Gresea Echos n°61 Economie sociale et solidaire

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Investir le Capital ou de la nécessaire démocratisation de l’économie.

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Walter Coscia, Président du Gresea

a crise actuelle remet en question l'hégémonie des forces économiques dominantes. Les faiblesses de ce système sont mises à nu, mais un projet social et politique alternatif manque encore. Une démocratisation de l'économie s'impose… L’histoire des trente dernières années peut être lue comme l’histoire de l’hégémonie exercée par la bourgeoisie mondiale (réseau de forces capitalistes qui comprend firmes transnationales, les Etats capitalistes et les groupes financiers) sur le reste de la société de la planète, l’histoire de sa capacité à diriger et à imposer un processus de restructuration et d’instauration d’un ordre global conforme à ses exigences d’accumulation et de reproduction. La maîtrise exercée par ce bloc de pouvoir sur le monde et son destin semblait si complète que certains en étaient arrivés à théoriser la fin du parcours de l’humanité en matière de réflexion sur les principes “qui gouvernent l'organisation politique et sociale”. La crise que nous vivons a compromis la réalisation complète du projet hégémonique, du moins dans la forme telle qu’envisagée par ses forces promotrices. Elle a reproposé dramatiquement le caractère anarchique et insoutenable du modèle de production et de consommation capitaliste et a fragilisé les assises politiques et idéologiques sur lesquelles est fondée l’hégémonie de ces forces. Ces dernières ne semblent plus en mesure de gouverner seules les contradictions sociales et environnementales qui résultent des rapports qu’elles imposent. Le magicien a du mal à dominer les puissances infernales qu’il a évoquées. En Europe et plus largement dans les pays du Centre, cet ébranlement ne s’est pas encore traduit par le renforcement du camp des forces de progrès. Encore aujourd’hui, on ne peut que déplorer le degré d’impréparation et d’immaturité de celles-ci dans l’éla-

boration d’un projet politique et social alternatif. Le constat n’est pas nouveau.

Cette immaturité transparaît dans la nature même des alternatives préconisées: moraliser, humaniser, pluraliser, réguler, décroître, éco-développer, … Nous n’allons évidemment pas entrer dans l’analyse différenciée de celles-ci. Le fait que ces conceptions partagent toutes une même illusion nous facilitera la tâche critique. Cette illusion est fondée sur la croyance qu’il est possible de bâtir une société juste, humaine, démocratique et plus respectueuse de l’environnement en laissant intacts ou en amendant les rapports sociaux de production et de pouvoir, tels qu’ils existent. Or, c’est dans ces rapports qu’il faut identifier la racine profonde de l’ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Ce sont ces rapports qui conditionnent la vie, le bien-être, la dignité, la liberté des populations, la qualité du rapport homme - reste de la nature. Ils entretiennent également une relation directe et de réciprocité avec la forme de l’Etat et du gouvernement. Les alternatives citées précédemment pêchent sur ce point essentiel. Elles n’affrontent pas l’ensemble de ces questions comme expression des contradictions qui animent des rapports de production fondés sur l’exploitation, mais comme la résultante d’une logique économique qu’elles vident de sa sève et de sa substance sociale. L’angle d’intervention de ces conceptions se situe donc au niveau des conséquences sociales et écologiques négatives qu’entraîne le déploiement de cette logique économique. Sont stigmatisés la cupidité, l’aliénation consumériste, le productivisme, l’exploitation (entendue comme abrutissement)… sans que jamais ne soit affrontée la question de la dynamique sociale génératrice de ces phénomènes et de ces valeurs. La production restant un champ réservé aux capitalistes, l’intervention Gresea Echos N°61

démocratique se traduira dans le meilleur des cas par des programmes de gouvernement ou des initiatives sociales, parfois les deux en partenariat, qui se limitent à rendre plus équitable la répartition du revenu national, à essayer de préserver le système de protection et de concertation sociale, à responsabiliser socialement l’entreprise, à favoriser le développement de pratiques sociales qui sortent de la logique économique, bref à tendre à réguler, à moraliser, à civiliser et à domestiquer les forces du marché capitaliste. Toutes ces réponses restent empreintes de subalternité et n’ont que peu de choses à voir avec un projet de transformation et d’émancipation sociale. Elles restent cantonnées dans des postures de résistance, de création de rapports de forces, de création de micro-espaces d’autonomie, si pas de repli corporatiste. Qu’on me comprenne. Ce qui est critiqué ici ce ne sont pas les luttes pour la création d’un rapport de forces ou le développement de projets d’autonomisation sociale. Ce qui est critiqué ici est la conception de ceux qui prétendent que ces pratiques trouvent en elles-mêmes leur propre finalité. Cette approche n’a nullement empêché la dégradation substantielle des droits sociaux et démocratiques de la grande majorité de la population mondiale. Et quand certaines de ces forces ont cru que leur projet s’était socialement matérialisé, c’était avant que ce dernier ne s’effondre pitoyablement sous l’effet des contradictions structurelles qu’elles s’étaient obstinément refusées de voir, mais qu’elles avaient, avec tout autant d’obstination, tenté de concilier. C’est cette dégradation des conditions sociales, démocratiques et environnementales qui justifie “moralement” le développement de nouvelles initiatives citoyennes, de nouvelles résistances, de nouvelles revendications sociales, de nouvelles pratiques écolo-


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