Le grand saut

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Legr a nds a utLuci ePa s t u r e a u



Le grand saut Lucie Pastureau



Le grand saut



les lèvres à peine entrouvertes dans un sourire forcé, presque une grimace cela aurait pu être moi, j’aurais pu être toi échanger ta peau contre la mienne discrètement transvaser nos souvenirs cheveux aux vents le temps d’une seule et longue journée, les gilets qui démangent, la laine qui gratte à même la peau, les joggings fluo dans lesquels les membres s’ étirent et se transforment, les manteaux à capuche les siestes forcées quand le corps s’y refuse et les retours de fêtes avant minuit



Ma mère nous photographie, mon père et moi, et inscrit en noir derrière l’image : Pornic sept 89. Je retourne ta photographie, je suppose que ta mère en est l’auteur, et je lis : 1989.

La grotte ou l’amour du père







Je fais l’avion. Avec mon frère, on aimait bien faire « comme si ».

L’avion







La jupe qui tourne, je l’ai portée des années. Il y avait aussi l’ensemble à pois, dont j’étais très fière.

L’ensemble rose





Devant l’appareil, je tourne la tête.





Ici nous avons le même âge. Toi en 1989 et moi en 1991.

La roue





J’ai souvent reçu le ballon de basket en pleine figure. Je portais un appareil dentaire. Mes lèvres s’en souviennent.





Mon père me poursuivait pour me photographier et je m’étais cachée derrière le frigidaire. Je crois que j’ai onze ans.




Tu avais dû enlever tes lunettes pour la photo. Moi je les gardais, toujours, les yeux cerclés. Le visage mangé.






Nous passions notre temps Ă nous barbouiller la bouche, les yeux et les joues.





L’été, c’était une semaine ou deux de camping à la mer ou à la montagne, rarement au même endroit, nos petites tentes à l’ombre des caravanes. La mer m’impressionnait. Je lui parlais parfois.







On avait montĂŠ une tente dans le jardin.

les amitiĂŠs amoureuses





Dans la voiture, quand nous partions en vacances, nous chantions tous, ma mère, mon père, mes frères et moi. Ça s’est arrêté à la séparation de mes parents





Toujours cette même phrase : «peut mieux faire»





Derrière cette photo de toi dans la forêt, tu as inscrit à l’encre bleue :





Mon premier bijou en or, c’est un cœur que ma mère m’a offert à noël. Je l’ai mordu, il était vide à l’intérieur.

Le bijou



J’ai joué dans une pièce au centre aéré. Il n’y avait pas assez de rôles féminins, j’étais le frère de l’héroïne.

Le spectacle





Nos dix huit ans sont venus.





Je suis allongée sur une chaise en plastique et ma mère se penche sur moi, me serre. Nos chevelures s’entremêlent, brunes toutes les deux, la mienne un ton plus clair. Je suis toute petite, deux ans peut-être.

L’adoration



A mes parents

Remerciements : Sylvie-Anne Pralus Lionel Pralus Florence Paradeis 2008