Ibilka - hors série #2 - Basques d'Argentine

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À 4 200 m, le col du Cristo Redentor, l’un des plus hauts d’Amérique — l’un des rares permettant l’accès vers le Pacifique, 600 à 1 000 camions l’empruntent chaque jour — et son célèbre tunnel de 3 km inauguré en 1980, signalent l’arrivée à Los Libertadores, la frontière avec le Chili. Le souffle est court, celui du camion aussi ; quant au chauffeur, il se fait moins loquace. Nous jetons un regard effaré vers l’entrée de l’ancien tunnel qui s’apparente davantage à un boyau de mine. Carlos nous rappelle qu’autrefois, on ne pouvait s’y croiser et, qu’alternativement, train — il n’en reste que des moignons oxydés de rails — et camions l’empruntaient. Le bahut amorce la descente ou plutôt la dévalée versant chilien dont on comprend ici la sinistre renommée. Désigné comme Los Caracoles (les Escargots) à cause de l’allure adoptée par les camions ou peut-être de sa configuration, le tronçon abat 1 000 m de dénivelé sur 15 kilomètres pour trente-deux vertigineuses courbes en épingles à cheveux lesquelles, pour un infime écart de roue, une infinitésimale faute d’attention, peuvent se muer en mortel toboggan. Chantier perpétuel, ce fragile miracle de béton débobiné à hauteur des nues ou à l’ombre sinistre de formidables cônes de déjection régurgités par les géants andins, est balisé de tombes, de carcasses de véhicules et maladroitement repeint à la gomme de coups de patins désespérés qui vont se perdre vers le fond d’insondables précipices.

Don Vicente et la famille La famille Lecea au complet. Trois générations embarquées.

trente-deux vertigineuses courbes en épingle à cheveux ne tolérant aucun écart Le cœur manque et les récits épiques de Vicente me reviennent en mémoire : ceux de descentes au pas du lama, en ménageant des freins en surchauffe, les zones à l’ombre tapissées de verglas l’hiver, les dépassements inconséquents, les 30 tonnes de charge que l’on sent comme posées sur le dos et le souvenir des copains partis au tas. Los Andes, première commune chilienne ; pour nous la fin de l’odyssée. Comme dernière image, la silhouette familière du Volvo disparaissant dans une nuée entre deux haies de cactus piqués sur des bas-côtés torrentueux, le vacillement des warnings en guise d’agur. De Berastegi du Gipuzkoa à Santiago du Chili seulement 12 000 kilomètres, pour Don Vicente Lecea, la circonférence d’un volant, la démesure d’une cordillère et l’espace d’une vie pour forger une légende. Mots-clés/Hitz gakoak Camion : kamioi Fret : pleit Entreprise : enpresa Col de montagne : lepo, mendate


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