Formules 02

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TRADUIRE LA CONTRAINTE

métaphorique. Bref, comme le site ainsi décrit apparaît indéniablement généré par les particularités du texte qu'il désigne, une lecture de PROSE, pour des Esseintes. qui voudrait saisir son objet, ne saurait faire l’économie de ce principe de double entente. Cette mise en équivalence des fleurs et des rimes, en raison de leur excès commun, permet d'ailleurs d'expliquer pourquoi, dans le dernier quatrain ci-dessus, la tige des lis « Grandissait trop pour nos raisons ». En effet, la tige agrandie de ces lis multiples figurant, d’après cette équivalence, le nombre important des segments métriques excessivement rimés, et la rime formant une opposition quasi proverbiale avec la raison, il s’ensuit que ces lis trop grands (et donc les parties rimées correspondantes qui atteignent jusqu’à la moitié d’un vers) ne peuvent que nuire davantage à la raison, en contraignant le sens outre mesure. Et si un tel agrandissement se produit « A cette heure où nous nous taisons », c’est parce que le poète, qui a renoncé à toute vision, à tout autre discours que celui portant sur le langage lui-même, est en quelque sorte réduit à se taire. Mais si la PROSE, pour des Esseintes désigne les particularités inhabituelles de ses rimes, elle en réfléchit également les propriétés plus communes. Ainsi en est-il de la figure de la « sœur », qui intervient dans le troisième quatrain. En effet, si elle peut d’abord être comprise comme une allusion à la sœur baudelairienne de Y Invitation au voyage, elle désigne plus probablement la nécessaire parenté des mots rapprochés et donc comparés — par la rime, voire, plus subtilement, l’alternance en genre de leurs terminaisons, ici entièrement respectée : c’est du moins ce que suggère le fait que ce personnage féminin compare ses charmes avec ceux du paysage où elle figure ; quant au vers « (Nous fûmes deux, je le maintiens) », il évoquerait alors le principe du couplage à la base de la rime, ici bien maintenue. Cette interprétation de la sœur est en tout cas confirmée dans le neuvième quatrain, où elle réapparaît Car si le narrateur y « occupe (s)on antique soin [...] à l’entendre », c’est bien parce que le phénomène, en partie sonore, de la rime n’est certes pas nouveau, et le fait que cette sœur « Ne porta son regard plus loin Que sourire » en signale parallèlement la face visuelle. Enfin, l’hypothèse d’une telle figuration des propriétés communes de la rime est confortée par la brièveté, plutôt exceptionnelle, des rimes de ces deux strophes. La corrélation des rimes riches avec tel aspect, également excessif, de la fiction atteint en revanche, avec le quatrain qu’il convient maintenant d'aborder, une ampleur encore jamais obtenue, puisqu’elle gagne cette fois presque le vers entier

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