Festival 2009

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l’équipe du studio Albatros : le décorateur Lazare Meerson et les chefs opérateurs Maurice Desfassiaux et Maurice Forster. Que ce soit dans la prestigieuse maison de style Art Déco, dans le modeste et singulier appartement populaire ou dans la sordide mansarde imaginée par Édith Maranet, les accessoires et les références culturelles soigneusement sélectionnés et distillés dans les décors participent fortement à l’inscription du film dans la réalité et l’actualité de 1925. De la même manière, les scènes extérieures saisies par les deux opérateurs dégagent une réelle authenticité, l’exigence atteignant parfois la performance lors des scènes nocturnes tournées sans éclairage artificiels, à la lumière des réverbères, notamment la scène du bal du 14 juillet. La revue Cinéa-Ciné pour tous affirme en novembre 1925 que Jacques Feyder « a acquis au plus haut point le sens visuel et sensible de l’image. Il met dans ses interprétations de la vie l’intelligence du philosophe et l’âme du poète. Nulle vulgarité ne le retient et il considère toute chose sous l’angle de la sincérité ».

Adapté d’une nouvelle écrite pour le cinéma par Frédéric Boutet, Gribiche décrit d’une part la quête d’identité et l’apprentissage de la vie d’un enfant lucide qui oscille entre deux figures maternelles, deux classes sociales, deux cultures, et d’autre part les aspirations charitables, mais néanmoins inadaptées et délirantes, d’une bourgeoisie qui croule sous le poids de la culpabilité. Sous les traits d’un mélodrame ordinaire se cache en définitive une douce satire. Feyder invite le spectateur à prendre conscience de la réalité des classes et des apparences, à entrevoir la présence d’une certaine dose d’hypocrisie et d’orgueil dans un milieu bourgeois qui se veut bienveillant et à démontrer que classe populaire n’est pas forcément synonyme de misérabilisme. L’exceptionnelle plongée dans un milieu totalement opposé à celui dont il est issu instruit tout autant Gribiche que les activités intellectuelles ou sportives qui lui sont dispensées. Enfant vif et fin observateur, il saura faire preuve de discernement et tirera de cette expérience un enseignement profitable et une vision juste du monde.

Alexandre Kamenka fut l’un des premiers producteurs à confier à Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, l’ensemble des films qu’il a produit, ainsi qu’une multitude d’archives aussi variées que précieuses : photographies, dessins, affiches et documents relatifs à la production et à l’exploitation des films. Ces documents, conservés et sauvegardés, constituent aujourd’hui le fonds Albatros, un des joyaux des collections de la Cinémathèque française.

Après les succès (L’Atlantide, Crainquebille) et les déconvenues (Visages d’enfants, L’Image), Jacques Feyder s’associe en 1925 au producteur Alexandre Kamenka, directeur de la société de production Les Films Albatros, et réalise Gribiche, son cinquième long métrage. Le jeune acteur Jean Forest (Gribiche) renouvelle sa collaboration avec le cinéaste après Crainquebille (1923) et Visages d’enfants (1925). Françoise Rosay (Édith Maranet) apparaît pour la première fois dans un rôle important à l’écran, et débute ici une longue série d’interprétations auprès de son mari Jacques Feyder. Les excellents seconds rôles de la mère et du chauffeur, respectivement Cécile Guyon et Armand Dufour, confirment une remarquable direction d’acteurs. Feyder bénéficie par ailleurs des talents de

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Jacques Feyder collaborera avec Alexandre Kamenka et son équipe jusqu’à son départ pour les États-Unis en 1929 et réalisera avec eux Carmen en 1926 et Les Nouveaux Messieurs en 1928.

Parmi les documents cédés par Kamenka figurait un négatif nitrate du film, négatif qui avait permis la restauration du film par Renée Lichtig en 1986. Cependant, ce négatif correspond à la version d’exportation (deuxième négatif), c’est-à-dire qu’il s’agit de prises de qualité moindre, notamment en ce qui concerne la narration. En revanche, la Cinémathèque française conserve deux copies nitrate déposées aussi par le producteur Kamenka, copies qui sont issues du premier négatif et sont par là le reflet de ce que souhaitait le réalisateur. En 2008, la Cinémathèque française a donc décidé de restaurer cette version en réintroduisant les teintes d’époque conservées dans les copies.

Samantha Leroy, chargée de valorisation des collections films Camille Blot-Wellens, directrice des collections films Cinémathèque française

Séances spéciales

L

a riche américaine Édith Maranet est touchée par l’honnêteté du jeune Gribiche, orphelin de père et fils d’ouvrière, qui vient de lui restituer son portefeuille égaré. Elle propose alors de « l’adopter » afin de lui assurer l’éducation qu’il mérite. À la douloureuse surprise de sa mère, Gribiche accepte, pensant que cet effacement facilitera un remariage maternel, et s’installe dans la luxueuse demeure de sa bienfaitrice. Distingué par son honnêteté, extirpé de son milieu prolétaire pauvre mais néanmoins heureux, et désormais destiné à mener une vie aisée, Gribiche s’adapte avec facilité, curiosité et parfois amusement au nouveau système d’éducation qui lui est imposé. Issue de la grande bourgeoisie, hygiéniste et fervente combattante de tous types de microbes, Édith Maranet excelle dans les discours et dans le soin qu’elle apporte à l’instruction du jeune garçon mais peine à faire preuve de chaleur et d’attention. Auprès de ses proches, elle s’octroie le beau rôle et justifie son souci de charité en exagérant la vie misérable de Gribiche et de sa mère. Mais bientôt les contraintes protocolaires de cette vie aseptisée et réglée comme du papier à musique finissent par lasser Gribiche ; il s’enthousiasme davantage pour la mécanique, sympathise avec le chauffeur prévenant et en vient bientôt à regretter son existence antérieure.


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