Facial/1

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FACIAL/1 Intersubjectif et insolent





Facial/ est un engagement, un engagement de face. Il n’est plus question d’attaquer frontalement, mais bien au contraire facialement, en plein au milieu du visage. Aux claques, aux poings, nous préférons la faciale. Pas comme iconologie porno mais comme mode de relation. Une mode de relation entièrement intersubjectif. C’est liquide et visqueux, ça peut s’insinuer. Ça peut être tendre, drôle ou craché. En tout cas c’est direct et raide. On n’a pas besoin de préciser que c’est politique. Facial/ c’est gluant et générationnel, ça colle partout et ça s’accroche. C’est dans ton oeil et c’est gênant. Facial/ c’est insurrectionnel et inactuel. C’est une position, une ligne de position franche et de face. Facial/ c’est un mode d’être, une réalisation de mode d’être, non-hiérarchique, autonome et absolument de face. C’est quelque chose d’imprimé sur des visages. Une manière de subjectivité extrême. Ça doit tailler, ça doit dire, ça doit se lire comme un paysage, c’est le paysage de la faciale. C’est mouvant et sans subordination, c’est sans objet et plein d’objets. Ça ne laisse pas sans trace, ça se sent et ça se vit comme un rapport entre des sujets, comme un lien entre des choses. Un lien violent et bienveillant, un lien intense.



Facial/ c’est une intensité, ça doit être une intensité, une augmentation sensible par interposition. Facial/ est une tentative d’intensification. Facial/ c’est lointain, ça peut ne jamais arriver. Mais Facial/ c’est avant tout une contre-gestion de la subjectivité, un mouvement contre cette gestion. C’est lire l’espace comme un paysage, c’est contemplatif et actif. C’est une position sauvage et agressive. Facial/ est un mode de vie et une affirmation. Facial/ est une forme de guérilla, une radicalité de l’insurrection en face de quelque chose. En face d’un monde, en face de modes de vies qui sont quelque chose. Facial/ c’est une forme de face, ça n’est pas de la poésie, ça n’est pas un héritage et pourtant ça peut y ressembler. Facial/ c’est une relation précise entre des sujets. Un mode d’existence propre. C’est une forme plus abstraite du quotidien. Une manière d’être face au quotidien. Une inflation de chocs. C’est direct et continu, ça vibre. Facial/ c’est simplement de face, et ça doit se lire comme une position radicale. G.Y



Interview Jonathan Capdevielle À propos de Littérature Et de Jerk.

Jerk/Gisèle Vienne/Jonathan Capdevielle/ Littérature/Théâtre/Paris.



J’ai écrit à Jonathan Capdevielle parce qu’il « fait » un théâtre qui m’interpelle à plusieurs niveaux. Parce qu’il s’agit d’un théâtre qui correspond bien à aujourd’hui : à la fois complexe et pluridisciplinaire. Mais surtout parce qu’il s’agit selon moi d’un théâtre qui trouve ces cendres d’une « marge » à travers l’usage de la marionnette, une esthétique explosive, et des sujets aussi populaires et faciles que la violence, la mort et la sexualité non normative. Ayant vu la pièce « Jerk » la première fois il y a deux ans au Point Éphémère dans le cadre du festival « Petites Formes Décousues », et après l’avoir revu au théâtre de la Bastille le mois dernier, j’ai décidé de proposer une entrevue à l’acteur. Cela été pour moi l’occasion de discuter de son jeu en tant que acteur, de son rapport au corps, et de son travail d’artiste. La rencontre s’est faite un vendredi 6 décembre 2013 en fin de matinée à l’Étoile Manquante, dans le IVe arrondissement de Paris. Elle a duré presque deux heures, et nous traversons plusieurs sujets dont l’art vivant, le corps, la ventriloquie, le fantasme, la littérature et la place du public. Et ce, sous la forme de l’art de la conversation et d’un dialogue forcément piégé : de ses errances à ses ricochets. L’extrait proposé est une partie de la discussion que nous avons eue sur la littérature nord-américaine principalement traduite par Laurence Viallet : Kathy Acker, Dennis Cooper, Samuel Delany, Peter Sotos ou encore David Wojnarowicz.

T.L



LE PERSONNAGE DU PSYCHOPATHE ET LA VENTRILOQUIE TL – Sur quel genre de travail t’es-tu basé pour créer le personnage du psychopathe ? JC – Je me suis beaucoup basé sur le cinéma américain. Je pense notamment à l’acteur Anthony Perkins dans « Psychose » ou de Jason dans « Vendredi 13 ». Concernant les scènes de meurtres ou d’assassinats, je dirais les films de Freddy Krueger. J’aime les films où il est toujours question de couteaux, de coups de couteaux. C’est plutôt des scènes que je réinvestis sur le plateau en les transformant dans la forme. Ah, et j’ai oublié « L’exorciste ». Surtout la fin, quand le corps est hanté par tous les personnages et de multiples voix qui dialoguent sans qu’il puisse faire quelque chose. TL – L’autre chose qui m’a intrigué c’est ton rapport à la ventriloquie. Au début, c’est quasiment absent puisque tu parles distinctement en changeant simplement les voix des différents protagonistes... JC – La ventriloquie intervient vraiment à la fin.



TL – Pourquoi, avec Gisèle Vienne, avez-vous choisi cela ? Est-ce pour montrer une forme de progression ? JC - Dans la structure du spectacle, au départ cette idée de ventriloquie n’était pas si intensément bien construite. On se disait qu’on allait tenter la ventriloquie et le spectateur allait être témoin d’un homme qui sait plus ou moins faire de la ventriloquie. L’idée était de garder cette fragilité là. Ensuite, on est allé plus loin pour que cela devienne parfait à la fin du spectacle. En ce qui concerne les voix des marionnettes, elles ne sont pas en ventriloquie parce que c’est une technique de marionnettes à gaine.Tu dois connaître le guignol dans « Punch & Judy », en Angleterre. Ces marionnettes traitent du tabou, de la censure et ce, sans filtre. Sans se soucier de ce que cela peut évoquer ou provoquer chez le spectateur, c’est une marionnette qui prend en charge ce genre de thèmes un peu violents. Elle est faite pour cela. Au début, je change la voix mais on peut me voir bouger les lèvres. Au fur et à mesure du spectacle, la distance donnée par les marionnettes se précise et s’effondre pour ne laisser paraître que l’essence même de la violence. Les filtres disparaissent pour ne laisser que cet homme dans la solitude de ses actes avec ses personnages qui, au départ, ne sont que des marionnettes mais qui sont en lui. C’est alors qu’un zoom se crée sur le personnage du serial killer et sur la complexité de son mental.



TL – Est-ce que tu t’es intéressé à des serial killers célèbres et réels ? Je pense notamment à Jeffrey Dahmer, qui était aussi homosexuel et qui a tué beaucoup de jeunes hommes. Il a été incarcéré et assassiné en prison en 1992. Il trouvait ses victimes dans les bars... Ce qui est intéressant dans son « personnage » et quand on le voit dans le peu d’images d’archives qui existent de lui, c’est qu’il a vraiment l’air sympathique et doux comme un agneau. C’était quelqu’un de relativement intelligent en dehors du stéréotype du fou ayant des problèmes mentaux et ne discernant plus le réalité et ses fantasmes. Lors d’un procès, il y a une scène assez folle, où on lui demande de s’expliquer sur ses meurtres et il répond quelque chose comme « Je ne sais pas et je suis vraiment désolé ! » avec une troublante sincérité. JC – Oui. Il est peut être conscient et inconscient de l’acte. Il n’a pas la mesure de l’acte, justement.



TL – On retrouve cette forme d’innocence dans ton personnage même s’il reste effrayant. Il a, cependant, quelque chose de très enfantin. JC – Il est effrayant dans l’acte de violence mais une fois qu’il s’en détache, il y a un truc... Une sorte de fragilité omniprésente tout au long du spectacle et on a, en effet, travaillé sur un personnage qui n’est pas stable. Ni assuré dans sa violence et au fond, il ne s’en rend compte de ce qu’il a pu produire. Cette manière d’expier tout cela face à cette classe de psychologie fonctionne au départ et ne fonctionne plus du tout car il est marqué à vie par ce qu’il a fait. Il est vrai qu’il n’est pas un simple serial killer pervers. Chez lui, il n’y a pas de perversion, il y a quelque chose de l’ordre du « Je suis passé à l’acte malgré moi ». Malgré l’emprise du gourou qui, il faut le préciser, les a embrigadés avec les autres garçons. Il ne faut pas oublier qu’à la base, le personnage principal était surtout un gamin paumé et drogué. TL – Comme dans tous les livres de Dennis Cooper... JC – Oui. Ce sont des garçons un peu à l’abandon, qui se retrouvent dans des situations où ils sont amenés à participer à des crimes. Mais c’est vrai que nous n’avons jamais voulu qu’il soit un personnage qui assume une violence et qui la balance de manière radicale, sans qu’il y ait un impact réel au niveau mental ou physique. Au contraire on a voulu que cela se transforme et qu’il devienne presque touchant.



LA LITTÉRATURE ET LES STRUCTURES COMPLEXES TL - Cela arrive souvent cette idée d’enquête et de mystère chez Gisèle Vienne.. JC – Elle affectionne particulièrement Alain Robbe-Grillet et la structure très complexe de ses romans. Il y a une multitude de scénarios possibles et établis dans ses livres. Il se ballade et il n’y a jamais la même structure. Elle évolue, se ramifie, se dédouble. Il revient à la première pour revenir à une autre etc. Il y a un une forme de voyage dans la structure qui est assez folle dans ses romans. TL – Oui, de vrais labyrinthes. JC – Où tu peux te perdre. Et Gisèle aime bien cette situation. Cette perte du spectateur, qui n’est pas perdu jusqu’au bout. Elle a le talent de le guider grâce à la mise en scène, à la proposition, au texte et à la dramaturgie. Souvent le spectateur est un peu ébranlé dans ces formes sombres, qui touchent à une étrangeté sur le plateau.



TL – Pour revenir à Dennis Cooper, ce que tu dis sur la structure me rappelle beaucoup « Salopes ». La structure est complètement éclatée. Il y a plusieurs formes de littératures, de formes d’écritures, avec notamment ces fichesinternet sur des sites de rencontres sexuelles. Les dialogues, les mails, les lettres du mystérieux escort qui aspire à faire un snuff movie rend la lecture confuse. Le lecteur ne sait jamais qui écrit quoi et il reste complètement perdu. JC – Oui ! C’est vrai que les identités, les espaces, les personnages de Cooper sont souvent troubles. Qui organise quoi et comment ? Qui fantasme ? Comment et avec qui ? Quand ? Et où ? Cela ouvre des quantités de portes du fantasme, encore une fois, obligeant ainsi le lecteur à fantasmer. Ce sont des choses singulières. J’ai, par exemple, reçu une lettre un jour, celle d’un psychiatre. Il a vu ma pièce pour m’expliquer ce qui l’avait marqué. Le personnage de Dean tue les jeunes garçons pour leur subsumer une autre identité afin de mieux les connaître. Ce psychiatre a lui même eu le cas d’un lycéen qui voulait tuer un camarade pour savoir comment il était après la mort. Ce sont des cas réels de psychanalyse, contrairement à la fiction proposée par Gisèle et Dennis. Ce que cela provoque chez le spectateur est passionnant. Autre exemple, un homme m’a aussi dit qu’il trouvait cela terriblement excitant. Il n’y a évidemment pas que le texte de Cooper qui joue mais aussi la mise en scène. La façon d’amener ce type d’objets dérangeants, et comment arriver à toucher les gens avec des choses qui sont à la première lecture, affreuses.



TL – Et je dirai même gores. Cela va très loin et cela nous pousse à nous retrancher dans nos propres limites. Ce que nous acceptons d’entendre, de voir et d’imaginer... Est-ce que Dennis Cooper travaille directement avec vous ? JC – Il est présent de temps en temps pendant les répétitions. Nous aimons beaucoup échanger, pour savoir notamment, s’il fallait mettre ou pas un petit castelet pour « Jerk ». Nous n’en avons pas disposé pour ce spectacle parce que nous voulions que tout soit visible.Tout l’intérêt du spectacle, réside dans la façon de voir de quelle manière le texte, la mise en scène et le travail d’acteur sont visibles. TL - La scène est complètement épurée et vide. JC – Oui. C’est ce qui est beau, selon moi : la nudité de l’ensemble de la forme. Évidemment il y a aussi une forte esthétique. Lorsqu’on travaillait ensemble, il y a eu plusieurs échanges autour de ces choix. Avec Gisèle, j’amène mon propre univers, je le transforme pour l’occasion. C’est une vraie collaboration à trois. Actuellement, Dennis écrit une pièce avec elle, sur la ventriloquie. Nous allons développer cela, avec plusieurs ventriloques. Le spectacle sera autour d’une conférence d’une dizaine ventriloque, avec un texte écrit par Dennis. Nous allons découvrir l’ensemble de ces personnages et leurs marionnettes, leurs rapports avec elles et les marionnettistes.



TL – Ce sera toujours dans « l’esthétique Cooper » ? J’entends avec les mêmes jeunes garçons perdus, dans un scénario trash. Il y a d’ailleurs son nouveau livre qui va bientôt sortir, mais qui a été reporté. JC – Non, pas vraiment. Je ne sais pas encore comme cela va se développer, mais il y aura certainement plus d’humour. Et concernant son nouveau livre, il y a un problème avec la traduction. Ils ont du tout retraduire. TL – Est-ce traduit par Laurence Viallet ? JC – Laurence a traduit « Jerk » et « Closer ». Elle en a traduit d’autres, dans une autre édition. Mais c’était une autre maison d’édition. Avant elle dépendait d’une certaine maison jusqu’à ce qu’elle s’en sépare puisque c’était une maison qui ne donnait pas trop d’intérêt au genre de livre qu’elle a l’habitude de traduire. Elle défend des auteurs spéciaux ! J’ai lu un livre une fois, avec un camionneur... TL – « Hogg » de Samuel Delany ? Ce livre est atroce. JC – Oui, c’est ça! Elle m’avait demandé de faire une lecture d’un passage. Je l’ai lu chez moi. Et puis toutes les images qui arrivent quand je l’ai lu : cette espèce de crasse...



TL – Oui et cette histoire d’un frère qui viole sa sœur. Je n’ai jamais réussi à terminer ce livre. C’est un vrai défi. L’achever, c’est comme passer un cap. Il y a des moments où j’avais vraiment envie de vomir. C’était presque physique. JC – C’est trash! Il y a aussi Peter Sotos. Mais cela reste en même temps assez drôle parce que c’est vraiment « too-much » dans les descriptions. J’ai aussi lu Wojnarowicz, « Au bord du Gouffre » qui m’a vraiment touché. TL – Très grand livre et très grand écrivain finalement peu connu en France. Qu’en est-il du rapport à la littérature sur scène chez Gisèle Vienne ? Il me semble, qu’elle travaille aussi avec Catherine Robbe-Grillet. Quel est ton propre rapport à ce théâtre pluridisciplinaire mêlant jeu, marionnette, littérature, danse et même cinéma ? JC – Je ne suis pas un grand lecteur. Je n’avale pas des bouquins tous les jours. Ce genre de littérature m’amuse un peu mais cela ne m’excite pas. Ce qui m’amuse en tant qu’acteur est ce que je peux faire avec ce type de matériel. Les personnages en marge m’intéressent, et c’est pour cela que je travaille sur eux. J’y amène mes propres envies quand je les construis et j’y mets des choses personnelles. C’est ce qui fait la différence dans le travail. Je peux y amener de la vulgarité aussi bien que de la gentillesse et de la tendresse. J’ai ça en moi. Je viens du Sud Ouest, plus précisément de Tarbes. J’ai été élevé avec des rugbymen et des montagnards. J’ai donc ce côté un peu rustre et à la fois je suis un homosexuel plutôt sensible.



TL – (rires). Un jeune garçon sensible et délicat. JC – C’est ça.. et tarbais! C’est ce mélange curieux entre la culture locale et cette vulgarité que j’adore et qui me touche. C’est ainsi que je travaille avec Gisèle. Elle est aussi plasticienne, elle travaille beaucoup la plastique des choses dans les corps et les images. Elle est aussi très sensible à la danse. « Jerk » est un des spectacles qui n’est pas dansé, même si on peut y voir une danse des marionnettes. Le corps subit quelque chose d’intense physiquement mais les autres pièces sont plus chorégraphiées. En as-tu vu d’autres? TL – J’ai vu des extraits du spectacle « Une belle enfant blonde ». Et à Beaubourg, il y avait ce ballet crée par Chris Cochrane, « Them » où Dennis Cooper lisait des parties de son journal intime. JC – Le spectacle « Une belle enfant blonde » a été crée en collaboration avec Catherine Robbe-Grillet et cela questionne sur les genres et les identités. Catherine joue Dennis, en utilisant la première personne et tout le texte de Dennis est autobiographique. C’est donc un spectacle inspiré de la vie de Dennis Cooper : son enfance, sa famille et la découverte de la violence. Cette découverte deviendra un fantasme là-dessus et l’objet de sa vie et son œuvre. C’est très intéressant. Et comme Catherine, avec tout ce qu’elle représente, lit ce texte : c’est un beau résultat. Le duo est aux côtés d’une danseuse nue qui a les yeux bandés. Il y a aussi du voyeurisme mais dans un autre endroit que le simple objet théâtral comme dans « Jerk ».



LA MARIONNETTE ET L’HALLUCINATION DU RÉEL TL – Pour finir, est-ce que tu penses que le rapport à la marionnette nous pousse encore plus à nous identifier ? Je m’explique : est-ce que la marionnette et la performance contribuent à plus nous déranger et à nous retirer dans une autre réalité, à la fois tangible ? JC – Je pense que la marionnette crée un trouble de par l’objet. En France, il y a beaucoup de compagnies, mais c’est un milieu assez fermé. Il y a un festival international à Charleville-Mézières, où il y a un peu de tout. Gisèle a vraiment réussi à prendre ce média et l’envoyer ailleurs et différemment. Les spectateurs habituels peuvent être assez interloqués par l’usage de la marionnette à gaine alors qu’elle très traditionnelle en France. Si on y ajoute l’esthétique américaine de Dennis Cooper et ses petits blonds avec leurs baskets, tous mignons... Ces marionnettes sont belles et cette beauté-là traite d’une violence inouïe. La marionnette permet de fantasmer d’autant plus fortement, et d’amener la violence au delà de ce que l’acteur peut proposer. Cela peut aller très loin. Je leur fais faire des actions que physiquement le corps ne peut pas faire, comme leur arracher la tête, démembrer quelque chose facilement et cela peut être très violent. Et même quand je la balance au sol, l’impact de cette marionnette qui tombe et le silence qui suit est aussi fort que si quelqu’un de réel tombait..



Elle devient l’objet de la mort, et on comprend que c’est un objet mort. D’ailleurs dans la tradition, elle permettait de convoquer des personnes décédées, en utilisant un objet, une marionnette ou une idole. Il y a quelque chose de paranormal dans la poupée. Au niveau de la violence, cela permet d’aller plus loin. Dans une autre pièce de Gisèle avec les petites écolières justement, lorsque je les manipule, elles ont une réaction très humaine. Dans leurs positions statiques, l’action de bouger la tête, de l’incliner, de déposer une main d’une manière différente, surgit alors un sens, une émotion, et ce qu’elles provoquent change. Il y a une fascination de l’objet et elles nous permettent de mieux halluciner sur les choses. »



PERF

Monde Arabe/Performance/Casablanca/Nice/2013



Ce qui nous manque, c’est l’action performative dans notre société. Avec un nouveau gouvernement islamiste, une constitution qui nous tombe du ciel et que l’on essaye de faire passer pour une réforme, un contexte politique mondial chaotique, le citoyen ou plutôt, le sujet marocain est perdu. Le débat est tout de même remis en place. La relative liberté d’expression permet des émissions sur la radio ou il est question d’égalité homme femme ou encore de liberté sexuelle. Toujours est il que la modernité est dressée comme spectre occidental et est assimilée à la débauche et à la mort de « nos valeurs ». Et puis, même si le débat commence à prendre forme, le raisonnement est souvent binaire. On oppose un 3alem (théologue) à un moderniste. On oppose l’occident à l’orient. On oppose l’évolution à la régression. On oppose l’authenticité à la modernité, ou alors on les réunit pour en faire une énorme bouse. (Référence au parti politique Authenticité et Modernité de Fouad Ali El Himma, conseiller royal à la tête de l’une des plus grosses fortunes marocaines, pillage des deniers publics).



Pourtant tous les marocains se rendent compte que la réflexion est plus subtile. Pour faire simple, nous avons le cul entre deux chaises. Se pose alors la question de comment faire évoluer le schmilblick et puis surtout comment œuvrer pour la mise en place d’une société où le marocain ne se sentirait ni marginalisé ni érigé au statut du sujet idéal ? Comment faire en sorte que notre diversité devienne un véritable pilier de notre société ? Les tentatives sont nombreuses. Elles ont pris la forme écrite, notamment avec des magazines comme le Journal Hebdo d’Aboubakr Jamai ou encore avec des sites comme Mamfakinch ou lakome. Elles se sont retrouvées associatives comme Casa-Mémoire ou Darna. Elles ont décidé de militer comme le MALI (Mouvement Alternatif des Libertés Individuelles), Al Adl ou le 20 février. Ces tentatives se sont réduites à des échecs ou alors elles ont légèrement fait évoluer les choses. Certaines d’entre elles persistent et regroupent tellement de gens convaincus par leur cause, que nous ne sommes pas prêt à ne plus entendre parler d’eux. Toujours est-il que le climat d’intolérance est toujours ambiant et ce n’est pas si agréable au jour le jour. Le raisonnement binaire, constat flagrant de nos récents débats reprend le dessus. Nous sommes contre ou pour le système. Nous sortons dire non dans la rue pour se mettre à dos tous les adeptes du oui restés cloitrés chez eux. L’autre a foncièrement tort. Évidemment, il y a des indécis et des gens qui ont peur de prendre position, mais puisque nous ne les entendons pas, nous en ferons abstraction.



Donc, voilà. On a le cul entre deux chaises et nos tentatives sont des échecs. Qu’est ce que l’on fait ? Chacun continue d’évoluer dans son microcosme en ignorant tous ceux qui ne pensent pas comme lui ? On se dresse contre l’autre qui a une pensée à l’opposé de la notre? Que de questions ouvertes, qui le resteront d’ailleurs puisque toute tentative de réponse peut-être perçue comme un jugement et serait un jugement. Que de questions, surtout qui devraient prendre la parole sur la scène artistique ! Nos groupes de musique font de la fusion et essayent d’aller au delà du ridicule «authenticité et modernité». Nos artistes plastiques se ruent vers l’art contemporain et produisent des pièces qui ont généralement plus de succès à l’étranger que chez nous. Nos danseurs se vautrent aussi dans ce fourre-tout que l’on nomme danse contemporaine. Là encore, nous avons droit à deux clans : le folklorique et… l’incompréhensible. Seul point commun de toutes ces créations, il est souvent question de schizophrénie (aspect médical du raisonnement binaire) à la sauce mystique. Le topo est dressé assez rapidement, mais… ce n’est qu’un topo.



Au tout début, il était tout de même question de l’action performative. Est elle inexistante ? Certainement et puis si elle a déjà pris place dans nos rues, elle n’a pas été transcendante. Pour avoir une idée de l’action performative qui réglerait en partie nos maux sociaux sans braquer les uns contre les autres (pour simplifier encore plus le raisonnement binaire initiale, les intégristes contre les modernistes alors qu’il y a quand même des intégristes modernistes et surtout des modernistes… intégristes), il serait intéressant de prendre pour exemple une performance réalisée par Orlan. 1976 au Portugal. La pièce se nomme « s’habiller de sa propre nudité ». Orlan est donc vêtue d’une robe, faite sur mesure où son corps est représenté comme par transparence. Étant habillée, il n’est aucunement question d’outrage à la voix publique. Contrairement à une action militante comme la manifestation « débardeur ou bikhir » (débardeur et tranquille) du collectif féministe Womenchoufouch organisé suite à l’agression d’une femme en débardeur par un islamiste à Marrakech. Orlan ne justifie pas et ne parle pas en amont de sa production. Elle l’accomplie, seule dans la rue en se baladant. Elle n’agit pas au sein d’un groupe pour légitimer son combat. Les gens sont intrigués, ils s’approchent, s’éloignent. Il est évident que ce n’est pas la performance d’Orlan qui a libérée la femme européenne, mais elle y a contribué. (...)



On en est un peu loin. Action performative vers chez nous ? Une tunisienne, Moufida Fedhila, qui dans le contexte de la révolution tunisienne a décidé de sortir manifester avec un costume de super-tunisian. Son travail peut faire penser à celui de Jean Mas, l’un des membres de Fluxus qui avait créé le parti politique de l’art. Si Moufida Fedhila met en scène le super citoyen tunisien, Jean Mas pointe du doigt le risque liberticide des sociétés inscrites dans le post-politique. (...) Il y a quelques années déjà, le collectif MALI (Mouvement Alternatif des Libertés Individuelles) avait organisé un pique nique à la gare de Mohammedia en plein mois de Ramadan. Sachant que le fait de manger pendant le moment du jeun, dans un lieu public pour un marocain, lui est passible d’un emprisonnement de 6 mois et d’une amende pouvant aller jusqu’à l’équivalent de 200euros. Ces jeunes avaient diffusé l’évènement sur facebook ou plusieurs personnes s’étaient inscrites pour enfin de compte ne se retrouver qu’à 20 dans cette gare ou les policiers les attendaient déjà. Ils se sont fait directement embarquer. Le caricaturiste Khalid Gueddar avait produit une illustration à ce sujet : Un jeune se faisant arrêter par un policier moustachu. - « Vous êtes arrêté ! - Pourquoi ? - Pièce à conviction : Un sandwich dans votre cartable. »



(...) Un an après cette « énorme avancée démocratique qu’a connu le pays », la situation est toujours la même : Torture et emprisonnement des militants, liberté d’expression bafouillée, corruption horripilante, système de santé défectueux, passe-droits omniprésents et l’ANAlphabétisation, toujours priorité de l’état, puisqu’il vaut mieux gouverner une bande d’ignares (Officiellement 46 % de la population ne sait ni lire ni écrire. Continuons à construire des TGV et des centres commerciaux, les écoles ne sont pas utiles). (...) Ces questions pourraient peut-être se résumer ainsi : - Comment faire de l’art contemporain au XXIème siècle dans le monde arabe ? - Qu’est ce qu’un processus artistique dans des pays où la liberté est bafouée ? - Quelle serait la valeur de ce processus artistique dans l’exil ? - L’art ne serait-il pas en fin de compte réellement élitiste ? - Ne serrait-ce pas du coup, foncièrement idéaliste d’aspirer à autre chose que de l’incompréhension lors de manifestations d’art contemporain dans le monde arabe ? - Est ce que le fait d’être passé directement à la marchandisation de l’art dans ces pays ne rend pas justement le processus créatif obsolète ?



- Pourquoi est ce qu’il n’a jamais été question ou alors si ça été le cas, très rapidement de la performance dans le monde arabe ? - Est-ce mon manque de culture, malgré mes recherches qui est à l’origine de ces généralités ? - Y aurait-il un intérêt à introduire la performance dans le monde arabe ? - La performance pourrait être une solution ? - Une solution artistique grâce à la notion de la marchandisation de l’art qu’elle soulève ? - Une solution artistique aussi parce qu’elle permettrait de sortir du clivage élitiste de l’art contemporain ? - Tout en arrivant à ne pas tomber dans la mondanité de la performance européocentriste ? - Une solution artistique parce qu’elle permettrait une nouvelle réappropriation du lieu public qui contrairement au tag, ne sera pas considéré comme vandale ou comme les troubadours, elhel9a et toutes ces formes de prise de parole dans des lieux publics qui appartiennent plus au registre du spectacle ? - Et puis, dans l’idéal une solution sociale et culturelle grâce à sa capacité à provoquer une remise en question ? - Enfin, comment produire un art de la performance avec tout l’héritage occidental ? - Comment arriver à simplement l’utiliser comme bagage culturel sans tomber dans le copié-collé grégaire ? G.S



Rencontre AA Bronson

Croissants/FĂŞte/Butt/Paris/MontrĂŠal



Le jour où j’ai rencontré AA Bronson était le lendemain de mes vingt-deux ans. J’habitais à l’époque à Paris, au 47 rue de la Goutte d’or, dans le quartier de Barbès (18e). J’avais, pour mon anniversaire, décidé d’inviter beaucoup d’amis très différents. L’idée était de confronter tous les mondes dans lesquels je naviguais à l’époque (université, librairie, quartier gay, amants, voisins, radio ou hasard ou etc.). Et de créer de nouvelles amitiés. C’était bouleversant de voir qu’une grande majorité a répondu à l’appel. Je n’avais pourtant pas Facebook à l’époque, ni tout l’attirail de communication requis pour créer ce genre d’évènement. J’avais simplement envoyé un SMS quelques jours à l’avance, comme une sorte d’appel au rassemblement pour me célébrer. Je n’avais alors jamais fêté ça. Créer une fête pour moi. Chez moi, on ne fête pas les anniversaires. Ce jour-là j’avais aussi donné rendez-vous à Anne pour aller à l’université vers 18h. Les réponses pour les échanges internationaux étaient affichées. J’avais postulé pour le Canada et l’Université de Montréal. Nous y sommes donc allés avec des bières et suite à mon acception, nous avons commencé à boire dans les couloirs. Célébrer ainsi ce double évènement. La soirée a été un succès.Vers deux ou trois heures du matin, j’étais déjà rincé. Je me suis dirigé vers ma chambre et au milieu de belles personnes, je me suis endormi, sous leur bienveillance.



Le jour suivant au matin. J’ai découvert mon salon dévasté : mégots, bouteilles de vin et de bières partout, des affaires oubliées et puis des mots sur le sol. J’avais donné rendezvous à AA Bronson à 11h du matin au Café de l’Étoile Manquante dans le quartier du Marais (4e). Je suis entré en contact avec lui grâce au site Butt. À ce moment-là, j’étais un Butthead qui draguait ou simplement discutait avec des inconnus un peu partout en Europe pour organiser certains petits voyages (et si possible baiser en même temps). Je ne sais plus de quoi nous avons parlé mais il m’a aussitôt dit qu’il viendrait à Paris à un certain moment et que ce serait un moment propice pour une éventuelle rencontre. Il m’a proposé ainsi le 25 janvier 2014 en fin de matinée. En retard, heureux et fatigué de la veille. Je me suis dirigé vers le café en traversant la bourdonnante rue Sainte Croix de la Bretonnerie. Je l’ai aperçu à travers la façade du café, installé près de la fenêtre, il avait déjà commandé un café – long ou crème, je sais plus. Avant de le rejoindre, j’ai décidé de passer avant dans une boulangerie, acheter des croissants, pour petit déjeuner ensemble.



Lorsque je l’ai rejoint, j’ai tout de suite ressenti une sorte un calme dans l’espace qu’il occupait. Je ne me souviens plus exactement de ce que nous avons bavardé. Sûrement de choses de pédés : les radical fairies aux USA, son installation à Berlin avec Mark, la spiritualité chez les mecs, la tente qu’il occupait lors d’une performance, les zines queers et les massages fessiers... Les croissants étaient une bonne idée puisqu’il les dévorait rapidement et avec amour. Il a un peu parlé de General Idea mais c’était plutôt bref. Notre conversation a duré environ une heure. Il était attentif et disponible. Je me sentais bien. La semaine suivante, il est venu à la librairie me saluer accompagné de Mark et Vincent. Quelques mois plus tard, à Montréal. J’ai aperçu une photo de deux hommes d’un certain âge et barbus au fond d’un bar dans une scène de la série Those Who Kill. J’ai alors repensé à cet homme assis au café de l’Étoile, buvant du café et qui avait accepté de m’offrir un peu de son temps. Il avait alors quitté New-York pour s’installer à Berlin. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde y déménage. Même en Amérique du Nord, les gens rêvent de Berlin. Parfois, on s’échange quelques mots sur Facebook, maintenant que j’ai un compte. Sa dernière installation présentait le drapeau des États-Unis rempli de poussière. Ah, et il y a quelques jours il a commenté d’un « whoa! » un documentaire sur les gnawas marocains posté sur mon mur. Sinon, c’est à peu près tout. T.L





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