ibilka
le magazine
numéro 4 - 2013 udazkena / automne
Transhumance
On les appelle cañadas, ces voies séculaires empruntées par les bergers et leurs troupeaux transhumants. Pour vous, Txomin Laxalt a partagé leur périple. Reportage.
Arbailles
Chênes et hêtres peuplent la forêt des Arbailles, un des hautslieux de la Soule, tissé de légendes et parcouru de personnages oniriques. Découverte.
Bermeo
Il faisait beau ce matin-là lorsque la flottille de pêche de Bermeo prit la mer pour une des dernières bordées de pêche au thon. Dans l'après-midi de ce 12 août 1912, la tempête se leva, gonfla, entraînant la plus grande tragédie maritime du Cantabrique.
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La gaita,
quand trois n’en font qu’un
Gaita edo hiruak bat Gaitak, karrikako musika tresnetan nagusiena, urtean zehar, ospakizun importanteenak aldarrikatzen du. Gaiteroen banda bat komplizitatearen historio bat da.
t e x t e Txomin Laxalt / photographies Cédric Pasquini
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ras radieux dont le furieux staccato annonce et our ne pas nous mettre à do(s), les accompagne la pièce retenue : kale jira (passe-rue), académies de musique, les tenants bals (valse), fandangoa, jota, zortziko ou schottis. de l’orthodoxie, voire pour ménager L’atabalari est le véritable meneur de rythme. Bien la susceptibilité des intéressés euxplus qu’un trio, une banda de gaiteros c’est l’histoire mêmes, les gaiteros ou gaiteroak, d’une longue complicité avec ses moments épiques, nous vous en donnerons sa définises engueulades, ses séparations et réconciliation sommaire. La gaita navarraise, tions. Comme le coucou annonce le printemps, celle qui nous intéresse — il existe par ailleurs la Olentzero le solstice d'hiver, les accords de la gaita, dolçaina valencienne, la gaita aragonaise, la gralla instrument de rue par excellence, signalent l’arricatalane, la dulzaina de Castille, plus près de chez vée des beaux jours, les dates clés sur l’écliptique nous la txanbela souletine — est un instrument festif, tous les événements que l’on célèbre de la à vent souvent en bois précieux, aujourd’hui plus païenne façon, les mois sans « r »... ou avec. parfois en résine, XXIeᵉ siècle oblige, de la famille Avez-vous remarqué le sillon d’allégresse que du hautbois et dont le son émane de l’action les gaiteros abandonnent derrière leur attitude conjuguée du souffle et d’une fragile anche de hiératique ? J’ai souvenance alors roseau. La gaita c’est aussi un objet que j’habitais au centre historique élégant. Conique, effilé du côté de Mots-clés/Hitz gakoak de Bayonne, de la diana des fêtes, son embouchure, l’instrument va géant : erraldoi interprétée selon la tradition aux s’évasant avec juste ce qu’il faut de tambour : atabal heures jeunes du jour, dans la cour délicatesse pour lui accorder une baguette : zotz historique de mon immeuble par distinction que soulignent la chaînette des gaitas amies et dont les échos d’argent qui, dans un entortillement buis : ezpel renvoyés par-dessus les flèches de soigneusement étudié, épouse les la cathédrale faisaient le bonheur de mes voisins, contours de la main du musicien quand il joue, et Bayonnais dans l’âme il est vrai ; un combustible de larges bagues d’argent — deux ou trois selon pour entamer une nouvelle journée en blanc et les écoles — lesquelles sertissent l’instrument. rouge ! Quant à l’apprentissage de cet instrument, Sa couleur ébène, elle était du reste taillée dans il relève d’un très long parcours. Longtemps, les ce bois noble, en rajoute à l’élégance bien que dynasties de maîtres navarrais, professionnels payés l’aspect mordoré du buis des origines ne fût pas au contrat, se refusèrent à toute forme hexogène sans une certaine classe. de transmission. Par bonheur, l’oreille possédant Une gaita seule n’est rien sans la deuxième qui une mémoire, et la connaissance s’acquérant aussi l’accompagne, pas plus que les deux ne scintillent par l’observation, la gaita n’en a jamais fini de faire vraiment sans l’atabalari, le tambour, généralement tourner les géants. une espèce de mitraillette à baguettes, roulant des
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Éditorial
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Un an déjà !
Société éditrice : BAMI Communication Rond-point de Maignon, Avenue du 8 mai 1945 BP 41 - 64183 Bayonne bami-communication@bami.fr Directeur de la publication : Jean-Paul Inchauspé Coordination : Jean-Paul Bobin Textes : Txomin Laxalt, Jean-Paul Bobin Direction artistique : Sandrine Lucas Fabrication : Patrick Delprat Iru Errege Le Forum 64100 Bayonne N° ISSN 2267-6864 Photos : Cédric Pasquini : p. 2, 4 Étienne Follet : p. 6 à 9 Santiago Yaniz : p. 10 à 15. Txomin Laxalt : p.10 à 15 (N&B) Musée de Bermeo : p. 16-17 Fotografías cedidas por el Archivo deTurismo « Reyno de Navarra » : p. 19 (agenda) DR : p. 19 et 20. Couverture : Santiago Yaniz
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Avec ce quatrième numéro, votre magazine Ibilka boucle sa première année d'existence et vos réactions nous incitent à penser que vous appréciez ce cheminement en notre compagnie, à travers le Pays basque, à la rencontre de ses territoires, de son histoire, de sa langue, et de ses femmes et ses hommes qui y vivent ou y sont attachés bien qu’éloignés de leur terre natale, de leurs racines. Il y a près d’un an, nous avons simplement souhaité vous faire partager notre passion, nos coups de cœur et vous inviter chaque trimestre, à travers des rencontres étonnantes et des reportages sur le terrain, à découvrir, connaître, comprendre les sept provinces basques. Mais ce travail n'a de sens que s'il est partagé avec vous. Nous renouvelons notre invitation à nous faire part de vos remarques, de vos suggestions, de vos envies pour qu'Ibilka s'améliore et corresponde au mieux à vos attentes. Dans ce but, nous vous proposerons dans le prochain numéro de janvier 2014, un questionnaire ouvert, (dont les réponses pourront être données sur notre site internet), grâce auquel nous percevrons vos ressentis et votre sentiment en votre qualité de lecteur. Pour ce numéro d'automne, l'une des plus belles saisons au Pays basque, lorsque la
nature se maquille de couleur fauve, quand la « maladie bleue » (la « palombite » aiguë pour les non-initiés…) se répand telle une épidémie silencieuse et dévastatrice et que les cèpes font de l'œil aux assiettes, nous vous emmènerons en Soule, dans cette forêt des Arbailles, chargée d'histoires et de légendes ; puis nous vous entraînerons à travers la Navarre, le long des cañadas, jusqu'aux Bardenas, dans les pas des derniers bergers transhumants et de leurs troupeaux ; nous vous raconterons aussi cette catastrophe survenue il y a un siècle, et qui marqua à jamais la mémoire des marins de Biscaye. Vous découvrirez aussi la belle histoire de l'Euskal etxea de New York, et bien sûr, à l’approche de la célébration de la nativité, nous avons rencontré Olentzero, ce personnage mythique qui réjouit les petits, tout autant qu'il intrigue les plus grands. Il nous livre ici ses secrets… Bonne lecture et rendez-vous très bientôt pour une surprise que vous réserve Ibilka. Mais chut…
Jean-Paul Inchauspé, Directeur de la publication
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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Cédric Pasquini
Gure Olentzero ez da bakarrik ipuin baten izakia. Mezulari gisa, ikazkinik famatuenak solstizioaren aldaketaren iragarmena dakar.
Horra, horra, gure Gilles Parot !
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PORTRAIT
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Gilles Parot,
1959
1992
2003
Naissance dans la Vienne, à Montmorillon.
il s'implique au sein de la compagnie théâtrale Ostibareko antzokia.
il succède à Jean Etchevarria, dans la fonction d'Olentzero.
a voie
S
du charbonnier
i en un mythique raccourci, Jekkyl était médecin le jour, Hyde, tueur en série la nuit et bien nous dirions que Parot est cadre à la Banque de France 364 jours par an et Gilles, Olentzero une journée dans l’année. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel jour car le charbonnier Olentzero se double d’un messager qui, à défaut de coffres, si l’on se réfère à sa profession civile, ouvre une porte aussi précieuse que blindée puisqu’il s’agit du très solsticial huis d’hiver qui annonce la phase lumineuse du cycle solaire. Olentzero est une autorité dans son domaine et sa mission est d’importance. L’homme qui débarque de son embarcation sur les quais de la Nive et dont on suppose qu’il descend de la montagne de l’arrière-pays, possède une histoire qui remonte à la nuit des temps et un foutu caractère. Il écorche la joue des bambins d’une authentique barbe de plusieurs semaines, boit des bons coups, engloutit des omelettes de 10 œufs, jure, fait les gros yeux, fulmine et éclate du rire gras des tripazorroak (gloutons). >> Gilles Parot a endossé le mythe en même temps que la hotte. Il y aura cette année 10 ans, qu'il a hérité d’une difficile sinécure assurée pendant plus de 30 ans par le populaire et regretté arrangoiztarra Jean Etcheverria. Mais comme on est sauteruisseau avant que de prendre la charge notariale, on est astozain (gardien de l’âne) avant que d’être Olentzero, une fonction que tint Gilles pendant quelques années. Né dans la Vienne, de parents originaires d’Izura (Ostabat), Gilles suit les affectations d’un père gendarme et ne vient en Euskal herria qu’aux vacances. L’euskara, il l’a dans l’oreille parce qu’à Izura, il est la langue du quotidien. Une nomination de son père à Salies-de-Béarn le rapproche des origines et à 16 ans, déjà, il pratique l’euskara. « En fait, les jeunes d’Izura ont été mes premiers professeurs, c’est là, vers 16 ans que j’ai pris conscience de mon euskaltasuna (basquitude). » Employé à la Banque de France, Paris reste le passage obligé mais sa fréquentation assidue de l’Euskal Etxea lui permet d’achever son apprentissage du basque. En 1988, une
Il faut jouer de toutes sortes de sentiments, mais toujours avec tendresse
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dates clés
heureuse mutation à Pau retend des liens avec sa terre et précipite son engagement dans la culture. Il s’implique au sein de la compagnie théâtrale Ostibareko antzokia. « Un moment important de mon parcours qui annonce Olentzero, puisque là, j’ai appris à façonner des personnages. » Il tient un rôle dans Suedako neskatxa, une pièce écrite par Piarres Larzabal et en 1992, joue dans Abereak (Les animaux), une adaptation pour la scène traduite en euskara du prémonitoire et alarmant roman de Georges Orwell : La Ferme des animaux par Eñaut Etxamendi. Définitivement installé en Pays basque, c’est naturellement que Gilles inscrit ses trois enfants en ikastola. Il y rencontre entre autres le journaliste Guillaume Hirigoyen, lui-même auteur à ses heures, et qui le pousse à aller… au charbon, à savoir à collaborer à l’épisode annuel d’Olentzero. « C’est à force d’observer Jean Etcheverria que j’ai donné vie au personnage que j’incarne à mon tour. Olentzero n’est pas seulement un distributeur de friandises. Il est le dépositaire des vieux usages, d’une culture, d’une langue. L’idée est géniale car le personnage est vivant, il ne porte aucun postiche, il arrive véritablement du fond de la mémoire. » À la Banque de France de Bayonne, on a désormais admis la métamorphose de Gilles Parot aux premiers jours de décembre. « C’est curieux, je prends vingt ans en trois semaines mais le rendez-vous est d’importance. J’ajoute chaque fois une note personnelle. C’est de charbon de bois dont je me barbouille, pas de maquillage. J’ai toujours en tête les yeux bleus de Jean Etcheverria se détachant de la noirceur de son visage… Il faut savoir jouer de toutes sortes de sentiments, passer de l’un à l’autre : la colère, la moquerie, la tendresse toujours. Olentzero est un homme, charbonnier de son état, un peu rustre surtout pas un être de conte de fées sans relief et figé dans une image convenue », explique-t-il avec enthousiasme. La nuit du solstice est la plus longue de l’année, une aubaine pour Olentzero qui compte beaucoup d’amis à Bayonne. Gilles aura bien le temps de raser Parot lundi !
Mots-clés/Hitz gakoak :
charbonnier : ikazkin conte : ipuin solstice d’hiver : neguko solstizioa barbe : bizarra
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Arbailles
Arbailak, bortian Ahüzki hur hunak osoki
sur la montagne d'Ahüzki
Massif des Arbailles Si l'altitude est moyenne et ne dépasse pas 1 286 m, le massif des Arbailles n'en reste pas moins un des hautslieux de la mythologie basque.
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il n'est pas de meilleure eau Arbailak, Ziberoko aparteko leku bat dira. Ikusliarek nahiz mendizaleek beren zoriona aurkituko dute. Ezen, agertzen zaien paisaia Pirinioetara begirada urrun bideratzen du.
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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Étienne Follet
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ntre maquis sauvage et lande romantique, forêt féerique et montagne fantastique, les Arbailles ondulent, se hérissent et s’enchevêtrent, palpitent d’une vie souJadanik ezagun da ur hotch hunen lana terraine à la fois noire comme la plus sombre légende Basoz edaten dugu berdin hogoi bat na et cristalline comme la plus limpide de ses sources. Barnea ezartzen du garbiturik dena Est-ce du seul fait de son éloignement, de son isoleEz da ttipituz juanen ur horren omena ! ment que la Soule, dès qu’elle prend de la hauteur, L’on connaît déjà les propriétés de cette eau s’auréole de mystère comme elle se nimbe de brume aux premières Nous en buvons chacun tout aussi bien vingt verres heures du matin ? Ahüzki, se distingue d’abord comme de derrière une Elle nettoie si bien le corps vitre sale, quand du fond du bois de Zouhoure remontent des floches de brumasse masquant les hauteurs de Lecharra. Les sonnailles des La renommée de cette eau ne tarira pas ! brebis et des vaches quand elles sont à l’estive ne s’entendent plus que cotonneuses, seuls indices d’une présence. L’Ori, l’Anie sont effacés du paysage ou confondus entre ciel et brume. Les Escaliers et Artanolaze sont vêtus de hardes de nébulosités par-dessus les fronces des pentes de Maratolaze. Que le randonneur attardé prenne garde à ne pas s’égarer dans le labyrinthe des arres. Ses pas doivent expressément le conduire au cayolar le plus proche où il trouvera un abri le temps que le voile se déchire, au pire un abri pour la nuit et du bois pour faire du feu. Lieu splendide, mais qui se mérite. Il ne suffit pas, venant en voiture de Mendive Légendes ou d’Aussurucq, de se laisser porter par l’étroite route, d’admirer le magnifique La forêt des Arbailles, panorama qui contraint à se tordre le cou pour discerner le sommet du Beorc'est une atmosphère. legi allongeant son échine ou la denture des crêtes du pic des Vautours. Ahüzki, Les légendes peuplent ce n’est pas vraiment la très haute montagne, celle du silence des pierriers et des ce territoire de gouffres, névés à perpétuité. Non, Ahüzki c’est une atmosphère. Ahüzki, c’est un pays, hantent les rivages des un royaume dont il faudrait admettre toutes les légendes. Et que de légendes grottes perdues dans peuplent ce territoire de gouffres, hantent les rivages de grottes aux contours une végétation malincertains, perdus dans l’imbroglio d’une végétation malveillante pour qui s’y veillante pour qui s'y aventure. aventure. Basa Jaun, le Seigneur sauvage, vagabonde sur les hauteurs d’Alzai
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Les Ar bortia
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Zerbait ez dela junan delarik senditu Ahüzkirat jiteko ukan aski zentzu
pour plonger dans le gouffre du Berger dans des errements sans fin. Les lamin trouvent dans le fouillis de la forêt des Arbailles, le terrain qui sied à leurs sarabandes. Quant au Lorsque vous sentez que quelque chose ne va pas géant Tartaro, il roule, racontait-on aux soirs d’orages d’été, Ayez la sagesse de venir à Ahüzki. de lourds rochers du sommet de Bohocortia jusqu’à Ahüzki. Peu malin qui se refuse à croire que cette contrée ne relève pas du fantastique. Et la fontaine d’Ahüzki alors ? On y vint >> longtemps soigner des reins récalcitrants, la cruelle gravelle, l’affection hémorroïdale, les vieux catarrhes vésicaux, gastrites et autres dyspepsies. Elle se trouve là à portée de bouche, offerte au tout-venant, au pied du Bohorkortia. On racontait à la veillée qu’un berger d’Alzai ayant commis un horrible méfait – pensez donc, il avait traqué et abattu un chevreuil dans les bois de son seigneur, ici chevreuils et cerfs abondent – fut condamné à mort. La famille du condamné demanda le choix du supplice, celui de l’eau. On ne s’étonna pas du choix de ce tourment particulièrement cruel. On alla quérir de l’eau d’Ahüzki et par le biais d’un entonnoir on fit ingurgiter quantité du liquide au malheureux sans qu’il n’en fût jamais incommodé. Le seigneur voyant là un signe du ciel, un véritable jugement de Dieu, le laissa partir. Peutêtre est-ce pour cette raison qu’à Ahüzki, les témoignages ne manquent pas, on buvait en cours de cure jusqu’à dix litres par jour. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale on montait à dos de mulet jusqu’à l’auberge perdue, sise au pied de la source merveilleuse à 1 000 m d’altitude, et on y passait de joyeux Bergers et brebis Source séjours, pas seulement, racontent les anciens, à godailler des timbales d’eau Le berger est un acteur C'est ici, à Eltzarreko fraîche ! Est-il bon de préciser que les Basques de l’autre versant passaient aux important de la vie Ordokia, que la Bidouze alentours, au grand dam des douaniers en maraude, leurs ânes chargés d’outres souletine. On recense prend sa source dans de vin, de rhum et de marchandises diverses qu’ils allaient négocier à Aussurucq. dans la province plus de ce petit lac souterrain, Jules Rouffet avec verve, a raconté les mémorables séjours : « C’est à cette époque 26 000 brebis. Au-delà de au nord de la forêt des que les jeeps supplantèrent les mulets pour effectuer la liaison des villages avec l'activité agricole, Arbailles. 84 kilomètres Ahüzki… Ahüzki vivait alors ses derniers jours d’isolement, avant l’ouverture la figure du berger habite plus loin, elle se jette la mythologie locale. des routes, et il régnait chez notre petit groupe de pensionnaires une chaude dans l'Adour, à Guiche.
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ambiance… la plupart d’entre nous passaient la nuit chez Chechili, mais nous prenions chez Michel Etchebarne les bons repas que l’on nous préparait, et le soir, des lueurs de lampes de poche zigzaguaient dans la nuit… » La brave Chechili a quitté ce monde mais l’auberge conserve toute sa chaleur. Les touristes s’y risquant ne comprennent pas toujours la rudesse du lieu. À l’auberge, priorité aux habitués, aux gens du pays, aux bergers, à ceux qui viennent volontiers sarcler le jardin de l’amitié.
Mots-clés/Hitz gakoak : vautour : sai champignon : perretxiko cèpe : onddo chevreuil : orkatz
Le bonheur de se perdre
On ne dit pas les cayolars accroupis au creux de combes d’herbe grasse, on tait la sente qui franchit l’inextricable taillis, contourne les arres acérées comme autant de lames minérales qui empêcheraient le marcheur de se hisser jusqu’au sommet du Zaboze, de conquérir simplement cette terre sauvage. On cèle la grotte aux corneilles craillantes, trou de chimère dans lequel le caillou rebondit sans fin. On se connaît des silences de tombe pour des veines de mousserons, des plantations de cèpes, d’anciennes tanières d’ours, des cryptes peintes par nos ancêtres, leurs fonds de cabanes et leurs dolmens plantés dans des endroits de bout du monde. Goizetan eder düzü ekhiak leinhürü Ici, le vrai bonheur, c’est de savoir que l’on peut se perdre Mündi’argitzen dizü üngürü üngürü sans carte, ni boussole ou GPS, errer sur un terrain torturé, un Le matin le soleil est beau de son rayonnement désordre géologique tapissé de crânes d’animaux, de racines Il éclaire le monde en tournant tout autour abandonnées, tordues et blanchies comme ossements par le feu du soleil et la morsure de la neige. Un endroit où les heures se dévident au fil de la course du soleil et non plus de la nôtre sous les frondaisons d’arbres vénérables au cœur de forêts moussues et confuses, piquées d’anfractuosités soudaines ou de sources imprévues. Des douces dolines d’Otxolatze au poljé inattendu d’Elsarreko, longue et étrange dépression, lagune d’herbe tendre qu’encerclent le Zaboze et l’Elzarre, jusqu’au Belhigañe, telle est la terre des Arbailles. >>
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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Santiago Yaniz et Txomin Laxalt
Bergers du Roncal, les derniers migrateurs
Erronkariko artzainak azken migratzaileak ,
Urtero, Zaraizuko eta Erronkariko artzainek haien artaldeak Pirineoetatik Bardeetaraino jaisten dituzte, irailearen 18-an iristeko, aste batez ibilbidearen ondoren.
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Au bivouac Angel Mari, Froilan, et leurs amis bergers lors du repas du soir. L'occasion de laisser remonter les souvenirs, de se livrer, du bout du lèvres, à quelques confidences, de faire le bilan d'un métier difficile et en danger.
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u deuxième matin, alors que nous avions franchi le col de Las Coronas il se mit à pleuvoir. Une de ces pluies d’été qui annonce déjà l’automne. Une méchante brouillasse, montée de la vallée comme un lait funeste, oblitérait le paysage et dissimulait à nos regards la cluse de Burgi, un formidable canyon comme seule sait en offrir la Navarre quand elle se frotte aux Pyrénées. Dans une impertinente indifférence, immobiles, les 950 brebis d’Angel Mari broutaient ; seul l’écho ouaté des sonnailles insufflait vie dans ce chromo pastoral. La clope d’Angel Mari pendouillait, misérable, à ses lèvres et déjà nos vestes de pluie l’avaient cédé à la rincée. Imitant Angel Mari, nous nous enquîmes de bois dans les halliers environnants, des gestes brusques qui, rompant avec une bienheureuse immobilité, déchaînèrent une crue jusque sous la polaire. Par bonheur, héritage biblique sans doute, les bergers savent le secret du feu. Il suffit à Angel Mari d’enflammer au creux de sa main une poignée de l’aliaga (Genista scorpius) pour bouter une généreuse mais âcre flambée. La chaleur fit fumer nos vête-
ments trempés et nous emmaillota soudain comme le meilleur des duvets. Alors, nous nous remîmes à parler et à partager des biscuits ramollis que nous trouvâmes exquis. La transhumance navarraise n’y va pas par quatre chemins quand elle est pyrénéenne. Deux seulement. L’un déboule de la vallée de Zarraitzu (Salazar) et l’autre d’Erronkari (Roncal). Ce ne sont pas des chemins comme les autres, ils ont été tracés par des milliers de soleils de piétinement ovin. Entre la montée de juillet et la descente de septembre, dans l’engourdissement hivernal comme dans l’enchevêtrement estival, ils gardent cette prégnance que seuls possèdent les couloirs historiques qui ont assisté aux grandes migrations humaines. Témoins intemporels, ils rappellent qu’un jour l’homme fut nomade et à les fréquenter, ils nous donnent envie de le redevenir. Ce ne sont pas de vulgaires chemins. Outre une histoire, ils possèdent des règles strictes et la coutume leur a accordé force de loi. D’ailleurs ces voies portent un nom : cañada. Celle que nous suivons depuis hier, c’est la Cañada Real de los Roncaleses, seuls peuvent l’emprunter les bergers originaires des sept villages de la vallée : Izaba, Erronkari (Roncal), Burgi, Garde, Bidangoz, Urzainki et Uztarroz. Elle
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va jusqu’aux lointaines Bardeak (Bardenas) que les ignorants appellent désert, à 130 bornes, cinq sierras et huit jours de marche.
Un usage millénaire
En soulevant deux fois par an la poussière du chemin, la Cañada Real de los Roncaleses éternise un usage millénaire, le mode de vie d’une société pastorale à l’agonie. C’est dans une solitude absolue qu’AngelMari, à l’aube du 12 juillet, avait accroché les lourdes sonnailles ouvragées au cou des boucs splendides. Une lumière cuivrée passementait le relief tourmenté des Bardenas et les brebis piétinaient d’impatience sensibles à l’appel atavique de l’altitude. Le corral se délite, à l’image des autres cabanes, à l’image de celle de Froilan, 81 ans, l’un des derniers bergers à vivre ici, à l’année longue quand il n’est pas en estive. Et cet été-là, comme chaque année depuis 32 ans, Angel Mari avait pris la cañada. Je l’avais accompagné deux jours durant pour mieux comprendre ce curieux territoire à vif, un soi-disant désert qui produit près de cinq millions de kilos d’orge, un désert qui nourrit près de 100 000 brebis et autant de personnes ; un désert qu’un savant réseau de canaux irrigue… Septembre. Nous sommes au rendez-vous. La lumière orangée de fin d’été, celle qui allonge les ombres, insolait les pâturages de Santa Barbara et le cierzo, ce vent glacial venu du nord, nous avait contraints à capeler la polaire. Dans le dos, les montagnes de Soule avec l’Ori triomphant et les premiers géants navarrais et aragonais. Angel Mari m’avait répondu clairement alors que je lui demandai s’il transhumait à pied et non pas en camion pour maintenir la tradition : « Non, pour maintenir le portefeuille ! » Lisant une certaine déception sur mon visage, il me rappela qu’ils étaient néanmoins les descendants directs des membres de la Mesta — El Honrado Concejo de la Mesta dans sa désignation exacte — cette extraordinaire corporation de bergers qui, du XIIIe siècle à la moitié du XIXe, permit à des millions de brebis un libre transit, de coulisser des Pyrénées à l’Extremadure, du Levant aux terres de la Mancha, en passant par la Castille et le León. Exempts de tout impôt, les bergers empruntaient ces véritables artères économiques dûment balisées. L’apogée de la Mesta se situera au milieu du XVIeᵉ quand quelque 3 500 000 têtes d’ovins soulevaient la poussière de la péninsule à travers les 125 000 km tissant le réseau des cañadas ! Le commerce de la laine fut longtemps l'une des activités économiques majeures de l’Espagne qui l’exportait jusque dans les pays du nord de l’Europe. L’honorable confrérie compta jusqu’à 46 000 membres. Nous déboulions les pentes de Santa Barbara, coupant au plus court vers Bidangoze. Guidés par les sonnailles des brebis nous
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naviguions, cramponnés à nos bâtons entre les tisons de troncs de sapins démesurés dont les houppiers faisaient disparaître le ciel. Nous l’apprendrons vite, le troupeau impose le rythme, il peut cheminer trottinant d’une seule tête, comme il peut soudainement allonger le pas ou, tout à trac, s’immobiliser pour se gaver d’herbe, profiter de la moindre fardoche. La halte peut durer alors près d’une heure, durée idéale pour un casse-croûte improvisé ou une sieste réparatrice.
Secrets de bergers
Cette parenthèse temporelle, le berger devra l’administrer rigoureusement tout au long de la semaine car deux troupeaux vont devant nous et quatre derrière. En aucun cas ils ne doivent se rencontrer. Nous constatons vite que le troupeau connaît parfaitement l’itinéraire, guidé par les brebis les plus anciennes. Le berger n’est là que pour surveiller la bonne marche mais le fonctionnement mercuriel du troupeau évite son éparpillement et surtout le franchissement de l’espace de circulation strictement concédé à la cañada selon le droit coutumier, d’une ancestrale actualité, édicté depuis le XIIIeᵉpar la Mesta. Angel Mari, pas peu fier, profite de ces instants privilégiés de pause pour nous en expliquer le fonctionnement complexe : « La cañada dans sa plus grande largeur mesure 75 m, 90 varas dans l’ancienne mesure. Mais les voies secondaires désignées par le cordel ou la verada, mesurent respectivement 37 ou 21 m. » Personne ne s’aviserait d’en contester la validité. Le berger est un taiseux. Il ne faut rien forcer, ne jamais rompre le fil tendu de ses méditations, de ses contemplations. Appuyé des deux coudes sur sa vara, le long bâton de noisetier, il regarde, englobant dans son champ de vision le troupeau et un environnement qu’il sait pourtant jusqu’au bout de sa mémoire. Les lieues avalées, les cagnards endurés, les bourrasques essuyées sont autant de liens tissés qui nous rapprochent. Car il ne s’agit pas d’accompagner une transhumance comme l’on va sa randonnée. Un troupeau, même de brebis, s’apprivoise aussi difficilement qu’un berger. La meilleure façon de s’y intégrer, de trouver sa place dans le couloir millénaire, c’est, en léger retrait, d’user de son bâton comme de la
La place du berger Il ne s'agit pas d'accompagner une transhumance comme on va en randonnée. La meilleure façon de s'y intégrer, c'est en léger retrait, houspiller sans brusquer, presser les brebis sans les bousculer.
La cañada real de los roncaleses éternise un mode de vie pastoral à l'agonie
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Le troupeau donne le rythme C'est le troupeau qui décide du tempo, qui rythme le pas des hommes. Il peut trotter ou bien s'immobiliser de longues minutes pour se gaver d'herbe. Le berger accompagne ses mouvements.
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houlette et se conformer aux instructions sous-entendues : houspiller sans brusquer, presser sans bousculer. Le seul fait de longer la troupe trottinante, c’est risquer d’en briser l’unité en provoquant la multiplication d’affluents du fleuve tranquille. Avantageusement, le 4x4 a remplacé la mule. Les pistes forestières couturant la montagne navarraise facilitent la logistique. Froilan s’acquitte de la tâche, croisant sur les cols, attendant notre passage pour s’enquérir d’un manque d’eau ou de bière, d’une faim à couper. Froilan a toujours l’anecdote à la bouche, ce qui nous ravit surtout quand il raconte les histoires de sangliers balèzes et de cet ours roncalais dont, par deux fois, il a fait la rencontre : « Je te l’avais là, à deux mètres au sortir d’un bois. Et tu as eu la trouille ? » Et lui, méprisant, faisant des moulinets avec son bâton, nous fait comprendre
qu’il l’a chassé, sacré Froilan ! Insensible aux rigueurs du temps, à l’inconfort qu’il endure tout le long de l’année. Le soir, alors que nous nous enveloppons douillettement dans nos duvets, lui se choisit un hallier de buis touffu au milieu duquel il se fraie une place à grands coups d’épaules pour, en chien de fusil, s’enrouler dans sa peau de mouton qui empeste. L’aube le trouve au sec quand nous nous ébrouons de rosée. Calé à 1 000 m d’altitude entre les sierras de Illón et Borreguil, un édénique plateau herbeux se révèle idéal pour le bivouac. Le buis et le sapin ont dédaigné cette esplanade généreuse que chaque brebis connaît depuis sa première transhumance. L’histoire des hommes que nous accompagnons depuis trois jours est inscrite dans ce paysage qui porte loin depuis les montagnes souletines jusqu’aux Pyrénées hautes, enfouie dans les entrailles de ce poljé qui dissimule, derrière le fouillis de buis et le rocher, une source ignorée des cartes. L’accord est tacite, nous respecterons ce secret de la cañada. Le soleil, en déclinant à l’ouest, empourpre le pâturage et quand il en a fini avec son agonie, l’abandonne à des bleus cobalt tigrés de roses nacrés, une ambiance à couper le souffle. C’est l’heure du feu et des
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confidences. Les 3 000 brebis du troupeau des cinq frères Otal, rejoignent le troupeau d’Angel Mari. Unis comme les doigts de la main, forts en gueule et rigolards, les frangins se pressent autour du feu. Un de leurs chiens, un redoutable mâtin, arbore encore l’impressionnant collier de fer muni de pointes. Le molosse n’a pu empêcher, cette année, l’ours de dévorer une vingtaine de brebis sur leurs pâturages roncalais de Belabarze, prétend Oscar, l’aîné. Souvenirs, charcutaille, le xahakoa court de bouche gourmande en bouche insatiable, cigarettes et souvenirs encore autour du brasier ; souvenirs de transhumances mémorables, de temps révolus, quand le sac à dos, les godasses de trek et le blouson de montagne tendance n’avaient remplacé ni la besace, ni la peau de mouton, ni les abarkas de cuir. On fait aussi le bilan d’un métier moribond parce que difficile, aussi dévalué que le prix des bêtes et qui contraint à un pesant célibat. Le constat est amer, les troupeaux vont diminuant, sept qui transhument du Roncal pour trois seulement de Salazar. Ces hommes font figure de déracinés. Si vous leur demandez d’où sont-ils originaires, ils vous répondront sans hésiter : « Du Roncal ! », alors que la plupart sont nés dans la Ribera, dans ces communes ceignant les Bardenas vers lesquelles ont définitivement émigré les arrières grands-parents pour assurer
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Le constat est amer : un métier moribond, aussi dévalué que le prix des bêtes la transhumance d’hiver. La gnôle surgit, histoire de retarder le moment de gagner le duvet pour l’intimidant face à face avec la sombre luminescence nocturne. La gueule de bois a eu raison de la vigilance et de la sonnerie du réveil mais pas de l’horloge biologique des deux troupeaux désormais mêlés lesquels, sans attendre la levée des corps, se sont élancés à travers la sapinière vers le col d’Arangoiti (1 300 m), au débouché de la vallée du Roncal. Froilan, renfrogné, marmonne sous le bob les récriminations d’usage : « Je l’avais prévu moi, mais les jeunes, ça n’écoute pas. » La vue sur la retenue de Yesa, pareille à une petite mer est magnifique. Les bêtes s’engouffrent dans la brèche minérale et louvoyant entre le buis, funambulant et piétinant sur l’étroit sentier, entreprennent la longue descente vers le monastère de Leire. Elles pressent le pas pour rejoindre la nationale. Raz-de-marée laineux, les quatre
Milliers de brebis Les troupeaux de 4 000 brebis, tel un raz-de-marée laineux s'alongent le long de la cañada sur plusieurs cenntaines de mètres avant de déferler sur la route, véritable tsunami ovin.
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Les cañadas Les chemins de transhumance ne sont pas de vulgaires chemins, d'ailleurs ici en Navarre, ils portent un nom : cañada. Celle suivie par Froilan (ci-dessus) et les autres bergers lors de cette transhumance est la Cañada Real de los Roncales.
Mots-clés/Hitz gakoak : troupeau : artalde brebis : ardi berger : artzain vallée du Roncal : Erronkari
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mille brebis occupent la largeur de la route occasionnant un joli embouteillage qui n’entame pas l’humeur des automobilistes navarrais. Je pense aux souverains navarrais reposant dans la crypte du monastère, ceux-là mêmes qui défendirent la Mesta. L’avènement des grandes filatures, l’appauvrissement du cheptel décimé par la réquisition alimentaire imposée par la guerre d’Indépendance, mais aussi l’arrogance, l’agressivité de ses membres, les manipulations frauduleuses des enchères publiques des pâturages, sonnèrent le glas de la Mesta qui s’éteignit en 1836, après 560 années d’un règne pastoral sans partage. La descente précipitée des brebis vers le fleuve Aragon demeure un des moments les plus forts. Les rives s’effacent derrière le mascaret laineux, le mouvement des brebis s’avançant dans les eaux à mi-corps, évoque quelque tsunami déroulant au ralenti son
terrible tapis écumeux. La septième et dernière nuit nous la passâmes sur le bord du canal des Bardenas. Dans les eaux glauques nous procédâmes à un récurage en règle, secouant ainsi les débris du chemin agrippés à notre peau, arrachant les croûtes d’une huitaine de sueur sans parvenir tout à fait à gommer l’odeur musquée du troupeau. Avec le dernier feu du dernier bivouac, les dernières jotas, les dernières grillades, les derniers coups de vin, les souvenirs d’une poignée de journées pareilles à une éternité vinrent se bousculer. La cañada s’ouvre à présent sur sa plus grande largeur, les béliers et les boucs arborent les sonnailles de parade, les sept troupeaux s’approchent du Monument au berger, cette statue géante érigée au lieu-dit El Paso, en hommage à un métier exsangue. Angel, Froilan et les autres, faussement détachés mais légitimement fiers, entrent dans leur quartier d’hiver. Des centaines de personnes, l’œil avide des télévisions mais surtout les Navarrais qui se retrouvent en leurs bergers. Ce fugace instant de gloire du 18 septembre, c’est le moment de la reconnaissance. Les chemins de transhumance n’existent que dans la perspective d’une prochaine saison.
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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s M u s é e d e B e r m e o
ermeo Il y a 100 ans, tempête sur
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Duela 100 urte, Bermeoko galerna
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umineuse, la matinée de ce 12 août 1912 annonçait une journée radieuse. Depuis les falaises de Bermeo l’îlot de Izaro, vigie de la ria de Mundaka, paraissait un navire à la panne et vers l’ouest, le cap Matxitxako n’affichait pas sa brutalité coutumière, celle qui le fait souvent comparer à un Horn cantabrique. La campagne du thon touchait à sa fin, le 14 étant la date butoir mais surtout le 16 annonçait les célébrations de la San Roque, une fête que pas un pêcheur de Bermeo et des environs n’aurait manquée. On y festoie, on oublie cette vie de misère à rouler dans l’intraitable houle de l’océan. C’est aussi à la San Roque que l’on célèbre les mariages. Ainsi cette année, 80 sont prévus, autant de trousseaux amoureusement confectionnés et sou à sou, autant de pécules âprement constitués.
Des règles rudimentaires de navigation Dudarik gabe, Bermeoko galerna izenekoa, Cantabriako tragedia itsasokorik handien gisa gogoan hartuta dago.
En cette deuxième dizaine du XXe siècle, Bermeo pratique baxurako arrantza (pêche côtière) et sa flottille est essentiellement composée de thoniers à voile et à rames, des unités d’une quinzaine de mètres, et de quelques vapeurs. À bord, l’équipage est formé de huit marins, issus généralement d’une même famille ; on embarque par fratrie et souvent pères et fils souquent sur le même thonier. À cette époque, on ne connaît que les règles de base de la navigation, le compas et la montre sont les seuls instruments de bord, on se fie davantage aux habitudes transmises, à la côte familière que l’on garde à vue et
Galerna 1912-2012 Une exposition, au Musée du pêcheur de Bermeo, retrace ce dramatique épisode, et remet en perspective l'aspect économique.
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à une météo empirique censée ne pas déroger selon les saisons. La météo n’est pas encore la science exacte que l’on connaît aujourd’hui, seule la station météorologique du Monte Igeldo (Donostia) recueille les données. Depuis cette vigie, Juan Miguel Orkologa, un ecclésiastique passionné, veille… aux grains. Et justement ce jour-là, un bulletin pessimiste concernant le Golfe, émis depuis La Rochelle par télégraphe, parvient à Igeldo. Eux, confiants, ont embarqué sur une mer étale, 36 thoniers et 5 vapeurs de Bermeo, lesquels plus rapides, dates traditionnellement, embarquent le 12 août 1912 36 thoniers et poisson pêché pour le ramener plus 5 vapeurs de Bermeo ont pris vite au port. À la journée avancée, les la mer, comme chaque jour. embarcations se trouvent à 45 miles Vers 17 heures, la température (83 km) au large du cap Matxitxako. chute de 15°, et un bulletin Un peu avant 17 heures, une légère d'alerte météo est émis depuis brise se lève, la mer se couvre de friselis La Rochelle. Les vapeurs et la température dégringole de 15° hisssent le drapeau signifiant en vingt minutes. Les vapeurs hissent le retour immédiat au port. le drapeau signifiant le retour immé13 août 1912 On décompte diat au port. Pourquoi, les pêcheurs 143 victimes, laissant 75 veuves tardèrent-ils à faire demi-tour ? Parce et 225 orphelins. que c’était de dernier jour de la saison, parce qu’ils pensèrent qu’il s’agissait d’un grain sans conséquence comme il en survient en été, estiment les historiens. En fait, ce qui surgit de derrière l’horizon c’est ce que les météorologues nomment une cyclogenèse, le développement soudain d’une circulation de type cyclonique dans l’atmosphère menant à la formation d’une formidable dépression, un phénomène intervenant dans les latitudes moyennes. Cette tempête frontale balaie la flottille sous des vents de plus de 100 km/h, soulevant des déferlantes monstrueuses lesquelles transmuent les embarcations en fétus ingouvernables. Alors, on affale les voiles, on met à la cape et on s’enferme dans les étroites cales pour prier et attendre. Dans la nuit, la tempête forcit et les bateaux se disloquent précipitant à la mer les
Pourquoi les pêcheurs tardèrent-ils à faire demi-tour ? Les historiens se perdent en explications…
pêcheurs dont la plupart ne savent pas nager. Les plus vigoureux s’agrippent aux débris flottant dans ce maelström, les plus faibles, engoncés dans leurs cirés, coulent.
Un bilan catastrophique
Le matin du 13 août, la tempête sévit encore, Bermeo n’a aucune nouvelle de ses marins. Les vapeurs sont rentrés mais il n’existe pas d’embarcation à même d’aller à la rescousse des naufragés. Les femmes, comme à leur habitude, rejoignent , la falaise et guettent le retour de leurs hommes, chapelets en mains. Le bilan se révèle catastrophique : 143 victimes (16 à Lekeitio, 8 à Elantxobe, 3 à Ondarroa ) entre 18 et 30 ans, dont 116 pour le seul port de Bermeo, soit 1 % de sa population. 75 veuves et 225 orphelins seront pris en charge par l’irremplaçable kofradia (confrérie) qui, par bonheur, gère la destinée des pêcheurs du berceau à la tombe. Des 80 noces prévues, 40 sont annulées. Les ports du Pays basque sont sous le choc, tous les journaux de la péninsule se font l’écho (il faut rappeler que le Titanic a sombré quatre mois auparavant) de ce qui est considéré comme la plus grande tragédie maritime du Cantabrique. Le roi Alphonse XIII et toute la bonne société biscayenne assisteront à des funérailles sans cercueils, la mer n’ayant pas rendu les marins. La tragédie permettra l’accélération de la motorisation des bateaux et le développement de moyens de secours en mer. 100 ans après, on dit que depuis Matxitxako, aux nuits de tempêtes on peut entendre encore les appels des marins sans sépultures : Anaie, anaie… laguntzie… (Mon frère, mon frère, à l’aide…).
Mots-clés/Hitz gakoak : tempête : galerna bateau : itsasontzi pêcheur : arrantzale thon : hegaluze
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À découvrir
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Maison Eguiazabal
Guggenheim
t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Céderic Pasquini
L’étoile, c’est comme avoir un enfant
Eguiazabal Etxea, « izarra, haur bat uk aitea bezalakoa da » Aurten, Eguiazabal Etxeak izar bat jaso du, Vivien Durand-en talentuari esker, elikagaien eta arnoren arteko aliantza zoriontsua zolia bezainbat. conviviale particulière à Hendaye. Pourtant, je n’aurai jamais parié sur le lieu, calé entre une gare internationale et la frontière… », affirme Vivien Durand, quelque part un Cosinus pour les lunettes, la chevelure ébouriffée et un sage indien pour la barbe tressée, comme pour rappeler que la cuisine est affaire de recherche permanente et de patience, « mais aussi de beaucoup de travail… » assure-t-il.
Diversité et qualité des produits
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n peut dire que voilà un établissement hendayais qui… a de la bouteille. Depuis 1923, trois générations s’y sont succédé dans le négoce du vin. Pierre Eguiazabal, dernier du nom après, entre autres, sept années à officier comme chef sommelier chez Alain Chapel (Mionnay, Lyonnais) reprenait la cure familiale avec la réussite que l’on sait. En 2002, le bar à vin s’impose et sur l’écliptique gourmand, pareil à une heureuse conjonction (g) astronomique, la rencontre de Pierre Eguiazabal et du chef Vivien Durand — un ancien chef du Louis XV à Monaco et du Grand hôtel de SaintJean-de-Luz — et en 2008, la création du restaurant, Le Lieu dit vin, vont >> favoriser une stellogénèse, à savoir la naissance d’une étoile sur la carte du ciel du bon goût. On savait le comptoir avenant, certains y avaient leurs habitudes à l’heure de l’hamaiketako (casse-croûte) : un flacon partagé entre potes avec au débotté, la poêlée de chipirons, l’assiette d’Euskal txerri ou l’odolki de chez Xakola. Les plus grands sukaldari (cuisinier) des deux côtés de la Bidasoa venaient déjà régénérer leurs celliers, ils font désormais étape et il n’est pas rare d’y croiser Berasategi ou Arzak, venu désormais y casser une graine en voisin. « L’étoile bien sûr, mais elle n’a rien changé, ni à nos habitudes, ni à nos prix. Nous aimons trop cette ambiance
Une cuisine basée sur la saisonnalité et surtout l'accord mets vins
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Quand on lui demande d’expliquer l’étoile, pour l’émotion, sans hésiter Vivien avoue : « c’est comme avoir un enfant ! » ; pour le talent, il joue de la modestie et répond terroir : « La diversité et la qualité des produits offerts par ce pays, tout comme les gens qui les travaillent, toujours avec passion. » Pour en savoir plus sur l’alchimie, il confie juste : « ma cuisine est basée sur la saisonnalité et surtout sur l’accord mets vins. » Ceux qui croient encore que l’étoile signifie addition salée feraient bien de s’installer dans l’intime salle aux 12 couverts, tapissée des cartes Larmat des vignobles de France. Tous les mois, Vivien Durand propose un menu à 45 €euros en quatre services : entrée (pourquoi pas un moelleux foie gras, granny-smith, psalliotte des jardins et petit bouillon ?), un poisson (va pour une pêche locale, jus de ttoro, petits légumes de saison !), une viande (que pensez-vous d’un filet de bœuf de Galice, cresson, première tomate, artichaut, moelle ?) et dessert (si vous ne connaissez pas, abandonnez-vous à un fromage de brebis, fraises mara basque, chapelure au sucre Muscovado), qui dit mieux ? Et pour mouiller le tout, un rueda. Bien que seul aux fourneaux, Vivien Durand tient à saluer une équipe : Léa en salle et en aide en cuisine, Carlos d’Hegoalde pour le transfrontalier et le service, enfin Aurélie la sommelière, une étoile à quatre branches si vous préférez. Maison Eguiazabal - Le lieu dit vin - 3, route de Béhobie,
Mots-clés/Hitz gakoak : casse-croûte : hamaiketako cuisinier : sukaldari vin : ardo étoile : izar
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Vitoria-Gasteiz
Antoni Tàpies:
de l'objet à la sculpture 1964-2009 C'est à travers un déploiement d'objets : portes, murs, chaises, assiettes, livres, paniers ou baignoires…, dispersés à travers les salles du musée que le Guggenheim célèbre l'immense artiste catalan et sa production de sculptures sur près d'un demi-siècle. Des premiers objets et assemblages du milieu des années soixante jusqu'aux terres chamottées et aux bronzes plus tardifs, l'exposition insiste sur l'évolution du travail de l'artiste. Présentée selon une double approche, chronologique et thématique, l'exposition mêle des pièces de dimension monumentale et des petits formats. Jusqu'au 19 janvier 2014
agenda >>>
Guggenheim
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Anth
Enrique Chagoya Palimpseste cannibale
Artium, le musée d'art moderne de la capitale d'Euskadi consacre une exposition au peintre mexicain, à travers une sélection de dessins, peintures, estampes, etc. Jusqu'au 14 janvier 2014
Vitoria-Gasteiz Bicentenaire
La capitale de l'Alava commémore cette année le bicentenaire de la bataille de Vitoria qui eu lieu en 1813 pendant la Guerre de l'Indépendance. Jusqu'au 31 janvier
Durango Foire
La foire de Durango est l'un des plus grands rendez-vous de la culture basque. Éditeurs, maisons de disques, associations et autres acteurs culturels basques s'y retrouvent chaque année. 5 au 8 décembre durangokoazoka.com
ORISOAIN
Fête de la truffe
À lire Droit et morale
Quelques années après la chute du franquisme un ancien militant basque, après vingt ans d'exil, refuse de rentrer en Espagne où il se sait menacé de mort. Il demande l'asile à la France, confrontée à
un dilemme. Accepter c'est nier le retour de l'Espagne à la démocratie, refuser serait faire preuve d'aveuglement sur la réalité des assassinats des opposants. Le narrateur, un jeune juriste doit trancher, entre la raison d'État et les raisons d'un homme. Un récit poignant de François Sureau qui est aussi une réflexion sur le droit d'asile et plus globalement sur le rapport entre le droit et la morale. Le Chemin des morts, François Sureau. Gallimard. 7,50 €
Premier roman
L'expérience concentrationnaire
On ne présente pas Txomin Laxalt au Pays basque. Journaliste, auteur de plusieurs livres dont le remarquable Les Bouddhas et les Papillons récompensé par le prix des Trois Couronnes, il publie aujourd'hui son premier roman, Flottent les jours sur la rivière Ezka. On ne s'étonnera pas du choix du pays de Cize comme toile de fond de cette histoire qui nous entraîne dans les arcanes de la mémoire, celle d'un brillant jeune homme confrontée à celle des états. Sans concession, Txomin Laxalt met en scène l'univers concentrationnaire et l'implacabilité de l'engagement clandestin. Cette chronique pyrénéenne relate la vie rude des bûcherons de Mendive et d'Irati et le combat désespéré des guérilleros et l'épopée des almadias de la vallée du Roncal, dans laquelle le héros souhaite trouver le repos de l'âme. Flottent les jours sur la rivière Ezka, Txomin Laxalt. Édition Iru Errege. 15 €. Parution début novembre. www.iruerrege.com
L’Amérique latine
à la Galerie des Corsaires n écho aux festivals de théâtre Les Translatines de Bayonne et de cinéma de Biarritz, la galerie des Corsaires propose une exposition réunissant les peintres colombiens, Alvaro Garcia, et cubain, Oscar Lasseria, le sculpteur chilien Douglas Wong Aguirre, ainsi que le collectif de peintres naïfs de Mella (province de Santiago de Cuba). Dans des styles et thèmes différents, ces artistes offriront un panorama des arts plastiques en Amérique latine, mettant en exergue toute la diversité et la richesse culturelle de ces contrées.
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Du 7 octobre au 1 novembre, 16 rue Pontrique, à Bayonne.
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Savez-vous que la vallée navarraise de Valdorba, outre ses joyaux de l'art roman, abrite la célèbre Tuber melanosporum, plus connue sous le nom de truffe. Chaque année, une fête lui
est consacrée. Au programme dégustations préparées par de grands cuisiniers, vente et nombreuses animations. 15 décembre
le rugby dans l'art À Biarritz, la galerie d'art, Anne Broitman, lance la première édition d'un concours ayant pour thème le rugby : photos, peintures, sculptures… sont attendues. Inscriptions jusqu'au 25 novembre. Rens. : 05 59 23 72 26
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Dessi Tillac Après il par Espag popul l’expre un liv à Cam à don Musé consa et la v des o recon aura époqu conte Pablo
diaspora
t e x t e Txomin Laxalt
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out a commencé à Ellis Island, désignée aussi Island of tears, l’île des larmes. Hiératique, la statue de la Liberté, seul relief sur cet îlot new yorkais quasiment artificiel, a beau y jouer allégoriquement de la torche pour saluer les exilés de la terre, ce ne fut souvent que le début du cauchemar pour les 12 millions d’émigrants qui y débarquèrent entre 1892 et 1954, date de la fermeture de la station d’émigration. Parmi eux, des dizaines de milliers de Basques. En 1945, pour la seule ville de New York, on en dénombre 12 000, de quoi largement constituer une de ces véritables communautés, telles qu’on les prise aux U.S. La consultation des listes d’arrivée d’Ellis Island est aussi significative que pathétique. Les Basques, la plupart paysans ou bergers, ne savent pas lire, signent d’une croix et pour simplifier les admissions, sont tenus souvent d’accepter que leurs noms, le dernier lien avec Ama lur, soient américanisés.
New Yorkeko
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Euzko Etxea de New York, cent ans cette année
Euzko etxea, aurten, ehun urte Aurten, New York-eko Euzko etxeak, ospatzen du bere mendeurrena. Aukera da ezagutzea Ipar Ameriketako euskal gizarteko leku garrantzitsu bat.
Les Basques populaires On raconte que dans les premières années du XXe siècle, à chaque arrivée d’immigrants, un homme coiffé du béret, courait les longs des quais en criant : « Hemen euskaldunak badira ? », (Est-ce qu’il y a des Basques ici ?). Cet homme, Valentin Aguirre (1871, Busturia, Bizkaia, 1953, New York), arrivé illégalement aux USA en 1895, n’eut de cesse d’accueillir les nouveaux arrivants et de les aider à trouver rapidement leur place dans ce nouveau monde. La tradition voulait que chaque immigrant, au premier jour soit nourri et logé et, au deuxième, soit mis dans le train pour la destination prévue avec un solide panier garni confectionné par Benita, son épouse. Aguirre fut, en 1913, l’un des 13 fondateurs du premier Centre basque de New York, mais surtout, il en fut son âme. Après nombre de petits boulots, le sens inné des affaires doublé d’un goût pour la cuisine, l’incita à créer à Greenwich Village, le Jai Alai, lequel deviendra l’un des restaurants les plus courus de la capitale américaine. Très vite il créera un hôtel, le Santa Lucia, enfin une agence de voyages. Le torero Manolete, dira « Ils peuvent construire
L'Euzko etxea de New York était l'étape avant la plongée vers un nouveau destin.
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de grands hôtels à New York mais il n’y a pas de plus grand homme que Valentin Aguirre ! » Un peu parrain, mais viscéralement attaché à Euskal herria, Valentin Aguirre devient un personnage reconnu du tout New York et son aura permit à la communauté basque d’obtenir ses lettres de noblesse. C’est au tournant des années quarante que l’Euzko etxea de New York est devenue une institution reconnue et particulièrement appréciée dans la capitale américaine. La présence du lehendakari exilé, José Antonio de Aguirre, la participation active du gouvernement basque aux côtés des Alliés pendant la >> guerre, ont rendu populaire la communauté basque et c’est toujours avec émotion que les plus anciens se souviennent du défilé des danseurs et musiciens sur la Cinquième avenue en 1948. Il faut aussi évoquer la figure de Jon Oñatibia. Philologue, on lui doit une célèbre méthode d’apprentissage de l’euskara, mais aussi organiste, txistulari et chorégraphe, Jon Oñatibia formera dans les années cinquante, le groupe de danseurs et musiciens Euzkadi, à la demande des jeunes de l’Euzko etxea, réunis au sein de la structure Gazteria. Jon Oñatibia sera appelé plus tard à enseigner le basque à
l’Idaho Basques Studies Center et à la NABO (North American Basque Organizations). Après avoir plusieurs fois changé d’adresse, l’Euzko etxea a définitivement planté, en 1973, l’ikurriña au cœur de Brooklyn, en acquérant une ancienne… église orthodoxe. Les cent membres de l’Euzko etxea auront donc, cette année, dignement célébré le centenaire de ce qui est devenu l’ambassade d’Euskal herria. Un programme qui a débuté avec la Korrika, scandé par le traditionnel Aberri Eguna de Pâques et qui s’est poursuivi par des cycles de conférences de haut niveau autour de la langue et l’identité, dont une intervention de l’écrivain Bernardo Atxaga. L’Euzko etxea de New York représente bien plus qu’une des 38 maisons basques des USA ; pour beaucoup elle fut la bienheureuse étape de transition avant plongée angoissante vers un nouveau destin.
Mots-clés/Hitz gakoak : émigrer : erbesteratu émigrant : etorkin destination : helburu souche : jatorri
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