, avec des images à la fois conceptuelles et décoratives, Bechdel a amené la bande dessinée sur le terrain du questionnement identitaire, Goblet a développé une approche résolument plasticienne du médium, Tan, en se passant de texte, a produit une fable humaniste à portée universelle, Thompson a imaginé un conte orientalisant dans lequel la narration dessinée occidentale est fécondée par la calligraphie arabe et l’art islamique, Ware a proposé un objet-livre interactif en même temps qu’un saisissant portrait de femme, Harder a exploré de nouvelles manières d’appareiller les images et d’impliquer le lecteur dans le processus de construction du sens. Les dix œuvres sont passionnantes, et profondément dissemblables. Il s’agit, enfin, d’une sélection internationale, puisque les auteurs sont belge, français, britanniques, allemand, italien, américains et australien. Je n’ai pas retenu de manga parce qu’il s’agit ici de montrer comment une tradition évolue, se remet en question, s’enrichit, et qu’un exemple


pris dans la production japonaise aurait nécessité une autre mise en contexte. Au moment de leur parution, chacun des livres dont il va être question dans ces pages a été salué comme une incontestable réussite. La plupart sont devenus (ou sont en passe de devenir) des classiques du « neuvième art ». Et les classiques sont, par excellence, des œuvres qu’il convient de revisiter. Mais, avec le temps, la sidération provoquée par certaines œuvres pionnières s’émousse ; leurs innovations sont imitées, citées, parodiées, en un mot : banalisées. C’est pourquoi il est nécessaire de restituer toute leur force aux ruptures que ces livres ont incarnées, chacun à sa manière singulière. La notion de progrès appliquée au domaine de l’art est un sujet récurrent de dissertation philosophique. La bande dessinée n’est pas plus perfectible que n’importe quelle autre forme d’expression artistique ; on ne fera pas « mieux » que McCay, Herriman, Hergé ou Franquin. Dire cela n’empêche pas de considérer le médium dans son historicité ; et de remarquer que la quasi totalité des œuvres que nous allons examiner ici auraient été impensables vingt, trente, cinquante ans plus tôt, parce que les conditions de leur existence n’étaient pas réunies. L’évolution de la bande dessinée depuis les années soixante a été caractérisée par un élargissement progressif et constant du champ des possibles. Sans doute, chaque médium voit continûment surgir des réalisations nouvelles, des formes qui n’avaient pas encore été imaginées. Cela d’autant plus que la modernité a érigé le « nouveau » en souverain critère de la créativité. Mais c’est encore plus vrai dans le domaine qui nous occupe, celui de la bande dessinée, en raison de son histoire particulière. Longtemps confisquée par la presse enfantine, corsetée par des standards éditoriaux, ignorée par les médias et les instances de légitimation, et suspectée d’être intrinsèquement médiocre, infantile, sinon pernicieuse, la bande dessinée, dans un tel contexte, ne pouvait pas exprimer tout son potentiel à l’égal de formes dont la dignité artistique était mieux établie. Il a fallu que sautent, un à un, des verrous. À cet égard, le procès en réhabilitation entrepris par les mouvements bédéphiles, l’audace de quelques éditeurs clairvoyants, la levée progressive de la censure, l’émergence d’une critique spécialisée, l’essor d’une scène alternative, la circulation inter-


nationale des œuvres devenue plus intense, enfin la création de filières d’enseignement spécialisées permettant aux futurs auteurs/artistes de se frotter à d’autres disciplines et d’acquérir un bagage artistique complet sont sans doute, de tous les facteurs qui ont permis et encouragé cette évolution, les plus déterminants. C’est cependant aux artistes mêmes, à eux d’abord, qu’il faut rendre le mérite d’avoir osé des propositions innovantes, d’avoir transgressé les tabous et de s’être aventurés, à leurs risques et périls, sur des sentiers encore inexplorés. Si, pour les auteurs de bande dessinée, la liberté de créer n’a jamais été plus grande qu’aujourd’hui, cela tient à ce que chacune des œuvres pionnières devient ipso facto un nouveau modèle possible, ce qui revient à dire qu’elle délivre, à ceux qui viennent après, une autorisation de faire. Prenons l’exemple d’Hugo Pratt, puisque nous commencerons par lui. Interrogé sur l’alternance entre les séquences bavardes et de longues plages muettes dans son album Péplum (1997), le dessinateur Blutch répond sans détour : « C’est une résurgence d’Hugo Pratt. Dans Fort Wheeling, il y a une scène où Chris Kenton est poursuivi par les Indiens. Il court pendant des pages et des pages, quasiment sans un mot. On lit ça et on se dit “Ah, c’est possible” 3. » Avec La Ballade de la mer salée, Pratt a par ailleurs eu l’audace de proposer un récit de plus de 160 pages, s’offrant ainsi la possibilité de lui donner une amplitude romanesque interdite aux bandes dessinées standards. Sans lui, Eisner et quelques autres pionniers, comment aurait-on pu imaginer qu’on verrait un jour paraître un livre de bande dessinée de 672 pages, ce qui est l’exacte mesure d’Habibi, de Craig Thompson ? Si la notion de progrès est inappropriée pour rendre compte de ces évolutions, la bande dessinée apparaît bien, en tout cas, comme un art en expansion. Non seulement parce que les œuvres qu’elle génère sont de proportions de plus en plus amples, mais parce que cet art a progressivement pris conscience de lui-même et de ses potentialités considérables, et qu’il ne cesse plus d’investir de nouveaux territoires de l’expression. 3. Gilles Ciment et Jean-Pierre Mercier, « Entretien avec Blutch », Neuvième Art, n° 14, janvier 2008, pp. 112-125. En ligne sur NeuvièmeArt2.0. URL : http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article823


Étant donné qu’il s’agit d’un art mixte, à la croisée du verbal et du visuel, le processus de sa reconnaissance a emprunté deux voies opposées. D’un côté, la bande dessinée a forcé les portes des galeries, des musées, du marché de l’art ; de l’autre, elle a été adoubée – en dépit de quelques poches de résistance – par le milieu littéraire. Les romanciers s’en inspirent ; les concepts de « roman graphique » et de « littérature dessinée » sont devenus d’usage courant ; les formats se sont rapprochés ; les adaptations de grands textes littéraires se sont multipliées ; les lieux où s’exercent la critique, la prescription (médias, presse écrite, bibliothèques, universités) réservent de plus en plus de place aux bandes dessinées. Cette reconnaissance par la littérature est peut-être plus visible que l’autre, parce que c’est dans les réseaux littéraires que le commentaire s’exerce le plus abondamment. À lire ce qui s’écrit couramment aujourd’hui, on a l’impression que, pour beaucoup, la qualité d’une bande dessinée est indexée sur son degré de littérarité. Je m’inscris en faux contre cette idée, et j’espère réussir à montrer ici que, dans l’appréciation d’une bande dessinée, tous les paramètres sont également importants. Art du dessin autant que du récit, art graphique autant que littéraire, la bande dessinée tire sa force de la mobilisation conjointe, concertée, intelligente, de l’ensemble de ses ressources. Les dix livres que nous allons relire ensemble ne permettent pas d’établir le catalogue complet de ces ressources et de toutes les manières dont on peut les faire jouer. Du moins suffisent-ils à montrer que la bande dessinée peut servir les ambitions les plus dissemblables, parcourir toute la gamme des émotions humaines, se plier aux exigences esthétiques les plus affirmées. Cette poignée de chefs-d’œuvre parlent pour l’ensemble du Neuvième Art.



Hugo Pratt La Ballade de la mer salée titre original : Une ballata del mare salato

Circonstances Né à Rimini, Hugo Pratt (1927-1995) a débuté dans le métier en 1945 mais, jusqu’à la Ballade, l’essentiel de sa carrière s’est déroulée en Argentine, où il a vécu de 1949 à 1962. Là, il a notamment collaboré avec le plus grand scénariste de sa génération, Hector Oesterheld. Il s’est rôdé aux codes de la bande dessinée d’aventures en abordant différents genres : le récit de guerre (Ernie Pike), le western (Sergent Kirk, Wheeling), l’aventure dans la jungle (Ann de la jungle). À son retour en Italie, il travaille pour la presse enfantine, plus particulièrement le Corriere dei Piccoli. Dans la ville de Gênes où il habite à cette époque, Pratt rencontre Florenzo Ivaldi, un promoteur immobilier millionnaire qui s’intéresse à la bande dessinée. Ensemble, ils vont créer une revue du nom de Sgt Kirk (dont les aventures seront republiées à cette occasion). La direction en est confiée à un historien et critique de cinéma, Claudio Bertieri. Sgt Kirk est imprimée à 3 000 exemplaires et présente un aspect plus luxueux qu’aucune revue de bande dessinée jusque-là. Pratt signe plusieurs couvertures, à l’aquarelle, aux compositions audacieuses. Sa grande contribution inédite à la revue est la Ballade, prépubliée de juillet 1967 (l’auteur a tout juste quarante ans) à février 1969, du n° 1 au n° 20 (avec des interruptions aux numéros 2, 3 et 16). C’est également


dans Sgt Kirk que Pratt entamera une autre de ses séries marquantes, Les Scorpions du désert. En France, la Ballade sera proposée aux lecteurs du quotidien France Soir sous la forme d’un feuilleton, entre le 3 juillet 1973 et le 16 janvier 1974. Elle connaît aussi une publication partielle (51 planches) dans la revue d’étude Phénix, en 1974 (numéros 38 à 41). L’album paraît fin 1975 aux éditions Casterman et reçoit, en janvier 1976, le prix de la meilleure BD réaliste lors de la troisième édition du festival d’Angoulême (c’était déjà une case tirée de Corto Maltese qui avait servi de visuel pour l’affiche du premier festival, deux ans plus tôt). Mais, dès avant cette découverte tardive du grand récit inaugural par le public français, le personnage de Corto Maltese était réapparu dans Pif gadget, à partir de 1969, pour une série de quelque vingt-et-uns récits de 20 planches chacun. On le retrouvera dans (À Suivre) en 1980 et, plus tard, dans un magazine à son nom, Corto, à l’existence plus éphémère. Il vivra des aventures à Venise, en Irlande, en Afrique, en Russie, en Amérique du sud et en Orient, s’imposant comme l’un des héros mythiques de la bande dessinée moderne.

Argument Le récit se déroule en Mélanésie (groupe d’îles de l’Océan Pacifique au nord, nord-est de l’Australie) de novembre 1913 à janvier 1915. Les capitaines Corto et Raspoutine font de la contrebande entre les Antilles et le Brésil. Ils travaillent pour le compte d’un chef dont la véritable identité est mystérieuse, même pour eux, et qui se fait appeler « le Moine ». La base arrière du Moine et de sa bande est l’île d’Escondida. Au début de l’aventure, Corto Maltese a été abandonné en pleine mer par son équipage, qui s’est rebellé contre son capitaine. Raspoutine survient à point nommé pour le sauver. Le pirate a déjà recueillis deux très jeunes gens, une fille, Pandora, et son cousin, Caïn. Pendant que Raspoutine attaque un navire marchand hollandais, Corto surveille les deux prisonniers sur un autre catamaran. Une terrible tempête les jette sur un rivage de Nouvelle Guinée, où ils tombent aux mains des Papous


Senek 1. Après s’être évadés, Corto et ses jeunes otages retrouvent Raspoutine à bord d’un sous-marin allemand. Ils reviennent à Escondida. Caïn et Pandora se révèlent des prises précieuses, puisqu’ils appartiennent à une très riche famille britannique d’armateurs installée en Australie, qui ne manquera pas de payer une forte rançon. Tout au long de l’histoire, Corto va chercher à préserver la vie des deux jeunes gens. Le Moine, lui, est bouleversé par la présence de la jeune fille, sans qu’on comprenne pourquoi. Cependant le Royaume-Uni a déclaré la guerre à l’Allemagne. Le Moine soutient les Allemands, dont il ravitaille les bateaux et sous-marins, travaillant notamment la main dans la main avec le lieutenant Slütter. L’île est agitée par diverses luttes d’influence et de pouvoir, sous l’effet de deux leviers qui sont l’appât de l’or (le Moine est supposé avoir amassé un trésor, dont chacun veut s’adjuger la plus grande part possible) et les visées indépendantistes des indigènes, qui rêvent d’une Grande Mélanésie. Dans un moment d’égarement, le Moine précipite Corto du haut d’une falaise et le laisse pour mort. Il quitte ensuite l’île pour une mission à bord du sous-marin de Slütter, laissant Escondida aux mains de Raspoutine. Caïn en profite pour faire s’échapper Pandora, avec l’aide de Tarao, navigateur maori expérimenté. De son côté, Crânio, le fidjien qui a la confiance du Moine, envoie un contre-torpilleur japonais par le fond. Quand le Moine revient, il comprend que l’évasion de Pandora menace la sécurité de l’île, et décide de l’abandonner définitivement. De fait, un détachement néo-zélandais (sous uniforme britannique) prend bientôt possession d’Escondida. Caïn et Pandora ont retrouvé leur oncle Rinald Groovesnore. Grâce à leur témoignage favorable, aucune charge n’est retenue contre Corto. Ce dernier obtient, au moyen d’un chantage, que Raspoutine ait également la vie sauve. Tous deux bénéficieront d’un sauf-conduit. Slütter, lui, est condamné à être fusillé. Il laisse une lettre

1.  Dans les éditions italiennes de La Ballade de la mer salée, ces cannibales s’expriment, étrangement, en dialecte vénitien.


qui révélera à Corto la véritable identité du Moine : celui-ci n’est autre que Thomas Groovesnore, le père de Pandora et l’oncle de Caïn.

* Depuis l’époque romantique, la forme appelée ballade désigne un poème narratif en strophes ayant pour sujet une légende ou un épisode historique. Hugo Pratt utilise ce terme générique, inusité dans la bande dessinée, pour ses connotations littéraires et poétiques. Son récit contient (p. 60 2) une allusion à Samuel T. Coleridge et à son fameux ouvrage The Rime of the Ancient Mariner, que Caïn lit dans une traduction intitulée La Ballade du vieux marinier (bien que ce long poème soit plus connu en français comme La Complainte du vieux marin, et quelquefois comme Le Dit du vieux marin). En reprenant à son compte l’appellation générique de ballade, Pratt a peut-être voulu se revendiquer d’une filiation avec Coleridge. Corto Maltese pourrait être présenté comme un marinier encore jeune, par opposition au capitaine chargé d’ans du célèbre poème. Ce dernier, maudit pour avoir tué un albatros, avait perdu son équipage dans un naufrage ; Corto nous apparaît en fâcheuse posture, abandonné au milieu de l’océan par son équipage qui s’est mutiné contre lui (pour une histoire de femme). Le vieux marin avait vu un vaisseau fantôme lui apparaître, avec la mort à son bord ; Corto, lui, voit surgir le catamaran commandé par Raspoutine, qui lui sauve la vie 3. Improbable apparition, qui tombe à pic. Enfin, on ne saurait nier que Raspoutine possède une dimension spectrale, avec sa barbe de jais, ses cheveux mal coupés, ses joues creuses et son regard fiévreux. En outre, homonymie et ressemblance font de lui un « double » du célèbre mystique, guérisseur et homme d’influence russe (1869-1916) que l’on a souvent diabolisé (du reste, Raspoutnyi signifie : débauché). La nature du lien entre ce personnage historique et 2.  Toutes les références à la pagination renvoient à l’édition originale en langue française, publiée par les éditions Casterman en 1975. 3.  Il rencontrera la Mort, et s’entretiendra avec elle, dans un autre album, Les Helvétiques (1988).


son avatar fictionnel reste énigmatique. Le « vrai » Raspoutine a encore trois ans à vivre au jour où débute l’aventure de la Ballade. Son « double » dessiné, s’il endosse pour l’occasion le rôle du sauveur, est un personnage qui fait peu de cas de la vie humaine en général et dont on comprend vite qu’il est habitué à semer la mort (il abat froidement l’équipage d’un cargo charbonnier hollandais). Corto ne tardera pas à le qualifier de « boucher » (p. 17). Légende ou épisode historique : le récit de Pratt tient naturellement un peu des deux, Raspoutine, avec ses connotations ambiguës, pouvant ici servir d’emblème à ce mélange des genres. Comme conteur, le maître vénitien s’est toujours montré un adepte de l’ambivalence, rendant délibérément incertain le régime de croyance qui lie le lecteur à ses ouvrages. Sur ce point, il se sentait proche de Jorge Luis Borges : « On trouve chez Borges et moi le même procédé : un mélange inextricable de vérités et de mystifications, de personnages réels et de personnages fictifs 4. » Et quand il racontait sa propre vie, il se plaisait également à brouiller les pistes, à intriquer le vrai et le faux. Corto, Raspoutine, le Moine, Slütter, Pandora, Caïn, Tarao… La Ballade de la mer salée est une histoire sans héros, une histoire entrecroisant les destins de personnages multiples, ce qu’on appelle volontiers aujourd’hui un « récit choral ». La couverture de l’édition française, qui met en avant le seul Corto Maltese, est trompeuse, « intéressée ». Casterman a souhaité promouvoir un personnage popularisé par Pif Gadget et dont les aventures avaient déjà fait l’objet de cinq albums cartonnés publiés depuis 1973. Dans le premier numéro de Sgt Kirk, la page d’ouverture était plus fidèle à l’esprit de l’œuvre : sa composition réunissait la plupart des protagonistes et place en position centrale les deux jeunes gens, Caïn et Pandora. Corto n’apparaissait qu’en position secondaire. À la lecture du livre, il est difficile de nier que Corto est le personnage le plus saillant : notre sympathie est vite acquise à ce marin nimbé de mystère, auquel sa nonchalance et sa bienveillance confèrent une sorte 4.  Hugo Pratt, Le Désir d’être inutile, entretiens avec Dominique Petitfaux, Robert Laffont, 1991, p. 202.


d’aura naturelle. Pour Pratt, le personnage principal était cependant plutôt Pandora, l’unique figure féminine, point fixe (elle est prisonnière) qui naturellement aimante l’attention de tous les hommes qui s’agitent autour d’elle. Aucun n’est insensible à son charme (si Escondida est une « île au trésor », le trésor c’est elle). Entre Corto et elle se noue une relation de séduction mutuelle, même si l’un et l’autre lutteront pour ne pas donner libre cours à leur inclination.

Page titre parue dans Sgt Kirk, non reprise dans l’édition française.

[…]


Chris Ware Building Stories

Circonstances Franklin Christenson Ware naît le 28 décembre 1967 à Omaha, dans le Nebraska. Sa mère et lui sont abandonnés par son père (qui sert sur un sous-marin de l’US Navy) alors qu’il est âgé de moins d’un an. Sa mère est rédactrice au journal local, le Omaha World-Herald. Ware se familiarise donc très jeune avec l’odeur de l’encre et le bruit des rotatives. De 1985 à 1990, il étudie la peinture, la sculpture et la gravure à l’université d’Austin (Texas). Sa première publication est un strip qui paraît dans le journal estudiantin The Daily Texan de fin 1986 jusqu’à 1991, tantôt chaque jour, tantôt chaque semaine. Remarqué par Art Spiegelman, Ware collaborera à deux numéros de la revue d’avant-garde RAW, en 1990 et 1991. Cette année-là, le jeune dessinateur s’installe à Chicago. Il y entame bientôt une collaboration régulière au New City, hebdomadaire culturel indépendant. En 1993 paraît, chez Fantagraphics, le premier numéro de The Acme Novelty Library, revue d’auteur qu’il conçoit entièrement seul. En 2000, le roman graphique Jimmy Corrigan, the Smartest Kid on Earth (Pantheon Books) lui vaut une renommée internationale. Les innovations formelles, l’ampleur du récit, l’originalité du travail sur le temps et sur la traduction des émotions, la mise en relief de la place de l’imaginaire dans la vie quotidienne, signalent à l’attention générale


l’importance historique de ce livre exceptionnel. La version française paraît en novembre 2002 aux éditions Delcourt. Plusieurs autres livres suivront (Quimby the Mouse, l’anthologie Acme, deux volumes de carnets), cependant qu’en 2005 débute la publication en feuilleton de deux nouveaux romans graphiques : Rusty Brown et Building Stories. C’est sous la forme surprenante d’une boîte de grand format (29,5 x 42,2 x 4,7 cm) que paraît Building Stories chez Pantheon en 2012, puis chez Delcourt en 2014, sous un titre inchangé. Collaborateur régulier du New Yorker, maquettiste recherché, invité des plus grands musées américains, Chris Ware est l’auteur le plus en vue de la bande dessinée américaine contemporaine.

Argument Building Stories se présente sous la forme de fragments. La boîte contient 14 éléments imprimés de format, d’ampleur et d’apparence très disparates, livrés sans préséance chronologique, sans « mode d’emploi » 1. 1.  Afin de faciliter la compréhension de la suite du texte, il me paraît utile de convenir d’un code permettant de désigner, sous une forme condensée, les quatorze documents réunis dans ce livre-boîte. Puisqu’ils ne sont pas numérotés, je propose de leur attribuer à chacun une lettre (l’ordre alphabétique ne préjugeant pas ici de l’ordre de lecture). A désignera le plateau cartonné, articulé en quatre volets ; B, l’« album » cartonné de 30 pages, 21,5 x 24 cm avec un dos doré et une couverture représentant la fleuriste écrivant dans son journal ; la page de titre porte la mention « Le 23 septembre 2000 » ; C, le 16-pages agrafé, 21 x 28 cm, dont la première case figure un téléphone ; D, le 16-pages agrafé, 21 x 28 cm, dont la première case représente l’immeuble, avec le couple du premier assis sur les marches ; E, l’album cartonné toilé, 23,5 x 31 cm, avec une couverture verte sans image ; F, le 4-pages format géant, non agrafé, avec un « gaufrier » de 20 cases en première page et un bébé grandeur nature en pages centrales ; G, le cahier de 20 pages format géant, non agrafé, s’ouvrant sur une immense case carrée et les mots « Bon sang… » ; H, le cahier horizontal épais, agrafé, 7,6 x 24,8 cm, figurant la fleuriste et son chat, de nuit ; I, le 20-pages agrafé, 23 x 30,5 cm, dont la première page a pour titre « Déconnexion » ; J, le dépliant horizontal en accordéon, avec la fillette à la capuche rose ;


Sous cette forme inhabituelle et déroutante, nous prenons connaissance de l’histoire des personnes habitant un même immeuble de Chicago, composé d’un rez-de-chaussée semi-enterré et de trois étages. La maison a pour propriétaire une femme âgée qui a toujours vécu là et qui hait ses locataires. L’étage supérieur est habité par une jeune femme célibataire et handicapée (l’une de ses jambes a été amputée sous le genou). Elle vit des heures vides en compagnie de son chat, et n’a pas de vie amoureuse. Elle travaille à temps partiel dans un magasin de fleurs du quartier. Les deux femmes, la jeune et la vieille, sont l’une comme l’autre en proie à un fort sentiment de frustration. L’étage intermédiaire est occupé par un couple sans enfants, qui ne parvient plus à communiquer et paraît sur le point de se séparer. L’immeuble, centenaire, a conservé la mémoire de ses occupants précédents, et fait part au lecteur de ses propres réflexions. Certaines séquences consistent en rétrospections ou en anticipations qui éclairent le destin des personnages, et particulièrement celui de la jeune femme infirme qui, dans une période ultérieure de sa vie, se mariera et aura une fille.

* Il a été signalé un peu partout que le titre a une double acception. Building Stories peut se lire comme « les histoires d’un bâtiment » ou comme « des histoires en construction ». Remarquons que l’action de construire des histoires vaut ici à la fois pour l’auteur et, de manière différente, pour le lecteur, qui doit trouver son chemin à travers ce puzzle narratif. L’exposition au storytelling passe par un storybuilding. Mais storey, en anglais – qui s’écrit story aux États-Unis –, a également le sens d’étage. Dès lors, une troisième lecture du titre serait « les étages d’un bâtiment », ce qui n’est pas absurde puisqu’à chaque étage correspond ici un arc narratif, l’histoire de son ou de ses occupant(s).

K, la page 33 x 45,8 pliée en deux s’ouvrant sur « Il y a peu » ; L, le dépliant horizontal en accordéon figurant une scène de neige ; M, le numéro du journal The Daily Bee, 4 grandes pages pliées en deux ; N, le petit fascicule « BRANFORD » à couverture rouge, 13,6 x 19,7 cm.


L’immeuble qui sert de décor, et presque de personnage à part entière, s’inspire beaucoup de celui où l’auteur a lui-même vécu de 1995 à 2001, et qu’il a représenté dans ses carnets (cf. l’Acme Novelty Date-Book volume 2, p. 162) avec cette légende : « Our Apartment Building  2 ». Building Stories possède donc un ancrage mémoriel : non celui des péripéties (quoique certaines puisent évidemment dans l’expérience personnelle de l’auteur), mais, avant tout, celui du lieu. Par ailleurs, l’architecture intéresse Ware de longue date, comme le montrent son goût pour les perspectives axonométriques et la longue séquence de Jimmy Corrigan ressuscitant les splendides pavillons de la World Columbian Exhibition de 1893. L’Art Institute de cette même ville a d’ailleurs présenté fin 2014 une exposition intitulée « The Comic Art and Architecture of Chris Ware » montrant côté à côté les dessins de l’artiste et les documents d’archives dont il s’est servi. Dans une page de ses carnets datée de 1995, Ware avait copié une célèbre phrase de Goethe : « L’architecture est de la musique gelée ». En ajoutant ce commentaire : « C’est là, je pense, la clé esthétique du développement des cartoons comme forme artistique. » À partir de ce moment, il a commencé à creuser l’analogie formelle entre la composition d’une page de bande dessinée et l’architecture de la façade d’un immeuble 3. Le projet de Chris Ware a évolué avec le temps. Autant qu’on sache, il s’agissait au début de conter l’histoire d’un immeuble et de ses habitants, un peu à la manière de Georges Perec dans La Vie mode d’emploi – à ceci près que cet immeuble-ci est de dimension beaucoup plus modeste que celui situé au 11 de la rue Simon-Crubellier. Sans doute Ware s’est-il également souvenu de Will Eisner, dont l’album A contract with God and other tenement stories (1978) réunissait des histoires sur les habitants d’un immeuble de Brooklyn construit vers 1920 ; plus tard, The Building (1987), du même auteur, donnait la parole à quatre fantômes 2.  L’intéressé m’a précisé dans un échange de correspondance qu’il n’a toutefois pas recopié précisément son ancien domicile : « la maison dans laquelle nous vivions étant plus grande, plus profonde, construite dans d’autres matériaux et peuplée par des personnes complètement différentes ». 3.  Je suis ici Daniel Raeburn, Chris Ware, New Haven, Yale University Press, « Monographics », 2004, pp. 25-26.


postés à l’entrée d’un gratte-ciel flambant neuf, qui se souvenaient de leur vie dans l’ancien immeuble démoli pour lui faire place. Mais la narration s’est progressivement focalisée sur le personnage de la jeune unijambiste, à laquelle, puisque l’auteur ne lui a pas donné de nom, je ferai désormais référence comme à « la fleuriste ». Huit des quatorze fragments composant Building Stories lui sont à peu près intégralement dédiés. Si le projet a conservé jusqu’au bout une dimension chorale, une autre ambition semble s’être peu à peu imposée, celle de proposer un portrait intime et extensif d’un personnage féminin. Il faudra, au terme de notre lecture, revenir sur le sens de cet étrange objet conçu par Chris Ware. Précédant toute interprétation, deux éléments factuels peuvent être notés dès à présent. Tout d’abord, l’auteur a toujours aimé solliciter une participation active du lecteur. Cette participation est au cœur même de sa conception du médium, Ware professant que « la grande différence entre le cinéma et la bande dessinée est que le spectateur de cinéma est relativement passif, alors que le lecteur de BD s’investit beaucoup plus dans la construction même du sens. Quand on regarde un film, c’est comme si on écoutait de la musique enregistrée, alors que quand on lit une BD, c’est comme si l’on lisait une partition. C’est à nous, lecteurs, de faire jaillir la musique de cette partition 4 ». Est-ce pour stimuler cette participation cognitive et émotionnelle que l’auteur va jusqu’à suggérer au lecteur de se livrer à des manipulations très concrètes ? Dans Jimmy Corrigan déjà, plus d’une page l’invitait facétieusement à plier, découper, recoudre le livre, à fabriquer des petits théâtres, des robots, des meubles, etc. On doute, cependant, que beaucoup de ceux qui ont acheté l’album ont pu se résoudre à suivre ces instructions et à le mettre en pièces ! Mais avec Building Stories, Ware ne nous laisse plus le choix : la manipulation est une condition de la lecture. Non seulement il nous appartient de définir un ordre entre les fragments épars à l’intérieur de la boîte, mais il y a des manipulations additionnelles auxquelles certains d’entre eux obligent, telles que : ouvrir les volets du plateau cartonné (A), retourner le cahier C parce que les pages 4.  Propos rapportés dans « Table ronde », Humoresques n° 10 : L’humour graphique fin de siècle, Presses universitaires de Vincennes, 1999.


6 et 7 sont imprimées dans l’autre sens, ou déplier les imprimés oblongs en accordéon (J et L). La deuxième observation est que, comme il est précisé à l’intérieur du couvercle de la boîte, « des parties de cette œuvre sont initialement parues dans The New Yorker, The New York Times, McSweeney’s Quarterly Concern, The Manchester Guardian, Nest et The Chicago Reader », liste à laquelle il convient d’ajouter The Acme Novelty Library, la revue de l’auteur. Building Stories a donc été publié par morceaux, sur une période de sept ans, dans des organes de presse de formats variés et contraignants. On conçoit la difficulté que pouvait représenter l’homogénéisation de toutes ces livraisons disparates et leur intégration dans un même ouvrage. Cette difficulté, Ware l’avait pourtant déjà affrontée et surmontée pour Jimmy Corrigan, dont les séquences avaient été prépubliées, pour l’essentiel, dans les différents numéros de l’Acme Novelty Library, dont il s’ingéniait lui-même à varier les formats ! En fait, la boîte ne s’est pas imposée comme une solution pour compatibiliser des matériaux hétéroclites, irréductibles à une mise en livre. Elle correspond au projet proposé par Ware à son éditeur Pantheon Books dès 2006, soit six ans avant la réalisation effective de l’objet. L’inspiration lui serait venue des boîtes de jeu de son enfance, mais également de la Boîte-en-valise de Marcel Duchamp, musée portatif réalisé à 20 exemplaires entre 1936 et 1941, qui réunissait les œuvres principales de l’inventeur du ready made : en tout 70 éléments, répliques en miniature, photographies ou reproduction en couleurs. Remarquons enfin que la bande dessinée a toujours été caractérisée par une poétique du fragment et du discontinu : la prépublication en feuilleton dans la presse a été le lot d’une grande partie de la production, et une majorité d’albums eux-mêmes s’inscrivent au sein d’un ensemble plus englobant qui est la série. Tout se passe comme si Chris Ware avait fait le choix de renchérir sur une particularité du médium, en portant cette logique de la fragmentation à un degré superlatif. Du reste, les quatorze éléments dont se compose Building Stories ne se différencient pas seulement les uns des autres par leurs caractéristiques physiques. D’un fragment à l’autre, ce ne sont pas uniquement le format et l’amplitude – à la fois physique et temporelle – qui varient, mais aussi le mode d’occupation de l’espace, les procédés narratifs (narration


La fleuriste devenue automobiliste et mère : un tournant inattendu (dernière page de B).


à la première ou à la troisième personne, séquence muette, jeux sur la temporalité…) et même le style graphique. Ce dernier aspect concerne particulièrement les parties M et N, contrepoint facétieux se déroulant dans le monde des abeilles, lesquelles sont dessinées de manière beaucoup plus stylisée, caricaturale, que les humains, et charrient quelques réminiscences discrètes : Branford, l’abeille mâle, porte des gants blancs comme Mickey, tandis que Betty, sa femme, a un nœud rose sur la tête, comme Minnie. (De même, Quimby the Mouse citait les premiers temps du cinéma d’animation américain.) Revenons au personnage principal, celui de la fleuriste. Toute tentative pour mettre en perspective les éléments que nous possédons sur sa vie et en dégager un récit cohérent ne peut être qu’une reconstitution a posteriori, puisque nous avons pris connaissance de ces éléments dans le désordre. Mais le commentateur n’a d’autre choix que de s’autoriser à trahir le caractère volontairement éclaté du dispositif voulu par Chris Ware, s’il veut rendre la narration intelligible. Comme le savent ses lecteurs, Chris Ware ne se signale pas par une vision particulièrement primesautière de l’existence. Les mêmes sentiments de solitude irrémédiable, d’inadaptation au monde, de tristesse, d’abandon et de déréliction qui étaient exprimés dans Jimmy Corrigan imprègnent aussi Building Stories 5. La locataire du premier étage gâche sa vie auprès d’un bon à rien et passe l’essentiel de son temps à ruminer l’échec de son couple. La propriétaire de l’immeuble (une vieille dame dont le téléphone rouge fait assez clairement écho à celui qui reliait Jimmy à sa mère) ne vit plus que dans ses souvenirs. Il n’est pas jusqu’à Branford, « la meilleure abeille du monde » (the best bee in the world, autre renvoi ironique au smartest kid qu’était Jimmy), qui culpabilise en raison de son impuissance à féconder la reine de son essaim. Mais c’est le personnage de la fleuriste qui donne le ton, et la majorité des épisodes sont vus à travers le prisme de son tempérament dépressif. 
 5.  Avec son auto-ironie coutumière, l’auteur écrit sur l’une des faces de la boîte : « Que vous souffriez de la solitude seul(e) ou avec quelqu’un, ce livre ne peut qu’entrer en résonance avec le sentiment écrasant de vie gâchée, d’occasions manquées et de rêves de création brisés qui frappe le public littéraire des classes moyennes et aisées… »


[…]



Table des matières Introduction 7 Hugo Pratt, La Ballade de la mer salée 13 Moebius, Le Garage hermétique de Jerry Cornelius 39 Alan Moore et Dave Gibbons, Watchmen (Les Gardiens) 69 David B., L’Ascension du Haut Mal 103 Alison Bechdel, Fun Home 131 Dominique Goblet, Faire semblant c’est mentir 149 Shaun Tan, Là où vont nos pères 167 Craig Thompson, Habibi 191 Chris Ware, Building Stories 215 Jens Harder, Le Grand Récit : Alpha, Beta, [Gamma] 251 Coda 275

Ce livre connaît des prolongements sur le site de l’auteur, www.editionsdelan2/groensteen, rubrique Un art en expansion.


un art en expansion

Dix chefs-d’œuvre de la bande dessinée moderne

SEPTEMBRE 2015 Un Art en expansion propose un retour sur un demi-siècle de création en bandes dessinées, une période qui a vu le neuvième art se diversifier considérablement, aborder de nouveaux domaines, inventer de nouvelles formes, se métisser avec d’autres arts et s’émanciper du format de l’album traditionnel. Dix œuvres-phares de la modernité sont passées au crible d’une relecture attentive qui en détaille les enjeux et en fait ressortir le caractère novateur. Dix jalons essentiels dans l’expansion d’un art qui a progressivement pris conscience de luimême et de ses potentialités. Dans l’ordre chronologique de parution, ce sont La Ballade de la mer salée de Hugo Pratt, Le Garage hermétique de Jerry Cornelius de Moebius, Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons, L’Ascension du Haut Mal de David B., Fun Home d’Alison Bechdel, Faire semblant c’est mentir de Dominique Goblet, Là où vont nos pères de Shaun Tan, Habibi de Craig Thompson, Building Stories de Chris Ware, Alpha… directions et Beta… civilisations de Jens Harder. S’appuyant sur sa connaissance intime de la bande dessinée, Thierry Groensteen les décortique avec gourmandise, cueillant les détails significatifs et les mettant en réseau pour déployer tout l’éventail des significations et des résonances culturelles.

Spécialiste de réputation internationale, Thierry Groensteen travaille aujourd’hui comme directeur de collection pour Actes Sud et chargé de mission à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la bande dessinée, parmi lesquels Système de la bande dessinée (PUF, 1999), Un objet culturel non identifié (L’An 2, 2006), La Bande dessinée, mode d’emploi (Les Impressions Nouvelles, 2008), La Bande dessinée, son histoire et ses maîtres (Skira/Flammarion, 2009) et Bande dessinée et narration (PUF, 2011).

Retrouvez-nous sur www.lesimpressionsnouvelles.com Diffusion / Distribution : Harmonia Mundi EAN 9782874493003 ISBN 978-2-87449-300-3 288 pages – 23 €


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