De Pauw / A.Tremblay
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Études 11 juin – 2 août 2015
La Fondation Guido Molinari a offert à Manon De Pauw une résidence suivie d’une exposition dans son espace principal qu’elle connaissait déjà pour y avoir travaillé, l’été précédent, en vue du projet de performance interdisciplinaire La matière ordinaire. Après discussion, l’artiste a choisi à son tour d’inviter sa jeune collègue Sara A.Tremblay, une femmeorchestre comme elle qui fut naguère son étudiante puis ponctuellement son assistante pour certaines productions, à l’accompagner dans l’aventure. La direction leur a donné carte blanche et, au moment d’écrire ces lignes, la qualité des résultats est telle que cette formule de résidence pourrait bien s’institutionnaliser. Manon De Pauw est représentée par la Galerie Division Montréal–Toronto. Sara A.Tremblay est représentée par la Galerie Donald Browne. Photographie : Guy L’Heureux (1–2), Manon De Pauw (3) Conception graphique : Fleury / Savard ISBN 978-2-98-09601-6-1 © 2015 Gilles Daigneault pour le texte, Manon De Pauw et Sara A.Tremblay pour les reproductions. Tous droits réservés.
© fondationguidomolinari.org
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manonGUIDOsara Ce titre un peu biscornu en évoque un autre : mSm (Molinari, Sala, Munari). C’était celui de l’exposition du sculpteur italien Andrea Sala qui a été le premier artiste en résidence à la Fondation, à la fin de 2011. L’expérience avait donné lieu à la création de quatre nouvelles œuvres qui constituaient autant de dispositifs susceptibles, entre autres, de concilier le travail de Molinari, celui du grand artiste multidisciplinaire milanais Bruno Munari – une sorte d’homme-orchestre que Picasso appelait « le nouveau Léonard » – et le sien propre. Sala avait alors jeté son dévolu sur un corpus méconnu de Molinari qu’on regardait autrement en l’occurrence. À la Fondation, on a toujours gardé un très beau souvenir de cette résidence qui s’inscrivait tout naturellement dans notre mission générale qui est de promouvoir l’œuvre de Molinari par tous les moyens jugés opportuns, y compris par des expositions inopinées qui lorgnent obliquement cette œuvre.
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Or, mutatis mutandis, Manon De Pauw et Sara A.Tremblay n’ont pas agi autrement. Les deux artistes multidisciplinaires se sont installées dans l’atelier pendant cinq petites semaines avec l’intention, disaient‑elles, « d’explorer la notion de pictorialité en lien avec le geste de faire », et avec la permission de la Fondation de puiser librement dans toutes les ressources de « la banque de Moli ». Ce dont elles ne se sont surtout pas privées. Il en est résulté un impressionnant corpus d’œuvres inédites, eu égard à la relative brièveté de la résidence, au fait qu’elles travaillaient à quatre mains pour la première fois à concilier leurs univers respectifs. Et l’ensemble s’intitule modestement Études… Dès leur première visite au sous-sol, là où sont entreposés les trésors de la Fondation, elles sont tombées en arrêt devant quatre colonnes carrées de bois coloré, entassées dans un coin et passablement abîmées. En fait, il s’agissait d’une sorte de maquette de la sculpture intitulée Configuration, datant de 1966, qui faisait partie de la dernière
rétrospective de Molinari à Montréal et qui appartient aujourd’hui au Musée national des beaux-arts du Québec. Faut-il rappeler que l’aventure de Molinari du côté de la sculpture, au milieu des années soixante, visait essentiellement à créer de nouvelles structures spatiales dans lesquelles le spectateur était invité à marcher littéralement entre les couleurs, ce qui multipliait et enrichissait d’autant ses modes d’interaction avec l’objet esthétique à percevoir. De ce point de vue, Manon De Pauw et Sara A.Tremblay, qui sont aussi orfèvres en matière de performance, auront comblé les attentes du peintre / sculpteur au-delà de ses rêves les plus fous ! Les quatre éléments sculpturaux ont donc été immédiatement remontés dans la grande salle du rez-de-chaussée où ils ont fait l’objet, pendant plusieurs jours, des manipulations les plus libres et les plus inventives, parfois les plus espiègles, car tout était permis : les maquettes – et surtout quand elles sont laissées à l’abandon – ne baignent jamais dans la même aura que les
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projets réalisés d’après elles. Mais, entre les mains croisées d’un duo d’artistes entreprenantes et douées, elles peuvent donner lieu à une vraie œuvre d’art qui, tout en prenant en compte les enjeux premiers de l’artefact, ouvre de toutes nouvelles avenues. Ainsi les treize Études pour Configuration, qui accueillent les visiteurs de l’exposition De Pauw / A.Tremblay, en donnent‑elles le ton. Résolument multidisciplinaire, cette série parle de peinture, de sculpture et d’installation, de photographie, de théâtre et de performance, de jeu et de signes qui suggèrent l’idée (ou le sentiment) d’un langage. Décidément, Guido aurait apprécié…
1 Manon De Pauw, Danse optique, 2015,
vidéogramme couleur, 14 min, 7 s 2 Sara A.Tremblay / Manon De Pauw, Études pour Configuration I–XII , 2015, impression jet d’encre sous plexi et Sara A.Tremblay, Hommage, 2015, impression jet d’encre, 101,6 × 127 cm 3 Manon De Pauw, Souffle, 2015, cyanotype sur papier Arches, 55,8 × 76,2 cm 4 Sara A.Tremblay, (extraits de) Tableaux, 2015, vidéogramme couleur, son, 60 min, 51 s
Les autres morceaux de l’exposition sont à l’avenant. Même finesse et même convivialité, et même économie de moyens toujours, dans les deux vidéogrammes qui à la fois s’opposent et se complètent. Il s’agit toujours d’étudier les moyens d’organiser une surface rectangulaire, en la construisant et en la détruisant sans cesse (une alternance où, faut‑il le rappeler, Molinari voyait l’essentiel du génie de Mondrian). Simplement, la « danse » de Manon est plus optique, celle de Sara plus physique. La première, toute en couleur, évoque les Quantificateurs de Guido – dont les bleus susciteront ici une heureuse suite de cyanotypes ; la seconde trouve son point d’ancrage dans ses petites maçonneries de couleur de 1954, dont elle ne garde que les effets de matière, comme elle fera dans un étonnant Hommage à la maquette de Configuration. En tout état de cause, on pressent à la Fondation que, dans quelques semaines, toutes ces Études vont nous manquer…
Gilles Daigneault, directeur