Festival 2009

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capable de voyager dans le temps et de se réintégrer dans le passé. Ses tortionnaires le chargent alors de ramener de ses voyages temporels des vivres et de l’énergie afin de sauver ce qu’il reste de l’humanité.

Le personnage de La Jetée se trouve donc doté d’un pouvoir, celui de défier le temps, et d’une liberté, celle de pouvoir se réintégrer dans une autre dimension. Et si ce personnage voyageait certes dans le temps, mais aussi et surtout dans l’Histoire du cinéma ? Quelques indices pourraient étayer l’hypothèse. Tout d’abord, un écho du temps. Le personnage est enfermé dans les souterrains de Chaillot lesquels deviendront, quelques mois plus tard, en 1963, les souterrains de la Cinémathèque française. Ces couloirs que filme Marker dans La Jetée seront donc bientôt envahis par des milliers de bobines de films et des millions d’images fixes. Dans un film qui manie le paradoxe temporel, voici une coïncidence plutôt troublante. D’autant plus que le personnage de tortionnaire au chevet de notre personnage voyageur est interprété par Jacques Ledoux, à l’époque responsable de la Cinémathèque Royale de Belgique. Dans des couloirs qui abriteront bientôt la mémoire du septième art, sous les yeux d’un passionné de cinéma, notre voyageur est enfermé dans un lieu propice à la rêverie cinéphile. Dans l’obscurité, sous hypnose, notre homme est un voyageur immobile. Il est une métaphore possible du spectateur de cinéma. Dès lors, l’enjeu consisterait pour le personnage de La Jetée à s’évader de sa prison par l’intermédiaire du cinéma, en utilisant à bon escient les milliers de bobines de films qui hantent les souterrains de Chaillot. Rêver à une image de cinéma obsédante et tenter, pourquoi pas, de s’y réintégrer. Reste à trouver le bon photogramme… L’évasion du personnage de La Jetée se déclinerait en quatre temps. Tout d’abord : la recherche. 10e minute du film : notre homme a ses premières « visions », des images fixes rythmées par la voix du narrateur : « … de vrais oiseaux, de vrais chats, de vraies tombes… ».

l’aprés Vertigo

à la profondeur, mais un fantasme temporel lié à la boucle, au ressassement, au retour obsessionnel et mélancolique à certaines images cinématographiques du passé. Scottie s’apparente à un cinéphile orphelin d’une image de cinéma disparue, revoyant encore et toujours le même film en en contestant le défilement par le ralenti, l’arrêt sur image ou le retour en arrière, afin d’en retrouver l’émotion originelle. Bref, se perdre dans la spirale du temps pour mieux fuir la réalité. Mais s’il parvient à recréer une image morte, le temps de quelques instants en suspens, Scottie, devenu metteur en scène, a désormais accès aux coulisses, aux rouages du scénario, à l’envers du décor, il ne peut plus fermer les yeux et découvre donc ce qui était jusqu’ici soigneusement dissimulé hors-champ : la machination de son ami Gavin Elster qui tirait les ficelles en coulisses depuis le tout début. C’est la fin du rêve. Ultime métaphore : la prise de conscience de Scottie dans le final de Vertigo illustre la perte d’innocence d’une certaine cinéphilie obsessionnelle et déceptive épuisant le mystère d’un film, la force d’une scène, l’émotion d’un photogramme à force de les revoir en boucle, de les analyser, de les décortiquer, images par images, ralentis après ralentis. Chercher à percer le secret d’une image et, malheureusement, y parvenir. Être envoûté par un personnage fantômatique, vouloir plonger dans l’image, rêver à un temps en boucle, redonner vie à une morte… il semble évident rétrospectivement que tous ces thèmes ne pouvaient qu’influencer les cinéastes du monde entier. Avec Vertigo, Hitchcock a réalisé un filmprogramme que d’autres pouvaient désormais refaire à l’envie. Ca n’a pas manqué. Parmi les nombreuses relectures, variations, méditations mélancoliques réalisées autour de Vertigo pendant 50 ans, nous en choisissons une, sans doute la plus belle : La Jetée de Chris Marker. Si Chris Marker n’a jamais évoqué La Jetée comme un remake caché de Vertigo, une scène cite pourtant explicitement le film d’Hitchcock, lorsque le personnage et la jeune femme se rendent au jardin des plantes devant une coupe de séquoias. Plus tard, dans une séquence de Sans soleil, mais aussi dans un numéro anniversaire de la revue « Positif » ou dans le CD-rom Immemory, Chris Marker évoquera Vertigo comme un film matrice. C’est en 1962, soit quatre années seulement après Vertigo, que Chris Marker réalise La Jetée. Constitué d’images fixes, le film décrit un monde en ruines au lendemain de la troisième guerre mondiale, où les survivants se réfugient comme des rats dans les souterrains de Paris. Un homme sans nom, prisonnier, se révèle


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