GE N°51 Travail décent, c'est clair pour tout le monde?

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Pour éviter toutes ces ingérences du Nord, ne faudrait-il pas demander que la campagne, bien qu’internationale, soit axée sur ce qui se passe à l’intérieur de chaque pays et non sur les conditions qu’on pourrait exiger dans les échanges internationaux ? Ce qui devient compatible avec l’exigence qu’on introduise la question des conditions de travail décentes propres à chaque pays ou région. Même internationale, une telle campagne devrait être orientée en premier lieu sur les déviations, les choses inacceptables en matière de travail décent dans le pays (ou région pour l’Union européenne) où l’on se trouve et non sur les pays voisins.

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Exprimé de cette façon, on pourrait croire qu’on se désintéresse de la situation dans le Tiers-monde ou qu’on la trouve tout à fait acceptable. Bien sûr que non! Mais les forces qui doivent combattre ces situations se trouvent d’abord dans le ou les pays, dans la ou les populations qui les subissent. Favoriser ou soutenir l’intervention extérieure venant soit de pays dont la tradition coloniale ou impérialiste est avérée, soit d’institutions internationales qui sont dans leurs mains (comme le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, le Conseil de sécurité de l’ONU...), c’est un chèque en blanc pour l’ingérence actuelle et future des gouvernants et dirigeants de ces nations. Ce qui ne manquera pas d’être favorable aux multinationales et aux sociétés financières du Nord, préjudiciable aux populations locales et générateur de cette économie marchande, capitaliste, qui engendre inégalités, misères sociales, crises économiques et financières et finalement guerres.

Dans ces conditions, il semble préférable de privilégier l’action sur les multinationales mêmes, action qui peut être menée d’ailleurs directement par des ONG, plutôt qu’une politique d’Etat à Etat ou qu’une stratégie multilatérale au sein des instances internationales par exemple. Et là, il y a du pain sur la planche.

Il faudrait exiger en tout premier lieu la plus grande transparence en matière de comptes et de situations sociales de la part des multinationales. Car, aujourd’hui, c’est le monde du secret: c’est la croix et la bannière pour retrouver des chiffres sur l’emploi de chaque usine, sa production, ses comptes, les transferts financiers entre filiales et ne parlons même pas des contrats de soustraitance passés avec des firmes extérieures dans le Nord (et que dire de ce type de contrat dans le Sud!).

C’est également le secret sur la situation concrète dans les usines. Et c’est généralement la terreur vis-à-vis des salariés pour qu’ils évitent d’ébruiter ce qui se

passe à l’intérieur de l’entreprise. Avant même de pouvoir enquêter et de pouvoir imposer une campagne de "travail décent", il faudrait briser ce mur du silence, sans quoi toute politique sociale ou socialisante risque de n’être qu’une entreprise – une de plus – de marketing bien géré en faveur des multinationales qui y participeraient. Ensuite, les conditions de travail décent devraient être imposées essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, aux multinationales que ce soit pour leurs propres unités de production que pour leurs sous-traitants (à charge d’ailleurs de faire respecter ces normes chez eux aux multinationales elles-mêmes, car, outre le fait qu’elles soient sans doute les seules à réellement financer ce genre de politique, ce sont elles qui décident d’externaliser leur production et à qui).

De cette façon, on mettrait sous pression ceux qui réellement profitent de la situation actuelle, à savoir les multinationales et les sociétés financières du Nord, et non les Etats du Sud ou les firmes du Tiers-monde, qui souvent n’essaient que de s’en sortir dans ce monde marchand et capitaliste de plus en plus inhumain (ce qui n’exclut pas des cas, souvent d’ailleurs liés au capital international, d’enrichissement extrême).

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Ainsi, pour résumer, une véritable campagne pour le travail décent dans le monde devrait, selon moi, introduire les revendications suivantes: - un point sur les conditions de travail décent propres à chaque pays, susceptibles d’enquête et donc d’amélioration spécifique

- l’emploi à temps plein et à durée indéterminée comme contrat type fondamental à atteindre et à promouvoir, notamment dans les "pays les plus avancés"

- des mesures pour ralentir le rythme de production, l’intensité du travail ou l’épuisement que cela engendre chez les salariés dans les pays du Nord, comme par exemple la limitation drastique du nombre d’heures supplémentaires possibles ou le contrôle impératif de la délégation syndicale sur les conditions de travail dans l’entreprise ou encore la fixation de pauses obligatoires après nombre de minutes passées à tel ou tel poste...

- la focalisation des groupes portant la campagne sur la situation intérieure du pays et non sur les exigences que celui-ci pourrait introduire dans les échanges internationaux - la transparence des comptes financiers et sociaux des multinationales au -9-

Gresea Echos N°51

Débat

niveau général et local, avec élargissement sur le nom et les montants de la sous-traitance ou les aides publiques par exemple; la possibilité libre de visiter des usines y compris celles de la sous-traitance, sauf exceptions dûment réglementées; la liberté totale pour les salariés de s’exprimer sans conséquences

- l’obligation faite aux multinationales et aux grandes sociétés financières de respecter les normes sociales définies en matière de droits, d’égalité, de liberté syndicale, de protection sociale et de les faire respecter à leurs sous-traitants et aux fournisseurs de ceux-ci (bref d’imposer une traçabilité de la production – point précédent – et le respect de normes sociales sur toute la chaîne de production) ; et sanction à la maison mère en cas de non-respect ; si la maison mère se trouve dans un centre off-shore, sanction dans le pays d’origine (avant le déplacement vers le paradis financier), dans le pays d’où viennent la majorité des actionnaires ou dans le pays où les activités sont les plus importantes.

Débattons-en! Notes

1. Cfr. http://www.eurofund.europa.eu/ewco/surveys/ EWCS2005/index.htm


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