Bakélite numéro 02

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© Sabine Serrad

La revue

NUMéRO

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Design XXe

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Š Sabine Serrad

Edito


T

hank You

C’est donc à vous que je dédie cet édito : les passionnés de design, les esthètes de la toile, vous, nos lecteurs adorés qui nous donnez l’envie de surprendre... Et, parce que nos merveilleux invités sont les premiers à nous faire confiance, vous découvrirez dans ce numéro 2 : Florence Lopez et l’élégance passionnée d’une antiquaire renommée, Charles Jouffre, le tapissier d’excellence et le surprenant et talentueux duo THTF, acteur incontournable du street art.

© Sabine Serrad

Votre enthousiasme a dépassé toutes nos espérances ! 24 000 vues, de nombreux partages, des centaines de likes sur Instagram ou Facebook et, cerise sur le gâteau, un article dans M, l’illustre magazine du Monde... Bakélite, notre revue en ligne sur le design connaît un départ fulgurant. Espérons que cela lui porte bonheur...

Nathalie Rives Rédactrice en chef

Autant de talents (un peu) fous qui ont accepté de se dévoiler comme rarement, entre fous rires, prises de vue rock’n roll et pièces d’exception. Merci à eux, merci à vous, longue vie à Bakélite ! The show must go on.

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Sommaire Appartement réalisé par l’architecte Jean Ginsberg et l’architecte d’intérieur André Monpoix, photo L’Oeil, mars 1962

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Numéro 02 Fall Winter 2017

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Edito

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Figure Libre / Victor Cadene

08

Interview / Florence Lopez

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Savoir-Faire / Charles Jouffre

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Trend Book

38

Les Coulisses / Atelier Février

44

Reportage / Se mettre au parfum

52

Cheap & Chic

56

Actu Design

58

Web Stories

60

Artistes / THTF

74

Adress Book

76

Avoir l’oeil

80

Ours

82

Index

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Figure Libre VICTOR CADENE Orfèvre de papier Ceux qui le croisent dans son quartier, du côté d’Ainay, trouvent sans doute à ce grand jeune homme gracile quelque chose de Pierre Niney. Peut-être de Romain Duris. à le voir filer, en quelques enjambées, sur le bitume on l’imagine volontiers voler vers un piano, un atelier, une inspiration. Il y a de ça. Victor Cadene fait partie de ces singuliers qui font corps avec leur art, poussés par quelque chose de plus fort qu’euxmêmes. Comme un instinct de création. Originaire de Valence, non pas celle-là, l’autre, dans la Drôme, il fait son œil à Lyon, chez Marie-Lise Féry et son Château en Espagne, étonnante boutique d’antiquités, avant d’accompagner sa fondatrice dans la création des luminaires Magic Circus. « Décorateur par passion », fou de couleurs qu’il mélange chez Ressource, il déroule aussi un passage par les Arts Appliqués et un détour par Venise dans son curriculum d’autodidacte. Les palazzo, le baroque, les Arts Décoratifs, les années 30 et, depuis peu, le surréalisme… Ses croquis évoquent, on ne sait comment, le faste d’un temps passé mais jamais dépassé tout en restant d’une grande actualité. Ses premiers dessins étaient purement fonctionnalistes : « je n’avais rien à montrer ». Ils ne le sont pas restés. Le tracé de travail est devenu un sujet d’exposition à part entière et le support de mises en scène d’une grande délicatesse. Ne serait-ce que parce que chaque élément, « mobilier détourné, inventé ou existant », panneaux peints, paravents ou carreaux, est griffonné au crayon avant d’être découpé au scalpel. Le décor posé, Victor pioche ensuite dans son petit tas des possibles pour assembler un nouveau monde miniature et onirique. Si la vie est un songe, elle est chez Cadene un jeu à base de papier collé. http://victorcadene.format.com Audrey Grosclaude


Victor Cadene

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Š Sabine Serrad

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Interview


FL FLORENCE LOPEZ L’insolente élégante Ne demandez pas à Florence, antiquaire et ensemblière prestigieuse, de choisir une couleur préférée, une matière de prédilection ou un designer, ses choix sont éclectiques et insatiables. Sa curiosité n’a d’égal que la générosité de ses décors et la transmission de ses connaissances. L’œil aiguisé, Florence est fantasque, libre de toutes les modes et du politiquement correct. C’est avec beaucoup de chaleur qu’elle nous reçoit, à Paris, dans dans son élégant atelier en « chambre » parisien créé il y a presque 25 ans. Et ce, pour notre plus grand plaisir.

Q

u’est-ce qui a façonné ton goût ? Je ne sais pas. J’avais une mère un peu bohème, qui n’a pas travaillé jusqu’à l’âge de 40 ans et qui s’est mise à créer des modèles de vêtement très fantasques. C’était l’époque Beatnik, elle a fait des modèles magnifiques, des pièces uniques pour ses amies, des défilés dans un théâtre abandonné à Bordeaux… On avait un appartement très grand mais un peu sinistre, elle l’a décoré de façon hallucinante, ça changeait tout le temps, ça me plaisait beaucoup. Maman a aussi travaillé chez mon grand-oncle, Henri Frugès1, mécène de Le Corbusier. Sa maison était meublée en Edgard Brant et années 40, c’était très pointu. Moi je n’aime pas trop ces années là mais c’était extraordinaire. L’influence de ta maman semble avoir été déterminante… Elle aimait plusieurs styles, elle était beaucoup plus baroque, plus théâtrale que moi. Elle mélangeait tout, beaucoup, elle était dans le merveilleux. J’ai été bercée là-dedans, il en reste forcément quelque chose. D’ailleurs, ça m’amuse que mon fils, Raphaël, veuille faire des études dans le cinéma, car lorsqu’il était petit je lui montrais tout ce que je connaissais, les films de Méliès, tous ces mondes construits, qui sont à la fois réels mais rêvés. Ma mère c’était ça, et c’était assez agréable en tant qu’écolière de rentrer le soir et de découvrir des décors différents tout le temps.

Quand je travaillais chez Jacques Garcia2, j’ai repris mes études aux Beaux-Arts, en scénographie, et ça me rappelait ma mère. Avec elle, j’allais tous les ans à Côme, en Italie, pour choisir des tissus haute couture. Je revenais avec des étoffes sublimes, et je les emmenais chez Garcia. Je lui disais qu’il ne fallait pas avoir les mêmes que les autres alors je les teignais. à l’inverse, maman s’est toujours fournie dans les tissus d’ameublement pour faire ses vêtements. Telle mère, telle fille donc ? Elle avait deux casquettes. Comme moi. Je suis décoratrice et antiquaire, elle était décoratrice et pourrait-on dire modéliste. Elle s’est beaucoup amusée et le plaisir fou qu’elle prenait m’a, je pense, influencée. Il y avait tellement d’excitation… peutêtre parce qu’elle vivait en province et que c’était plus lent mais en même temps elle voyageait beaucoup. Elle était très belle et elle avait une légèreté pour faire tout ce qu’elle faisait, je ne sais pas le faire, c’était divin. Elle surprenait toujours. En même temps il y avait chez elle ce petit côté non-conformiste en rupture avec son héritage très bourgeois. J’ai beaucoup aimé l’histoire romanesque de ma mère, partie vivre avec un argentin désargenté, mon père. Ça m’a beaucoup aidé dans ma vie d’avoir

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© Sabine Serrad Verrière de l’atelier 1920, stores extérieurs crénelés Roussel Stores orange vieilli, rideaux en tissu canvas vert bleu, tapis Judith Johansson (1940), table basse pièce unique de Giuseppe Scapinelli (1956), canapé demilune de Folke Jansson, paire de cendriers Mathieu Matégot, coupe en céramique jaune signée George Jouve.


© Sabine Serrad

© Sabine Serrad

Gouache Geneviève Claisse (1966), bibliothèque Vittorio Dassi pour Gio Ponti.

Dessin d’étude XIXe Jean-Jacques Henner, chevet André Sornay, lampe d’artiste « Sélection Florence Lopez », coupe organique bois, cendrier sur pied Mathieu Matégot, lampe Italie (1970) en laiton et cuir.


ces deux côtés, ce côté libre où on ne sait jamais si le lendemain on va avoir de l’argent ou rien du tout. Ça m’aide parce que je ne me suis jamais démunie par le matériel. Je remercie mon père d’avoir été ce qu’il a été, il n’est jamais rentré dans ce moule… Quelles sont tes grandes rencontres dans le design ? Tes maîtres, si tu en as ? Je pense que je n’ai pas été antiquaire par hasard, j’avais envie d’être libre avec des grands noms du design mais qu’ils me foutent la paix… Qu’ils soient morts pour faire simple (rires). J’ai aimé certains designers contemporains mais c’est parfois compliqué de travailler avec eux, même si je reconnais que je ne suis pas d’un caractère linéaire. Ce que je veux, c’est travailler avec des gens que j’admire sans avoir forcément à leur dire (rires). Et trouver des objets, qu’ils soient signés ou anonymes. C’est intéressant de se rendre compte qu’il y a eu des designers fantastiques qui ne se sont jamais révélés, n’ont jamais percé. Parfois même, d’autres designers leur piquent tout et c’est leur nom que l’on retient. La création prime sur son créateur ? Parfois, je découvre un objet et je m’interroge : Pourquoi la personne dont je tiens l’œuvre entre les mains n’a pas été découverte ? Ce mystère me plait, j’aime ce côté inachevé de l’histoire, c’est passionnant. Il m’est déjà arrivé d’apprendre qui avait dessiné un objet et d’être déçue de le savoir. Parce que tout s’éclaire. La partie mystérieuse est tellement belle. Je n’ai pas le sens de la collection, je pense que c’est beaucoup mieux de rêver un objet, d’agir par intuition, que l’objet vienne à moi parce que je l’aime pour ce qu’il est. L’objet et le designer ce sont deux choses différentes. Nous ne sommes pas obligés d’aimer tout ce que fait un designer, par exemple il ne faut pas acheter une pièce Gio Ponti3 parce que c’est Gio Ponti. Moi j’aime les failles chez les gens. Je trouve normal qu’au sein d’une carrière, d’une créativité, il y ait aussi des pages blanches, de moments de respiration. Par exemple je n’aime pas sa période 40 mais à partir des années 50-60 il est devenu de plus en plus poétique. Il y en a d’autres qui t’inspirent ? Chez les américains, Paul T. Frankl4 et ses « skycrapers », ou William Haines. Dans les italiens, Carlo Mollino5. Il collectionnait des photos de Pierre Molinier et j’en ai collectionné aussi car son travail m’interpelle. C’est un peu une curiosité, il se déguisait lui-même en femme, dans les années 30-40-50, il faisait des contorsions… C’était un personnage complexe et mystérieux.

1. Fauteuil Arne Norell couvert de tissus Kvadrat collection Raf Simons, lit de repos asymétrique, pièce unique, signé George Nakashima (USA, 1952), chenets en bronze « édition Florence Lopez ». à droite de la cheminée, jardinière sur pied (1927) Jean Burhalter, sculpture céramique bleue « Collection Florence Lopez », tapis suédois tissé (1938) signé Brita Grahn. 2. Abat-jour d’époque signé Carlo Mollino. 3. Fresque peinte en hommage à l’artiste et architecte paysagiste brésilien Roberto Burle Marx, tapis suédois (1938) Brita Grahn, second fauteuil boutonné et bicolore Arne Norell, (tissus Kvadrat, collection de Raf Simons). Lampadaire de Carlo Mollino de (1945) « Collection Florence Lopez ». Sur la table du lit sculpté, signé George Nakashima : lampe unique sculptée avec son abat-jour à pans coupés de Heinrich Eckinger (1940).


2.

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© Sabine Serrad

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© Sabine Serrad Lit George Nakashima recouvert de tissus Kvadrat par Raf Simons, céramique signée Deutsch (1944) lampe Heinrich Eckinger (1940) avec son abat-jour à pans coupés.


© Sabine Serrad Commode André Sornay, applique Gio Ponti, vase en céramique orangé Pol Chambost, coupe de Georges Jouve. Sur le mur une oeuvre (affiches lacérées) signée Jean de Villegié, deux miroirs Eric Ericson.


© Sabine Serrad Au premier plan, à gauche, fauteuil tournant à tissu fleuri d’époque de Milo Baughman (USA, 1950). à droite, cache-pot Bela Silva. Devant la bibliothèque de Vittorio Dassi pour Gio Ponti, canapé d’Adrian Pearsall (USA, 1951), table basse Giuseppe Scapinelli (Brésil), tapis suédois (1930 et 1940) Brita Grahn et Judith Johansson, lit George Nakashima (USA, 1950), fauteuil Arne Norell (1947), jardinière Jean Burkhalter, 1927. Sur la cheminée, dessinée par Florence Lopez, deux miroirs d’Estrid Ericson (1940) lampe Pietro Chiesa (Italie), parquet ancien (Florence Lopez).


Parfois les choses se recroisent, j’achète des objets à quelques mois d’écart, et je me rends compte qu’ils ont été dessinés ou ont appartenu à des gens qui se sont très bien connus. Moi je ne suis qu’impulsion. Si tu as des connaissances, tu as toujours des lacunes. Je suis ravie de m’assoir sur un fauteuil et que quelqu’un me raconte l’histoire d’un objet. Même si quelque part ça m’ôte l’envie de l’acheter (sourire). Si tu devais faire appel à un décorateur, vers qui te tournerais-tu aujourd’hui ? C’est une question cocasse ! Je n’y répondrai pas franchement (rires) car s’il y a des talents que j’adore, il faut aussi que la personnalité colle. C’est très important. Il y a beaucoup de gens que j’aime pour leur personnalité, mais pas forcément leur goût. Et inversement. Peut-être, quand même, que j’aimerais avoir une maison pensée par Vincent Daré, mais à quatre mains. Il est amical, facétieux, il a beaucoup d’humour. J’adore aussi Renzo Piano6. Plus jeune, je voulais absolument travailler avec Renzo Mongiardino. Je suis même allée à Milan le rencontrer. Aujourd’hui, j’aime les extrêmes, je crois que j’aurais envie d’un architecte qui pourrait me dessiner des meubles, j’aurais envie de minimalisme, de vide. C’est pour ça que je travaille avec mon mari, Patrick Hernandez. Architecte, il crée toutes nos maisons, dans un esprit très libre et fluide. J’apprends beaucoup de lui, en sagesse et en esprit. Je trouve qu’il est très doué. Quel est ton plus gros défaut ? Je suis trop directe. Trop cash. Je m’emmêle les pinceaux quand je voudrais dire quelque chose. Parfois le manque d’humour. J’ai de l’humour quand tout va bien, plus aucun quand une situation se complique, parce que... je suis démunie (!). Ta plus grande qualité ? J’aime être disponible pour les autres, pour les gens que j’aime. J’essaie de préserver la joie de vivre, la curiosité. Quelles sont tes autres passions en dehors de la décoration ? J’aime découvrir, être curieuse mais aussi la nature, les chevaux et la solitude. Je peux rester seule à rêver. Et j’aime voyager. Tu as été la première à recevoir chez toi comme dans un showroom, pourquoi ? Alors non. Quand je suis arrivée à Paris, il y avait déjà des collectioneurs sur rendez-vous. On disait qu’ils travaillaient « en chambre ». C’est joli comme formule. En revanche j’aime moins chiner chez les particuliers. En fait, je ne suis pas une pionnière mais peut-être que je suis celle qui le fait depuis le plus longtemps. 24 ans quand même… Quelle est ta couleur préférée ? Je n’en ai pas. Toutes les couleurs sont synonymes de chatoiement, de mouvement, on peut tellement jouer avec toutes les palettes. J’ai peut-être juste été un peu saturée par le rouge avec ma période Garcia… Mais quel succès !


As-tu une matière de prédilection ? J’aime tout. La chaux, la paille, le raphia, la céramique, la porcelaine… Laine ou soie ? J’aime les soies Jim Thompson, car je suis allée à Bangkok, quand j’avais 20 ans, voir la maison de cet esthète. Il y a d’autres vibrations qu’avec une soie classique. Pour la laine, je l’aime sèche, pas lorsque elle fait des grumeaux. Plutôt or ou argent ? Les deux. Mélangés parcimonieusement. J’aime l’argent d’une cheminée de Serge Roche, en miroir au mercure, . J’aime l’or d’un fauteuil d’Hiquily édité par mon ami Yves Gastou. Une préférence entre les années 30 ou 50 ? Ce que je préfère c’est ce qui se passe toujours au tournant du siècle, le Bauhaus, le Futurisme, le Constructivisme, Arts & Crafts… L’élégance absolue pour moi : les années 20. La dernière fois que tu as éclaté de rire ? Hier soir, lorsqu’on a essayé de danser une sorte de chachacha avec des amis. Drôlement ridicule ! Est-ce que tu as une question à me poser ? Je vis entre deux villes comme toi. J’aimerais remuer Bordeaux comme tu remues Lyon. J’aimerais qu’un jour on fasse un truc ensemble, qu’on réunisse nos deux énergies pour faire quelque chose de loufoque, en plus de nos fêtes, qu’en penses-tu ?

Armoire André Sornay (1928) plante tropicale dans cache-pot anonyme (1940), vase enJean céramique Nouvelle collection de tissu inspirée depichet l’artiste Lurçat anonyme.

SabineSerrad Serrad ©©Sabine

Interview de Nathalie Rives avec l’aide d’Audrey Grosclaude


Florence Lopez


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© Sabine Serrad

© Sabine Serrad

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L’histoire du porte-clés de Florence Bon c’est un peu un trousseau de sorcière, avec deux ou trois clés qui ne servent à rien mais que je garde quand même, sait-on jamais ? Le porte-clés est un ruban orange APC, très pratique pour le retrouver.

L’envers du décor (ses toilettes)

Mes toilettes sont envahies de piles de magazines et de mes dernières parutions. Il y a un pschitt qui ressemble à une poire sent-bon de cocotte. J’adore la photo du plongeoir sur un lac en Norvège signée Frédéric Chaubin, un voyage que j’ai adoré.

L’objet du désir La table d’échecs, « Chess table », Isamu Noguchi (édition Herman Miller, 1944-1947).

La pièce design qu’elle aurait aimé dessiner

La lampe d’architecte que j’édite et que j’ai trouvée il y a 20 ans dans un lieu extraordinaire : la maison Rouge, un antiquaire que j’adorais.

Son coup de cœur chez AM.PM

J’aime le côté « unique » de la table Lixfeld : le plateau en marbre ne sera jamais le même.


©Ikea ©AM.PM

©Camille Gentil

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Florence Lopez Bioexpress 1992

Coup de foudre pour l’atelier des années 1920 dans lequel je vis, situé au dernier étage d’un immeuble XVIIe.

2002 © Sabine Serrad

https://lamodern.com

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La rencontre avec Charlotte Gainsbourg et Yvan Attal... et la naissance des 3 maisons que l’on a faites ensemble.

2014-15

Création d’un décor pour mon ami Christian Liaigre. Dans la foulée, la maison d’édition Rizzoli me contacte pour faire un livre sur mon atelier.

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ClichĂŠ


« Intérieurs Modernes », Édition Charles Massin


Š Sabine Serrad

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Savoir-faire


CJ CHARLES JOUFFRE Le roi des tapissierS Pour un appartement privé à Lyon, un chalet à Val d’Isère, une villa à St Tropez, un palais ou un palace, il réalise sur mesure, tentures, coussins, sièges et canapés. Lever de rideaux…

C

harles Jouffre est un homme heureux.

Depuis 40 ans, il vit son rêve d’enfant. Il le vit même au-delà de ce qu’il avait imaginé. Petit garçon, à Saint-Etienne, il se voyait régner dans le minuscule atelier de tapisserie devant lequel il passait toutes les semaines, « attiré par une ambiance, une odeur, le chatoiement des étoffes ». Aujourd’hui, le petit Charles a atteint son but. à un détail près. Il avait juste vu un peu court. Point d’échoppe de 30 m2. Mais de spacieux ateliers et de confortables show-room à Lyon, à Paris, à New-York d’où Charles Jouffre fait rayonner le luxe à la française dans le monde entier. Les plus grands palaces lui confient leurs intérieurs, les monuments historiques, les palais royaux, et ceux de la République l’appellent pour leur rénovation, les designers en vue ne jurent que par lui, les propriétaires de yacht lui demandent de réaliser leurs rêves les plus fous... Pour atteindre le sien, Charles Jouffre a pourtant dû s’accrocher et convaincre de ce qu’il portait pourtant comme une certitude, une évidence. Tout d’abord ses parents, à cent lieux de cet univers, et franchement sceptiques devant la lubie du rejeton. Tapissier ! Puis pendant plusieurs années, les compagnons et leur exigence légendaire au gré des routes de France. Un employeur enfin.

Ce sera le génial André Paccard7 à Annecy, décorateur des palais et palaces, architecte d’intérieur attitré du roi du Maroc. Une rencontre providentielle et une période bénie pour Charles qui se voit confier une équipe de 40 personnes et des chantiers fous dans le monde entier. On est loin du petit atelier stéphanois… à 27 ans, Charles se sent prêt à voler de ses propres ailes. Il choisit Lyon. Pour la soierie. « J’aimais cette idée d’être tapissier à Lyon » se souvient Charles, « aujourd’hui, cette implantation me sert énormément. Pour un client américain, Lyon reste la capitale de la soie, c’est une notion très importante ». Loin des projets mégalo d’André Paccard mais avec un goût certain pour le luxe et la perfection, Charles revient aux origines et ouvre un petit atelier rue de Sèze (Lyon 6e). Armé de la certitude de la jeunesse, il va frapper à la porte des grands architectes d’intérieurs parisiens, Alberto Pinto, Jacques Grange, Pascale Desprez, Jacques Garcia…Tous lui font confiance et le petit atelier du sixième arrondissement devient vite étroit. C’est donc à Villeurbanne que les ateliers Jouffre trouvent l’espace pour se déployer. C’était il y a trente ans.

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© Sabine Serrad Bobines de fil de différentes qualités et différents coloris.

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© Sabine Serrad © Sabine Serrad

Fauteuil MAD et Asymetrie, création Pierre Yovanovitch.

© Sabine Serrad

épingles plantées dans un coussin de velours.

Couture d’une fermeture à glissière sur un velours de soie.


De l’atelier de confection où Julie et Maryline montent, à la main, rideaux, tentures, stores et dessus de lit, à l’atelier de moussage où l’on garnit les carcasses de bois réalisées sur mesure, où l’on restaure aussi des sièges anciens, du show-room où sont empilés les milliers d’échantillons de tissus des mille et une nuits, au bureau d’étude où les clients alignent leurs croquis pour exposer leurs projets les plus ambitieux, règnent la même concentration, la même quiétude, la même ambiance feutrée. Charles ne manie plus le maillet, mais passe d’atelier en atelier, échange avec ses artisans. Sous une housse, un immense canapé de cuir beige planté de clou doré attend d’être expédié. Une commande de Chanel, une réplique exacte du canapé de Coco. Celui-ci, en forme de caillou, mais d’un confort incroyable, vient d’être réalisé pour le grand Pierre Yovanovitch8, l’architecte du luxe et des stars. Ces rideaux de velours céladon nous rappellent quelque chose… mais bien sûr, c’est Tiffany. C’est à Charles Jouffre que le célèbre diamantaire américain confie la réalisation des rideaux de ses innombrables boutiques implantées aux quatre coins du monde. Et ses tentures de style XVIIIe ? « Un château dans le centre de Londres dont on refait toutes les pièces », explique Charles qui soulève les lourdes soieries tissées par la maison Prelle ornées de passementerie. Déjà trois ans de travail sur ce chantier, autant à venir. Et puis il y a eu aussi Versailles, avec le char funéraire de Louis XVIII, l’Elysée avec la salle des fêtes de la résidence du Président de la République, l’Hôtel de Lassay à l’Assemblée Nationale, le Sénat, la Frick Collection de New-York, l’Hôtel Meurice à Paris… Sa plus belle réalisation ? « L’Opéra Garnier avec tous les rideaux du grand foyer à reproduire à l’identique ». Celle qu’il rêve de décrocher ? « La Maison Blanche ». Le marché américain sourit déjà depuis vingt ans au tapissier lyonnais. « Quand on travaille là-bas, on comprend la chance immense qu’on a d’être français » ,répète Charles Jouffre, « les américains ont le savoir­-faire et la technique, mais pas la culture, le sens des proportions, de l’harmonie des couleurs, des choses qui ne s’apprennent pas ». Ce n’est pas un hasard si les ateliers Jouffre sont labellisés « Entreprise du Patrimoine Vivant », distinction délivrée par le Ministère de l’Economie pour valoriser l’excellence du savoir-faire français.


© Sabine Serrad Tapissière à l’oeuvre sur une des tables de l’atelier confection.


© Sabine Serrad Tapissière réalisant une couverture de dossier pour une banquette pour Pierre Yovanovitch.

© Sabine Serrad

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Bobines de fil de différents coloris de blanc.

© Sabine Serrad

© Sabine Serrad Tapissier coupeur préparant ses gabarits.

Appointage d’une soie sauvage.


© Sabine Serrad Détail d’une passementerie de soie Declerq sur un taffetas rayé en soie pour un store d’une résidence à Londres.

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© Sabine Serrad Banquette arrondie.

Charles Jouffre avoue aussi une autre mission, une autre passion : la transmission. Aux jeunes générations, qu’il forme dans ses ateliers au point de compter trois meilleurs apprentis de France et un meilleur ouvrier de France. Au point de songer à fonder sa propre école. A ses enfants aussi. Une surprise pour celui qui s’était juré de les laisser tracer leur chemin. Drôle retour du destin. Il les voit aujourd’hui un à un rejoindre ses ateliers. Romain, 29 ans, vient de prendre la direction des affaires à New-York. Morgane l’a rejoint pour aider les entreprises françaises du secteur à exporter leur savoirfaire. Avec sa fille ainée, Charlotte, architecte d’intérieur, spécialiste de l’éclairage, le tapissier partage de nombreux chantiers. Que fera son benjamin, Hugo, âgé de 19 ans ? « J’étais plutôt contre l’idée de travailler avec mes enfants, mais c’est finalement un grand bonheur, c’est magique, ça apporte une dynamique incroyable ».

© Sabine Serrad

Catherine Lagrange

© Sabine Serrad

Tapissier coupeur préparant ses gabarits.

Tapissier réalisant une banquette.


Charles Jouffre

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L’histoire du porte-clés de Charles C’est un cadeau de mes enfants. J’y suis donc extrêmement attaché, je l’utilise bien sûr plusieurs fois par jour, et pense donc à eux à chaque fois.

L’envers du décor (ses toilettes)

C’est une pièce qui doit être simplement chaleureuse. Des murs sombres et mats, une bougie parfumée, une lumière tamisée, des serviettes de toilette de couleurs posées près du lave-main. Et surtout aucun livre ni journal !

L’objet du désir Une chaise longue Le Corbusier.

La pièce design qu’il aurait aimé dessiner Le fauteuil de Charles Eames.

Son coup de cœur chez AM.PM

Le « Tipi Paduk » , il me rappelle nos treks en moto et en famille dans l’Himalaya.

© Ambiente Direct

© Sabine Serrad

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© AMPM

© Vitra

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Charles Jouffre Bioexpress 12.06.59

Naissance à Saint-Etienne.

SabineSerrad Serrad ©©Sabine

06.04.87

Ouverture du premier atelier (bientôt trente ans !)

01.06.97

Ouverture de l’atelier de New-York (bientôt vingt ans !)

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© Sabine Serrad

Trend Book


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BROWN WHISKY 1. Vase en céramique effet faux bois, années 1950. 2. Table en rotin, années 1950. 3. Plat à apéritif en céramique effet faux bois, années 1950. 4. Table basse en bois, années 1950; 5. Peinture Brown Whisky créée pour Ressource. 6. Table basse en bois, années 1930. 7. Fauteuil recouvert d’une laine Baumann, années 1950. 8. Commode en bambou, années 1950. 9. Chaise en bois, piètement métal, années 1950.


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Les Coulisses


AF ATELIER FEVRIER Sur les chemins de Katmandou Il y a deux ans, Florian Pretet lançait son Atelier Février. Le jeune designer textile y crée des tapis, véritables œuvres, uniques et sur mesure. De Toulouse au Népal, suivons la route de ses créations contemporaines servies, par un savoir-faire transmis de génération en génération.

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à main levée, Florian dessine les motifs de son tapis. Au stylo, au feutre, au crayon, à la peinture, il noircit des cahiers entiers, inspiré par la nature, les saisons et ses voyages.

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Sur son nuancier aux mille couleurs, Florian recherche la nuance exacte, l’harmonie parfaite qui viendra sublimer ses créations. Ce nuancier de laine et de soie, créé dans ses ateliers du Népal permet aussi à ses clients de choisir l’éclat du tapis de leur rêve.

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à Katmandou, la laine d’agneaux et de jeunes chèvres de l’Himalaya arrive brute. Il faut la carder, la filer, l’embobiner. Les écheveaux sont ensuite plongés dans de grands bains d’eau chaude pour être teints avec des pigments naturels. Tout se fait encore à la main. La machine n’a ici, pas le droit de cité.

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Dans un atelier spécialisé de Katmandou, le dessin de Florian est reproduit, point par point sur un graphique de papier millimétré. à l’aide de cette partition, la tisseuse, ou le tisseur, compose son tapis. Chaque point de graphique correspond à un fil de laine et soie noué sur la trame.

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Dans les ateliers de Katmandou, ils sont généralement trois ou quatre à travailler en même temps sur un même tapis, le plus souvent des femmes, parfois aussi des hommes. Un par un, nœud après nœud, le motif se forme, la composition avance. Le tisseur réalise environ 10 000 nœuds par jour. On en compte 200 000 par mètre carré. Il faut entre un mois et demi et deux mois pour produire un tapis.

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Les outils utilisés par le tisseur. Le peigne sert à tasser les nœuds sur la trame. Le rasoir permet d’enlever le velours de la laine. Les ciseaux viennent simplement couper le fil de la bobine. Quand le tissage est terminé, le tapis est découpé du métier à tisser. Il a alors des franges.

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Le tapis est découpé autour des motifs et ses bords arrêtés par une couture. Il est également rasé aux ciseaux de manière à ce que ses nœuds aient tous la même hauteur. Dans le même atelier, on lave ensuite le tapis à l’eau et au savon pour se débarrasser des résidus et de l’odeur de la laine brute, mais aussi pour fixer les couleurs. Il est, pour finir, séché au soleil.

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Le tapis, ici le Nazar, (Œil en langue Indie) est prêt à être expédié en France à l’Atelier Février.

Catherine Lagrange

Florian P retet

Créateur de l’Atelier Février

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Papier peint Ananas, Maison Pierre Frey.


Table Capsule, plateau marbre et piètement lation, « édition Nathalie Rives ».

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Reportage Se Mettre au Parfum Le Grand Musée du Parfum, rue du Faubourg SaintHonoré, à Paris, a confié à l’agence Nathalie Rives la réalisation de la suite privée « Nicolas ». Un écrin luxueux orné de miroirs, de laiton et de laque noire. Un sillage chic et rétro, des couleurs subtilles qui habillent murs et textiles.


Fauteuils Gubi, suspension Magic Circus édition, pots en céramique Poterie de la Madeleine, table basse en laiton Jonathan Adler, coussins en soie Jim Thompson, peinture Ressource, table basse, bibliothèque et lampadaire ancien « Galerie Nathalie Rives ».


Fauteuils Gubi, tables basses « Galerie Nathalie Rives » et Jonathan Adler.

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Bibliothèque années (1970) et banquette en velours de soie années (1950) « Galerie Nathalie Rives ».

Cuisine de la suite Nicolas au Grand Musée du Parfum.

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Appliques années (1930) lampadaire de la maison Baguès « Galerie Nathalie Rives ».


Suspension Magic Circus ĂŠditions.


Suspension Magic Circus éditions et jarre à huile Poterie de la Madeleine.

Table basse en laiton Jonathan Adler, fauteuil Gubi, lampadaire ancien maison Baguès, « Galerie Nathalie Rives ».


Poignée en laiton martelé, « Création Nathalie Rives ».

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Chaises André SImard édition Airborne (1950) recouvert d’un tissu Pierre Frey et Zimmer. Table édition limitée « Création Nathalie Rives ».


Cheap & Chic

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5 7 1. Table à manger Hisia. 2. Fauteuil Amras. 3. Tapis tissé à plat motif kilim en laine. 4. Canapé de repos Heraclite. 5. Bout de canapé Niklaus. 6. Vase forme ovale, Odomar. 7. Vase Belzemine rayures verticales, design Emmanuel Gallina.


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AM.PM. 11

La collection AM.PM de mobilier et d’accessoires de décoration du catalogue de La Redoute est chic, tendance et abordable.

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14 13 8. Lampe à poser Baréa. 9. Chaise Galb. 10. Canapé fixe Alwine. 11. Les bancs de yogas Fuyuka. 12. Miroir rotin Tarsile. 13. Suspension Physalis 14. Fauteuil et repose-pieds Munnar.

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Cheap & Chic

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1. Table Tulipe avec plateau en marbre par Eero Saarinen pour Knoll (1950). 2. Fauteuils en osier de Campo & Graffi, 1956 3. Tapis vintage de Desso, Allemagne (1970). 4. Plafonnier en teck et corde scandinave (1960). 5. Table avec quatre tabourets Mid-Century en bois. 6. Vase par Jeronim TiĹĄljar pour Beranek Glassworks (1960). 7. Vase vintage en cĂŠramique.


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PAMONO

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La folie du vintage est contagieuse, nos voisins allemands, avec le site Pamono, l’ont bien compris.

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13 8. Lampe de bureau moderniste en laiton (1950). 9. Chaise d’appoint par Kai Kristiansen pour Schou Andersen (1950). 10. Canapé vintage trois places en laine de Velje (1960). 11. Tabouret en bois par Jacob Müller pour Wohnhilfe (1950). 12. Miroir soleil vintage en rotin. 13. Lampe Balle par George Nelson pour Modernica. 14. Fauteuil à oreilles mid-century par Miroslav Navratil pour TON (1960).

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Actu Design

Suite Nicolas du Musée du Parfum scénographié par Nathalie Rives En Savoir plus...

Côté technologie, le produit à peine sorti est déjà obsolète... Dans le design deux solutions : devenir une icône avec le temps ou passer dans l’univers si prisé du vintage. Reste l’actualité et elle n’a qu’un temps : celui que vous lui consacrez.

Courtesy of David G Michele Oka Doner En Savoir plus...

A. Galerie scénographiée par la styliste d’intérieur Nathalie Rives

©©Sabine SabineSerrad Serrad

En Savoir plus...

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Miroir Rebelle, Courtesy of HervĂŠ Van der Straeten En Savoir plus...

Le Cercle & Nathalie Rives En Savoir plus...

Gill, Table Radiant en bronze de

Glass Works, Robert Wilson, Laffanour Galerie Downtown En Savoir plus...


Web Stories

Photographe Lorenzo Pennati

COUP DE CœUR être à un clic du bon goût, découvrir le blog le plus liké, partager de bonnes adresses ! à vos souris, prêts, cliquez !

Anthropologie -Velvet Kettleby Three-Piece


Š Sabine Serrad

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Sabine Serrad http://www.sabine-serrad.fr

Empreinte Paris http://empreintes-paris.com

Ringthebelle http://www.ringthebelle.com/


Š Sabine Serrad

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Artistes


TH TF TWO HANDS TEN FINGERS

Double Je THTF. Deux garçons, quatre lettres et une œuvre abstraite et protéiforme (peinture, dessins, sculptures, fresque…) qui ne manque ni de style, ni de panache. Entre influences street art, captations underground et contours sophistiqués.

U

n après-midi de novembre à Saint-Ouen. à deux pas des Puces.

L’adresse se cache au fond d’une impasse. Un imposant portail en métal barre l’accès. Il n’y a pas de sonnette. Un coup d’œil dans les interstices rouillés dévoile un entrelacs de fougères, de mousse, de matériaux de construction à l’abandon et d’objets posés là. Un sms plus tard, une petite porte s’ouvre sur THTF. L’acronyme, Two Hands Ten Fingers, désigne « Anto » et « Clém », artistes contemporains issus du street art, aperçus au hasard des murs des grandes villes ou au détour de collaborations prestigieuses (Tranoï, Printemps de l’Homme à Paris…). Grands sourires, bises et tutoiement spontané, la visite des Ateliers Wonder peut commencer. Si l’on ne croisait pas tant de monde, on pourrait presque se croire en expédition Urbex tant la nature a ici repris ses droits, investissant les murs, les sols et les moindres recoins de ces quelques 1 700m2 de bâtiments en apparence abandonnés. THTF s’est installé là en janvier 2016 rejoignant le collectif d’artistes arrivé sur les lieux en 2013, après 30 ans d’inactivité. Le site, propriété d’Habitat qui rasera le tout d’ici quelques semaines, est immense. Hors du temps et de l’espace. Jadis fabrique de piles, il y a des entrepôts partout, des trous dans les toitures,

des poutres et des miroirs cassés. Le vent profite de la moindre fissure, siffle ou claque, accompagné ce jour-là d’essais de sono. Pour le profane, le squat a des allures de labyrinthe post-apocalypse mais la réalité est bien plus organisée. Un + un Pour accéder au « bureau » des THTF, on croise d’abord l’atelier menuiserie, accessible sur réservation, et la cuisine commune, indispensable à la vie en communauté de la petite vingtaine d’artistes, sur les 60 occupants, habitant plus ou moins dans les lieux. Dont Antonin. Le cheveu en bataille et la barbe insolente il est sans cesse en mouvement. Suggère mille idées à la seconde pour les photos, change d’endroit, décroche un tableau, un autre, raconte, hésite, interroge, renvoie la parole à Clément. Sweat à capuche vissé sur une casquette, lui, donnerait plutôt dans la force tranquille, occupant physiquement l’espace d’une toute autre manière. Il est plus grand mais pas seulement. Il ne s’agite pas. énumère posément, fige les moments dans le temps, installe un autre tempo tout en se laissant guider, rigolard. L’énergie et le récit passent sans cesse de l’un à l’autre, changent de forme, d’angle, de couleur, de point de vue. Un va-et-vient facétieux, entre sourires entendus, envolées

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© ©Sabine SabineSerrad Serrad

existentialistes et questionnement graphique. Le tout sans que les mots n’interviennent toujours. « On a plus souvent discuté et échangé à travers le dessin, dans le silence de l’atelier, plutôt qu’en palabrant. » De fait, leurs regards en disent beaucoup. La discussion est facile mais sans cesse interrompue par le format déambulatoire qui nous fait glisser de pièce en pièce. Chaque spot, aussi destroy que sublime, donne lieu à de nouvelles prises de vue. Surgit finalement un ilôt de minimalisme. Pas vraiment moins défoncé mais débarrassé de ses vestiges d’antiquaires, l’atelier des THTF se dévoile sous son meilleur jour, une lumière d’automne toute en douceur qui nimbe une poignée de reliques mais surtout les dernières créations du duo. Des peintures grands formats, quelques dessins et des modules sculptés en bois léger, assemblés ou en passe de l’être. « Quand on a commencé c’était pour remettre en question notre principe de composition. Nous utilisons des formes dessinées aléatoirement que l’on combine ensemble. »

œuvres de THTF dans leur atelier à Paris.


© Sabine Serrad © Sabine Serrad

© Sabine Serrad

œuvres de THTF dans leur atelier à Paris.

Antonin (à gauche) et Clément (à droite).

œuvres de THTF dans leur atelier à Paris.


© Sabine Serrad

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Sculpture de THTF dans leur atelier à Paris.


© Sabine Serrad

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Sculpture de THTF dans leur atelier à Paris.


Alter écho S’il a récidivé avec un périple en Amérique du Nord, le duo s’est dans le même temps sédentarisé à Paris, tout en restant représenté par la galerie lyonnaise Slika de Jérémie Masurel. Clément en avait marre de faire des allers-retours pour sa copine, Antonin a suivi. Logique ? Pas tant que ça. La lumière baisse. Les essais sons se font plus présents. Il y a une fête ce soir, l’une des dernières avant que la friche ne ferme ses portes. Clément restera à Paris. Antonin s’envolera quelques mois pour l’Amérique du sud. « Nous sommes assez

indépendants pour gérer chacun de notre côté. La volonté de créer existe pour chacun d’entre nous. Si nous avons une identité commune bien marquée, on exprime des choses différentes. Chacun fait ses propres toiles et dessins, sauf pour les gros projets. C’est toute la richesse et la difficulté du duo : comment faire confiance à l’autre et lâcher prise ». Là, on citerait bien Ben et son fameux « On est tous ego ». Ce que les deux garçons semblent avoir dépassé. « Ça a été compliqué mais pour être un duo crédible, valide, il n’est pas nécessaire de se calquer sur l’autre. C’est plus un dialogue et depuis que l’on a repris de l’indépendance, de la liberté, notre travail est plus cohérent, plus harmonieux. » Affranchis, ils passent ainsi indistinctement de la commande aux travaux personnels, à l’image du projet « drapeau de vie-gang de paix » qui fait écho à la fermeture des Ateliers Wonder et aux tiraillements entre groupes qui en découlent. Comme un clin d’œil aux blasons médiévaux ou aux signes d’appartenance des gangs, cette série d’emblèmes parle de « la nécessité de vivre avec et à travers l’autre ». Un autre jamais très loin chez THTF. Pas toujours à portée de main mais capable de parler d’une seule et même voix.

Audrey Grosclaude

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œuvres de THTF dans leur atelier à Paris.

SabineSerrad Serrad ©©Sabine

Après Metz, où ils suivent le même BTS Arts graphiques, Lyon les repère très vite, l’artiste Nelio en tête : « c’est un peu un mentor, un tonton, un ami ». Au passage, le duo délaisse le figuratif pour l’abstrait. « On avait fait le tour de notre alphabet de personnages et de formes. On retombait sur les mêmes compositions. » En 2012, un mini tour d’Europe clôt le cycle. 30 jours de vagabondage entre l’Italie, la Slovénie, la Roumanie, Berlin et Bruxelles, accompagnés d’une équipe de tournage pour coller deux cents dessins partout là où ils passent. Depuis ? « Nous avons épuré. Il y a quelque chose d’inspiré par l’architecture, des formes très rigoureuses qui se baladent avec des formats plus organiques », remarque Antonin.


ClĂŠment Mancini

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© Sabine Serrad

© Sabine Serrad

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L’histoire du porte-clés d’Antonin Une seule clé et aucun porte-clés. Le dépouillement dans toute sa splendeur.

L’envers du décor (ses toilettes) Ceux des ateliers Wonder, aujourd’hui en cours de démolition.

La pièce design qu’il aurait aimé dessiner Ou pas. Juste envie de continuer à voyager et à créer sans me perdre.

L’objet du désir L’étagère String. Modulable, composable, j’aime ses lignes fines, son aspect filaire, les à-plats de bois, c’est un jeu !

Son coup de cœur chez AM.PM Pour être honnête, je ne savais pas ce qu’était AM.PM avant que vous ne me posiez cette question.


http://d-origine.com

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Antonin Hako Bioexpress 06.09.89

Naissance Ă Maisons-Laffite.

01.09.08 Š Sabine Serrad

Naissance du duo THTF.

01.01.16

Installation au sein des Ateliers Wonder de Saint-Ouen.

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© Sabine Serrad

© Sabine Serrad

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L’histoire du porte-clés de Clément Un simple fil porte-bonheur offert par ma chérie.

L’envers du décor (ses toilettes) Ceux des ateliers Wonder, partagés avec 60 autres artistes.

La pièce design qu’il aurait aimé dessiner Une sculpture de Calder.

L’objet du désir La lampe Tahiti de Ettore Sottsass.

Son coup de cœur chez AM.PM. Le tapis Anani.

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© AM.PM.

https://www.pamono.fr

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Clément Mancini Bioexpress 25.05.88 Naissance à Thionville.

© Sabine Serrad

01.08.08

La rencontre à Metz. Clément et Antonin intègrent le même BTS graphiques.

01.09.08 Installation à Paris.

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«Oscar Niemeyer», Matthieu Salvaing, Assouline Editions


« Architecture is a whole that requires symbiosis between structure and decoration. »

Oscar Niemeyer

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Adress Book

NEW YORK

ABC Carpet

LONDRES

Temple du design down town, enjoy it !

Dover Street Market Le design du concept store est aussi pointu que sa selection.

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Galerie Lacoste

PARIS

Un très grand marchand connu pour ses pièces exceptionnelles de Jean Royère, Max Ingrand, Giacometti...

MEGEVE STOCKHOLM

Modernity Galerie Emphases La galerie XXe la plus raffinée des Alpes.

La sélection du couple d’antiquaires crée le buzz à chaque PAD (Pavillon des Arts et du Design à Paris et à Londres).

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Avoir l’œil La transmission est le sujet phare de ce numéro. La rubrique avoir l’œil, pour mieux connaître le design, nous emmène vers le plus grand mouvement du XXe siècle : L’école du Bauhaus.


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Chaise exposée au Musée des Arts décoratifs, exposition « L’esprit du Bauhaus », jusqu’au 26 février 2017. Fauteuils «Elysée» Pierre Paulin reconstitué par Ligne Roset


Ludwig Mies Van Der Rohe, Mr Armchair.

Fauteuil Mushroom par Pierre Paulin 1959

Marianne Brandt, cafetière.

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BAUHAUS L

e musée des arts décoratifs présente, avec la fondation Hermès, une exposition regroupant 900 pièces de l’école du Bauhaus. Au croisement de l’art, de l’artisanat et de l’industrie, le grand mouvement du XXe siècle s’était fixé comme mission la création et la transmission. Des valeurs partagées par la Maison Hermès. L’architecte Walter Gropius, fondateur du Bauhaus, ne lançait-il pas dans son manifeste : « Architectes, sculpteurs, peintres, tous, nous devons retourner à l’artisanat ! (...) Parce qu’il n’existe aucune différence, quant à l’essence, entre l’artiste et l’artisan ». La hiérarchie maîtres-compagnons-apprentis comme courroie de transmission, l’artisanat comme base de l’enseignement, la convication de tous les arts au service de la construction: tel a été le fondement du Bauhaus. Le grand courant artistique allemand n’a pas hésité à aller puiser dans toutes les tendances avant-gardistes de son époque, le constructivisme, l’expressionnisme, le dadaisme, le photomontage, l’art populaire, le fonctionnalisme. Cette richesse d’inspirations a amené Gropius à monter sa première exposition en 1923 autour de la construction : « La Haus am Horn », ou « Maison témoin ». Elle fut évidemment le résultat d’un travail collaboratif entre les différents ateliers de l’école, illustrant ainsi son bouillement créatif et mettant en lumière ses multiples sources d’inspirations, l’Asie, les modernités allemandes, les Arts and Crafts britanniques et les utopies viennoises. Un siècle après sa création, l’esprit du Bauhaus souffle toujours. L’esprit du Bauhaus. Musée des Arts décoratifs. Paris. Jusqu’au 26 février 2017.

Les sœurs Lagrange

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Ours

CHRISTELLE GESLER Responsable de publication

LAURENCE LAGRANGE Journaliste MANON PROBST Graphiste

SYLVIE THÉBAUD Journaliste


SABINE SERRAD Photographe

NATHALIE RIVES Rédactrice en chef AUDREY GROSCLAUDE Journaliste

CATHERINE LAGRANGE Journaliste Phyllis Haver, «Bathing beauties», Archives TCD-Prod DB


Index 1. Hôtel particulier de Henri Frugès

© Benoit Linero

4. Paul Frankl, bibliothèque « skyscrapers »

©Salvatore Licitra

2. L’hôtel NoMad scénographié par Jacques Garcia à New York

3. Gio Ponti avec sa chaise Superleggera

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© Artvalue.com

5. Le décorateur André Paccard

5. Carlo Mollino, coffee table

© Nic Lehoux

8. Appartement à Paris par Pierre Yovanovitch

6. Renzo Piano, The Resnick Pavilion, Los Angeles

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© Sabine Serrad


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www.nathalierives.com

Ă Balthazar



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