ibilka
le magazine
NUMÉRO 9 - 2015 UDABERRI / PRINTEMPS
Pottok
Après des décennies de déclin, d'oubli et de mauvais marketing, le pottok renaît sous l'impulsion d'éleveurs qui espèrent bien lui redonner toute sa place dans la galaxie équestre.
Et les Basques découvrirent l'Amérique
Bien avant Colomb, des hommes venus du sud-ouest européen découvrirent l'Amérique sans aucune volonté de colonisation. C'est peut-être pour cela qu'on les a oubliés.
Amaiur
Une histoire navarraise de trahison et d'héroïsme.
Ortzaize
Sous la tutelle rassurante de l'Haltzamendi et du Baigura, Ossès égrène ses maisons, comme son histoire, au fil du temps.
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Le linteau,
une histoire gravée
atalburua, historia bat zizelkaturik.
Bere elementu bereizezina, euskal etxeari zeharo loturik, atalburuak familiaren historia, sinbolikoki, kontatzen digu. t e x t e Txomin Laxalt / photographies Cédric Pasquini
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utre qu’ils sont l’orgueil du propriétaire, on ne reviendra pas sur l’importance de l’etxe en Euskal Herri, le plus souvent les atalburuak ou linteaux de portes, sont de petits trésors d’art lapidaire, une discipline dans laquelle les tailleurs de pierre basques se sont rendus maîtres. Modestes ou ouvragés, ils sont plus qu’une plaque d’identité désignant le nom de la maison. Sibyllins, usant avec maestria de la symbolique, ils déclinent depuis des siècles des genèses de maisonnées, d’une manière aussi laconique, aussi ramassée qu’un message sur Twitter. Le linteau n’a pas l’outrecuidance du blason ; dans sa retenue, il participe de l’harmonie de la façade. Surtout, plus qu’une fonction décorative, il est un élément architectural essentiel lequel, tout en s’associant au soutien du mur, affirme symboliquement la stabilité, la cohésion de la famille qui séjourne depuis des générations. « Qu’elle soit de statut noble, franche ou fivatière, les termes de maison et d’homme étaient interchangeables et comme synonymes » rappelle JeanBaptiste Orpustan, spécialiste de la domonymie de l’etxe. D’ailleurs, comme pour en souligner l’osmose, on anthropomorphise volontiers les murs en leur donnant la parole : « Infançon sortu niz, infançon hilen niz » (Infançon je suis né, Infançon je mourrai ), affirme en
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six mots cet atalburu, revendiquant ainsi haut et fort, une qualité de descendant de cadets de la noblesse et jouissant des avantages de cette dernière. À Urdiñarbe (Ordiarp), on peut lire sur le linteau de la Maison Ahetzia : « Mendez mende jarraikia, izena dut Ahetzia, zaharrex erakutsia, etche bat naiz idekia » (À travers les siècles on m’a nommée Ahetzia, démontré par les ancêtres, je suis une maison ouverte), relevé par l’association Ikerzaleak en guise de délicate bienvenue ou encore, gravé au-dessus de l’entrée du moulin d’Asconeguy de Maule : « Houric gave, bihirik elliro, eho hourdenian, irin hoberic, ezin izaten » (Sans eau, on ne pourrait moudre le grain, quand il y a de l’eau il ne peut y avoir de meilleure farine). Avec humour et en français, cet autre à Iholdi, suppose la fonction : « Ici on donne à boire et à manger aujourd’hui payant et demain pour rien ». Témoignage brut d’un art populaire, atalburua manifeste une connaissance de la symbolique, des objets ou des éléments cosmogoniques accompagnant généralement l’énoncé. Certains spécialistes ont cru deviner dans les S et N parfois inversés, non point une écriture mal maîtrisée mais des déficiences ophtalmologiques témoignant d’une forme aigüe d’astigmatie. Souvent, raccourci d’un arbre généalogique, les noms gravés attestent de l’importance de la maison en Pays basque et du nom qui lui est intimement lié. « Nahiz ez den gaztelua, maite dut nik sor-lekua aiten aitek hautatua » (Bien que ce ne soit pas un château j’aime la maison choisie par le père de nos pères), rappelle la vieille chanson.
Mots-clés/Hitz gakoak Linteau : atalburu Graver : zizelkatu Mur : horma Descendance : ondokoak
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ÉDITORIAL
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Rêveries printanières
Société éditrice : BAMI Communication Rond-point de Maignon, Avenue du 8 mai 1945 BP 41 - 64183 Bayonne bami-communication@bami.fr Directeur de la publication : Jean-Paul Inchauspé Coordination : Jean-Paul Bobin Textes : Txomin Laxalt, Jean-Paul Bobin Direction artistique : Sandrine Lucas Fabrication : Patrick Delprat Iru Errege Le Forum 64100 Bayonne N° ISSN 2267-6864 Photos : P.14 : Jean-Daniel Chopin p.20 : Emmanuel Grimault Couverture : D.R
Et si nous profitions de l'arrivée du printemps pour laisser notre pensée divaguer, notre imagination flotter au gré des « Et si », chers à tous les utopistes de l'Histoire. Et si, il y a près de 22 000 ans l’Amérique avait été découverte par des Européens, bien avant les ancêtres des Amérindiens venus d'Asie ? Et si ces Européens, répondant au joli nom de Solutréens, étaient venus du Sud-Ouest de l'Europe et du Pays basque ? Loin d'être une supposition, il s'agit-là d'une hypothèse des plus sérieuses portée et argumentée par des archéologues et des généticiens des plus grandes universités américaines, britanniques et basques. Autant d'interrogations auxquelles s'efforce de répondre, chaque année, le congrès international Atlantiar qui se déroule à Irun au mois de mai. Et si — autorisons-nous l'uchronie — ce 19 juillet 1522, les troupes navarraises qui s'opposaient à l'annexion de la Navarre à la couronne de Castille avaient triomphé à Amaiur, et si le royaume de Navarre était resté fort et indépendant. Qu'en serait-il aujourd'hui du statut international d'Euskal Herri ? Et si notre pottok trop longtemps relégué — dans le meilleur des cas — à une iconographie folklorisante et ringarde pour cartophiles, retrouvait la place qui fut la sienne ? Aujourd'hui, une poignée d'éleveurs s'y emploient qui, de sélections en croisements, travaillent à l'amélioration de la race et œuvrent pour sa réelle reconnaissance. Et si Basajaun existait vraiment ? C'est bien là tout le charme de la mythologie de nous entraîner sur la frontière ténue entre chimère et réalité. Ce n'est pas Dolores Redondo, auteure de De chair et d'os, le deuxième volume de sa Trilogie de Baztan, qui nous dira le contraire. Et si nous prenions un peu plus de plaisir à vous retrouver à chaque nouveau numéro ? Mais là, nous ne sommes plus dans le rêve, mais bien dans une réalité que, nous l'espérons, vous partagez avec nous.
Jean-Paul Inchauspé, Directeur de la publication
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PORTRAIT
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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Cédric Pasquini
UN FAISEUR D’HISTOIRES
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PORTRAIT
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1983 :
1990 :
1993 :
1997 :
2013 :
conteur professionnel et début des tournées.
tournées internationales, Québec, Suisse, Afrique.
père pour la première fois.
…pour la deuxième fois.
à la retraite, l’artiste conteur devient artisan conteur.
DATES CLÉS
IXTORIOEN EGILE BAT Ez bakarrik haurrentzat baizik eta helduentzat ere kondalaritza egina da. Badira orain hogoi ta hamar urte baino gehiago, Koldo Amestoy-k liluratzen gaituela.
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a tombait drôlement bien. Il faisait un temps à ne pas mettre un chat, même botté, dehors ; à regarder cascader la pluie derrière la buée de la fenêtre du bistro plutôt ; ou mieux encore, à s’enfiler des cafés en devisant avec Koldo Amestoy (1952, ArrutaSarrikota). Conteur de son état, nous dirons que Koldo Amestoy vit à l’année longue à Ibarxola, un village situé au Pays basque quelque part entre Maule et Bilbo, sans doute voisin d’Obaba, vous savez, le village de l’écrivain Bernardo Atxaga, situé, lui, entre Bilbo et Maule. Si vous préférez, là où ne vous conduiront ni GPS ni IGN les mieux gaulés, les méridiens de l’imaginaire ne croisant jamais ceux de la géopolitique. Un père cantonnier qui côtoie au quotidien collègues de peine mais aussi ingénieurs des Ponts et Chaussées et surtout le peuple des routes et des chemins lesquel s’exprimait alors en euskara, en gascon et en français, une mine de chroniques que, pépite à pépite, cueille Koldo à défaut de contes à la veillée. Un goût pour l’observation de la nature, des objets fabriqués à la main et de leur harmonie plutôt que pour des études techniques qui le feront tâter du >> dessin, finalement une forme de projection virtuelle déjà. Le théâtre, l’improvisation, le théâtre de marionnettes attirent davantage ce timide et, dans ces années 70 où tout relève du possible, Koldo se gave de récits « ceux du conteur Henri Gougaud qui fit aux côtés de Claude Villers les grandes heures de France Inter mais je dévorai aussi La Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim. » Il collabore de même à cet espace de liberté que fut, en ces années, Radio Adour Navarre où il raconte en euskara. Au sein d’AEK (Alfabetatze Euskalduntze Koordinakundea) il est aussi le lien entre Ipar et Hegoalde, jusqu’à cette année de 1983 quand il décide de faire du kondalaritza (conte) ou, si l’on préfère de la parole, son métier. Kondalaritza, un univers où le mot seul suffit pour camper un décor, évoquer un temps, vous faire prendre des vessies pour des lanternes et un pandero (tambourin) — prolongement naturel de son bras, Koldo ne s’en sépare jamais sur scène — dont le cercle parfait peut devenir tour à tour : un soleil, une lune, un tupin (chaudron magique ou pas) et les cymbalettes, quand il les fait scintiller, une pluie d’étoiles filantes ; rudement pratique quand il vous fait minuit à midi. Jusque dans les années 1990 Koldo conta en euskara mais ce jongleur de mots s’est vite pris à jouer aussi avec le français, bien commode quand il colporte ses mots à travers
Tout l'art du bon conteur est de tenir son public en haleine du début jusqu'à la fin
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l’Hexagone. Alors, avec sérieux, il vous demande : « Comment tu dirais toi, un beau hêtre ou un bel hêtre ? » À vous voir perplexe, un sourire l’éclaire et de vous délester de l’insupportable poids de l’énigme : « On a “beau être” un “bel hêtre”, on n’en est pas moins un arbre ! » Avec l’euskara, il s’affranchit des contraintes grâce à la richesse d’onomatopées évocatrices telles les tipi tapa (à petits pas), hautsi mautsi (arrangement) et autres tarrapatan (avec précipitation) ou harriola marriola, du nom d’un de ses spectacles, permettant de retendre le fil du récit. Car là réside tout l’art du conteur : tenir en haleine. « Le conte s’inscrit dans un triangle avec au sommet ipuina (le conte) et à la base le public et le conteur qui, ne donnant que quelques clés, doit laisser imaginer ; avant tout le conte, c’est la liberté », se plaîtil à affirmer. Une liberté qui lui permet de collaborer avec des chanteurs, des danseurs, des musiciens.
Le conte est un monde Ne pas croire surtout que le conte s’adresse au seul public enfantin, l’adulte se plonge avec délices dans ces récits tout en demi-mots, demi-teintes, voire en sous-entendus quand ils empruntent quelques allées du genre… cavalières. Parce qu’il éclaire les structures de l’imaginaire, le symbolisme prévaut toujours, ainsi quand dans son spectacle Harriola marriola, Koldo nous convie à soulever harria (la pierre), c’est pour mieux nous laisser imaginer ce qui se passe d’intéressant sous terre, depuis Herensuge (dragon) jusqu’au métro. Un regret peut-être, une jeune génération qui, en Iparralde, ne prend pas le relais préférant au conte le bertsolarisme, « une autre façon de jouer avec les mots ». En Hegoalde, le Behin bazen (il était une fois) a fait des émules et de citer ses complices en contes : Pello Añorga, Virginia Imaz, Joxe Mari Carrere, Itziar Rekalde et comme le verbe n’a pas de frontière, il évoque ceux avec qui il partage les veillées du monde : la Haïtienne Mimi Barthélémy, le Norvégien Abbi Patrix, l’Africain Rémi Boussinguy, le Breton Gigi Bigot, le Parisien Pepito Mateo. Pour être universel, le conte est un monde sur lequel le tambourin, pardon, le soleil, ne se couche jamais.
Mots-clés/Hitz gakoak Conte : ipuin Imagination : irudimen Veillée : beilaldi Fil : hari
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LES BASQUES
t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Santiago Yaniz Aramendia
20 000 ANS
AVANT COLOMB
Solutréen L'art de la taille du silex par les Solutréens et les outils retrouvés et datés (- 22 000 ans) sur le continent nordaméricain tendraient à prouver que les Solutréens auraient peuplés l'Amérique bien avant les populations venues d'Asie !
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EUSKALDUNAK, COLOMB BAINO 20 000 URTE LEHENAGO Lau urtez geroztik, Xabi Otero-ren kabuz, Atlantiar kongresua munduko ikerlaririk famatuenekin Euskaldunen eta Ameriketako lehen nazioen arteko harremanei buruz ari da.
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Maison et musée À droite, détails de la maison de Xabi Otero. À gauche, taille de silex et d'os.
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eau de silence, abrupt comme une insoluble énigme, immobile comme un vaisseau échoué, sous la silhouette rustaude du mont Autza, Jauregizarrea veille du plus loin de ses 1 000 ans d’histoire. Arraioz (Vallée du Baztan) n’est qu’à un tir d’arquebuse du château d’Amaiur (lire pages 18-19). Le prix de la trahison d’un des seigneurs du lieu, Juan de Ursua – il facilita l’attaque et la destruction du dernier verrou navarrais par les troupes de la couronne d’Espagne – se lit aujourd’hui encore sur la porte d’entrée d’une de ces dorre etxea (maison tour) dont Jauregizarrea est certainement l’un des fleurons. Avec la dorre etxea, la porte du château d’Amaiur, symboliquement, fut offerte au noble félon et, 500 ans après, elle s’ouvre sur le visiteur émerveillé qui a la chance de pénétrer >> dans ce qui est devenu l’académie d’une réflexion audacieuse sur notre patrimoine. Remodelé pour s’adapter à l’ogive de la porte d’entrée, l’huis exprime toute son inexpu-
À Jauregizarrea, l'esprit des lieux étreint celui qui pénètre dans la demeure historique
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gnabilité — bien que forcé en ce funeste jour de juillet 1522 — aussi épais qu’une pierre d’angle, bardé de ferrures, il porte les stigmates du siège. Les pointes des carreaux d’arbalètes sont encore fichées en son mitan et les perforations ayant eu raison du blindage de fer témoignent de la violence de la mitraille. « Cette maison est le reflet de ma folie », nous avait confié Xabi Otero (San Adrían, 1953) son nouveau seigneur. Il lui en aura fallu pour, aux côtés de son épouse Beatriz, redonner lustre à ce trésor architectural que l’on peut admirer depuis la route menant vers Iruña. Photographe exceptionnel, dessinateur, éditeur, voyageur inlassable, ce curieux de tout a publié plus de 200 livres consacrés au patrimoine basque. Ethnographe amateur éclairé, passionné par son pays et les rapports qu’il aura pu développer au travers de son histoire avec les autres cultures, Xabi Otero a décidé en 1987 de faire de Jauregizarrea, une ruine démembrée à mi-chemin entre grange et baserri (ferme), son tue vent. L’esprit du lieu étreint celui qui pénètre dans la demeure historique. L’ombre des seigneurs de Navarre mais aussi celle des grands procès de sorcières du
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Jauregizarrea Type même de la maison tour, Jauregizarrea abrite un atypique fonds pour l'étude et la diffusion de la culture basque et de son histoire.
Xabi Otero Le maître de lieux, honnête homme cher à Montaigne, à la fois photographe, écrivain, ethnologue est surtout curieux de tout ce qui concerne l'histoire et la culture de son pays.
Baztan (ici furent pensés au XVIIe siècle leurs iniques réquisitoires et décidées les fatales condamnations) planent entre les entrelacs formidables des bois étayant les murs. Est-ce vraiment un hasard si ici, repose désormais un atypique fonds pour l’étude et la diffusion de la culture basque et de son histoire, de la Navarre aux glaces de Ternua (Terre-Neuve) ? Depuis l’immense salon rendu aux seuls livres, aux meubles et aux objets qui ont la patine de siècles d’usage, Xabi nous entraîne dans un voyage de plus de 20 000 ans, pour une aventure humaine digne des grandes sagas. Dans ces temps ou plutôt cette ère, les glaces recouvraient une bonne partie de ce qui n’était ni l’Europe, ni l’Atlantique. Seul le sud-ouest géographique de ces terres d’extrémité était vivable pour l’homme, lequel, endurait néanmoins une température de – 20°. Ce temps de l’histoire, les scientifiques le désignent du joli nom de Solutréen dont les Eyzies (Dordogne), Izturitze (Labourd), Santimamiñe (Biscaye), Altamira (Cantabrie) en sont les sites emblématiques. Atlantiar, c’est, depuis 2012, plus qu’un congrès qui se tient tous les ans au mois de mai, à Irun (Gipuzkoa). Des états généraux de scientifiques plutôt, que les accointances entre les peuples interpellent. Xabi Otero en est le maître >> d’œuvre : « Nous avons voulu créer la conscience d’un passé et souhaité que les chercheurs d’ailleurs nous apportent un nouvel éclairage. En quatre ans nous avons obtenu des
L'industrie solutréenne se situe à l'apogée de la taille du silex et se caractérise par ses lames
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résultats qui nous aideront à mieux comprendre non seulement notre Histoire, mais aussi celle des divers groupes avec lesquels les Basques ont entretenu des relations. » Le résultat est à la hauteur de l’ambition de la tâche, bien que la pugnacité n’ait pas encore eu raison de la pensée orthodoxe de ceux qui n’osent pas aller voir plus loin que leur béret.
Une aventure de 23 000 ans Les personnages de cette aventure hors du commun, chercheurs mondialement reconnus, s’appellent entre autres, Stephen Oppenheimer, médecin pédiatre et généticien au Green College d’Oxford, Dennis Stanford et Margaret Jodry, archéologues spécialistes du paléo-indien de la Smithsonian Institution (USA), Ron Williamson, archéologue canadien découvreur de l’exceptionnel site Huron de Manttle (Canada) et de la fameuse hache sans doute d’origine basque, Bruce Bradley, anthropologue de l’Université d’Exeter (Grande-Bretagne). À la fin des années quatre vingt dix, ils ont osé l’hypothèse dite solutréenne, selon laquelle, il y a 22 000 ans, les populations proto-basques du Golfe de Biscaye, alors envahi d’icebergs, auraient affronté les glaces, débarqué sur les côtes des terres de l’Ouest, de la Floride jusqu’au nord de l’Amérique actuelle, formant ainsi les premières populations avant le peuplement migratoire venu d’Asie (- 11 500 ans) par la Sibérie et le détroit de Béring. Pour étayer leur démonstration ? Les outils trouvés sur place et datés. Ils n’ont leur équivalent que
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Feuilles de laurier Ces outils doivent leur nom à leur forme. Leur singularité est aussi le marqueur de leur origine.
dans le Sud-Ouest de la France. En effet, l’industrie solutréenne se situe à l’apogée de la taille du silex et se caractérise par un raffinement dans l’art d’obtenir des lames efficaces et esthétiques. Appelées feuilles de laurier pour leur forme, ces outils, dans leur singularité, valent marque d’origine. L’opposition affichée des scientifiques qui tenaient pour acquis, depuis les années trente, l’origine asiatique des peuples premiers amérindiens, fut battue en brèche quand le généticien DouglasWallace, par une série de tests ADN (recherche du génome michotondrial utilisé en génétique des populations humaines) auprès de la nation Ojibwa, prouva qu’il existait un peuplement plus ancien que le groupe asiatique et qu’il provenait du sud-ouest de l’Europe. Les arguments d’une navigation problématique furent aussi balayés, l’homme solutréen sachant coudre les peaux, était capable à l’image des Eskimos, à partir de canoës, d’une navigation hauturière de banquise en banquise. On imagine le retentissement dans le monde scientifique. L’émotion fut surtout vive au sein des communautés amérindiennes qui durent reconsidérer une histoire déjà doulou-
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reuse et admettre que les Europoéens qui les dépossédèrent à partir du XVeᵉ siècle, pouvaient être leurs ancêtres ! Atlantiar, c’est, depuis quatre ans la recherche obstinée d’une vérité historique. Atlantiar, c’est par l’histoire revisitée, le rapprochement entre les peuples, étant prouvé aujourd’hui que les Basques présents en Amérique du Nord avant Colomb, n’eurent aucune velléité de conquête. Présent au congrès de 2014, Stephen Augustine, chef du Grand Conseil Mi’kmaq et directeur de l’Unama’ki College (Canada) ne manqua pas de rappeler comment l’euskara s’était naturellement agrégé à la langue algonquine. Une aventure qui démontre la capacité de notre espèce à s’adapter à un nouvel environnement et que, par-delà les millénaires, ni les glaces, ni les mers, ni les hommes, n’empêcheront jamais la quête universelle d’une vie meilleure.
Mots-clés/Hitz gakoak Iceberg : izozmendi Chercheur : ikerlari Migration : migrazio Ère : garai
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UN GRAND CHEVAL BASQUE Duela urte batzuk, hazle isolatu batzuek pottokari sinesgarritasuna ematea erabaki dute. Hats luzeko lan bat baina erakargarria.
encolure courte et puissante, jarrets coudés, ventre bedonnant, tout semble montrer dans les pottok les descendants presque immodifiés de ces chevaux de l’âge quaternaire qui vivaient en troupeaux, poursuivis par les chasseurs aurignaciens. » Aujourd’hui, on l’aime statique, émergeant de la fougère, la crinière balayant son œil rond comme une mare et tout empreint de tendresse. Il est le bibelot préféré du touriste en goguette et s’il traîne une vague réputation de cabochard et d’insociabilité, on le veut ami des enfants, tout ce qui est petit ne pouvant être qu’aimable et rassurant. Fin du chromo, la réalité est tout autre.
Plaidoiries pour le pottok
Dans le riche bestiaire du Pays basque, pottoka occupe une place finalement peu enviable parce que, victime de son succès, l’emblématique animal nourrit les clichés les plus ringards de notre montagne quand on le réduit à occuper le premier plan de la carte postale et qu’on le fait répondre à la seule et morne définition de petit cheval basque. Dans son précieux ouvrage, Les Basques, Philippe Veyrin écrivait en 1942 : « En fin de compte, l’animal le plus typique de la faune basque demeure sans doute le pottok, ce vigoureux poney qui s’élève tout seul, aux trois-quarts sauvage, couchant à la belle étoile et se reproduisant librement dans les communaux du Labourd. Petits chevaux rustiques, très velus, à grosse tête,
Question origine, Gaston Astre, naturaliste et paléontologue de renom, affirmait en connaissance de cause que pottoka serait le descendant du poney sous-pyrénéen du quaternaire. Pour faire bref, à l’instar de ce Basque qui avait rivé le clou à ce gentilhomme français se vantant d’appartenir à une lignée remontant au VIIIeᵉsiècle, notre équidé s’il fut doué de la parole pourrait répondre : « Nous, pottokak, nous ne datons pas. » Avant que d’être des seules bêtes de foire, ou des montures dociles de poneys-clubs, pottokak furent tour à tour, d’infatigables chevaux de mines, leur petite taille leur permettant d’évoluer dans les galeries les plus étroites, des animaux de cirque appréciés. Désormais, le plus souvent laissés à l’année longue aux rigueurs des quatre saisons sur les pentes, ils assurent le nettoyage de la montagne et l’achalandage des étals de boucherie, destinée peu honorifique pour un animal faisant partie intégrante du patrimoine basque. C’est ce que laissaient entendre André Etchehandy et Claude Prat, atypiques éleveurs de pottokak, hors jours ouvrables, c’est-à-
dire amateurs dans le sens le plus noble du terme, puisant dans leurs congés… et leur bas de laine pour satisfaire une passion onéreuse. Pour comprendre la démarche, il s’agissait d’aller à la délicate rencontre d’un monde rude, discret autant que complexe. S’y opposent, fort d’un acquis, les tenants d’une tradition rurale et les frondeurs, bousculeurs des précédents, zélateurs d’une inédite utilisation sportive… à tout crin, oserions-nous dire, mais les deux s’accordent, à leur façon, à plaider pour le plus basque de nos équidés. Pour faire bref et prudent, une querelle entre Anciens et Modernes, version XXIeᵉsiècle. Nous avions décidé de suivre cette poignée de rebelles, une quinzaine en Pays basque, qui ont décidé de relancer un élevage en travaillant à la revalorisation de cet extraordinaire poney. Un parcours initiatique qui, fatalement, se devait de commencer à Heleta, au jour de la Santa Katalina. On le sait, le 25 novembre, quand d’aucunes coiffent Sainte-Catherine, d’autres ne manqueraient pour aucun chapeau ou béret au monde, la foire d’Heleta, le rendez-vous de tout ce qui hennit entre Lapurdi et Zuberoa. Nous
Le nouveau pottoka Une poignée d'éleveurs rebelles ont décidé de relancer l'élevage en travaillant à la revalorisation de la race. Nous les avons rencontrés. Premier rendez-vous incontournable à Heleta, à l'occasion de la Santa Katalina.
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ON ESTIME AUJOURD'HUI À QUELQUE 2 500 INDIVIDUS LE NOMBRE DE POTTOKAK allions donc entre les travées, conscients de n’être que les spectateurs d’une immémoriale séquence codifiée qui, au-delà d’une simple foire aux bestiaux, trame obstinément l’indispensable tissu social, garant de l’identité de ce pays. Pas moins de mille chevaux, pottoka se taillant la part royale, et autant de maquignons y étaient réunis.
Défendre et améliorer la race Sous l’auréole de leurs bérets, poings noueux serrés sur le long bâton de noisetier, ils allaient par petits groupes au fil des conversations sibyllines tenues dans cette langue aux origines aussi anciennes que le sujet qui nous intéresse. L’occasion idéale pour un apprentissage équin. André Etchehandy et Claude Prat entre deux considérations sur un défaut d’encolure ou sur une ensellure trop prononcée, s’attachaient à définir les canons de la race, auxquels tout randonneur du dimanche peut se référer : « bai (robe d’une seule couleur, fauve tirant vers le rouge ou vers le noir, ndrl), pie (robe deux couleurs dont une blanche), alezan, une encolure courte et un dos plutôt long, un chanfrein rectiligne du front au bout du museau », arguait André, « mais attention, cela peut s’avérer un défaut lors d’un concours », précisait Claude, vétilleux, « un animal mobile, pas de double croupe, la crinière battant sur un côté, queue plutôt basse, sabots petits et durs, membres secs, et peu de fanons (poils rigides situés au-dessus du sabot et derrière le pied des ongulés, ndrl). » À la matinée avancée, les premières idées reçues s’envolaient. Alors que, pris au jeu, nous nous intéressions aux tractations des maquignons, le verdict s’abattait, sévère : un pottoka s’acquiert ici, pour une quarantaine d’euros ! « Ils sont revendus à six mois à des centres équestres mais malheureusement, le plus souvent à la boucherie, une fin un peu triste pour un animal de cette qualité. », déplorait Claude Prat. Il fallut l’heure de l’Angélus et la séquence apéritive au comptoir de l’une des auberges de la place pour dans un joyeux brouhaha, entrer dans le vif du sujet. Il fut question d’abord de la responsabilité de tout éleveur qui est, par principe, de défendre et améliorer la race dont il est quelque part le dépositaire, en l’occurrence pottoka, par une sélection des plus rigoureuses. Véritable dictionnaire de la noblesse, authentique Who’s who équin, contrôlé par les Haras nationaux, le Stud-
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book répertorie tous les reproducteurs et poulains portant la désignation d’une race. Un livre A regroupe pottokak de race pure et un livre B, des produits croisés conservant au moins 50 % de sang pottoka. Il fallait bien une autre tournée pour s’attacher à une histoire qui nous ramènerait un demi-siècle en arrière, en ces années 60, quand beaucoup de poneys furent importés. Ajouter à cela, une peste équine qui contraignit au recensement des animaux. Il n’existait pas alors de standard pottoka, seulement des poneys et des double poneys (croisés avec du lourd) et dont la seule destination était la boucherie. On doit au truculent Paul Dutournier (1910-1993), ancien maire de Sara et inlassable défenseur du Pays basque et de toutes ses causes, non seulement la création d’une indispensable ANP (Association Nationale du Pottok ) mais grâce à son travail obstiné auprès du ministère de l’Agriculture, l’obtention en 1970, après une authentification des standards, d’un Livre généalogique de la race pottoka d’après les éléments les plus caractéristiques d’un cheptel estimé alors à 3 500 bêtes. Aujourd’hui, la population n’a guère varié, ce sont quelque 2 500 pottoka qui évoluent en montagne ou en plaine, la nuance est à souligner. Pottoka de montagne, du fait d’une herbe pauvre, sera plus petit, une moyenne de 1,25 m, que pottoka élevé en prairie, qui bénéficiant d’une herbe plus riche, aura une taille oscillant entre 1,35 m et 1,45 m.
Sara, 19 juillet 2014. Le jour est d’importance pour André Etchehandy. André n’est pas un nouveau venu au pied de Larroun. Chaque année il se doit d’être présent au concours de pouliches organisé par l’ANP, réunissant la fine fleur du sabot, la crème des aplombs. Ici pas ou peu de cagneux, de double croupe, de jarrets clos ou cambrés, de pottoka sous lui ou campé mais plutôt de l’harmonie, de l’équilibre et du poil satiné. Quelque part le mentor d’André, Claude Prat, éleveur à Belus (Landes) connu pour son franc-parler, traque le défaut dans de savantes considérations géométriques : cheval qui doit s’inscrire dans un carré, angles tracés entre l’inclinaison de l’épaule et sa pointe, un juste croisement de l’abscisse et de l’ordonnée tracées depuis les bords supérieur et inférieur du garrot ; un inventaire qui échappe au spectateur badant les 146 pot-
Nouvelle fierté Pages précédentes, la célèbre foire annuelle d'Heleta. Ci-dessous, André Etchehandy et Quieta, vainqueurs à Sara. À droite, repas convivial et discussion animée entre éleveurs.
Sentinelles du temps Là, invisible de ceux d’en bas, une terrasse, parfois de contrebande, accagnardée entre deux immeubles ; ailleurs, trois chapeaux de cheminée, marmottes de terre, semblent surveiller cet océan de briques.
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UNE SÉLECTION RIGOUREUSE, DES CROISEMENTS MÉTICULEUX ET UN ENTRAÎNEMENT D'ATHLÈTE
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à l’entrainement de jeunes cavaliers. L’aboutissement, d’un dressage accompli dans la complicité homme animal, la quintessence d’un animal amené vers le haut. Enfin, une belle généalogie fait la fierté de l’éleveur.
Vers une Maison des Pottokak ?
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En concours Si l'image du cheval en liberté n'est pas prête de disparaître, le nouveau pottoka, bichonné par ses éleveurs, est désormais l'objet de toutes les attentions pour préparer les concours.
ET EN HEGOALDE ? Pottoka a bien évidemment ignoré la frontière. Cependant la race avait pratiquement disparu en Pays basque Sud. En effet, l’agriculteur d’Hegoalde, plus pragmatique, par divers croisements, a préféré obtenir du cheval lourd plus apte aux travaux de la terre. Depuis quelques années, sous l’impulsion de l’association Bizkaia Pottoka, les éleveurs d’Hegoalde se sont attachés à la réintroduction de pottoka mais selon des standards différents de ceux d’Iparralde.
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toka présentés. André joue dans la modestie alors que la menant par le licol dans une élégante présentation il court devant Quieta, sa splendide jument aux éclats de bronze, laquelle roule de toute sa musculature, son poulain lui battant les flancs ; mais il sait déjà qu’il a remporté l’épreuve des juments suitées, le résultat mérité d’années de travail. Dans son remarquable livre Pottoka (1994), Jacques Pavlovsky écrivait à propos du choix compétitif : « La survie d’une race passant par son utilisation, ce “ petit plus ” a aidé le Pottok à changer de vie et à quitter la mine, le salami ou la farce des raviolis auxquels il était destiné, pour un usage plus noble et plus rentable pour les éleveurs. » Une sélection rigoureuse, des croisements méticuleux mais aussi un entrainement d’athlète de haut niveau pour un cheval qui va quitter sa montagne ou sa prairie pour se mesurer lors de concours nationaux aux plus belles races. Pottoka à la ville ou quand le plus rural des chevaux peut même plastronner à Biarritz, lors du prestigieux concours d’étalons ou au Generali Open de France de Lamotte-Beuvron, une Mecque équestre. Cela a des coûts, dont le transport, les vaccinations, la reproduction, le dressage ne sont pas les moindres. André le sait bien qui entretient sa dizaine de pottoka comme on veille sur une famille mais fait aussi, rentabilité oblige, fructifier un précieux capital. L’entretien de pottoka, quand il devient formule 1, revient à 2 000 voire à 3 000 € par an ; il pourra, cependant, être revendu jusqu’à 6 000 €. Un jour, chaque éleveur le sait, il devra se séparer de l’animal qu’il a élevé et qui a fait partie de la maisonnée car chez André Etchehandy, c’est toute la famille qui est impliquée ; mais la satisfaction est ailleurs. Ainsi, nous l’avions constaté en assistant au Centre équestre de la Nive (Bayonne)
C’était un dimanche d’automne, sur les collines au-dessus de Iholdi. André avait lâché ses pottokak. Le spectacle de la cavale galopant sur les crêtes que passementait l’or des fougères, crinière au vent, pelage lumineux, et muscles palpitants avec en fond Iparla, Artzamendi et Baigura, relevait de l’un de ces premiers matins du monde. Quand le soleil de cette belle journée fut au plus haut, nous nous retrouvâmes dans l’eskaratze (vaste pièce traditionnellement située après l’entrée servant à divers usages) de la maison familiale d’André Etchehandy pour un bazkari (déjeuner) d’anthologie réunissant une dizaine de personnes, la plupart éleveurs. Dominique Perret, ancien président de l’ANP, éleveur et auteur avec son frère Antoine d’un ouvrage de référence : Le pottok (1980), plaidait pour la tradition, regrettant son inévitable inertie mais louant le travail obstiné d’une nouvelle génération attachée à perpétuer la race, ferraillait dur avec ses voisins de table. Ignorant la mâle, intarissable mais toujours séante controverse opposant naisseurs et éleveurs, zélateurs de l’utilisation, nous observions à la dérobée la conjuration de coupes et de rubans, courant sur les meubles de la salle à manger voisine, témoignant d’autant de prix raflés par André. À l’heure des verres plus ventrus, il était toujours question de pottokak dont on célébrait certains noms : Kuzko, Maitagarria mais aussi Apache, Attila, Argia. Tous se prirent alors à rêver d’une véritable reconnaissance, d’une authentique sor marka (label d’origine), d’aides conséquentes pour garantir la pérennisation d’une des icônes de notre pays. Et une Maison de pottoka, pourquoi pas ? Ambroise Franchisteguy, ancien président de l’ANP aux heures pionnières et particulièrement respecté, avait assis l’unanimité d’une seule phrase : « Pottokak bere ahalak erakutsi ditu » (pottoka a fait ses preuves.) Pour paraphraser notre vieux chant : zer litzateke Euskal herria pottokarik gabe ? Que serait Euskal herria sans pottoka ? Pour en savoir plus : assinternatdupottokdesport@outlook.fr
Mots-clés/Hitz gakoak : Petit cheval du Pays basque : pottoka Poulain : moxal, zaldiko Jument : behorra Étalon : garaño
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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s S a n t i a g o Ya n i z A r a m e n d i a
Baztanen, Amaiur gaztelua, Nafarroako zahar erresumaren azken zantzua da. Historia ofizialaren beste irakurketa bat
QUAND LE PAYS BASQUE AVAIT DES ROIS ERREGEAK EUSKAL HERRIAK ZITUELARIK
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Amaiur 1521 Vaincus à Noain, les hommes d'Henri II de Navarre trouvent refuge au château d'Amaiur transformé en Fort Alamo.
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maiur, c’est ce village navarrais de 280 âmes qu’on laisse à main droite quand, venant de Dantxarinea, on en a fini avec le col d’Otsondo. Amaiur dont il faut franchir la curieuse arche pour découvrir les merveilles architecturales des maisons bordant sa kale nagusia. Les réalisateurs de films médiévaux ne se sont d’ailleurs pas trompés qui utilisent cet époustouflant décor naturel pour donner vie à leurs scenarii. C’était au soir du 21 juillet 2012. Amaiur 2012, plus qu’un inoubliable spectacle, nous avait renvoyés, comme par le fait de quelque enchanteur, cinq cents années en arrière, au soir d’une terrible bataille qui modifierait le visage d’une Europe en devenir. Comme s’achevait le spectacle, au-dessus de nos têtes les ruines du château mythique s’enflammaient dans un bluffant jeu de lumières qui avait réveillé les Mânes de ses derniers défenseurs. C’est en 2006 que la vénérable société des Sciences Aranzadi se lança dans les travaux d’exhumation des restes du château d’Amaiur dont beaucoup, connaissant sa haute signification symbolique, préféraient les savoir oubliés comme l’on fait d’archives par trop embarrassantes quand elles contraignent à une relecture de l’histoire. Du château posé sur la colline Gaztelu (château) la bien nommée, nous ne connaissions plus que l’austère obélisque — on peut le voir encore — dressé initialement en 1922 en souvenir des résistants au siège établi en 1522 par les troupes castillanes et sur la plaque duquel est inscrit : Napar askatasunaren alde Amayurko echarrian borroka egin zuten gizonai. Betiko argia. 1522. (Aux hommes qui combattirent au château de Amaiur pour l’indépendance de la Navarre. Lumière éternelle. 1522)
Amaiur 280 âmes Un village navarrais qui porte en ses murs le témoignage d'une guerre pour l'indépendance de la Navarre.
Pour la défense de la patrie
Les autres faces du monument portent, comme en résumé de l’histoire du vieux royaume, les armes des villes d’Amaiur — Amaiur obtint le titre de Ville en 1665 jusqu’à faire partie de la Junte du Baztan en 1969 — des provinces d’Araba, Gipuzkoa, Bizkaia, Nafarroa et celui réunissant les six arrondissements de Irunea (Pampelune), Erriberri (Olite), Tafalla, Zangoza (Sangüesa), Tutera (Tudela) et Ultrapuertos. Volontairement détruit en 1931, alors que se négociait à Lizarra (Estella) la création d’une entité navarraise, les restes éparpillés furent restaurés en 1982. Au pied de la colline se dresse depuis 2007, la stèle sculptée par l’artiste navarrais Pello Iraizoz. Elle porte l’inscription gravée en latin : Pro libertate patriæ, gens libera state et en euskara : Aberri askearen alde, jendea libre jaiki, (Pour la défense de la patrie, que se lèvent les gens libres). Que s’est-il donc passé dans ce coin du Baztan pour que 500 ans après, on se souvienne encore ? Tout commence à la mi-juillet 1512 quand les troupes des Rois catholiques, le duc d’Albe à leur tête, s’avisent de franchir les limites de la Navarre. Une Navarre qui ne brille plus des lustres d’antan et qui vit tiraillée entre les appétits des Maisons de France et d’Espagne, cette dernière gouvernée par les très catholiques mais surtout très gloutons souverains, Isabel I de Castille et Fernando II d’Aragon. Le 30 juin 1521, Le roi Henri II de Navarre envoie le général André de Foix, Seigneur de Lesparrou à la tête de troupes franco-navarraises (10 000 hommes) pour chasser l’envahisseur espagnol (30 000 hommes) qu’il affronte à Noain, aux alentours d’Irunea. L’opération vire à la déroute. Les vaincus, dans leur retraite précipitée, prennent possession du château d’Amaiur qui deviendra une borne frontière fortifiée autant qu’isolée, confiée à la garde d’une centaine de militaires. Leurs officiers ne savent pas qu’ils deviendront les héros d’un fort de la dernière chance et dont on peut lire les noms sur la fameuse
plaque : Jaime Belaz de Medrano, chef de la place, Miguel de Jaso — il est le frère de Saint FrançoisXavier — Juan de Olloqui, Juan de Azpilkueta, Luis et Victor de Mauleon. Le réduit sera oublié jusqu’en 1522, quand les troupes castillanes décident d’en finir avec la Navarre et de la contraindre jusqu’en ses limites, à Amaiur dans le Baztan. Les chroniques parlent d’une armée de 10 000 hommes et 1 600 cavaliers, s’étirant sur quatre kilomètres avec son train d’artillerie. Le 13 juillet 1522, l’ost castillan encercle le château et entreprend une canonnade en règle. La poignée de défenseurs repousse les attaques d’infanterie et tente même des sorties. Les assaillants ouvrent une brèche dans le château et, le 19 juillet, après une lutte acharnée, la garnison dépose les armes. On compte 39 survivants. Faits prisonniers, Jaime Belaz et son fils seront exécutés à Irunea. Venait de sonner la fin du temps où les Basques eurent des rois. Seize, pas moins.
Que s'est-il donc passé dans ce coin du Baztan pour que 500 ans après on s'en souvienne encore ?
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Mots-clés/Hitz gakoak : Château : gaztelu Siège : setio Ruines : hondamenak Assaut : oldar
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t e x t e s Jean-Paul Bobin
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SUR LES PAS
DES DISPARUS D'ARGENTINE Gaby Etchebarne continue son voyage sur les rives mouvantes de la mémoire collective. Dans son dernier livre, Sur les pas des disparus d'Argentine, elle retrace le calvaire de deux de ses amies. I : Comment avez-vous appris leurs disparitions ? G.E : Nous sommes une douzaine, dont Cathy et Léonie, à être sorties du couvent en 1975, et en 1977 ils ont pris Cathy, le 8 décembre et Léonie le 10. Un matin à Toulouse, une amie m'a appelé pour me dire qu'elles avaient disparu. Les témoins racontent qu'on a pris Cathy par les cheveux qu'on l'a trainée avant de la jeter dans une voiture sans immatriculation, comme toujours. I : Pourquoi avez-vous choisi de témoigner ? Cette histoire est connue, s'agit-il d'une enquête, d'un témoignage, d'un travail de mémoire… ? G.E : Un peu tout cela. Un témoignage parce que je raconte leur vie là-bas, les endroits où elles sont passées et que j'ai connus. C'est un travail de mémoire que nous avons mené avec Audrey Hoc. Nous avons retrouvé les lieux où elles ont été emprisonnées, torturées avant d'être jetées dans le Rio de la Plata. Dans le film, c'est horrible, on voit ces lieux.
I : Les disparitions ont donc commencé avant Videla ? G.E : Oui, bien avant. Lopez Rega et Isabel Peron ont fait la guerre à tous les subversifs. C'est pour cela que Cathy est venue à Buenos Aires et a aidé les mères de la Plaza de Mayo qui commençaient à chercher leurs enfants disparus.
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Sur les pas des disparus d'Argentine (1976-1983), Gaby Etchebarne. CD d'Audrey hoc. Préface Gabi Mousca. Éditions Karthala. 20 €.
BIBLIO
Ibilka : Votre livre évoque la disparition de deux anciennes religieuses, Alice Domon (Cathy) et Léonie Duquet, pourquoi elles précisément alors que l'on recense près de 33 000 disparus pendant les années noires de la dictature argentine ? Gaby Etchebarne : Parce que c'était mes amies, parce que j'ai travaillé avec elles, parce qu'on avait la même mentalité, la même option pour les plus pauvres J'ai travaillé avec elles pendant 6 ans de 62 à 68. J'étais chargée de la rénovation de la catéchèse. Léonie et Cathy étaient avec moi à ce moment-là. Je suis partie en 68 d'Argentine et après on m'a fait faire le tour du monde pour mettre en place Vatican 2 qui prônait d'ailleurs des trucs révolutionnaires, vivre avec les pauvres, la Théologie de la libération, critiquée par le Vatican ensuite. Cathy est allée vivre dans un bidonville à Buenos Aires et avec une autre religieuse, elles ont participé à toutes les luttes des gens du bidonville peuplé surtout des migrants : Boliviens, Uruguayens,etc. Souvent, les militaires arrivaient, les frappaient et détruisaient tout. Ensuite Cathy est allée dans le Nord, et s'est faite peon avec les peones. Elle était avec les ligues agraires que les militaires haïssaient et persécutaient. La répression a commencé avant Videla.
I : Qu'est-ce que vous a apporté ce travail avec une cinéaste ? G.E : Le film est très important. C'est un documentaire et les gens pleurent même. Nous sommes passées par les différents lieux visités avec des témoins, dont une ancienne prisonnière… C'est très émouvant. Nous sommes allées voir El Parque de la Memoria, un monument hommage aux victimes de la dictature. Je suis revenue bouleversée, je n'avais jamais vu ces lieux-là. La prison de Santa Cruz c'est un grenier où les prisonniers étaient attachés, les chaînes aux pieds, les mains attachées et la caputchita pour qu'ils soient encore plus isolés. Sous un toit avec 40° en été. Cathy a été torturée à la gégène. Leur arrestation était un malentendu, mais elles étaient trop mal en point, et les militaires ne pouvaient plus les relâcher. C'est pour cela que Miguel Benasayag à été libéré, en compensation en quelque sorte. Dans le film, on lit la lettre dans laquelle il dit que sa première fille, il l'a appelée Alicia en hommage à Alice (Cathy). C'est très émouvant.
C'est un travail de mémoire que nous avons mené avec Audrey Hoc
Je marche à leurs côtés : (Les Passés simples, 2002) Paroles de bergers : du pays basque au Far West (Elkar, 2005) Paroles d'Amatxi (Elkar, 2007) Les Chemins de l'exil, avec C. Mayor : (Empreintes, 2009) D'ici et d'ailleurs, paroles d'immigrés au Pays basque (Elkar, 2010) Hitza Hitz, paroles de Basques (Elkar, 2012)
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L’AFFAIRE FINALY On aurait pu croire que tout avait été raconté, ou presque, de l’histoire en Pays basque. Pourtant, qui se souvient de l’affaire Finaly ? Une de ces histoires auxquelles le terme rocambolesque s’applique parfaitement, relevée aux épices qui font les bons romans : politique, forfaiture, enlèvements, arrestations, religion(s). Il fallait bien l’historien bayonnais Jean-Claude Larronde pour s’atteler à cette enquête de… bénédictin – en ce cas, terme on ne peut plus idoine pour une affaire qui défraya la chronique et mobilisa les intellectuels, entre 1945 et 1953. Rappel des faits : les deux frères Finaly, Robert né en 1941 et Gérald, né en 1942, juifs mais baptisés en 1948, dont les parents sont morts en déportation, sont sauvés de la Gestapo par une catholique au jeu trouble. À la fin de la guerre, les enfants sont naturellement réclamés par la famille mais la tutrice, aidée en cela par le Vatican, s’oppose à la restitution. Les enfants Finaly, ballottés et cachés, sont retrouvés au Collège Saint-Louis-de-Gonzague de Bayonne et pris en main par le clergé basque qui les fait passer clandestinement en Hegoalde, alors sous la dictature franquiste. Pris en charge par le père Mauro Elizondo, moine éclairé à l’abbaye bénédictine de Lazkao (Gipuzkoa), ils seront enfin rendus à leur famille. Le livre, il se lit tel un roman, permet d’éclairer les attitudes différentes de tous les protagonistes basques de cette aventure. Un clergé en Iparralde, conservateur, héritier des idées maurrassiennes et un clergé d’Hegoalde, ouvert sur le monde et pénétré des idées démocrates chrétiennes. L’affaire Finaly au Pays basque – Jean-Claude Larronde – Éditions Elkar 25 €
Inspiration et chipirons Les gastronomes connaissent Ilura, l'une des meilleures adresses de Donibane Lohizune (Saint-Jean-de-Luz). Fabrice Idiart, formé chez Sarran à Toulouse et passé au Miramar de Biarritz aux côtés de Patrice Demangel, y propose une cuisine inventive et spontanée au grès des produits du marché. Dans ce petit recueil de recettes, il nous dévoile ses secrets, ses envies et ses inventions autour du chipiron (txipiroi), l'un des produits emblématiques de la cuisine basque. Une véritable petite bible pour l'amoureux qui y apprendra comment le choisir et y trouvera plein d'idées d'associations aussi surprenantes que délicieuses : fumés, en tempura, farcis à l'encre ou encore ce friand croustillant aux chipirons et pieds de porc. On prendra autant de plaisir à goûter ces recettes qu'à les confectionner. Chipirons, encornets, supions, calamars & cie. Fabrice Idiart. Éditions Sud Ouest. 15 €.
HILAK GURE ARTEAN
Egia da, hilen eta gure arteko trenkada hermetikoak mantentzen ditugu, salbu besta partikularren karietara. Domu Santuz adibidez, normala da. Baitan ere Eguberriz edo Ihauteriko egunetan. Anuntxi Arana-k ( Aiara, 1947 ), antropologoa, mitologiaren aditua eta, duela gutxi, Argizaoila-k saritua, kontatzen digu nola, beharbada ohargabean, harreman jarraikiak ditugu gure hilekin. Hilak gure artean, agerpenak eta jai-eskeak – Anuntxi Arana – Éditions Elkar 19 €
POLAR >>>
HISTOIRE
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DANS LES BRUMES D'ELIZONDO
L'écrivain donostiarra livre ici le second opus de sa trilogie du Bastan initiée par Le Gardien Invisible (lire Ibilka n°3). Elle nous entraîne à nouveau dans l'atmosphère chargée d'histoire(s) de la petite vallée navarraise dans les arcanes de la mythologie basque, dans l'entrecroisement des histoires, locales et familiales, entre sorcières, encore, et créatures de la mythologie. Nous suivons l'inspectrice de Pampelune, Amaia Salazar dans une des ses enquêtes qui la conduisent autant aux tréfonds de la vallée que dans ceux de sa mémoire. De macabres rituels font songer à ceux subis par les sorcières locales. On y découvre en écho à la modernité, les discriminations et mises à l'index subies par les cagots de Bozate, quartier d'Arizkun. Il ne s'agit pas d'un récit fantastique, mais bien d'une immersion dans une mémoire collective embrumée de souvenirs personnels. Comme l'écrivain islandais Amaldur Idrioason, Dolores Redondo tisse la toile de la mémoire de son pays, telle une minutieuse anthropologue. Chez elle, la description sociale tient autant d'importance que l'intrigue. Dolores Redondo est en passe de devenir un des grands noms du roman noir européen. De chair et d'os. Dolores Redondo. Mercure Noir. 25,50 €
PAR AMOUR DE LA BALEINE
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n roman ? une ode ? Une monographie ? Une longue lettre d'amour ? On ne sait pas trop comment définir ce drôle de livre, si ce n'est par le plaisir qu'on a pris à le lire. François Garde a côtoyé les baleines lorsqu'il était en poste à la Préfectorale, aux îles Kerguelen, il les a retrouvées en Martinique, et leur témoigne son attachement tout au long d'un récit empreint de charme et de curiosité(s) au sens du cabinet éponyme de la Renaissance. On y retrouve cette volonté encyclopédique mêlée à un certain goût pour l'hétéroclisme et l'inédit. Si Garde fait les présentations conventionnelles — poids, taille, etc. — il liste des questions plus surprenantes comme par exemple : « Pourquoi une rue de la
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baleine à Lyon », et dresse des constats qui ne sont pas moins étonnants, comme lorsqu'il doit, par exemple, décider du sort d'un cadavre de baleine échouée sur une plage : « J'avais appris deux ou trois choses à l'ENA, mais rien sur les baleines ! ». Plutôt qu'à La baleine pour les Nuls, le livre de François Garde s'apparenterait à un Dictionnaire amoureux de la baleine. À la lettre B on trouve, bien sûr Basques, en hommage à ceux qui furent « Les rois de la chasse à la baleine ». À J, Jonas, à M, un Melville présenté sans tendresse à l'inverse du G de Gadenne Paul et de sa nouvelle Baleine publiée en 1949. Gadenne qui termina sa courte vie au Pays basque. Décidément, la baleine nous y ramène toujours ! La baleine dans tous ses états. François Garde. Éditions Gallimard. 17,50 €.
DE BIARRITZ À L'AUSTRALIE
Patxi Babel, le jeune surfeur du premier album, La vague, à la suite des révélation sur son père décide de quitter Biarritz et le Sud-Ouest pour partir à la recherche de son vrai père en Australie. Il y découvre une sorte de paradis naturel aux vagues mythiques. Patxi continue ainsi sa quête d'identité. Patxi Babel. T2 : Maïtasun. Pierre Boiserie et Georges Abolin. Dargaud. 11,99 €
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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Santiago Yaniz Aramendia
notre connaissance Ortzaize (Osses) est la seule commune d’Euskal Herri à arborer sur son blason la montagne et l’aigle. Parions que l’artiste qui l’a tracé a du se hisser sur les hauteurs de l’Haltzamendi, du côté d’Elget, sous les orbes des grands rapaces, sur une des mille sentes conduisant vers le Baigura (890 m) afin de trouver l’inspiration. Depuis ce promontoire le visiteur embrasse le village dans son entier, ses huit quartiers, ses premiers voisins et, sans même se tordre le cou, loin vers la Navarre et plus loin encore vers les Pyrénées. Ortzaize — le toponyme apparaît dès 983 au capitulaire de Bayonne — un village de piémont, qui respire néanmoins à la haute montagne. Sous des pâturages suspendus, d’invraisemblables arêtes écorchent le relief pour achever leurs dévalées aux premières fermes du quartier Gahardou. Les fondateurs ont eu le nez creux qui ont décidé de relâcher sur le seul endroit où la terre n’a pas cru bon de pousser des reins, un lieu aussi plan que fertile, à un jet de houe d’Errobi, la plus basque des rivières qui ralentit ici sa course et s’offre un méandre amolli comme un arc débandé. « Igandero, mezatik landa, herriko jendea, nahiz gazteak nahiz zaharrak, elkarretaratzen zen elizaren aurrean, abisuak erezibitzeko, arno xuria hartu baino lehen. » (Tous les L’église Saint-Julien d’Antioche a été classée monument historique. dimanches, après la messe, jeunes et vieux se retrouvaient devant l’église pour recevoir les avis municipaux, avant le coup de blanc), nous rappelle Armand Jaunarena (Ortzaize, 1963). Nous renvoyons les moins de quarante ans qui auraient du mal à se représenter la scène, à l’attachant film The Land of the Basques réalisé en 1954 par Orson Welles. L’arrêt sur image s’impose : l’horloge de l’église Saint-Julien d’Ortzaize, une petite exception architecturale ( XIIe et XVIIeᵉsiècles) au curieux clocher heptagonal et bichrome, y marque 12 h ttanko (pile). On y reconnaît la maisonnette au pesage, évoquant les temps du
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ORTZAIZE LA MONTAGNE ET L’AIGLE ORTZAIZE, MENDIA ETA ARRANOA
Baigura pean kokaturik, Ortzaize, aldi berean mendiko eta ordokiko herri bat da, Errobitik bi urratsetan.
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Mots-clés/Hitz gakoak : Plaine : ordoki Clocher : kanpandorre Pastoralisme : artzaingoa Cadran solaire : eguzki orratz
marché à l’agneau, Etxe berria, l’imposante demeure de la place. Les costumes croisés, les chemises immaculées, l’auréole des bérets, les foulards noués des femmes témoignent de l’irremplaçable quiétude dominicale. Qu’est ce qui aurait pu changer un demi-siècle après sinon le carrefour vers Irissari quelque peu raboté, moins d’ostatu (auberge) et d’épiceries, ou peutêtre un tarissement de l’écho de la pelote contre un fronton aux strictes dimensions qui n’auront pas empêché Armand d’y faire ses premières armes avant de devenir champion du monde de main nue, en1986. Avec nous aussi, Arño Otheguy (Ortzaize, 1946) . Ces deux là dans ce navarro-labourdin unique s’entendent comme maquignons en foire pour égrener souvenirs, émonder des arbres généalogiques, se jouer des ascendances, comme pour mieux affirmer un territoire. La population, 871 habitants au dernier recensement, plus de 3 000 à la fin du XVIIIe siècle, disséminée sur 42 km² et huit quartiers coupés par les eaux du débonnaire Laka, de Gahardou à Ahaize en passant par Iriberri, Hortza, Iroxeta, Ugartzan, Eihartze et Harizmendia, s’arcboute à sa vocation agricole. La bonace du village ne doit faire sous-estimer un riche passé qui se traduit par de merveilleuses bâtisses que seul la baguenaude permet de découvrir. Alors Apalasia, à l’entrée du village le linteau annonce 1635, mais aussi Intxortenia et Sastrierenea, la plus ancienne, 1624, Harizmendia et ses ouvertures en arcs brisés, toutes demeures nobles, toutes rivalisant de splendides appareillages de pierre. Avec Arño et Armand comme cicérones, pas de problème, Arnaud décline avant même l’identité du résident, le nom de la maison et ses avatars, le tout émaillé de succulentes anecdotes. « Ici, la ferme se muait, quand il le fallait, en cabinet dentaire, la tenaille comme unique instrument », évoque Armand. Et quand on s’étonne d’une telle connaissance, ils répondent tout naturellement : « C’est normal, on est d’ici ». Ahaize, le quartier haut, témoigne d’un pastoralisme et d’une mémoire populaire vifs. Quant à l’insolite fronton planté lau haizetara (aux 4 vents), il reste l’incontournable rendez-vous du zikiro (mouton) des fêtes de juillet. Bien que le cadran solaire de la maison Etxeberria rappelle au passant par un laconique oroit hilzia (souviens-toi de la mort) qu’il est peu de chose, à Ortzaize, du temps, on en a fait son affaire.
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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Céderic Pasquini
Chez Pantxo la belle escale PANTXO BAITA, ZE’ GELDIALDI POLLITA
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Azkainen, Xoko ona jatetxea edo Pantxo baita, ezinbesteko geldialdi da. Nonbait itsasoko baratzea.
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atienter au comptoir devant un txakolin est la meilleure manière de faire connaissance de Pantxo à la carrure et moustache de cap-hornier, cambusier de cette légation du port de Donibane à Azkaine (Ascain). Pantxo de Lopeteguy tient à la particule en reconnaissant que sur son arbre généalogique les seules lettres de noblesse ne se déclinent qu’en toques ; 17 dans la famille quand même ! Elles se partagent entre oncles, cousins et surtout aita Battitte qui finit sa longue carrière second chef au Chipiron, en son temps La table luzienne. Pantxo tombe fatalement dans le tupin (marmite), débute ses classes au Lafayette, rue de La République et à La Taverne basque avant le passage obligé parisien, entre >> autres, au Concorde Lafayette (1979) chez le chef Joël Renty, le complice de Joël Robuchon. De 1986 à 1989 cuisinier au restaurant basque Les Jarente et, comme tout flibustier luzien, il embarque pour une campagne de cinq ans dans les Antilles (1989-1994) à Las Terrenas (Saint-Domingue), où il tient un restaurant basque Le Jikako, du nom d’un fruit dominicain. Enfin, vingt ans chef chez le truculent Peio Duhalde au Trinquet d’Arcangues où Pantxo œuvre dans l’ombre. Les habitués ne sont pas près d’oublier sa gourmande gestuelle d’octobre quand devant la cheminée, d’un capucin exercé, il mouillait les palombes. On en salive encore ! Depuis presque un an, à Azkaine, Pantxo tient la barre du restaurant éponyme, acagnardé entre le fronton et la halle, dans une maison classée, affichant joliment ses 335 printemps.
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Dix-sept toques dans la famille ! De belles lettres de noblesse
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Un établissement à l’ambiance marine « couleur Hondarribia ». Nous en avions fini avec une lotte aux petits légumes et asperges fraîches et hésitions hypocritement sur le bien fondé d’une viande, nous pensions déjà à la queue de bœuf braisée purée maison façon catalane. Avec une logique toute personnelle comme nous évoquions une sensation de bien-être — faute à un Alcorta crianza, allez savoir — Pantxo affirma : « on est bien chez moi parce que c’est chez moi » ; rien à redire. Une philosophie simple : « Je n’aime pas le mot quantité mais celui de tromperie non plus. En cuisine il faut donner, encore donner. » Un menu autour de 30 € qu’on pourrait décliner ainsi : couteaux, la douzaine ! asperges fraîches (12,50 €) et un merlu de ligne grillé, julienne de petits légumes croquants, jambon, chorizo (13,50 €). Ou une morue façon xoko ona, à moins qu’une côte à l’os à la plancha, tiens donc… Un summum : le txangurro (crabe farci) de Pantxo inspiré d’aita, affirmons-le sans crainte, unique entre la Pointe du Raz,et la Galice. Une carte des vins (entre 18 € et 37 €) qui laisse place aux bordeaux traditionnels mais aussi aux vins de pays, rioja, irouleguy, madiran et txakolina bien sûr. Quant aux desserts ou Pantxokeri, il faut s’abandonner à la fantaisie du patron ; ainsi le moelleux au chocolat façon ama, le riz au lait, le fondant, voire la bûche de Noël en août ! Pour ceux qui se sentiraient l’âme celte, ça arrive passée une certaine heure, un mot sur le café irlandais, d’une telle onctuosité et, à l’image du patron, d’une telle générosité dans la proportion de malt qu’on échangerait volontiers tous ses Pierre Loti contre une page de James Joyce ! Avec un peu de chance vous le(s) siroterez en devisant avec Pantxo qui ne peut s’empêcher de Mots-clés s’accorder une poignée Hitz gakoak : de minutes au coin de Homard : abakando votre table, une manière Coquillage : itsaski de vous faire savoir que Merlu : legatz vous êtes un peu de la Asperge : zaintzuri famille.
Restaurant Xoko ona, Chez Pantxo, Place Pierre Loti, Azkaine/Ascain. 05 59 47 94 05. Fermé lundi et mardi
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MYTHOLOGIE
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Basajaun Gure legenden personaia korapilatsu, Basajaun ez da bakarrik izaki gaizto bat. Jakintasunaren gordetzailea da ere.
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« Basajaun est détenteur des savoirs nécessaires à l'agriculture et à l'artisanat », explique Claude Labat.
n patronyme pareil, il est vrai, n’est pas fait pour faciliter d’éventuelles relations avec les humains. Son kanttu, ou lieu de prédilection, bien qu’on l’ait aperçu aux quatre coins d’Euskal Herri partout où forêts et ravins dominent, se situerait vers Irati. Résidence attestée du reste par ceux qui connaissant la chapelle perdue de Saint-Sauveur et auront pu y admirer, jusqu’à il y a peu, un superbe chandelier de cuivre. Il fut dérobé à Basajaun par un berger madré lequel, coursé de près par le géant hirsute, n’eut d’autre recours que le refuge dans le lieu saint car, comme on le sait, les êtres légendaires étant gens de peu de foi, ne goûtent guère l’eau lustrale. Grand, velu, laid de visage et de caractère ranci, Basajaun, l’homme sauvage , ou Seigneur sauvage, le mot
illustré de mythologie basque, traduit et annoté par Mikel Duvert, Elkar) : un certain San Martinico d’Oiartzun, ami de Basajaun envoya son domestique à l’atelier du géant pour lui faire croire que son maître savait fabriquer des scies. « Ton maître a donc vu la feuille de châtaignier », répondit Basajaun en toute innocence. « Non, mais maintenant il va la regarder », répondit le valet. Fort de l’assertion San Martinico constata la dentelure de la feuille et s’en servit de modèle. « De nuit, Basajaun vint à l’atelier de San Martinico pour voir si ce dernier avait réussi à fabriquer une scie. Lorsqu’il en vit une, il tordit alternativement les dents, pensant ainsi la rendre inutilisable. Mais en faisant cela, au contraire, il améliora l’outil. C’est de cette manière que se propagea la scie à travers le monde. » Si le mythe de l’Homme sauvage se retrouve dans toutes les mythologies à travers les Titans grecs ou les Fomoires celtes, il reste indissociable de l’homme parce qu’il fait appel à son héroïsme et à son astuce pour vaincre la force brute. Claude Labat, y voit un personnage complexe : « Basajaun possède une bonne connaissance de la nature et des éléments, mais aussi des techniques qui permettent de domestiquer cet environnement. En un mot, il est détenteur des savoirs nécessaires à l’agriculture et à l’artisanat. Du côté des hommes, le héros porte le nom de San Martin Txiki ou San Martinico, en référence à Saint-Martin, le civilisateur de l’Europe occidentale. » On dit aussi de Basajaun qu’il est un luron et qu’il aime la compagnie des mortelles. Pourtant, on lui connaît une compagne, Basandere, la femme sauvage, dotée, elle, de jolis attraits, preuve en est que la laideur ne fait rien à l’affaire. La croyance en Basajaun a eu la vie dure puisque le clergé mena une lutte sans merci pour l’éradiquer. Mais qui est vraiment le plus crédule ? Des cérémonies en forme d’exorcisme sont organisées à Saint-Sauveur d’Irati, rappelle Claude Labat, pour se garder des rites anciens. Pourtant dans ce monde par trop fonctionnel et uniformisé, ne serait-il pas bon de laisser s’exprimer le Basajaun qui sommeille en chacun de nous ? Il est le garant de saines résistances.
L’HOMME SAUVAGE Mots-clés/Hitz gakoak : Ravin : erreka Chandelier : argimutil Scie : zerra Exorciser : deabrua egotzi
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Jaun, valant titre, ne manquerait donc pas de noblesse. L’Encyclopédie de la Montagne, (Larousse, 1956) le décrit ainsi : « Basajaun vit dans les forêts les plus sombres, dans les abîmes, sur les crêtes décharnées, partout où le vent hurle, où le torrent gronde… Il galope, saute escalade à toute vitesse les rocs les plus inaccessibles, pousse des clameurs lugubres… et s’en va parfois la nuit dérober fromage ou lait dans les cabanes écartées », tandis que José Miguel de Barandiaran, en fait plutôt un génie protecteur et le considère même comme le premier agriculteur. Il aurait été plutôt la victime de l’homme qui lui aurait volé, outre le fameux chandelier, le secret de la scie, de l’axe du moulin et de l’art de souder les métaux. Le Père Barandiaran raconte la savoureuse légende de la scie (Dictionnaire
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