La Vallée des renards noirs

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Nouvel An traditionnel approchait. Les chefs du district et des villages leur apportèrent l’indemnité d’«abandon du bétail pour la protection de l’herbe», et pour «le double Nouvel An», aussi appelé «les deux fêtes», de la farine et du riz de courtoisie, des pommes de terre, des briques de thé, un calendrier en couleur, et encore d’autres choses. Par ailleurs, ils les encouragèrent à leur faire part de leurs difficultés et de leurs souhaits, assurant que tout serait décidé et résolu à temps. Les membres de la famille Sangyé furent touchés, en particulier Jamyang et son épouse, dont les larmes coulaient sans discontinuer : «Que les autorités sont bienveillantes ! Que le gouvernement est bienveillant ! Nous offrir tant d’argent et d’objets sans même qu’on ait à travailler, c’est un rêve ? Merci, vous êtes si bons, si bons ! Nous n’avons ni difficultés ni souhaits pour l’instant.» Et ils furent à deux doigts de se prosterner. Quand la délégation fut partie, le grand-père fit la leçon à tous et plus particulièrement à Sangyé et son fils : il ne fallait jamais oublier la bienveillance du Parti communiste, il fallait toujours savoir se tenir, qu’on soit dans un monastère ou en ville. Il les chargea ensuite d’acheter le portrait d’un dirigeant quand ils iraient en centre-ville. Le diriDes centaines de milliers d’éleveurs tibétains déracinés vivent désormais dans ce type de village.

geant dont Jamyang parlait était Mao Zedong, mais Sangyé acheta d’autres portraits en vente dans la librairie d’Etat Xinhua, et il se porta également acquéreur d’un portrait de Staline, décoloré d’avoir été exposé sans avoir trouvé d’acquéreur pendant de nombreuses années. Lorsqu’il plaça ces images au-dessus de l’autel qui était rempli de portraits de toutes tailles de Yak Rinpoché et d’autres lamas et trülku(7), il leur sembla que la maisonnée se parait d’un éclat et d’une brillance inédits. C’est pourquoi, que Jamyang actionne son moulin à prières ou que Sangyé s’arrache les poils de barbe, tous deux tournaient spontanément leur regard vers les dirigeants, les yeux brillants de respect et de dévotion. Ils n’auraient jamais ne serait-ce que rêvé d’avoir à manger et de quoi se vêtir sans avoir à travailler. C’est pourquoi le «Village des sédentarisés “Vie Heureuse”» semblait de loin être un lieu où régnait le bonheur. Mais, peu après, il prit un jour l’envie à Jamyang d’aller faire un tour en ville pour aller voir s’il n’entendait pas parler du vieux chien disparu. Bien des années plus tôt, il avait participé en tant que cadre local à des «réunions de troisième catégorie» en ville. A l’époque, il connaissait le petit centre-ville comme la paume de la main. Mais maintenant, il avait changé comme si le ciel et la terre avaient été inversés, et s’était développé au rythme du galop d’un puissant destrier, si bien qu’il était difficile de dire s’il saurait retourner au «Village des sédentarisés “Vie heureuse”». Et même s’il y parvenait, à tous les coups il ne retiendrait pas le nu-

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Lama réincarné.

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