30 ans d'horlogerie Chanel Rétrospective en page 16
EUROPA STAR PREMIERE LE JOURNAL DE L’ÉCOSYSTÈME HORLOGER SUISSE
NO 6/16 - 1/17 (Vol.19) DÉCEMBRE-JANVIER | 7.00 CHF € | EUROPASTAR.COM
ISSN 297-4008
ÉDITORIAL
Prix: le grand chambardement
Europa Star fête ses 90 ans d’indépendance avec une nouvelle formule «La vie n’est pas d’attendre que l’orage passe mais d’apprendre à danser sous la pluie.» Sénèque
duit et de son contexte? Un salutaire exercice que de distinguer ces deux approches, une clarification nécessaire! Pour nos 90 ans nous sommes donc fiers de présenter la nouvelle formule de notre magazine global Europa Star. Un concept ultra-innovant composé de deux cahiers distincts: TIME.BUSINESS & TIME.KEEPER
Comme son nom l’indique, le cahier Time.Business est consacré aux grands dossiers du moment et aux questions de fond qui dessineront le futur de l’horlogerie globale. A l’intérieur, le deuxième cahier Time.Keeper se consacre intégralement au produit, aux tendances esthétiques, aux évolutions techniques et à ceux qui font l’horlogerie. Nouveau visage, nouveaux contenus, nouveau graphisme, nouvelles signatures pour une diffusion directe et sélective dans plus de 170 pays. Europa Star poursuit sa désormais longue aventure en se réinventant une fois de plus.
Fabian Oefner
L’heure est à la crise horlogère, l’heure est à la crise des médias. Les frontières entre journalisme et promotion, recherche d'objectivité et favoritisme commercial, indépendance et conflits d'intérêts se brouillent jusqu'à parfois se gommer complètement. A cette confusion générale, il convient de trouver des réponses fortes qui permettent de poursuivre la tâche que nous nous sommes assignés depuis 1927: observer, commenter, informer et accompagner la communauté horlogère avec la plus grande lucidité, dans la plus grande indépendance. Pour le journaliste, il existe deux façons d'aborder l’horlogerie. L’approcher par le produit lui-même, par ses qualités, son histoire, ses beautés et/ou par le contexte qui l’a produit, les stratégies qu’il dévoile, l’époque dont il est le fruit. Comment rendre compte de façon pertinente, sans ce «mélange des genres» devenu trop commun au journalisme horloger, en toute indépendance, à la fois d'un pro-
• Les tensions autour du prix sont révélatrices de la situation actuelle de l’industrie horlogère. • Au cours des dix dernières années, on a assisté à une «explosion» à plusieurs niveaux: prix, styles, multiplication de nouveautés, accélération des rythmes de lancements. • Cette «explosion» a déboussolé et désorienté marques, détaillants, consommateurs et a saturé les marchés. • Dans le même temps, la distribution traditionnelle a été bouleversée, à la fois par la montée en puissance des boutiques de marque et par les nouveaux usages digitaux. • La volatilité de la clientèle et son nomadisme d’achat se sont accentués. • L’arrivée concomitante des montres connectées a ajouté à la confusion. • La saturation a provoqué un certain désenchantement – voire un début de désamour – envers l’horlogerie. (Lire notre dossier en page 3) PUBLICITÉ
EMBRACE TIME
Our story, our brand, our passion. Carole & Pierre Dubois
Europa Star TIME.BUSINESS & TIME.KEEPER
Edition globale en anglais 5x par année Chapitre 1 parution le 16 janvier 2017 Chapitre 2 à paraître le 22 mars 2017
HERMÈS GRANDEUR NATURE
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DOSSIER PRIX
EUROPA STAR PREMIÈRE | 3
Prix: le grand chambardement par
Pierre
et
Serge Maillard
Le très sérieux coup de frein subi par l’industrie horlogère suisse en 2016 a au moins un mérite: celui de mettre à nu le paysage, de révéler au grand jour forces et faiblesses de chacun des acteurs, de pousser à l’introspection, de rebattre les cartes. Dès les premiers signaux d’un début de retournement de tendance, l’industrie a pointé du doigt la politique du franc fort puis fustigé le pouvoir chinois et ses campagnes anti-corruption. Elle s’est désolée des sanctions contre la Russie, a subi les conséquences du terrorisme, a fait le dos rond en attendant la fin de l’interminable campagne électorale américaine, tout en craignant l’émergence
de la montre connectée mais sans y trouver encore de vraie réponse. Bref, les coupables désignés seraient tous extérieurs au vrai sérail horloger. Mais force est de constater que les raisons et les responsabilités de ce sacré ralentissement sont aussi à trouver à l’intérieur même du vaste complexe «horlo-industriel». Dit plus crûment, industriels, marques et détaillants, chacun à sa façon s'est tiré une balle dans le pied (et les médias, soit-dit en passant, ont tenu le pistolet). Les industriels ont tellement misé sur une inexorable croissance qui, à leurs yeux, ne pouvait que grimper d’année en année, qu’ils se trouvent aujourd’hui en état de grave surcapacité à tous les étages de la chaîne (lire à ce propos notre
«Le système s’est emballé sur la nouveauté. L’industrie horlogère court trop après elle-même, après la montre! On n’achète pas forcément une montre chaque année.» Nicolas Beau, directeur international Chanel Horlogerie
minutieuse enquête sur les surcapacités dans le domaine des mouvements, Europa Star 4/16). Les marques, qui ont pour la plupart cédé à une surenchère économique, mécanique et stylistique, se retrouvent aujourd’hui avec d’énormes stocks sur les bras dont on ne sait plus trop que faire – si ce n’est aller récupérer les diamants et fondre les boîtiers d’or, c’est déjà ça de gagné. Quant aux détaillants, qui ne savent plus à quel «réseau» réel ou virtuel se confier, ils se sont lancés dans une guerre du discount qui a alimenté le marché gris et fini par faire fondre les marges. Bref, l’horlogerie dans son ensemble et dans son système a la gueule de bois et, plus grave encore, cette si-
«En attendant que les conditions économiques se redressent, les marques doivent tout faire pour conserver leur place au Panthéon de la symbolique sociale de leur nom.» «J’ai mis plus de 20 ans à établir mon image et je ne vais pas la casser au premier coup de vent. Vous ne verrez jamais une de mes montres à prix discount.» François-Paul Journe, fondateur et CEO de F.P. Journe
«L’exigence de transparence imposée aux banques a fait perdre à l’horlogerie une part notable de sa clientèle.»
«L’époque veut que l’on parte du prix et que le produit vienne ensuite»
Gérard Gouten, distributeur, président Manufacture Royale
«La technologie fait vieillir tout le luxe, les plus vieilles dames aussi.» Cyrille Vigneron, directeur général, Cartier
OFF
Aurel Bacs, commissaire-priseur, Phillips in Association with Bacs & Russo
«Quand je dois suivre quotidiennement l’évolution du cours des devises, j’ai l’impression d’être plus un gérant de hedge fund qu’un responsable horloger.» Wilhelm Schmid, CEO, A. Lange & Söhne
«A partir du moment où toute la valorisation du produit a été payée par d’autres, il est devenu très facile et rapide de vendre un produit uniquement sur la base du prix.» François-Xavier Mousin et Caroline Buechler, Opus Magnum
OFF
«Les montres vintage sont une valeur-refuge comme l’or ou le franc suisse.»
Gerald Roden, consultant, ex-directeur de Swiss Festina Group (Soprod), De Grisogono, Gérald Genta et Daniel Roth
«Le vrai prix d'une montre neuve, c'est son prix d'occasion.» Romain Réa, expert horloger
celle du prix ! Comme le résume parfaitement un de nos confrères (Yvan Radja dans Le Matin Dimanche du 18.09.2016): «Déconnectée de sa clientèle après des années de prix surfaits, l’horlogerie doit se réinventer.» Mais comment? Impossible de faire le tour d’un question à nombreux «fuseaux» et moult «complications». Mais pour tenter d’y voir plus clair, nous avons sondé, interrogé, discuté avec un large panel d’acteurs et d’observateurs du milieu: industriels, horlogers, distributeurs, détaillants, déstockeurs, analystes… Qu'en est-il de la question du prix?
«On ne peut pas appliquer les coefficients de la mode à l’horlogerie, de l’ordre de 7 ou davantage.»
«La crise est nécessaire. La crise permet de faire le ménage.»
Maurice Godberger, Chiron Inc.
Denis Asch, horloger, ex détaillant
«Il y a eu beaucoup de bullshit et maintenant c’est terminé. Ce bullshit a créé un désamour pour l’horlogerie. Et ce sont les plus légitimes qui paient l’addition des excès des autres.»
tuation ne va pas se redresser de sitôt. Car tous ces facteurs de crise, extérieurs et intérieurs à l’industrie horlogère, se doublent d’une question plus perturbante encore – et un peu plus taboue: un certain désamour envers l’horlogerie commencerait-il à se faire jour ? La glorieuse horlogerie, à la fois historique et si moderne, serait-elle est en train de perdre son statut de marqueur social et voir son prestige pâlir auprès de larges couches de la population? L’horlogerie court-elle le risque de devenir peu à peu has been? Pour tenter de mieux comprendre ce qui est en train de se passer dans cette horlogerie et d’évoquer des pistes pour l’avenir, il nous a semblé que l’approche la plus révélatrice est
«Dès que les prix montent, les touristes partent. C’est mécanique.» René Weber, Analyste, Vontobel Equity Reaearch
«L’objectif est le prix juste, pas celui de casser les prix, comme on nous en a accusé parfois.» Davide Cerrato, directeur division horlogerie Montblanc
«On associe crise à manque de moyens, mais ce n’est pas la bonne réponse. On ne la dépassera pas forcément avec des prix moins chers.» Jean-Christophe Babin, CEO, Bulgari
La question du prix est au cœur de la crise horlogère actuelle. Le prix est le révélateur d’une crise systémique aux nombreuses raisons et aux conséquences encore mal appréhendées.
DOSSIER PRIX
4 | EUROPA STAR PREMIÈRE
C’est la faute à…
Propos de Gérard Gouten, distributeur, président de manufacture royale
C’est la faute à… Oui, les raisons ne manquent pas, de tous ordres, un écheveau de raisons entremêlées qui ont mené à la situation pour le moins difficile de l’horlogerie en ce début de 2017. Quand des raisons si diverses s’accumulent et qu’il n’y a pas un seul ennemi à désigner (comme, à tort ou à raison, dans la crise du quartz), c’est signe qu’on se trouve au seuil de changements profonds, de transformations structurelles, de mutations sociales. Avec au fond une lancinante question que tous se posent peu ou prou: y a-t-il aussi désamour? Et si oui, comment reconquérir les cœurs? (Europa Star Arcade, novembre 2016)
Un peu de recul
Une inflation – et un succès – que corroborent parfaitement les statistiques d'exportation de la Douane Suisse en ce qui concerne les pièces dont le prix à l'export est de 3'000.CHF et plus. Les chiffres sont sans appel: la part en valeur de l'horlogerie la plus chère est passée d'un modeste 15,5% en 2000 à un pic de 62% en 2014 et 2015. Alors que dans le même temps, le nombre total de pièces exportées est resté quasiment stable, voire a légèrement régressé en passant d'un peu plus de 29 millions de pièces en 2000 contre 28 millions en 2015. C'est bien dire que les prix de l'horlogerie ont grimpé de façon quasi stratosphérique et que l'horlogerie suisse est droguée au luxe (donc en état de dépendance). Si cette situation a fait le miel des horlogers, elle est aussi aux fondements du marasme actuel. L'horlogerie s'est graduellement réfugiée aux sommets, produisant de moins en moins de pièces mais des pièces beaucoup plus chères. A preuve, les pièces de moins de 200.- CHF à l'export représentaient presque la moitié de la valeur totale des exportations en l'an 2000, alors qu'elles ne représentent plus qu'un dixième de la même valeur en 2015. La question du prix est bel et bien au centre de la délicate situation actuelle.
Mais avant d'analyser plus avant la situation actuelle, prenons un peu de recul. Car l'horlogerie, bien qu'elle ne s'occupe que du temps qui passe, a souvent la mémoire courte. Il suffit de remonter d'une quinzaine d'années pour se retrouver à la source des problèmes rencontrés aujourd'hui par l'horlogerie… Comme nous l'explique Denis Asch (lire ci-contre), en 15 ans la relation à l'achat d'une montre a considérablement changé. Au début des années 2000, les Richard Mille (2001) et les Greubel Forsey (2004) commençaient leur progressive «montée en puissance». A l'époque Richard Mille proposait une horlogerie en rupture stylistique totale avec ce qui se faisait, introduisant notamment la recherche en nouveaux matériaux et architectures inédites, tandis que Greubel Forsey, plus néo-classique, cherchait à pousser le plus loin possible les recherches en chronométrie et l'excellence décorative. Leur succès médiatique et commercial, avec des prix souvent très élevés (et alors justifiés par leur rareté) a fait nombre d'émules. Parmi ceux-ci, on compte d'authentiques approches horlogères originales et qualitatives, mais aussi nombre de lancements opportunistes, essentiellement basés sur le prix, le produit étant presque secondaire pourvu qu'il soit au goût du jour, comme si la montre devenait l'emballage du prix.
Les grands groupes ne sont pas restés inertes dans cette fièvre montante et eux aussi, à leur tour, se sont mis à proposer des produits de plus en plus extravagants, des talking pieces destinées avant tout à faire le buzz et à démontrer leur modernité, comme autant d'arbres cachant la plus rentable forêt commerciale. C'est dans ce contexte d'inflation technique, mécanique et stylistique que les prix ont tout naturellement pris l'ascenseur. Les montres, même les plus ordinaires, ont fait de la gonflette dans une ambiance à fort taux de testostérone et elles ont commencé à exhiber de plus en plus ouvertement leurs entrailles mécaniques, autant de façons d'essayer de justifier physiquement leurs prix de plus en plus élevés.
Valeur et % à l'exportation des montres suisses de 3'000 CHF et plus 2000
2005
2010
• l’état de l’économie mondiale • la transparence requise aux banques: plus d’acheteurs au noir • la désamour de l’horlogerie, surtout de la part des femmes • la politique chinoise et ses touristes • la modification durable des canaux de distribution dans le monde • l’e-commerce, le digital, la disparition du papier • les prix et les marges en augmentation • l’hégémonie des groupes • la surcapacité de la sous-traitance • les pouvoirs d’achat en recul dans pays occidentaux et au Moyen-Orient • le franc fort qui a tué le marché intérieur suisse • les stocks monstrueux dans la distribution • le déstockage par discount, parfois moins 80% • le manque d’anticipation des groupes qui n’ont pas vu venir les modifications structurelles en cours • les problèmes de management: après 35 ans avec le vent dans le dos, plus personne ne sait naviguer en vents contraires • la centralisation des décisions, les obsession du contrôle, la perte d’innovation, la dépersonnalisation, les plans marketing envoyés par email, l’absence de véritable remontée des marchés, la connaissance médiocre des acheteurs, le marketing top-down et pas dans l’autre sens • la démocratisation du luxe qui lui a fait perdre sa rareté • les boutiques identiques dans le monde entier
2014
2015 2016
488'000
731'000
1,161,000
1'643'000
1'574'000
1'400'000
Valeur export (en CHF)
3'153'200'000
5'128'800'000
9'093'800'000
13'836'500'000
13'415'300'000
12'000'000'000
Total export (en CHF)
10'297'200'000
12'390'000'000
16'166'800'000
22'257'000'000
21'534'500'000
20'000'000'000
Nombre de pièces 3'000 +
Source: Swiss Customs / FH. Export prices, add margins up to retailer prices.
«Je voulais vendre des montres, pas des prix» propos de
Denis Asch (europa star arcade, novembre 2016),
expert horloger et ancien détaillant qui a fermé boutique pour ne pas changer de métier.
«J'ai ouvert en 2001 au bon endroit, au bon moment. J’étais étonné par la facilité avec laquelle je vendais des montres chères. Le prix était secondaire. On ne demandait le prix qu’à la fin. On ne réclamait pas de discount mais on voulait la montre coûte que coûte. Puis la conjoncture et la manière d’acheter ont progressivement changé. La courbe s’est inversée: on demandait le prix en premier, puis on a commencé à demander des rabais. Jusqu’en 2008, on achetait des montres, pas des prix. Je vendais des Richard Mille ou des Greubel Forsey à plein prix catalogue. Aujourd’hui, si l’on offre 10% sur une même montre, on se fait rire au nez. Quand je vendais par exemple une Eberhard à un étudiant, il se saignait pour l’acheter donc je passais autant de temps avec lui qu’avec un collectionneur pointu de Greubel Forsey. Mais au fur et à mesure, je passais de moins en moins de temps pour vendre des montres compliquées. Un coup de téléphone, vous avez ça en stock? Je passe tout à l’heure, 5 minutes dans la boutique, un gros chèque et c’est fini. Il est vrai que les clients étaient de mieux en mieux informés, par les blogs, notamment.
«Est-ce un bon investissement?» La courbe s’est inversée à partir de 2007: on a commencé à me demander si une Richard Mille était un investissement. Au final, une personne sur deux me demandait si c’était un investissement. Il n’y avait plus l’impulsivité des collectionneurs ou des banquiers qui voulaient se faire plaisir. Pour eux, le mot «dépenser» n’existait même pas. Aujourd’hui, les gens – enfin, certains d’entre eux - sont plus riches, mais c’est la manière d’acheter et la manière de dépenser qui ont changé. Il faut aussi dire que des marques ont abusé sur les prix et certains clients ont été dupés par de fausses promesses ou de fausses valeurs. Je demandais à de nouvelles marques, pas connues et sans complications: mais pourquoi voulez-vous faire des montres aussi chères? Ils ne savaient pas me répondre. Mais en même temps, ce n’est pas la seule faute des marques. S’il y a des programmes débiles à la TV, c’est que les gens les regardent. Moi, je voulais vendre des montres, pas des noms ou des prix. Mais j’étais un des rares détaillants à le faire! Entre 2001 et 2007, je faisais une moyenne de 40% de marge. Ma marge moyenne la plus basse était de 35%. La majorité des marques donnaient 50%. Trop de magasins de montres ont voulu vendre à tout prix ou se débarrasser des stocks pour faire du chiffre, les marques s’en sont rendu compte: «Puisque vous vendez moins cher, on baisse vos marges. Vous prenez en charge le discount.» C’est à cause d’eux, qui vendaient des prix et non des montres, que les marges ont été baissées. Trop de vendeurs ont fait des discounts. Je faisais appeler des amis pour tester les magasins et c’était incroyable de voir le nombre de vendeurs qui faisaient 20% de discount sans même rencontrer le client. Les marques s’en sont rendues compte. Les détaillants se sont tirés une balle dans le pied. Moi, j’en ai raté des ventes car je refusais de faire plus de 10% de discount. Mais on n’était pas nombreux à résister. J’avais une approche plus puriste que commerciale. J’ai anticipé cette tendance et j’ai arrêté le métier de détaillant: je voyais d’une part la tendance au discount et d’autre part qu’on avait de moins en moins besoin de mes explications et de mon expertise. Ou alors on venait me voir pour mes explications et ensuite on allait acheter la montre à Singapour.»
DOSSIER PRIX
EUROPA STAR PREMIÈRE | 5
Va 20 riati 00 on -20 10
20
Va 20 riati 10 on -20 15
16000
21600
35%
24000
11%
Royal Oak acier date Royal Oak Offshore Chronographe
6400 13875
10610 18900
66% 36%
15280 18900
50% 0%
Hampton automatique acier sur cuir
1350
1670
24%
2070
26%
Type XX acier sur cuir
5030
6800
35%
6800
0%
Quelle a été l’évolution des prix au cours de ces 15 dernières années? A titre indicatif, le tableau ci-dessous montre quelques exemples tirés du marché français. Le principal constat est qu’entre 2000 et 2010, toutes les marques ont augmenté leurs prix, dans des proportions importantes: en moyenne + 60% toutes marques confondues. Puis, entre 2010 et 2015, le vent semble avoir tourné et les stratégies diverger. Certaines marques ont poursuivi dans leur politique de hausse progressive des prix tandis que d’autres ne bougeaient pas ou rétropédalaient et baissaient leur prix. Toutes hausses et baisses confondues, les prix ont en moyenne augmenté de 12.7% entre 2010 et 2015. Note: Les données brutes de ce tableau sont évidemment à pondérer en fonction de la hausse générale du coût de la vie, des effets de change, des fluctuations du prix des matières premières, etc... A titre indicatif, l’inflation moyenne en France a été de 27% entre 2000 et 2010 et de 7% entre 2010 et 2015. Les données de ce tableau ont été compilées pour la période 2000-2010 par David Chokron pour le site horlogerie-suisse.com, et completées par Europa Star pour la période 2010-2015.
A. Lange & Söhne Audemars Piguet
Baume & Mercier Breguet
Cartier Girard-Perregaux
Pasha chronographe tout acier
5290
9350
77%
9150
moins 2.1%
Vintage 1945 trois aiguilles acier
3170
6900
118%
6900
0%
Cape Cod automatique or
5600
6850
22%
7450
8.70%
Portugaise chronographe acier Portugaise chronographe or Chrongraphe aviateur type Spitfire Portugaise répétition minutes or
4620 9605 2910 49250
6150 12900 5130 72600
33% 34% 76% 47%
5700 11900 4750 63300
moins 7.8% moins 8.4% moins 8% moins 14%
Reverso grande taille manuelle acier Master geographic acier Master ultra-thin 38 mm acier Master ultra-thin 38 mm or
3650 6060 2737 6100
4950 8400 4800 9350
36% 39% 75% 53%
5100 7500 4450 7900
3% moins 12% moins 6.6% moins 18%
Omega Panerai
Speedmaster chronographe automatique acier sur cuir
1100
2300
109%
2800
21%
Luminor base 2 aiguilles acier poli sur cuir Luminor Submersible acier sur caoutchouc Luminor Marina petite seconde acier sur cuir
2070 2835 2315
3600 4700 3900
74% 66% 68%
5400 6200 5600
50% 32% 43%
3919 / 5119 3520/5120 5036/5146 Aquanaut auto grande taille sur caoutchouc (5167)
7425 9180 14500 6000
12980 15470 27210 12670
75% 69% 88% 111%
17530 15470 33680 15410
35% 0% 23% 21%
Rolex
Date 34 mm acier Datejust 36 mm or et acier bracelet jubilé Submariner acier Explorer II Submariner date or et acier Daytona acier Daytona or sur cuir
2560 4660 2770 3060 5240 5240 13000
4480 7410 4630 5015 8950 8265 17365
75% 59% 67% 64% 71% 58% 34%
4400 9500 6500 7000 11700 10450 21950
1.80% 28% 40% 39% 30% 26% 26%
TAG Heuer Monaco acier sur cuir Vacheron Constantin Oversas chronographe tout acier Oversas chronographe or sur cuir Tourbillon squelette or rose
2134
3800
78%
3100
moins 22.5%
9970 26000 125500
15300 41700 165000
53% 60% 31%
17800 37600 191200
16% moins 10% 15%
Hermès IWC
Jaeger-LeCoultre
Patek Philippe
La faute à la Chine? Nous n'allons pas aligner les chiffres concernant la Chine et Hong Kong, souvent accusés d'être au cœur de la crise actuelle. Il est vrai que l'horlogerie suisse étant devenue fortement sino-dépendante, il a suffi de la décision politique d'un homme, Xi Jinping, et du changement de braquet d'un régime pour perturber tout l'écosystème. Mais le mouvement baissier amorcé au cours de ces deux dernières années (la Chine conjuguée avec les autres tensions internationales) n'est objectivement pas de même nature que la crise issue de la finance qui s'est faite sentir de novembre 2008 à décembre 2009. Après une subite mais relativement brève plongée d'une année atteignant les 25%, les exportations suisses avaient repris d'un coup, grimpant de + 10% dès janvier 2010, et dépassant déjà les + 30% en mars. Une des clés de la situation actuelle se trouve sans doute là: dès 2010, c'est reparti comme avant. L'horlogerie suisse semble n'avoir retenu aucune
10
TARIFS EN FRANCE EN EUROS
15
20
Lange 1
00 20
Des prix en forte hausse entre 2000 et 2010, puis le marasme…
leçon de la dite «crise des subprimes». La forte baisse de la demande chinoise (ou plus exactement le subit frein mis à l'offre) a inauguré une crise d'une toute autre nature qui, se conjuguant avec d'autres facteurs, en fait un véritable tournant. Une crise des prix, ou plus exactement une crise alimentée par la question des prix, mais aussi une crise d'identité. Alors qu'en 2010 l'horlogerie pensait pouvoir repartir comme avant et viser à nouveau les étoiles, il en va différemment en 2017. En Chine, tout a commencé pour des raisons essentiellement de politique intérieure et de prise de contrôle de l'appareil par Xi Jinping. Et dans un contexte général de ralentissement de la croissance économique chinoise, il fallait aussi rassurer l'immense classe moyenne émergente en donnant des gages d'intégrité, de fermeté et de lutte contre la corruption si répandue, voire dominante. La campagne anti-corruption, telle qu'on l'a désignée, est avant tout la
Moyenne 2000 / 2010 60%
économique s'est matérialisé presque en même temps quand des restrictions d'importation ont été édictées à l'intention des touristes chinois. Fini de revenir d'un tour du monde avec des brassées de cadeaux. Fini de ramener de Hong Kong ces business gifts qu'on distribue en vastes cercles! Et comme le dit avec malice JeanChristophe Babin, CEO de Bulgari: «Quand on n’achète pas avec son argent, on est plus généreux. Dès lors que la Business class n’est plus disponible, on est plus attentif.»
mise en scène spectaculaire de cette volonté politique. Et quoi de plus symbolique à viser que la «montre de corruption», si fièrement et ostensiblement portée comme un petit «coffre-fort» ambulant au poignet du puissant, du demi-puissant voire même du moyen fonctionnaire? Mais outre son rôle politique, face visible de cette campagne, son volet
Moyenne 2010 / 2015 12.7%
En réponse à la baisse des exportations, l'usine du monde doit se transformer et se concentrer à présent sur sa demande intérieure. Des centaines de millions de Chinois sont sommés de consommer chinois, en Chine. En lançant sa campagne anti-extravagance et anti-corruption et en mettant un frein drastique aux achats à l'étranger, Xi Jinping a poussé du doigt le premier domino. Le deuxième est tombé sur Hong Kong puis, de hub en hub, il en est tombé jusqu'à Paris, Lucerne ou Interlaken.
Hong Kong: évolution des ventes du commerce de détail, horlogerie-bijouterie 2014-2015 (%) JAN 10%
MAR
AVR
JUIN
JUIL
SEPT
AOÛT
OCT
NOV
DEC
3 -1 -11
-10% -21
-5
-9
-10 -19
-15
-19 -25
-30% -40%
MAI
11
0%
-20%
FEV
-6
-9
-2 -12 -16
-22 -29
2014 2015
-40 Source: Hong Kong Gov. Statistics, Vontobel Equity Research
DOSSIER PRIX
6 | EUROPA STAR PREMIÈRE
«Dès qu’une différence de prix dépasse 10%, les clients en sont conscients et choisissent leur destination en fonction du prix. Et dès que les prix montent, les touristes partent. Dans le passé, il y avait plus d’inertie. Désormais, les gens prennent des décisions très rapidement. Internet a aussi changé la donne.» René Weber, Vontobel
Avec la démocratisation du prix des voyages intercontinentaux et l’ouverture de la Chine qui s’est mise à envoyer de par le monde des flux toujours plus importants de touristes, le tourisme d’achat est devenu central pour l’horlogerie. Mais ces flux se sont montrés d’une volatilité extrême. Les récents
exemples du boom du tourisme au Japon, alimenté par la baisse du yen, ou celui du Brexit, le démontrent parfaitement. Dès la dépréciation du yen en 2012, le nombre de touristes chinois et asiatiques se rendant au Japon a augmenté de +34%, puis de + 24% en 2013, +29% en 2014 et +47% en 2015. Cette augmentation se lit parfaitement dans les statistiques des exportations suisses vers le Japon qui augmentent de 5,7% en 2013, puis font un bond de 15,2% en 2014 avant de légèrement caler de – 1,9% dès la fin 2015 et de continuer leur décrue en 2016 en perdant plus de 4% par rapport à la même période de 2014 (janvier-septembre). L’effet du Brexit sur les exportations horlogères suisses au Royaume-Uni se fait sentir encore plus radicalement : + 23.5% en août 2016, + 32,4% en septembre! Et dans le cas de l'Europe ou du Moyen-Orient, cet opportunisme du tourisme d'achat et cette volatilité sont encore accentués par les facteurs politiques, les guerres ou la vague d'attentats qui a frappé l'Europe.
Schweiz Tourismus
«Dès qu'un prix monte, ils vont voir ailleurs»
René Weber, de Vontobel, utilise un «indice» très particulier pour évaluer les flux de touristes chinois et asiatiques en Suisse: l'indice Jungfraubahn. En suivant à la loupe l'état des pré-réservations pour ce train d'altitude très prisé des touristes asiatiques, il peut en tirer avec précision des prévisions des ventes horlogères en Suisse. Ainsi, avant même l'attaque terroriste de Nice le 14 juillet, il avait déjà constaté un taux de 30% d'annulation de la part des touristes chinois.
Internet change la donne de la distribution
Cyrille Vigneron, CEO, Cartier
Cette volatilité d'un achat devenu mondialisé et migrant selon le barème international des prix pose de sérieux problèmes aux marques, aux distributeurs et aux détaillants: stocks, adaptation des prix, logistique, canaux de distribution, communication... Elle est encore accentuée par le développement des comparateurs de prix que l'on trouve sur internet. Des ap-
plications mobiles pour client mobile. Wilhelm Schmid, CEO de A. Lange & Söhne, résume parfaitement les défis posés aux marques par ces nouveaux usages: «Comment faire pour que les prix se valent à travers le monde? Concrètement, c’est impossible. Il faut l’accepter. Nous ne réduirons jamais nos prix à moins d’une hy-
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perinflation, en Russie ou en Inde. Il faut maintenir une stratégie de prix claire à travers le monde, c’est un énorme défi. Un autre défi majeur est de trouver un équilibre entre la clientèle locale et le tourisme d’achat. Et le troisième défi pour nous est: comment rester à jour et exclusif? C’est une contradiction en soi. Si vous voulez rester à jour, vous devez grandir. Nous grandissons. Sinon on sort du radar. Beaucoup de marques grandissent mais perdent en intensité. Je dois gérer ce paradoxe.» Ce risque de «perte en intensité», comme l’exprime Wilhelm Schmid, est d'autant plus élevé que, selon l'étude Deloitte 2016 sur l'industrie horlogère suisse, «pour la première fois depuis 2012, les revendeurs en ligne sont perçus comme le canal de vente le plus important». Ce qui mécaniquement, devrait conduire à un tassement des prix et à une banalisation de l'offre, le produit, disponible ici ou là à volonté, perdant de son exclusivité. Or la rareté est à la racine du prix. «La moitié des cadres supérieurs du secteur horloger interrogés, poursuit Deloitte, affirme qu'elle privilégiera les revendeurs en ligne dans
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Où êtes-vous le plus susceptible d'acheter une montre?
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«Sur un site comme So Goods, les clients peuvent comparer les prix en temps réel. On peut envoyer n’importe quoi n’importe où du point de vue logistique. On peut trouver le meilleur prix n’importe où dans le monde et se le faire envoyer partout. C’est le plus gros changement de notre temps, car cela rebat les cartes de la distribution.»
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Source: Deloitte, 2016
les douze prochains mois, alors qu'ils n'étaient que 19% en 2015.» A titre d'exemple, Deloitte cite le partenariat d'e-commerce exclusif signé par TAG Heuer avec le Jingdong Group, puissant acteur de la vente en ligne en Chine. Mais on pourrait multiplier les exemples d'initiatives en cours ou en germe dans cette «nouvelle frontière» digitale du luxe qu'est la vente en ligne. Et les conséquences pour les distributeurs et les détaillants, ainsi que sur les prix, seront nombreuses.
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DOSSIER PRIX
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Augmenter ou baisser le prix? Face à toutes ces incertitudes, à ce changement de modèle en cours, au fardeau du surstockage et des surcapacités industrielles, quelles stratégies les marques peuvent-elles mettre en place? Et question centrale: faut-il augmenter ou baisser les prix? Chaque marque a ou aura sa réponse, plus ou moins adaptée à la réalité d'un marché mouvant. Et les réponses varient selon où l'on se situe dans l'échelle socio-hiérarchique des marques. Voici une des réponses possibles, celle que JeanChristophe Babin, CEO de Bulgari, a récemment faite aux questions d'Europa Star. «En horlogerie, le volume et la valeur forment deux pyramides opposées. Le gros des volumes se situe en-dessous de 2'000 euros. Et le gros de la valeur se situe au-dessus de 5'000 euros. Chez Bulgari, nous considérons comme marché du luxe tout ce qui se situe au-dessus de 1'500 euros. Si l’on prend tout ce marché, 90% du chiffre d’affaires est situé à plus de 5'000 euros. Donc la partie entre 1'500 et 5'000 euros ne représente que 10% des ventes. Ensuite, 21% des ventes se situe sur le segment de 5'000 à 12'000 euros. Puis on trouve 44% de la valeur entre 12'000 et 50'000 euros. Et 25% au-dessus de 50'000 euros. La réponse à la crise, ce n’est pas forcément des prix moins chers. En cas de crise comme aujourd’hui, se précipiter en-dessous de 5'000 euros est un réflexe humain, car on associe crise à manque de moyens, mais ce n’est pas forcément le bon réflexe ni la bonne réponse. C’est oublier que 90% de la valeur se situe au-dessus de 5'000 euros et que PUBLICITÉ
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Valeur
Volume dans les 10% en-dessous, il y a déjà des acteurs très compétents avec des modèles iconiques et des détaillants très confiants dans ces marques. Ce qu’il faut encore bien noter, c’est qu’au-dessous comme au-dessus de 5'000 euros, on observe un déclin général des ventes dans toute l’industrie. Ce n’est pas que brutalement, les gens qui achetaient des montres à 25'000 euros achètent désormais des montres à 2'000 euros: c’est complètement faux. On voit que globalement – et c’est avant tout lié aux clients chinois – on est en train de passer d’un marché du gifting lié au business à un marché de la consommation personnelle. Et donc les gens naturellement dépensent
moins. On est toujours plus généreux quand ce n’est pas son propre argent, comme c’était le cas avec le gifting! Donc il y a eu un abaissement du prix moyen dans toutes les gammes de prix. Ça baisse partout. Mais ce ne sont pas des vases communicants. Et je suis étonné que d’autres marques portent un regard très différent dans l’analyse de ces chiffres... Après il y a le bon sens: quelqu’un qui a toujours acheté des montres à 50'000 euros ne va pas acheter des montres à 2'500 euros. On va plutôt prendre une Ferrari avec moins d’options.
La politique de prix en horlogerie a été très inflationniste ces dernières années, aujourd’hui on voit du déstockage et des baisses de prix ou le lancement de collections d’entrée de gamme. L’industrie ne pâtit-elle pas aujourd’hui de la politique de prix des «belles années»? Ce qui engendre de la frustration chez les clients de ces années-là? C’est difficile à dire, car cette baisse des prix moyens n’est pas du haut vers le bas des segments: en réalité, sur chaque segment, les gens dépensent un peu moins. Alors, est-ce qu’en se positionnant 10% moins cher, on vendra 15% de plus? Personnellement je suis assez sceptique. Je pense que plus que jamais, les produits qu’on offre doivent avoir une substance pas uniquement perçue mais réelle. J’observe cependant que les clients pour nos modèles à 160'000 euros sont bel et bien là: nous sommes en rupture de stock sur notre répétition minutes. Car le produit est très innovant, dans son intérieur et son design. Le prix n’est pas le seul facteur. Nous avons trouvé cette clientèle. A l’inverse, un produit un peu plus banal
aura aujourd’hui sans doute plus de difficultés à trouver preneur, indépendamment du segment de prix. Mais je crois plus en l’innovation que dans la baisse des prix. Par ailleurs, il suffit d’aller à Baselworld pour voir le poids des nouveautés: de 15 à 25% de l’assortiment est renouvelé chaque année. Pourquoi baisser les prix alors qu’en fixant au mieux le prix des nouveautés, on peut arriver à être plus attractif? Grâce à notre réseau retail, nous pouvons mesurer précisément le comportement de nos clients et personne n’est venu acheter une montre à 3'000 francs alors qu’elle avait acheté une montre à 30'000 francs avant. Par contre de 30'000 à 20'000 francs, oui. La Tesla par rapport à la Mercedes, c’est en revanche une bonne réponse et une piste de réflexion pour l’industrie horlogère.»
Autre stratégie de prix, autre réponse que celle initiée, dans les faits, par Jérôme Lambert avec Montblanc. Il avait frappé les esprits – et soulevé une vague de critiques l'accusant de vouloir tuer le marché – alors qu'il était le CEO de JaegerLeCoultre pour avoir sorti un tourbillon aux alentours de 40'000.- CHF. Il a récidivé chez Montblanc en sortant un quantième perpétuel vendu à 10'000.- euros. Davide Cerrato, directeur de la division horlogerie de Montblanc, répond aux critiques émises par ses concurrents quant à la stratégie prix de la maison. «Offrir des prix compétitifs par rapport à la valeur perçue a été la stratégie constante de Jérôme Lambert chez Montblanc depuis trois ans. Aujourd’hui, on voit que nombre de marques baissent leurs prix ou sortent des lignes d’entrée de gamme. Mais c’est toujours délicat, notamment vis-à-vis de ses clients passés, que de baisser les prix. Nous faisons notre volume sur le segment entre 1'000 et 5'000 francs, en particulier sur les chronographes de sport, qui peuvent représenter jusqu’à 80% des ventes selon les marchés. Grâce à cette position constante, nous ne sommes aujourd’hui pas obligés de descendre en gamme. Il y a trois ans, alors que les conditions de marché étaient optimales, il fallait vraiment être visionnaire pour s’imposer cette contrainte du prix accessible. Nous voulons être viables à long terme. Or, si l’on se mettait à présent à baisser nos prix, ni notre marque ni nos partenaires ne pourraient faire du business. Montblanc s’est tenu à l’objectif du prix juste, pas celui de casser les prix comme on nous en a accusés parfois.»
Pour Sascha Moeri, CEO de Carl F. Bucherer, la flexibilité et une bonne diversification des prix permettent même de gagner des parts de marché dans ce contexte tendu. «Nous avons remarqué cette année que nous avons vendu plus de montres dont le prix est situé e ntre 3'000 et 5'000 francs qu’entre 6'000 et 8'000 francs. Le prix moyen est descendu. Mais grâce à notre bonne diversification des prix, allant de 3'000 francs à 400'000 francs, nous bénéficions d’une flexibilité qui nous a permis de gagner des parts de marché. Chaque client qui entre chez le détaillant est un potentiel pour nous. En cinq ans, nous sommes passés d’une production de 6'500 à plus de 25'000 montres par an. Dans le même temps, nous avons aussi lancé un tourbillon, un quantième perpétuel ou encore une réserve de marche. C’est grâce à cet investissement sur l’ensemble des gammes de prix, qui sont toutes importantes, que nous avons réussi à croître. Et en 2017, dans le même esprit, nous continuons à lancer des nouveautés sur toutes les gammes. Le prix est l’un de nos avantages, mais les clients doivent aussi comprendre les valeurs de la marque. Avec cet objectif en tête, nous nous sommes lancés dans la conception et la production de notre propre mouvement manufacture, le CFB A2000. Nous voulions parvenir à proposer une montre finie en acier avec calibre maison entre 6'000 à 7'000 francs. La nouvelle Manero Peripheral a un prix attractif de 6'500 francs.»
Baisser les prix? Voire les casser? C’est la stratégie choisie par Flavio Pellegrini, président d’Ebel, pour redresser en pleine crise une marque qui fut autrefois sous le feu des projecteurs avant de disparaître un peu des radars. «Ces dernières années, l’industrie a été trop gourmande en termes de marges, en internalisant la production et en verticalisant la distribution avec des propres points de vente. Certaines marques ont deux ans de stocks d’inventaires et de composants en amont et deux ans de stocks de montres dans leurs propres magasins en aval. Cela prendra au moins deux ans à se résorber. Mais il faut se rappeler que la crise du quartz était une crise existentielle, beaucoup plus dramatique qu’aujourd’hui. Nous allons laisser du temps au temps. Notre cheval de bataille et notre remède anti-crise: garder la qualité de la marque mais avec un prix agressif. Nous voulons toucher un public plus large, plus jeune avec un ratio valeur perçue / prix concurrentiel. Par exemple, notre modèle Wave or et acier avec lunette sertie de diamants et cadran nacre et diamants était proposé à 5'900 CHF. Nos ingénieurs ont trouvé des moyens plus smart pour baisser les prix,
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DÉTAILLANTS ASIATIQUES: STOCKS EN % DES VENTES 2007-1ER SEMESTRE 2016 90% 80%
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Un graphique qui exprime parfaitement l’explosion des stocks en Asie à partir de fin 2013
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«Le prix est aujourd’hui le nerf de la guerre. Auparavant, la marque était la porte d’accès à la montre. Aujourd’hui, le prix est de plus en plus le premier critère. Or, depuis plusieurs années, les politiques de prix en horlogerie sont complètement démesurées vis-à-vis des clients. Nous sommes une spin-off de Panerai mais nous évoluons dans des prix compris entre 1’900 et 4'900 francs. Je pense que nous sommes sur le prix juste et raisonnable pour du Swiss made sportif de qualité. Mais communiquer un prix comme principal argument de vente reste délicat! Cette année, nous avons corrigé le rapport entre prix et qualité non pas en baissant nos tarifs mais en augmentant la qualité à prix égal. Mais en voyageant, je me suis rendu compte qu’il fallait des produits plus accessibles. Nous allons donc vers des prix plus agressifs en lançant une nouvelle ligne lors de la prochaine édition de Baselworld avec une cible à 1'500 CHF. C’est la seule chance pour une marque peu connue comme nous: présenter un prix attractif en vitrine pour un vrai produit Swiss made. Je veux faire un pied-de-nez aux marques qui proposent des produits similaires aux nôtres à prix excessifs. Mais le plus dur pour une marque relativement neuve, c’est de tenir sur la durée. Ce qui rassure, c’est l’histoire. Beaucoup de start-up horlogères risquent de disparaître dans la période que nous traversons.»
Les taux de change qui font des hauts et des bas, le marasme des prix, la volatilité de la clientèle, les stocks qui s’accumulent, le discount, la concurrence de la montre connectée, le marché gris, internet, les boutiques en nom propre… N’en jetez plus, la coupe est pleine pour les détaillants de tous horizons. La distribution se trouve à un carrefour, face à des choix cruciaux: dans quelle direction aller ? «La baisse des marges de la distribution a été initiée il y a 4 ou 5 ans par le Swatch Group, nous explique Gérard Gouten, un vétéran du marché suisse. On est passé de 50% à 35%. Mais vous pouviez regagner des points de % si vous vous montriez «coopératifs», si vous mettiez bien en évidence dans vos vitrines telle ou telle marque, ou si vous renonciez à prendre tel ou tel concurrent. Or aujourd’hui, montée en gamme oblige, la distribution est dans les plus belles avenues. Les loyers sont phénoménaux, les salaires des vendeurs qualifiés sont hauts, les horaires se sont allongés avec la multiplication des nocturnes. Et puis il y a le discount, une pratique qui s’est généralisée et que le client réclame désormais d’emblée. Sans même parler de la concurrence que les marques font directement avec leur propres boutiques… Je suis persuadé que de grands bouleversements sont encore à venir dans la distribution. Que va-t-il se passer quand les anciens, qui ont grandi avec le renouveau de la montre mécanique, vont se retirer?» Mais la crise actuelle a aussi eu pour effet de faire légèrement remonter les marges. La politique des marques, de ce point de vue, est en train de se transformer à nouveau. Cartier, par exemple, qui était descendu à
2012
Pour Julien Haenny, CEO d'Anonimo, le prix est le nerf de la guerre.
René Weber, Vontobel, Arcade Europa Star, novembre 2016
2011
Mais quand on est une jeune marque, que l'on n'a pas encore fini de construire son image, la «guerre des prix», qui s'est déclenchée sur plusieurs fronts à la fois, oblige à trouver des réponses. Et à se battre pied à pied sur le prix, tout en communiquant sur la qualité.
2010
«Alors qu’aujourd’hui vous trouverez facilement des montres de prestige cédées avec des rabais avoisinant les 40 ou 50%, vous ne verrez jamais une de mes montres à un prix discount. J’ai mis plus de 20 ans à construire mon image et je ne vais pas la casser au premier coup de vent. A mes yeux, une bonne part de la crise actuelle est due à l’aveuglement et à l’avidité de nombre de grandes entreprises horlogères. Elles paient aujourd’hui pour leurs récents excès.»
«Les stocks d’inventaires ont atteint des niveaux jamais vus. Richemont a annoncé qu’ils rachetaient des montres pour nettoyer le marché, pour 218 millions d’euros, dont une grande partie de Cartier, mais cela ne suffit pas encore, il y a toujours trop de stocks. Un grand nombre de rachats concernent les modèles de Haute Horlogerie. Par ailleurs, les marques réagissent en lançant à présent des collections plus d’entrée de gamme. IWC est un bon exemple, avec la collection Pilot. Le nombre de montres en or a baissé. Piaget introduit de l’acier, que la marque ne proposait pas encore. L'acier a la cote: on le voit même avec la Patek Philippe en acier vendue chez Phillips: à plus de 11 millions de francs, c’est la montre-bracelet la plus chère jamais vendue aux enchères.»
2009
Un François-Paul Journe, fort de ses presque trente ans d'horlogerie, tient à camper sur ses positions et renvoie la balle aux grands groupes.
2008
Le son de cloche est différent du côté des indépendants.
Changements de paradigme pour la distribution
2007
nous avons aussi revu l’architecture de la pièce et aujourd’hui elle est à 3'600 CHF.»
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Hour Glass
Source: Companies, Vontobel Equity Research
35%, est en train de remonter timidement à une moyenne de 38%. Sans oublier de nettoyer les stocks, de reprendre plus d’invendus qu’auparavant. Toutefois, les indépendants continuent à offrir des marges plus appréciables aux détaillants, jusqu’à 50%, si bien que la moyenne s’équilibre à environ 40%. Mais que reste-t-il de ces marges une fois comptabilisées toutes les dépenses: -10% minimum de discount -10% pour le tour operator qui amène la clientèle -2,5% de frais de cartes de crédit -5% pour la communication contractuelle Soit -27,5%, avant loyer, salaires, frais courants, entretien, impôts, taxes diverses. Par ailleurs, le détaillant doit éliminer les stocks immobilisés, améliorer sa rotation car sans sell out pas de sell in et, s’il le faut, activer la garantie et vendre la montre à prix cassés. Et tout ça alors que non contents de multiplier leur prix de revient x8 – alors que la moyenne s’établissait à x6 il y a 15 ans –, nombreuses sont les marques qui cherchent à passer par-dessus les détaillants et à maîtriser leur propre distribution en ouvrant des boutiques en nom propre (une stratégie qui a trouvé ses limites, mais ceci est encore un autre chapitre qu’Europa Star explorera dans un prochain dossier). Sans même parler de la nouvelle et sauvage concurrence du commerce électronique.
Propos d’un «déstockeur» Maurice Goldberger, Chiron: «Je hais le mot «déstockeur», car cela donne l’idée d’un marchand de tapis un peu louche. Je collabore directement avec les marques et je considère même que je fais de la protection de l’image de marque. Car contrôler sa distribution est l’essence de tout marché, quel que soit le prix. Jusqu’en 2008, on pensait que les prix n’allaient jamais cesser d’augmenter. Puis il y a eu la crise des subprimes. Mais la reprise est arrivée et les prix ont continué de grimper ensuite. Et là, ces deux dernières années ont constitué des annus horribilis, entre ISIS, la Crimée, la Chine, zika, le reality show aux USA... Or, le marché de la montre ou de la joaillerie a ceci de particulier que ce n’est pas un marché de première nécessité. Donc il faut être dans le bon état d’esprit et avoir confiance en l’avenir pour acheter ce produit. Et on ne veut pas non plus acheter une montre à un prix que l’on jugera trop élevé. Il y aura toujours un marché pour l’or ou la platine, mais on voit que l’intérêt pour l’acier grandit. En même temps, si le prix est un facteur important, c’est un facteur parmi d’autres. Aujourd’hui, on ne peut plus «déplacer» aussi facilement les produits d’un marché à l’autre. Mais mon métier est de repérer les flux et d’identifier qui est prêt à acheter une montre, via une palette de canaux de distribution. Il y a par ailleurs un changement de paradigme très important, car de plus en plus de ventes vont se faire en ligne. On ne reviendra pas en arrière. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous sommes à présent devenus une industrie de services en réalité: facilitez la vie de vos détaillants, vous ne vous en porterez que mieux!»
DOSSIER PRIX
10 | EUROPA STAR PREMIÈRE
«Les détaillants doivent se transformer en galeristes»
«Depuis l’arrivée du commerce électronique, il existe deux grandes catégories de produits: ceux qu’il est possible d’acheter sans les voir ni les toucher, et les autres. Pour les premiers, une simple fiche technique et un prix suffisent. Pour les seconds, qui sont généralement des produits où la récurrence n’intervient pas et où l’émotion domine le choix, l’expérience sensorielle physique est irremplaçable, et nécessite -avant tout achat- le passage par un point de rencontre entre le produit et le client. Le rôle traditionnel du commerçant était d’offrir un pack complet réunissant l’expérience sensorielle et la
vente. Sa rémunération était donc construite en fonction de ces deux missions, tenant compte à la fois de ses frais de représentation et de ses frais de vente. Une boutique était à la fois un lieu d’exposition et de commercialisation. Avec l’arrivée du commerce électronique, ces deux fonctions se sont scindées irrémédiablement. Il est désormais possible de vendre sans offrir d’expérience sensorielle, et d’offrir toute l’expérience du produit sans réaliser de vente, car un client peut profiter de l’infrastructure physique d’un vendeur traditionnel pour ensuite finaliser son achat sur internet.
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Certains de nos interlocuteurs sont ainsi «persuadés qu’on se dirige vers une ubérisation de la distribution horlogère» suite à «la prise de pouvoir par le commerce électronique». Au cours de nos discussions, un modèle revient avec insistance: la transformation du détaillant en «galeriste». François-Xavier Mousin et Caroline Buechler (qui ont autrefois travaillé pour les Ambassadeurs et sont désormais à la tête de l’agence de conseil Opus Magnum) exposent ce concept «révolutionnaire».
Ce comportement va s’amplifier et se généraliser. Il est parfaitement normal et légitime pour le client de trouver le meilleur prix pour la meilleure prestation. Aussi élevée qu’elle puisse paraître aux profanes, une marge de 50% pour un retailer sur le prix de vente d’un produit – marge exceptionnelle dans le monde de l’horlogerie, il faut le noter – doit couvrir bien plus que les frais de vente eux-mêmes: une arcade hors de prix dans les meilleures rues, des vitrines imposantes, des canapés dans les meilleurs cuirs, des conseillers du meilleur niveau, du champagne et des bouquets de fleurs. Une montre de luxe ne se présente pas dans un local en papier mâché au milieu d’une banlieue industrielle. L’expérience du luxe se doit d’être complète, sinon elle n’existe pas. Ce qui n’est pas normal, c’est qu’elle soit octroyée indifféremment, comme elle l’est aujourd’hui encore, à un vend eur qui investit des millions annuellement dans ses boutiques ou à un obscur acteur ayant pour principale source de revenu une boutique virtuelle sur Amazon, Yahoo ou Chrono24.
Quand les coûts de vente n’ont rien à voir avec les coûts de représentation
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S’il est possible d’y trouver des objets à 50% ou 60% de leur prix public, ce n’est pas ontologiquement et structurellement parce que les fabricants déstockent sauvagement: c’est parce que les coûts de vente n’ont rien à voir avec les coûts de représentation. Lorsqu’on oublie les besoins de représentation, il est possible de très bien gagner sa vie en vendant un produit avec 10% de marge, en cou-
vrant les frais de promotion de sa boutique, de discount, de transaction et de personnel. Avec 20% de marge, il est même possible de gérer les frais d’acquisition et de stockage des produits, afin d’assurer des délais de livraison optimaux, un argument devenu essentiel dans le commerce électronique. Mais tout ça reste purement transactionnel. Pour les produits nécessitant une expérience sensorielle physique, la charge de ces coûts est aujourd’hui directement imputée aux retailers physiques, au profit toujours grandissant des retailers digitaux. Ces derniers peuvent ainsi se contenter de 10% à 20% de marge, tout en s’assurant les mêmes profits – au minimum – que les retailers physiques obligés de vendre avec 40% de marge pour financer leur rôle de représentation. Or si rien n’est fait, cette situation, intenable, va mener à l’extinction des retailers physiques. Et avec eux, à celle des marques qu’ils défendent. Car sans expérience physique, il n’y aura plus d’achats, aussi agressifs que soient les prix. Pour répondre à ce défi, il n’y a que deux solutions, qui en réalité n’en sont qu’une. La première consiste en la reprise totale de la distribution par les producteurs, via un modèle monomarque extrêmement coûteux, mais qui permet de séparer les coûts de représentation et ceux de commercialisation, les premiers étant imputés sur les budgets de marketing et de communication. La seconde consiste à réinventer sur le même modèle les relations avec le retail, en réduisant drastiquement les marges de commercialisation et en les séparant des marges de représentation.
Séparer le métier en deux fonctions Le modèle que nous proposons est extrêmement simple: il consiste à séparer un métier en deux fonctions. La vente, d’une part, et la valorisation expérientielle, d’autre part. Dématérialisée, la vente ne nécessite plus de structure physique lourde, tout en offrant les mêmes prestations de délais, de garantie, de suivi et de confort qu’elle soit physique ou virtuelle. Elle doit donc être rémunérée sur la base de son meilleur coût pour sa meilleure efficacité, soit une marge située entre 10% et 25% du prix de vente, quel que soit le canal utilisé. La fonction de représentation, quant à elle, doit être dissociée de la marge de vente, et n’être attribuée qu’aux acteurs qui la pratiquent, en fonction de nouveaux paramètres qui n’ont rien à voir avec les chiffre d’affaire réalisé. Volume de fréquentation, qualité des surfaces et de l’exposition, quantité des surfaces de vitrines, formation du personnel de conseil, nature des prestations annexes. Cette redistribution des rôles sera la seule façon de pérenniser le commerce des entreprises tributaires pour leurs ventes d’expériences physiques sensorielles. Elle est aussi la seule qui permettra de sortir de la logique délétère du marché gris et des discounts, puisque la marge commerciale octroyée ne permettra plus la valse de prix en fonction des coûts d’exploitation. Enfin, elle donnera naissance à de véritables professionnels de l’expérience et non plus de la vente, puisque la rémunération ne sera plus que très partiellement liée à la performance commerciale pure. Elle sera ainsi plus efficace que toutes les initiatives de formation au produit que toutes les entreprises s’acharnent à mettre en place, à grands frais et sans succès.»
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DOSSIER BESANÇON
12 | EUROPA STAR PREMIÈRE
Besançon, la prochaine génération
jusqu’aux plus classiques noires et blanches. Les horloges coûtent entre 3'000 et 14'000 euros. Utinam en fabrique entre 80 et 100 pièces par an.
Philippe Lebru développe des horloges comtoises ultra-contemporaines avec sa marque Utinam
DR
A la (re)conquête du Japon
Dans une région horlogère sinistrée depuis les années 1990 et très affectée par la crise touchant actuellement le voisin suisse, plusieurs marques ont été récemment créées, comme Utinam, Lornet, Humbert-Droz ou encore Phenomen. L’annonce de la liquidation judiciaire de Pequignet, un emblème très apprécié de la région, a semé un profond désarroi. Mais des grands noms du passé, comme Lip, Dodane, Herbelin ou Saint-Honoré, tentent de se réinventer. Certains, comme Philippe Lebru d’Utinam, veulent rendre leur énergie contagieuse. Le créateur accueille ainsi dans sa boutique d’autres horlogers qui partagent son ambition révolutionnaire. Celle de replacer la Franche-Comté à la pointe de l’innovation et de la tendance. Une utopie? par
Serge Maillard
«Utinam» est la devise latine de la ville de Besançon. Ce qui signifie «si seulement» et exprime un souhait très cher. Philippe Lebru en a fait le nom de sa marque d’horloges comtoises ultra-contemporaines, fabriquées à 100% en Franche-Comté. De fait, l’expression est bien choisie: car derrière cette forte personnalité au style impeccable et à la barbe épaisse, c’est une région qui entend se réveiller et ne pas servir uniquement de réservoir de talents pour l’horlogerie suisse voisine ou de spécialiste du service après-vente. D’autant plus que nombre d’horlogers franc-comtois ont fait les frais du ralentissement de l’autre côté de la frontière. C’est ici bien de création qu’il s’agit. D’autres grands noms de la région tentent eux aussi de retrouver
leurs lettres de noblesse, dont certains sont accueillis dans la boutique d’Utinam, située juste en face du Musée du Temps au centre de Besançon – comme Dodane ou encore Lip. Philippe Lebru n’a pas leur héritage mais a choisi de miser sur un symbole régional pour en proposer une version modernisée, «rétro-futuriste», qui peut, contrairement à son aînée, orner les salons les plus trendy. Le créateur a connu ces années 1990 si difficiles pour la région, dont le symbole reste la faillite en 1994 de France Ebauches, alors le dernier grand fabricant européen hors Suisse de mouvements de montres. Il avait en effet trouvé l’un de ses premiers stages, après ses études de commerce, au sein du motoriste, qu’il a quitté pour se mettre à son compte un an avant la faillite. Une expérience qui marque.
L’après-France Ebauches «Je voulais toujours être entrepreneur, souligne Philippe Lebru. Après avoir quitté France Ebauches, j’ai dessiné pendant une dizaine d’années des montres pour des tiers, mais j’ai également travaillé dans l’industrie aéronautique.» Le tournant a lieu en 2005: alors que son agence créative traverse un contexte économique difficile, on lui demande de dessiner un trophée symbolisant la Franche-Comté pour récompenser les quatre entreprises les plus innovantes de la région. C’est à ce moment-là qu’il imagine réinterpréter l’horloge comtoise, vénérable mais tombée en désuétude. Sa première création au nom bien choisi, «Hortence», impressionne: inox brossé, 2m20 de haut pour 25 kilos, un mouvement complètement
suspendu et une masse pour l’équilibrer, une élégance et un port altier dignes d’une «grande dame» de l’horlogerie. De fait, Philippe Lebru invente et brevète le mouvement pendulaire à équilibrage automatique, suspendu sur un axe, donc parfaitement aligné verticalement. Plus besoin de calage fastidieux pour équilibrer la position du mouvement par rapport au sol. L’énergie stockée dans le mécanisme est lentement libérée par le va-et-vient du balancier, assurant une réserve de marche de huit jours. L’ensemble des roues et axes s’expose et participe à l’esthétique de l’horloge, qui se décline également en version murale. La figure la plus marquante des créations de Philippe Lebru, après les romantiques Hortence et les cubiques Lala, est la pétillante collection «Pop Up», à l’esprit très «sixties», qui se décline en une multiplicité de tons, des couleurs les plus vives en passant par des prunes ou gris béton
Philippe Lebru a su profiter des talents de la région, des anciens de Lip jusqu’aux plus jeunes, issus de l’école d’horlogerie de Morteau. «Mon apprenti Dylan, que je forme depuis quatre ans, veut fonder sa propre marque horlogère, il faut croire que c’est contagieux!» Aujourd’hui présent dans une dizaine de points de vente en France, il entend s’internationaliser. Au Japon, Philippe Lebru vient d’installer la plus grande horloge suspendue jamais conçue, sur la façade d’un concept store de Tokyo dédié à l’univers du luxe féminin. Cette œuvre monumentale de rouge, de blanc et d’inox, baptisée AoyAmA («Montagne bleue») et placée à neuf mètres de hauteur, fait quatre mètres de long, avec un enchevêtrement de mouvements circulaires et pendulaires et des roues de 2,3 m et 1,5 m de diamètre. «Des millions de Japonais pourront ainsi découvrir le savoir-faire de Besançon.» Si le créateur ne se considère pas comme un horloger au sens conventionnel du terme, il veut contribuer à la renaissance horlogère franc-comtoise, voire française dans son ensemble. Il accueille ainsi dans son flagship store non seulement la maison familiale bisontine Dodane, dont les représentants de la cinquième génération Cédric et Laurent sont très actifs et dont les chronographes sont utilisés par l’Armée de l’air, mais aussi les nouveaux-venus de FOB Paris, trois jeunes Parisiens dont les gardetemps radicalement à l’avant-garde ont la particularité de se transformer en montres de poche über-trendy. «J’aime les défis et réaliser des pendules monumentales pour un marché contemporain, ce n’était pas gagné sur le papier, reprend Philippe Lebru. Au fond, mes créations sont surtout des alibis pour m’exprimer autour de la notion du temps. L’enjeu pour Utinam est d’être précurseur de l’horlogerie de demain.» L’automne dernier, la création successive de trois marques a donné un bon coup de jeune à la région. A commencer par Lornet qui a lancé son premier modèle, la LA-01,
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DOSSIER BESANÇON en novembre. Les trois cofondateurs ont lancé leur projet en fond propre. «C’est la seule montre développée, fabriquée et assemblée en France! Nous retraçons la quasi-totalité des composants dans la région Franche-Comté et voulons mettre en avant nos partenaires, mais aussi être transparents sur l’origine des composants vis-àvis de nos clients», explique Benoît Monnet, cofondateur de Lornet. Résultat? Une montre Made in France à 5'400 euros, de forme tonneau en acier et aluminium, avec un mécanisme visible et qui devrait être frappé du sceau à tête de vipère délivré par l’Observatoire de Besançon. Seuls l’échappement, le barillet et les inverseurs ne viennent pas de la région, où ils sont tout bonnement introuvables. En attendant le retour d’une vraie capacité industrielle complète à Besançon? L’écho se fait de plus en plus fort de projets de relance de mouvements Made in France, chez Lip et d’autres. La disparition définitive de Pequignet, qui était jusqu’alors le seul acteur régional maîtrisant le calibre avec son Calibre Royal (dans des gammes de prix cependant supérieurs) et qui espère trouver un repreneur, laisserait un grand vide. Laurent Katz, qui avait repris la marque il y a cinq ans, a en effet déployé un effort considérable pour remettre sur les rails l’entreprise fondée en 1973 par Emile Pequignet. Autre nouveau venu: HumbertDroz, lancé par l’atelier familial de service après-vente Reparalux. La marque a déjà conçu trois modèles, les HD1, HD2 et HD3. C’est à l’occasion de ses 60 ans d’activité dans l’industrie horlogère que la famille Humber-Droz a décidé de se lancer dans le produit fini. Les modèles, au design classique, accueillent dans ce cas des calibres automatiques suisses ETA mais aussi France Ebauches (!) et frappent par leur prix abordable, dès 390 euros. Last but not least dans ce trio de marques pleines d’appétit de reconquête horlogère pour la région: Phenomen et ses modèles au look résolument avant-gardiste et extravagant. La jeune marque a développé son propre échappement, en cours de brevet, une pierre supplémentaire sur le chemin de l’autonomie horlogère pour la région. La première montre dessinée par les quatre co-fondateurs sera néanmoins équipée pour partie de composants suisses. Les projets et premiers prototypes des Phenomen devraient se concrétiser en modèles terminés cette année.
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Dodane: du Swiss made au Made in France La spécialité de la marque dirigée par la sixième génération d’horloger est la montre militaire et d’aviation, ainsi que des chronographes de bord pour l’armée de l’air française. Dodane, qui propose essentiellement des modèles automatiques, se fournit en mouvements de l’autre côté de la frontière, chez ETA, comme nombre d’horlogers français. La marque travaille également avec Dubois-Dépraz. La marque a produit dans son histoire jusqu’à 120'000 montres mécaniques par an! Ayant connue une «pause» en tant que marque horlogère entre 1994 et 2001, suite à un dépôt de bilan, elle produit en moyenne 600 à présent. Dodane sort en 2001 son modèle Type 21. «A l’époque le modèle était Swiss made mais cela n’avait pas vraiment de sens pour moi. Dès 2008, nous sommes revenus au Made in France puis avons lancé la Type 23, relate Cédric Dodane. Le Swiss made
est important pour exporter mais nous jouons sur l’élégance française. Au fond, il n’y a pas énormément d’atouts à produire des montres depuis la France, surtout si l’on cherche à se financer auprès des banques, mais cela reste notre identité! Et il ne faut pas oublier que l’horlogerie était française avant d’être suisse.» La société familiale, qui réalise également des montres sur mesure pour Air France, fait appel aux nombreux ateliers de service après-vente pour contribuer à l’assemblage de ses garde-temps. «Je suis reparti de zéro, d’une famille ruinée qui avait perdu son outil de production. Mais en échange, nous avons gagné en liberté et n’avons plus la contrainte de devoir sauvegarder des dizaines d’emplois.»
Lip de retour à Besançon La grande différence chez la marque la plus connue de l’histoire de Besançon, c’est que l’assemblage se fait à nouveau à Besançon, après des années de production chinoise. Certes, les boîtiers sont asiatiques et les mouvements mécaniques japonais, puisque la France n’a (pour l’heure) que peu à offrir en la matière. Pour y pallier, Lip a mis en route le projet de ressortir de terre un calibre mécanique qui avait existé dans le passé, en collaboration avec un sous-traitant. «Nous sommes en train de réaliser beaucoup d’ouvertures de points de vente, en particulier à Paris et dans la région Franche-Comté, explique Philippe Bérard, le nouveau propriétaire. Certains trouvent que nous allons presque trop vite, avec la relance de nombreux modèles iconiques comme Henriette, De Gaulle, Himalaya ou Nautic-Ski. Mieux vaut en effet décanter un peu plus à l’avenir. Globalement nous avons une bonne implantation en France et des
«Il y a un engouement paradoxal de jeunes branchés pour les collections Lip. Nous fonctionnons beaucoup sur la nostalgie, mais on doit en sortir.»
commandes très importantes provenant du Japon.» En 2016, Lip a produit plus de 30'000 montres. «Le modèle Henriette en particulier est une bonne surprise. Avec son nom nostalgique, c’est un succès auprès des hipsters. Il y a un
engouement paradoxal de jeunes branchés pour les collections Lip. Nous fonctionnons beaucoup sur la nostalgie, mais on doit en sortir.» Philippe Bérard, qui connaît la région comme sa poche, a su faire le dos rond pour survivre: «Pendant une longue période, on n’a parlé que d’entreprises qui fermaient par ici. Aujourd’hui, il n’y en a presque plus, donc au moins on ne fait plus face à cette série de fermetures qui pesait sur le moral. Il y même a un petit frémissement. Les acteurs de la région font de leur mieux. Mais nous restons des nains en termes de capacités. A mon sens il faut aller dans la production automatisée 4.0 pour rapatrier la production ici, comme dans l’industrie automobile.»
«Depuis les grandes «guérillas» marketing des marques suisses dans les années 2000, il y a une forte demande à l’international pour du Swiss made, poursuit Maxime Herbelin. Nous avons fait comme tout le monde et nous sommes déplacés à 10 kilomètres d’ici, de l’autre côté de la frontière. Mais aujourd’hui, le Swiss made a moins d’impact. Nous ne perdons pas 50% de notre chiffre d’affaires parce que l’on n’est pas Swiss made et nous nous affirmons vraiment français, hors de toute schizophrénie. Nous avons redéfini notre communication autour de la France. Nous nous sentons un peu seuls dans la région mais nous sommes fiers d’être les derniers survivants.»
Michel Herbelin, le rescapé
Saint-Honoré, repli en Suisse
La marque Made in France fondée en 1947 est une perle rare: c’est la seule qui a vécu une histoire sans interruption dans la région depuis ses origines. Elle est d’ailleurs toujours en mains familiales aujourd’hui.
Contrairement à Herbelin, son voisin historique à Charquemont, la marque Saint-Honoré a décidé de passer au tout Swiss made et d’établir sa production de l’autre côté de la frontière, à La Chaux-de-Fonds.
Comment l’expliquer? «Nous avons anticipé l’essor du quartz mais surtout nous avions la volonté de devenir une «vraie» marque avec une image forte autour du fondateur, répond le directeur marketing Maxime Herbelin. Nous produisons à 80% du quartz, car nous avons la particularité de vendre une majorité de montres féminines.» Les deux modèles-phares sont le Newport pour l’homme, et l’Antarès pour la femme. Tous les mouvements sont suisses, Herbelin se fournissant chez Ronda, ETA ou encore Sellita. La marque produit entre 80'000 et 90'000 pièces par an (et jusqu’à 300'000 dans les années 1960), pour un prix moyen compris entre 300 et 1'000 euros. La France absorbe la moitié des ventes.
Comme chez leurs voisins, les collections sont principalement féminines, à des prix situés entre 400 et 2'000 francs. Mais une différence permet sans doute d’expliquer la stratégie de la marque: quelque 80% des ventes se font hors de France, où le label Swiss made constitue un avantage comparatif. «Nous avons un nom parisien mais sommes Swiss made, souligne Thierry Frésard, qui représente la quatrième génération au sein de l’entreprise familiale. A Charquemont, en France, notre siège historique, nous produisons les accessoires et gérons la distribution sur les marchés européens. Notre modèle bestseller est l’Opéra et notre spécificité est l’interchangeabilité des bracelets.»
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DOSSIER BESANÇON
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L’«architecte-horloger» Alain Silberstein a notamment été l’un des premiers à utiliser les couleurs primaires – rouge, bleu, jaune – bannies par tous les autres horlogers.
Alain Silberstein: propos d’un visionnaire de toujours par
Pierre Maillard
Si les collectionneurs japonais les plus pointus ou les aficionados de Singapour ou d’ailleurs connaissent le nom de Besançon, c’est sans aucun doute «la faute» à Alain Silberstein. Mais pour autant, ce créateur horloger et franc-tireur est trop indépendant pour se faire le porte-parole d’une région d’où il rayonnait mais qui n’a jamais été organiquement liée à son propre travail horloger. Aujourd’hui, Alain Silberstein a mis sa marque en veilleuse mais il reste aux yeux de tous les connaisseurs PUBLICITÉ
comme un des pères fondateurs de la «nouvelle horlogerie». Un terme qui n’existait pas encore en 1987 quand il a présenté ses créations pour la première fois à Bâle. Un choc! Un choc esthétique, l’apparition d’un design encore jamais vu avec ses épaisses montres rondes, l’utilisation de couleurs primaires – rouge, bleu, jaune – bannies par tous les autres horlogers, et un choc technique, avec l’introduction de tourbillons qui étaient alors réservés à quelques rares maisons hyper traditionnelles. «L’architecte-horloger», comme il se définissait, a secoué une horlo-
gerie encore endormie et a ouvert la voie à toutes les expérimentations, démontrant qu’il était possible d’adapter la mécanique, devenue techniquement obsolète, à la modernité la plus pointue. Que pense aujourd’hui ce visionnaire de la situation de l’horlogerie, confrontée à une crise qui s’apparente à un changement de paradigme? «Les Suisses ont fait une erreur en voulant créer des montres globales, identiques pour le monde entier, alors que c’est une approche locale qu’il faut privilégier, comme je l’avais fait à l’époque pour le Japon, où j’ai eu
jusqu’à 22 boutiques. Mais ceci dit, il y aura toujours des produits industriels et des produits d’artisans, un peu comme dans la haute couture ou dans le vin, comme on le voit avec les «vins de garage». Mais la difficulté aujourd’hui pour les horlogers indépendants est qu’il n’y a plus de distributeurs indépendants. L’horlogerie vivait des commerçants indépendants, de partenaires qui connaissaient physiquement leur marché. Aujourd’hui, pour les créateurs indépendants, il n’y a à travers le monde plus qu’une dizaine d’interlocuteurs dignes de ce nom. Ceci dit, j’observe avec beaucoup d’attention ce qui se passe dans le crowdfunding. Je trouve ça beaucoup plus sain que de travailler avec des financiers et des intermédiaires. Le crowdfunding instaure une forme de co-création, un partage d’idées et d’envies. Preuve en est le nombre incroyable de nouvelles propositions qui naissent d’un peu partout alors que tout le monde n’a que le mot crise en bouche. L’envie d’horlogerie est là, forte, menée par des jeunes gens.
Un autre phénomène marquant me semble être la disparition de la notion de marque au profit de la notion de produit, de création de collections capsules. On vit une période tourmentée et passionnante. Nombre de marques n’ont pas encore perçu que leur clientèle vieillissait en même temps qu’eux. Tous les schémas sont bouleversés. Un Amazon, par exemple, qui déboule dans le marché du luxe en prenant des marges de 12% risque de bouleverser beaucoup de choses. Il met à mal la multiplication des marges par 7 ou 8 comme le pratiquent encore les grandes marques. La notion de service revient au premier plan, alors qu’elle a été largement délaissée au cours de la folie mercantile des dernières décennies. Et puis stylistiquement, ce que je trouve le plus intéressant c’est une forme de nouveau classicisme qui fait retour, dans le sens d’une harmonie retrouvée entre mouvement et esthétique, qui s’écarte de la période terriblement show-off que nous venons de traverser. On a trop vu de produits dingues qui ne marchaient pas. On revient vers les vraies valeurs horlogères qui autorisent aussi toutes les explorations formelles mais qui le font avec respect: respect du client, des valeurs horlogères, du service.» Quand on lui demande s’il compte revenir en horlogerie, il répond mystérieusement: «J’aimerais attirer la 3ème génération.» Visiblement, Alain Silberstein n’a pas dit son dernier mot.
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Depuis 1987, Chanel donne de l’allure au temps En 1987 Chanel choisit de se lancer dans l’horlogerie avec la bien-nommée Première. Depuis, bien des choses se sont passées dans l’univers de la montre. En 30 ans, l’horlogerie a changé de statut: d’instrument destiné à indiquer à son porteur l’heure qu’il est avec la plus grande précision possible, la montre est devenue pur objet de plaisir, affirmation d’un style, assertion d’un statut, jouissance esthétique. Il y a 30 ans, Chanel avait déjà pleinement anticipé cette profonde mutation de l’horlogerie. En 30 ans, au fil d’une horlogerie attentive à son allure, d’une horlogerie tournée vers le plaisir, le temps lui a donné raison. Florilège de 30 ans de Temps Chanel.
par
Pierre Maillard
Tout commence avec la Première 1987 – Première inaugurale En 1987, Chanel inaugurait son entrée sur la scène horlogère avec la bien nommée montre Première. En hommage au génie du lieu de sa naissance, elle arborait et arbore toujours la géométrie exacte de la place où elle a été conçue, la célébrissime Place Vendôme. Une place qui joue un rôle central dans l'histoire de Mademoiselle Chanel, qui avait élu domicile dans une suite de l'hôtel Ritz sis Place Vendôme, et dans celle de la maison Chanel, qui y a installé son siège et sa boutique la plus prestigieuse. Avec son boîtier octogonal surmonté d'un verre saphir à pans coupés, la Première, conçue par Jacques Helleu, directeur artistique de l’horlogerie Chanel, calque ainsi très exactement sa forme sur celle de la Place Vendôme. Ses deux aiguilles
bâton si simples d'apparence reprennent l'ombre portée de la colonne Vendôme dressée au centre de la place et tournent sur un cadran dépourvu d’index. Il y a 30 ans, les femmes ont immédiatement plébiscité l’allure de cette montre exclusivement dessinée à leur intention. Ni modèle réduit d’une montre masculine, comme s’en contentaient si souvent les horlogers, ni création de joaillier, la montre Première, sobre mais précieuse, est un objet de plaisir dont la seule fonction horaire s’efface poliment au profit de la beauté et de l’allure.
30 ans de métamorphoses Au cours de ses deux premières décades, la Première s’épanouit. Tout en conservant son inimitable allure, elle multiplie ses métamorphoses, joue avec l'or blanc ou l'or jaune, la céramique ou l'acier, se mélange avec hardiesse.
Rarement aura-t-on vu le boîtier d'une montre si fine et délicate, si reconnaissable à son architecture inspirée, se laisser à ce point transfigurer. Et jamais montre n'aura laissé s'exprimer à ce point les potentialités créatives d'un bracelet. Semblable à un souple lien, fin et délicat comme un de ces rubans qu'aimait Mademoiselle Chanel, le bracelet de la montre Première se fait tour à tour chaîne tressée de cuir et d'or jaune, ou de caoutchouc et d'or gris, perles de culture Akoya montées sur un fil en or gris, cascade de diamants, enfilade d'anneaux octogonaux alternant noir et blanc, maillons de céramique blanche enserrés entre des maillons d'or jaune, ou de céramique noire et d'or gris, jeux de miroir entre l'acier et la céramique, le caoutchouc et le diamant... A l’occasion de ses 20 ans, la montre Première se décline dans une subtile version perles, plus petite et plus précieuse. Mais ce n’est là qu’un de ses nombreux avatars et ses jeux formels vont se poursuivre. Pour ses 25 ans, elle va connaître un véritable feu d’artifices. Dotée d’un cadran laqué noir et montée sur une chaîne d’une souplesse étonnante mais dont les maillons sont puissamment dessinés, elle va arborer une toute nouvelle allure. En acier, en or jaune ou en or blanc intégralement sertis, ces maillons soulignent avec force la forme devenue désormais intemporelle de son boîtier octogonal. Mais elle va aussi s’aventurer dans le monde fascinant des complications horlogères à qui elle va offrir un écrin incomparable.
La saga J12 B 2000 | J12 noire Un changement de paradigme
et d’insensibilité aux griffures et aux atteintes du temps rendent enfin ce noir pérenne. Mais plus fondamental encore, la céramique noire de la J12 intensifie l'architecture si fermement dessinée de la montre, souligne et amplifie la vigueur de ses lignes sportives. Nouvelle matière noble, le noir de la céramique high-tech développée par Chanel pour la J12 allait s'imposer dans le panthéon des matériaux de prédilection de l'horlogerie. D’autant plus qu’en se mariant progressivement avec des inserts d'or, avec des diamants et des pierres précieuses, voire, comble de l'intensité, avec un pavage baguettes en céramique noire, la J12 ouvrira de somptueux nouveaux champs créatifs. C 2003 | J12 blanche Un tabou vaincu
Au tournant du siècle, Chanel lance une autre montre qui va faire date, la J12. On peine à imaginer aujourd’hui le choc représenté par cette montre, élue unanimement « première icône horlogère du XXIème siècle». Car c’est la première montre à oser métamorphoser la céramique high-tech en matière noble. C’est une véritable révolution stylistique, un changement de paradigme. Jusqu'à la première sortie de la J12 en habits noirs, le noir n'avait encore jamais réussi à s'imposer durablement en horlogerie. Le noir intense de la céramique ne résultant pas d'un traitement de surface mais étant pris dans la masse de la matière elle-même, il en devient consubstantiel. Ses incomparables qualités de résistance
Trois ans plus tard, nouvelle annonce qui surprend et étonne, Chanel annonce la sortie en grande tenue blanche de sa déjà célèbre J12. Aucun minéral ni aucun alliage n’est aussi intensément blanc. Et de fait, jusqu’à l’apparition de la J12 de céramique blanche, le blanc était devenu presque tabou en horlogerie. Mais la transgressive J12 va imposer ce blanc dont Mademoiselle Chanel disait que, comme le noir, «le blanc tient tout!». Il va à l’essentiel de la forme et souligne l’architecture vigoureuse de la J12. Son éclat si particulier qu’on pourrait le qualifier d’éclat intérieur, et le soyeux de son polissage lui confèrent une magie remarquable. Sa propension à se mélanger en toute harmonie avec les métaux les plus précieux, or et diamants, crée des accords de matière étonnants et des jeux de lumière à nuls autres pareils.
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ramiques noires ou blanches (car le titane qui entre dans sa composition est un des métaux les plus légers qui soit, environ 60% de la masse volumique de l'acier) mais de 25% encore plus dure, tout aussi biocompatible, la céramique Chromatic concentre l'ensemble des technologies et des savoir-faire acquis par Chanel dans ce domaine de pointe si sensible et si spécifique.
D D 2004 | J12 Editions Exclusives
Précieuses rencontres
Dès 2004, Chanel lance des éditions limitées de la J12 serties des plus belles pierres taille baguette. La rencontre entre la céramique, un matériau composite de haute technologie, et la transparence absolue du diamant, le rouge si intense du rubis, le vert de l’émeraude, le rose, le bleu ou le cognac des saphirs produit d’exceptionnels effets et des accords aussi innovants que fascinants. Ces jeux de contrastes provoquent une véritable rupture stylistique et offrent de nouvelles pistes créatives. Discrètement pavée autour de sa lunette ou intéGRÖNEFELD gralement 1941 rayonnante d'un sertisREMONTOIRE sage baguette, la J12 démontre ain-
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si l'étendue de sa versatilité. Toujours différente mais toujours elle-même, elle parvient à démultiplier ses effets et continue à construire une véritable légende stylistique. E 2009 | J12 Noir Intense Haute Joaillerie céramique
Cette légende stylistique prend une nouvelle dimension avec une première mondiale réalisée en 2009! La J12 Noir Intense pousse la logique de la céramique jusque dans ses derniers retranchements, la transformant en matière précieuse technologique. Contrairement à la haute joaillerie qui joue des reflets de la lumière pour la renvoyer avec le plus de bril-
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lance possible, la céramique absorbe la lumière, la capture dans le noir intense de sa matière. Une matière travaillée à la façon des lapidaires. 724 petits blocs de céramique ont été taillés en baguette avec les mêmes procédés que s'il s'agissait de diamants (la dureté de la céramique approche celle du diamant) et artisanalement sertis sur le bracelet en or blanc 18 carats (502 baguettes), la lunette en or blanc (48 baguettes), la carrure en or blanc (78 baguettes), le cadran en or blanc (96 baguettes). La couronne est en or blanc, ornée d'un chaton en céramique. Le résultat de cette montre qui sublime la céramique est stupéfiant à la fois par sa force graphique exceptionnelle qui souligne l'archi-
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tecture de la pièce, par l'intensité de sa lumière noire et par sa douceur au porter. F 2011 | J12 Chromatic L’invention d’une nouvelle couleur
Après la céramique du noir le plus intense qui soit, puis la céramique du blanc le plus pur et le plus limpide, Chanel introduit rien moins qu’une nouvelle couleur: la céramique Chromatic. C'est une céramique high-tech d'un nouveau genre, une céramique de titane, l'aboutissement d'une longue recherche technologique. Elle offre une couleur proche du titane ou de l’or blanc mais dont l’éclat est véritablement unique. Plus légère encore que les autres cé-
G 2016 | J12 XS Excessivement petite, excessivement forte, excessivement féminine
D’ordinaire, le bracelet est considéré comme un «accessoire», simple prolongement de la montre. Avec la J12 XS, Chanel renverse la proposition. Ce qu’on remarque tout d’abord, c’est le bracelet ou, plus exactement, la manchette, la mitaine ou le bracelet de force sur lequel elle se présente. En elle-même, la J12 XS est, comme son nom l’indique, excessivement petite: 19 mm. Mais montée sur son bracelet de force ou sur sa manchette simple ou découpée en lanières, elle devient excessivement forte tout en étant excessivement féminine. Comme le lui fait joliment dire Chanel, «je ne donne pas l’heure, je l’offre à ceux qui m’assument du regard». Quand le bracelet sublime la montre!
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Magnifier les métiers d’art
30 ans de Belle Horlogerie
H 2012 | Mademoiselle Privé Coromandel L'univers de Gabrielle Chanel sur un cadran
«Mademoiselle Privé», ces deux mots pleins de mystère figuraient sur la porte de l’atelier de Gabrielle Chanel, rue Cambon à Paris. Telle une formule magique, le nom de cette collection ouvre les portes de l’imaginaire de la Maison, riche en symboles et en décors enchanteurs. Elle devient l’écrin privilégié des métiers d’art, tels que l’émaillage, la gravure et le sertissage, à travers une collection de pièces uniques et exclusives. Inspirées par les panneaux en laque de Coromandel que chérissait tant Gabrielle Chanel, les montres de la collection Mademoiselle Privé Coromandel s’inspirent avec fidélité de leurs décors somptueux. La rondeur de la boîte épurée, ornée d’un serti neige d’une grande délicatesse, et son cadran en émail Grand Feu sont conçus pour mettre en valeur le tableau unique réalisé en miniatures émail Grand Feu qui pare chaque modèle. «J’ai cru m’évanouir de bonheur quand, pour la première fois, en entrant chez un marchand chinois j’ai vu un Coromandel…», confiait Gabrielle Chanel. C’est cette même émotion que cherche à transmettre chaque modèle de Mademoiselle Privé Coromandel. I 2013 | Mademoiselle Privé
Camélia Brodé Horlogerie et broderie
C’est un autre métier d’art, la broderie, rarement si ce n’est jamais vu en horlogerie, que célèbre Chanel en 2013 avec la collection Mademoiselle Privé Camélia Brodé. Mais quoi de plus logique pour une Maison de Haute Couture que de confier aux célèbres ateliers Lesage, qui appartiennent désormais à Chanel, le soin de marier l’aiguille et la loupe d’horloger. Pour la première fois, l’exper-
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tise des brodeuses est employée à la création d’un cadran de montre. Réalisé à l’aide de fils de soie de couleurs, selon la technique de la «peinture à l’aiguille», puis dès 2014, avec perles et diamants brodés au fil d’or, chaque cadran est une œuvre unique. A l’image de cette montre Mademoiselle Privé Camélia Brodé qui, juste reconnaissance envers le geste si méticuleux et si précis de la brodeuse, a permis à Chanel de remporter son deuxième Grand Prix d’Horlogerie de Genève.
Dans le monde des complications J 2005 | J12 Tourbillon Entrée en Haute Horlogerie
Outre ses nombreuses métamorphoses esthétiques, la J12 Tourbillon va permettre à Chanel de faire son entrée dans la haute horlogerie. Pour cette incursion inaugurale dans un domaine réservé, Chanel présente en 2005 la première grande complication en céramique de l’histoire de l’horlogerie. En effet, pour la toute première fois, la platine d'un mouvement, cette base sur laquelle toute la délicate architecture mécanique vient se positionner avec des tolérances de l'ordre du 1/100ème, est réalisée en céramique. En-soi, c’est déjà une performance technique. Mais, visible à
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travers le fond saphir de la boîte, cette platine céramique, si pure et si essentielle, est aussi une première esthétique, donnant à elle seule une allure unique à la J12 Tourbillon. De plus, le pont supérieur de la cage du tourbillon a été réalisé en verre optique, ce qui procure au mouvement tourbillon une profondeur étonnante, et le pont du tourbillon a été taillé dans de l'or gris, reprenant les lignes pures des aiguilles de la montre. Cette association inédite de céramique, de verre optique et d'or gris dans une J12 aussi profondément horlogère que d'allure sportive signe une esthétique ultra contemporaine. Une édition très limitée composée de 12 pièces en céramique blanche et de 12 pièces en céramique noire. K 2010 | J12 Rétrograde
Mystérieuse Complication inédite
Mais deux ans plus tard, avec la très exceptionnelle J12 Rétrograde Mystérieuse, Chanel va plus loin encore dans la haute complication horlogère. Créée et réalisée en collaboration avec le concepteur horloger et constructeur de pointe et d'avant-garde Renaud et Papi, cette très singulière J12 est à la fois techniquement innovante et stylistiquement inédite car, dépourvue de couronne latérale, elle est d’une parfaite rondeur qui lui confère une allure tout à fait inédite. Equipée d’un tourbillon, elle comporte une disposition véritablement unique en son genre: sa couronne de céramique traverse verticalement le verre saphir et est escamotable par simple pression. Mais, direz-vous, sa présence empêche dès lors l'aiguille des minutes de poursuivre normalement sa course tout autour du cadran! Cet obstacle voulu a donné naissance à une lecture de l'heure qui ne s'était encore jamais rencontrée. A la dixième minute de l’heure, l’aiguille des minutes arrivée à la hauteur de «l'obstacle» formé par la couronne verticale, inverse sa rotation et se met à tourner dans le sens anti-horaire. Pendant dix minutes, elle va ainsi cheminer à l'envers pour rejoindre sa position classique à la
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vingtième minute, de l'autre côté de la couronne verticale, d'où elle reprendra sa course normale. Pendant les dix minutes de cet épisode rétrograde, on ne perd pas pour autant la lecture de la minute exacte car on peut lire chaque minute écoulée sur un disque chiffré de 11’ à 19’, visible à travers un guichet-loupe. Du jamais-vu. L 2012 | Première Tourbillon Volant Complications au féminin
Avec la mystérieuse et poétique Première tourbillon Volant, Chanel va offrir pour la première fois aux femmes l'opportunité d'entrer dans le monde extraordinaire des hautes complications mécaniques. Transfigurée en camélia, la fleur préférée de Mademoiselle Chanel, la cage de ce tourbillon volant tourne magiquement au-dessus d'un très pur cadran de céramique. Entre les battements de la fleur, l'œil entraperçoit la complexité des éléments qui composent le mécanisme du tourbillon volant. L'entrelacs des pétales du camélia est taillé dans du métal et le cœur des pétales est empli d'une très légère et fine résille arachnéenne semi-transparente qui donne à la fleur sa délicate texture. Au centre de la fleur étagée, trône un cabochon orné de diamants brillant. Ce camélia accomplit une rotation par minute, les pétales indiquant dès lors l'écoulement des secondes. Les fines aiguilles bâton des heures et des minutes ont été décentrées et étincellent plus haut sur le cadran. Elles ont été légèrement rehaussées car elles doivent passer au-dessus du camélia. Elles ont été aussi serties de diamants, ce qui représente un petit exploit en-soi, vu leur taille minuscule et la minutie de leur montage. Avec cette pièce exquise, qu’elle seule pouvait concevoir, Chanel obtient en 2012 son premier Grand Prix d’Horlogerie de Genève.
En 30 ans d’aventure horlogère, Chanel aura abordé tous les métiers qui concourent à ce qu’on peut nommer la Belle Horlogerie. Elle lui aura apporté son allure particulière: une horlogerie conçue avant tout comme un objet de plaisir, hautement esthétique, sans pour autant ne rien céder sur la grande expertise technique et artisanale nécessaire à la création d’objets précieux prêts à défier le temps. Le Temps Chanel s’est naturellement déployé au long d’un fil directeur et d’un savoir-faire créatif que l’on retrouve dans chacune de ses montres, aussi différentes soientelles. Une cohérence sans faille qui trouve tout naturellement sa source dans l’extraordinaire legs laissé par Gabrielle Chanel. Une aventure horlogère qui se poursuit et s’amplifie plus que jamais comme en témoignent deux des dernières réalisations de Chanel… M 2015 | Boy-Friend Détourner les codes masculins
En son temps, Gabrielle Chanel avait choqué ses contemporains en détournant au profit des femmes – et de leur libération - des éléments du vestiaire masculin. Avec le lancement d’une nouvelle ligne à l’allure inédite, la Boy-Friend, Chanel emprunte la même voie. Pleinement inscrite dans le vocabulaire horloger de la Maison - sobriété, pureté, absence d’index, lignes affirmées, esthétique raffinée – la montre Boy-Friend reprend la forme octogonale qui rappelle l’iconique Première (inspirée elle-même à la fois de la place Vendôme et du bouchon du flacon du No 5). Mais avec son architecture marquée et ses angles polis et satinés, elle arbore une allure masculine… totalement dédiée aux femmes. Bousculer les codes classiques de l’horlogerie n’est-il pas inscrit dès son origine dans le Temps Chanel?
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CHANEL
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2016-2017 | Monsieur Technique et esthétique d’un même geste A l’occasion de ses 30 ans d’horlogerie, Chanel a tenu à marquer encore plus fortement son appartenance de plein droit à la Haute Horlogerie masculine. En ce sens, la nouvelle montre Monsieur est un véritable manifeste démontrant comment esthétique et technique peuvent être intrinsèquement liées. Extérieurement, Monsieur possède cette allure reconnaissable entre mille: une élégance incomparable dotée d’un fort caractère. Dans son boîtier de 40 mm rond, pur, essentiel, la montre Monsieur se présente
comme nulle autre. Sous sa glace box en saphir légèrement bombée, se lit une heure digitale à saut instantané qui apparaît dans un guichet octogonal rappelant l’architecture de la place Vendôme; une minute rétrograde de grande amplitude qui offre une lecture parfaite et une petite seconde inscrite dans un entrelacs de cercles qui rappelle le double CC emblématique de Chanel. A l’envers de la montre, on découvre l’exceptionnel Calibre 1 qui l’anime. Exceptionnel par sa forme inédite composée d’un élégant jeu de cercles,
il l’est aussi car c’est le premier mouvement mécanique intégralement pensé et dessiné par le Studio de Création Horlogerie de Chanel et développé, construit et assemblé dans les divers ateliers horlogers de Chanel. Magnifique jeu parfaitement épuré de roues et de ponts circulaires squelettés, au point que la montre pourrait être présentée uniquement de dos, ce mouvement squeletté noir et gris anthracite allie une grande technicité à une architecture d’une élégance unique en son genre. Exclusivement dédié à la montre
Monsieur, ce calibre mécanique à remontage manuel à double complication intégrée a nécessité 5 ans de développement. Avec son heure sautante instantanée et sa minute rétrograde – une double prouesse horlogère – et ses deux barillets montés en série, elle offre une réserve de marche de 3 jours. En 2017, la montre Monsieur apparaît en platine avec un cadran en émail noir, dans une série limitée de 100 pièces. Une allure exceptionnelle. Rendez-vous dans 30 ans…
INNOVATION
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Attaque frontale aux fondamentaux Attention: avec l'entrée en scène de la DR01 TWELVE FIRST, une révolution est en marche qui risque bien de bouleverser pas à pas tous les fondamentaux de l'horlogerie mécanique traditionnelle. Dominique Renaud est de retour… par
Pierre Maillard
Dominique Renaud et Luiggino Torrigiani, bien que tous deux lestés d'une fort solide et longue expérience, sont enthousiastes, vifs, emportés par leur propre projet comme des étudiants qui lanceraient une prometteuse start-up. Pas de hasard donc si on les trouve nichés au cœur d'un plateau technologique, pépinière de start-ups et d'ateliers pédagogiques aménagée dans les anciennes et gigantesques imprimeries IRL, à Renens, près de Lausanne. Les deux hommes ont leur repère au bout d'un couloir. Poussée la porte de leur labo, on change de monde. On se retrouve soudain dans un vrai atelier d'horlogerie à l'ancienne. Mais ça n'a rien d'un décor. Il y a là toutes les machines et tous les outils conceptuels qui permettent à un horloger aussi doué que Dominique Renaud de tout faire d'une montre avec ses mains et avec sa tête. «Je vois en 3D depuis mon enfance» dit-il avec un sourire comme s'il s'en excusait. «C'est vrai, acquiesce Luigino Torrigiani, il plonge en pensée dans un mouvement, passe entre les rouages, va observer de plus près le frottement d'un axe.» On imagine sans peine qu'il a fallu à Dominique Renaud nombre de tels voyages mentaux en 3D pour parvenir à concevoir spatialement la DR01 TWELVE FIRST. «DR» pour Dominique Renaud, bien sûr, et «TWELVE FIRST» parce que c'est le premier étage d'une fusée à douze étages destinée à s'attaquer pour de bon aux fondamentaux de l'horlogerie mécanique. A commencer par son cœur, l'inamovible balancier-spiral, qui pourrait bien un jour se voir détrôné.
Un «résonateur à couteau à pivotement spatial» «Je veux ouvrir de nouvelles voies à la mécanique horlogère et avec la DR01, je sais qu'il est désormais devenu possible de conjuguer précision accrue et réserve de marche exponentielle», explique-t-il. Mais pour mieux comprendre les forts enjeux de cette quête horlogère, plongeons un peu dans la mystérieuse DR01 aux allures de vaisseau surgi d'on ne sait où, et commençons par le début. La loi mécanique dit que pour son efficience optimale, le balancier doit être le plus léger possible
et son pivot le plus minuscule possible afin d'en perturber la marche le moins possible par ses frottements. Aujourd'hui, dans un oscillateur traditionnel, le pivot de balancier mesure environ un dixième de millimètre. Au-dessous de cette taille, il risquerait de se rompre. Le pivot de
faut récurrent de l'échappement à détente: sa sensibilité aux chocs qui lui font sauter une impulsion et le dérèglent. Dominique Renaud y a paré en montant un système de sécurisation avec une glissière. Dernière innovation de ce mouvement qui en comporte de nombreuses et radicales, la roue de seconde, placée verticalement, fait office de seconde morte traînante naturelle. Quant au reste, au train de rouages et au barillet, rien que du traditionnel. Mais Dominique Renaud prévient: il s'attaquera aussi à la source et à la chaîne de transmission de l'énergie. Mais ce sera plus tard, pour un autre étage de sa «fusée».
n'est pas de construire une marque supplémentaire mais de proposer au cours des années qui viennent douze différents prototypes de la DR qui s'attaqueront à tous les fondamentaux mécaniques jugés jusqu'à aujourd'hui intangibles et démontreront pas à pas les étonnantes potentialités de ce nouveau type de régulation. «A l'industrie de s'en saisir, nous délivrerons des licences», avance Luiggino Torrigiani. Car au bout de cette recherche de pointe, le but est bel et bien de parvenir à industrialiser cette nouvelle approche horlogère. «Nous avons volontairement choisi de travailler notre premier proto-
type avec un très gros balancier afin de révéler visuellement la force du concept. Mais le deuxième prototype sera au contraire très plat, histoire de démontrer ses étonnantes potentialités.»
Une œuvre d'art La DR01 TWELVE FIRST se présente telle une œuvre d'art, encapsulée dans un tube de saphir rotatif non pas classiquement emboîté mais maintenu dans une arche qui forme un C anguleux et futuriste. Avec le doigt, on peut faire tourner librement le tube de saphir et admirer sous toutes ses faces le corps et le cœur battant de la montre. Là aussi, c'est du jamais vu, comme une sorte de Reverso spatiale tournant à 360 degrés. Le mode de production et de financement de cette aventure hors du commun est également inédit. Les deux hommes travaillent non pas avec des «sous-traitants» mais avec un ensemble de «co-traitants» qu'ils se plaisent à nommer et à mettre en avant. La même logique préside au financement: chacun des douze différents prototypes de la «fusée» est et sera préempté par un collectionneur qui, pour la somme de 1 million de francs suisses, pourra le personnaliser à sa guise. Une somme énorme, penserez-vous! Certes, mais justifiée non seulement par l'intense effort de R&D nécessité pour chacun des prototypes, mais aussi parce qu'il aura entre ses mains un exemple unique au monde d'une des étapes d'une véritable révolution en marche. Haut: le traditionnel échappement avec balancier-spiral. Bas: l'échappement à détente à coups perdus avec le résonnateur à couteau à pivotement spatial.
l'échappement de la DR01 mesure quant à lui dix fois moins, soit un centième de millimètre! Et il est incassable. Ce microscopique «pivot spatial» incassable peut recevoir un lourd «balancier» à très haute inertie mais dépourvu de spiral remplacé par un «résonateur à couteau à pivotement spatial». Deux, voire trois ou quatre lames très affûtées vibrent en harmonie sur des rubis sphériques entaillés, avec un frottement minimal et donc avec une déperdition d'énergie dérisoire. L'arbalète qui maintient les lames affûtées fait office de spiral. Le balancier, vingt fois plus lourd qu'un balancier traditionnel, pivote librement, animé par un échappement de type détente libre à impulsion directe dit «à coups perdus». Ici en dix alternances, il donne une impulsion et neuf coups perdus. Ce qui signifie qu'on peut dès lors travailler à hautes voire très hautes fréquences. Mais encore fallait-il pallier un dé-
Construire une fusée Les avancées proposées par cet ensemble micro-pivot incassable, résonateur à couteau à pivotement spatial et échappement à détente à coups perdus sont nombreuses et peuvent être véritablement qualifiées de révolutionnaires. Une nouvelle phase s'ouvre pour l'horlogerie mécanique. Avec une amplitude cumulée de 340 degrés entre chaque impulsion, avec une fréquence record «atteignant facilement» 12Hz (84'600 alternances/h), avec sa très faible consommation d'énergie et sa durée de marche «sans précédent» (on parle ici en semaines…), avec enfin ses performances chronométriques superlatives, la DR01 TWELVE FIRST ouvre un nouveau chapitre. Mais ce n'est que le premier chapitre d'un nouveau livre. L'ambition conjuguée de Dominique Renaud et de Luiggino Torrigiani
DOMINIQUE RENAUD et LUIGGINO TORRIGIANI se sont rencontrés par hasard à cause d'une bouteille d'huile d'olive exceptionnelle. Petit-fils d'un horloger de la Vallée de Joux, fils d'un père et d'une mère tous deux horlogers, Dominique Renaud à l'horlogerie dans le sang. Et depuis toujours l'ambition de pousser ses recherches au plus loin. Il l'a amplement démontré en fondant Renaud & Papi (qui désormais appartient majoritairement à Audemars Piguet), véritable pépinière de toute la nouvelle horlogerie la plus créative. Désireux de prendre le large, Dominique Renaud se retire pendant vingt ans dans le sud de la France mais y poursuit en solitaire ses recherches. Il est prêt à revenir sur le devant de la scène avec son projet révolutionnaire quand il rencontre Luigi Torrigiani venu en vacances dans la région où il habite. Ingénieur, entrepreneur multi-casquetes (il a aussi occupé de hautes fonctions dans le domaine des organisations sportives internationales), Luigi Torrigiani na pas peur des challenges hors du commun: il a notamment joué un rôle clé dans le lancement de l'incroyable aventure de l'avion solaire Solar Impulse au poste de directeur du marketing et du sponsoring jusqu'en 2010. Parfaitement complémentaires, les deux hommes étaient faits pour se connaître: à peine deux ou trois semaines après leur rencontre, ils décidaient de travailler ensemble. GIRARD-PERREGAUX LA ESMERALDA TOURBILLON
INNOVATION
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DOMINIQUE RENAUD DR01 TWELVE FIRST SAPPHIRE GREEN
DOMINIQUE RENAUD DR01 TWELVE FIRST CERAMIC WHITE
AUDEMARS PIGUET ROYAL OAK CONCEPT SUPERSONNERIE
VENTE AUX ENCHÈRES
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Ventes aux enchères horlogères: vers la polarisation des prix
des pièces à la hausse. Cette opération leur garantit une augmentation intrinsèque de la valeur des montres déjà en leur possession, mais également parfois une position dominante leur permettant, comme le veut l’expression consacrée, de «faire le marché».
«Tout ce qui est beau est cher», tel pourrait être l’adage du marché actuel de la montre de collection. Mais au-delà des adjudications record des lots exceptionnels, une double tendance se dessine clairement: le premium et le reste. par
Des prix fluctuants et des nouveaux territoires de collection
Marco Gabella, éditeur et
co-fondateur de watchonista
Toute la planète horlogère le sait, tant les médias spécialisés en ont parlé avant, pendant et après: sous le marteau du commissaire-priseur Aurel Bacs, la maison Phillips a adjugé en novembre dernier à Genève une Patek Philippe Réf.1518 en acier pour plus de onze millions de francs suisses (commission comprise). Un record mondial pour une montre-bracelet. La présence dans un catalogue de vente d’une pareille référence, dont seulement quatre exemplaires sont connus du marché, assurait de facto les conditions d’une adjudication historique. Si ce prix est un nouveau record à battre, il y a fort à parier qu’il ne sera pas le dernier.
L’exception a le prix que l’on veut bien lui donner En effet, les lots premium, à savoir les pièces les plus rares, proposées dans leur état d’origine et avec pedigree, ne cessent de voir leurs cotes respectives revues à la hausse lors de chaque nouvelle mise en vente. Cette tendance a déjà été observée dans le marché de l’automobile de collection, lequel connaît une valorisation de plus en plus importante des véhicules dans leur état d’origine. Le récent 50ème anniversaire de la Lamborghini Miura et l’attention portée autour de ce modèle illustre
une structure des prix à deux vitesses. Alors que les voitures qui ont su arriver jusqu’à nous dans leur jus originel crèvent le plafond tant en estimation potentielle qu’en vente, celles dans un état légèrement inférieur ne connaissent pas pareil destin, même si leur cote continue de monter. Au delà de la rareté des lots, d’autres facteurs expliquent, tant pour l’automobile que pour la montre de collection, cette tendance haussière des prix du premium. A commencer par le nombre d’acheteurs, lequel ne cesse d’augmenter, engendrant mécaniquement une hausse des prix de vente par le jeu de l’offre et de la demande. Cette inflation avérée du prix de l’exceptionnel a également
Vendue pour 11'002'000 CHF. Rare et historiquement importante montre-bracelet PATEK PHILIPPE, en acier inoxydable, chronographe à calendrier perpétuel avec phases de lune, échelle tachymétrique. Manufacturée en 1943 et vendue le 22 février 1944. Seule montre parmi les quatre exemplaires connus à n'être jamais apparue en ventes aux enchères. Les trois autres exemplaires appartiennent à des collections privées.
attiré sur le marché de nouveaux acteurs en quête de valeurs refuges dans un monde où l’investissement est incertain. Enfin certains collectionneurs ou marchands possédant suffisamment d’exemplaires d’un modèle rare ou d’une spécialité recherchée, comme par exemple les cadrans en émail cloisonné, ont tout intérêt à acquérir
Phénomène pervers de la focalisation de l’attention sur l’exceptionnel, ces montres hors normes ont tendance à faire de l’ombre à des références qui dans des temps ordinaires seraient mieux appréciées par le marché. Un collectionneur émérite me confiait dernièrement avoir acquis lors des ventes de novembre trois pièces remarquables dans la fourchette basse de leurs estimations initiales. Il est donc possible de réaliser encore des achats intéressants sur un marché qui cherche à faire le tri entre l’exception et la règle. Enfin, tout comme cela s’est produit dans le marché de l’art, l’augmentation de la demande nécessite le défrichage et la mise en valeur de nouveaux territoires de collection pour répondre à l’offre grandissante. A la façon d’un Ferdinand Hodler passé du statut d’artiste suisse réputé à celui de superstar des catalo-
VENTE AUX ENCHÈRES gues de ventes, une marque comme Universal Genève a vu l’intérêt du marché s’accroître fortement depuis deux ans, propulsant des modèles comme les Tricompax au statut de must have du collectionneur averti. Dernier territoire en vogue, celui des chronographes en acier des années 1950-1960, alors qu’il y a encore peu on leur reprochait d’être quasi tous similaires…
Une bulle?
La question peut donc être posée: dans un marché où les prix prennent l’ascenseur, doit-on s’attendre à l’explosion de ce qui pourrait être une
bulle spéculative? La réponse est incertaine, car jusqu’à preuve du contraire les prix attribués à l’exceptionnel semblent toujours trouver preneur et les appétits apparaissent aussi nombreux qu’aiguisés pour ce type d’objets. Par contre, rien n’est moins certain pour des pièces de moindre importance ayant cependant de façon générale connu une augmentation substantielle de leur valeur tant dans les enchères qu’auprès des marchands spécialisés. A titre de comparaison, la photographie a connu un regain incroyable il y a environ cinq ans en réponse à l’aspect quasi confiscatoire que représentait l’augmentation ver-
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tigineuse des prix sur le marché de l’art. Mais aujourd’hui, il apparaît excessivement difficile, voire improbable, de pouvoir réaliser certaines de ces œuvres ne serait ce qu’au prix d’achat d’il y a cinq ans, le marché ayant depuis lors fait son tri avec plus de discernement. Le même phénomène touchera-t-il la montre?
Estimation 500'000 CHF – 1 million de CHF. Vendue pour 670'000 CHF. Montre ROLEX avec cadran en émail cloisonné représentant un dragon. Ce cadran a été réalisé par une des émailleuses les plus connues de Genève, Mme Nelly Richard, qui a travaillé auprès de Stern pour produire les cadrans des montres Rolex les plus recherchées au monde.
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DOSSIER JEUNE
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Comment reconquérir le poignet des jeunes? L’horlogerie échoue depuis 50 ans à revenir aux poignets des jeunes, à l’exception des montres gadgets, colorées, interchangeables et qui relèvent plus de l’accessoire que de l’horlogerie. Pourquoi? Parce que le rapport des jeunes au temps a considérablement changé. La sociologie s’est emparée du sujet depuis que le jeune est «hyperconnecté», révélant son singulier rapport au temps. L’industrie horlogère, elle, est globalement très en retard sur le sujet. par
Olivier Müller
Le sujet nous hante depuis plusieurs années. Très précisément depuis que Peter Stas nous a confié, en toute transparence, que l’un de ses regrets était de «ne pas avoir su conquérir le poignet des jeunes». Nous étions en 2011. Ce constat, son aveu, est en réalité celui de toute une industrie, depuis sa renaissance mécanique à l’aube des années 1990. Sans que personne ne s’en soit véritablement préoccupé ni ne veuille comprendre pourquoi puisque, jusqu’ici, tout allait bien avec le marché adulte. Jusqu’ici. Aujourd’hui, il est donc temps – urgent? – de se pencher sur la question. Un sujet prospectif sur les jeunes et le temps? Quelle prétention! Les jeunes n’existent pas, le temps non plus. Les premiers sont une catégorie sociolo-
gique fluctuante, le second est perçu différemment par chacun. Il y a un siècle, l’on était jeune à 14 ans parce que l’on mourait à 50. Aujourd’hui, le critère occidental est socio-professionnel: le jeune est celui qui ne s’assume pas encore totalement, qui n’a pas fait son entrée sur le marché du travail. Cette «catégorie-sandwich» du jeune est celle qui a perdu les privilèges de l’enfance sans avoir encore gagné ceux de l’âge adulte.
La fin de la «montre à papa» Age ingrat, dit-on? Sans nul doute, mais pour des raisons qui lui sont extérieures. Le jeune, au sommet de sa forme physique et de ses capacités intellectuelles, est un être en devenir bloqué entre deux tempo-
ralités, celle des libertés de l’enfant et celle des contraintes de l’adulte. Rien d’étonnant, au final, que le rapport des jeunes au temps soit si difficile à appréhender. Pourtant, quelques pistes permettent d’en cerner une certaine logique. L’industrie horlogère, qui peine tant à remettre au poignet des jeunes ses garde-temps, pourrait s’en inspirer car, au final, le constat est évident: les horlogers ne séduisent plus les jeunes car ils ne comprennent plus leur rapport au temps. Les recettes de «la montre à papa» sont toujours appliquées à des jeunes qui, eux, vivent dans l’hyperconnectivité. L’échec est assuré. Et constaté.
Je prends mon temps, donc je suis De nombreuses études (Schehr, 1999, Lachance, 2011) ont consacré le temps comme vecteur d’autonomisation des jeunes. Alors que l’enfant vit un temps égo-centré (ses parents s’organisent autour de ses temps de repos, de repas), que l’adulte vit un temps socio-normé (régi par ses obligations professionnels et ses engagements sociaux), le jeune, lui, vit entre ces deux tensions pour tenter de trouver un équilibre. La maîtrise de son temps devient pour lui le premier moyen d’émancipation de l’âge enfant et, inversement, le meilleur marqueur de sa différence par rapport à un âge adulte
qu’il considère comme une ère d’asservissement. Il n’y a pas meilleur exemple que l’adolescent qui répond «Dans deux minutes!» à ses parents qui l’invitent à passer à table. Que l’adolescente qui sera priée de rentrer à 22h à l’issue d’une soirée et qui, invariablement, tirera jusqu’à 22h10 ou 22h15. Contrairement à une idée reçue, il n’y a là aucune volonté de rébellion mais, en premier, la volonté de marquer son indépendance par la maîtrise pleine et consciente de son temps. Je gère mon temps, donc je suis capable de me gérer moi-même, donc je suis autonome. La désynchronisation vaut, avant tout, émancipation. Alors que les adultes considèrent le temps comme un facteur de vieillissement, les jeunes y voient donc une échappatoire. Les premiers le subissent, les seconds cherchent à le maîtriser. Il est à ce titre amusant de constater que certains adultes, las de subir les affres du temps, se mettent en tête de le défier, voire de s’en moquer. D’où, accessoirement, la mode des montres skull, ultime association sur un même cadran d’une mort qu’ils fuient et d’un temps qu’ils défient. Et de l’échec total de ces montres chez les jeunes qui, à cet âge, ne voient pas (encore) le temps comme un ennemi mais, au contraire, comme un allié qui leur permettra d’acquérir leur indépendance.
Aujourd’hui, demain... mais pas au-delà Il est un lieu commun de dire que plus on avance sur le chemin de la vie, plus on est capable de se projeter. Un adulte raisonné est capable de se projeter sur plusieurs années en fonction de son univers socio-économique et de ses étapes sanctuarisées: évolution professionnelle attendue, mariage, enfants, etc. Un enfant, lui, ne raisonne guère souvent au-delà de sa semaine, de ses devoirs, tout au plus des prochains congés scolaires. Le jeune est entre les deux et ne s’inscrit dans aucune de ces perspectives. On tend à le placer quelque
part entre la vision «court terme» de l’enfant et celle «long terme» de l’adulte. Une sorte de passage transitoire. C’est une erreur. Il n’y a aucun allongement progressif allant d’une vision à court terme vers une vision à long terme. Il n’y a pas de «moyenne» qui se fait entre le temps de l’enfant et celui de l’adulte, et qui permettrait de comprendre le temps de l’adolescent entre les deux. En effet, les jeunes réagissent le plus souvent par compression et décompression. Le phénomène de compression est avant tout celui associé à leurs études. Plus elles sont avancées, plus la pression est forte et leur temps comprimé. Or, on l’a vu, le temps étant pour les jeunes un facteur d’autonomisation, lorsqu’il est comprimé par une pression scolaire, ils le vivent extrêmement mal. Déprime, angoisses, stress, voire suicide des jeunes sont une conséquence de l’aliénation extrême de leur temps, précisément celui dont ils se servent pour s’émanciper. Retirer de leur temps aux jeunes revient à leur couper la route de leur indépendance. «Le temps est devenu un facteur de stress, nous confie ainsi Loane, en 1ère année de médecine. J’ai peur du temps, il avance trop vite». En somme, alors que l’on doit préparer des jeunes aux projections sur le long terme propres aux adultes, on comprime leur temps, on les prive d’émancipation et on les retient dans le temps court de l’enfant, avec une vision à J ou J+1... tout en leur affectant des tâches d’une intensité extrême. Dans ces cas de figure, l’implosion est inévitable car l’on détruit le rapport naturel des jeunes aux temps.
Adieu passé, présent, avenir Les jeunes doivent donc pouvoir utiliser le temps pour se construire. Seulement ce temps, à la différence de celui des adultes, est pour eux élastique. Les jeunes se promènent dans un temps qui n’est plus linéaire. La raison de cette élasticité tient principalement en un mot: internet. Le web a développé une forme
De l’art de la séduction... ou de la conviction Depuis quelques années, certaines marques peuvent tout de même se vanter d’entretenir un rapport privilégié avec les jeunes: Fossil et ses multiples licences, dont la très efficace Michael Kors, mais aussi Festina, Ice-Watch, Daniel Wellington, Calvin Klein, etc. Le succès est indéniable mais souvent ponctuel. Le goût des jeunes change rapidement et aucune de ces marques n’est capable de les accompagner durant leur transition vers l’âge adulte. Ces marques entretiennent un rapport de séduction envers les jeunes, et non un rapport de conviction sur lequel repose, elle, l’horlogerie traditionnelle, sur la base d’une proposition de valeur objective et argumentée, d’un héritage. Il reste entre séduction et conviction un fossé passablement infranchissable. Deux voies se dessinent actuellement pour le traverser: une seule marque, deux propositions horlogères dissociées (la stratégie du panier garni de TAG Heuer, avec d’un côté la Connected et, de l’autre, son horlogerie mécanique traditionnelle). Ou bien, plus tranché, une marque et de multiples sous-marques ciblant chacune leur public (la dispersion maîtrisée d’Armani avec Armani, Emporio Armani, EA7, Giorgio Armani, Armani Jeans, etc.). La première stratégie élargit son champ de tir, la seconde son nombre de canons. Dans les deux cas, le jeune est pris pour ce qu’il est: une cible... qui court vite!
DOSSIER JEUNE d’atemporalité chez les jeunes. Le meilleur exemple consiste en les réseaux sociaux. Facebook, parmi d’autres, est un canal de communication qui repose sur un concept absolument unique dans l’histoire: la timeline. En d’autres termes, la possibilité ouverte de partager un moment présent, d’envisager l’avenir, de revenir sur le passé en continuant à l’écrire, le partager, le commenter. Il se crée ainsi un espace-temps virtuel, totalement déconnecté de la réalité, qui permet aux jeunes de jongler à leur guise avec la linéarité du temps, de se construire des souvenirs communs, de les modifier, de les altérer – voire de les supprimer! Facebook n’est pas qu’un réseau social: c’est une construction mémorielle collective déconnectée du temps réel. Comprendre le rapport des jeunes au temps, c’est aussi saisir leur capacité à aller et venir dans un temps non linéaire.
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Dans cette perspective, les instruments de mesure du temps, pour les jeunes, n’ont aucun sens. Quel intérêt d’un chronographe pour mesurer un temps linéaire dans lequel le jeune n’évolue pas? Le temps des jeunes est constitué de compressions (imposées) et de décompressions (autorisées). Si ces dernières ont toutes pour point commun de défier le temps, ce n’est pas un hasard: mode de vie noctambule des adolescents, raves qui s’étirent sur un week-end entier, etc. Tout ce qui rythme le temps de manière fixe (religion, calendrier, quantièmes divers et variés) n’offre aucune séduction aux jeunes qui, eux, favorisent un
temps élastique et qu’ils maîtrisent. La montre mécanique traditionnelle aura donc grand peine à séduire de nouveau les jeunes. Elle reflète un monde passé, linéaire, déconnecté, personnel. Le temps des jeunes est connecté, communautaire, élastique. Le temps de nos pères était celui du «champ des possibles» de Kundera, des promesses de l’aube, où le progrès était continu, certain, acquis. Le temps des jeunes est aujourd’hui celui des questions et non des réponses: vais-je trouver un emploi? Que deviendra ma planète dans 50 ans? Quels vont être mes repères à la disparition de mes parents? Le temps incarné par la «montre à
papa», l’héritage transmis, ne sont donc plus des valeurs auxquelles les jeunes peuvent s’identifier. Voilà notamment pourquoi le vintage séduit toute une génération adulte qui a connu ces temps de promesses, et laisse de marbre certains jeunes qui n’y voient que la marque d’un temps qu’ils ne connaîtront plus. Le vintage rassure ceux qui l’ont vécu en direct ou côtoyé de (pas trop) loin, mais angoisse les jeunes qui y voient la trace d’un monde perdu. Certaines pistes horlogères semblent néanmoins prometteuses. La montre connectée offre indéniablement une promesse communautaire et digitale qui échappe à l’horlogerie mé-
canique. Les garde-temps assimilés à des exploits ou des clubs fédèrent et donc contribuent à la dimension communautaire chère aux jeunes. Pour des jeunes qui jouent avec le temps, avoir la montre d’un Yohan Blake ou d’un Usain Bolt, deux hommes qui se sont servis du temps pour s’émanciper, comme eux, est également plein de sens. Une pièce dont le temps pourrait être suspendu serait également en pleine adéquation avec l’élasticité temporelle si chère aux jeunes – même si les prix actuels de ces garde-temps les placent malheureusement hors de leur portée. Simplement parce qu’ils sont mécaniques...
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Ce rapport élastique au temps se matérialise le plus souvent par l’image. Comprendre le rapport des jeunes aux temps passe en très grande partie par leur rapport à l’image. Un exemple? Dans l’univers adulte, actuel ou celui de nos parents, la photo figée à une place prépondérante. Le cadre des enfants dans le salon, la photo des grands-parents sur un mur, un cliché de vacances en famille sur la table de chevet: l’image, seule, isolée, invariable, la fameuse «photo sur la cheminée» que l’on a vue chez tous nos grands-parents, véhicule un souvenir détenu par seuls ceux qui l’ont vécu et que l’on montre à seuls ceux qui sont invités chez soi. Les jeunes évoluent dans une dimension «picto-temporelle» diamétralement opposée. L’image n’est plus personnelle, unique et captée sur l’instant. Elle est devenue surabondante, parfaitement maîtrisée et rendue accessible au plus grand nombre. Lorsqu’un jeune partage une image, il ne fait rien d’autre que déposer un marqueur temporel dans la vie et la communauté de ses pairs – qu’elle s’appelle Instagram, Snapchat ou autre, le principe est le même. Le message est: «J’ai vécu un temps personnel, je l’ai maîtrisé, immortalisé, à présent je le partage pour qu’il alimente les commentaires de mes pairs.» Et fatalement, que ce passé s’inscrive dans un présent éternel, qu’il ne s’efface jamais.
Et l’horlogerie, dans tout cela ? Le temps des uns n’est donc pas le temps des autres. Emile Durkheim l’écrivait déjà en 1912. Néanmoins, le caractère hyperconnecté des jeunes du XXIème siècle a fondamentalement changé leur rapport aux temps. On l’a compris, il n’est pas une moyenne approximative du temps enfant et du temps adulte. Il est un moyen d’émancipation et, surtout, il est non linéaire, principalement incarné par le rapport communautaire et l’emploi massif de l’image, donc de l’égo.
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23 – 30 MARS 2017
VERBATIM
26 | EUROPA STAR PREMIÈRE
Montres connectées: Biver dans le texte
Propos recueillis par Pierre-Yves Schmid, eurotec
«L’humain aime communiquer sur sa personne, que ce soit par son habillement, sa coiffure ou sa voiture. En voyant le conducteur d’une voiture de luxe, on peut supposer qu’elle lui appartient, on peut supposer qu’il l’a payée et on lui attribue de fait un certain nombre de qualités. En marketing, cela s’appelle le statut. L’objet devient donc vecteur de communication vers autrui. L’horloger suisse l’a bien compris et depuis plus de vingt ans, la montre a surtout servi à communiquer vers l’extérieur, se protégeant ainsi de la banalité de la communication vers l’utilisateur. Car il faut bien admettre qu’il est devenu totalement inutile d’avoir l’heure au poignet. L’heure est disponible partout (sur les téléphones, sur les ordinateurs, dans les voitures, dans les gares) et gratuitement. Si l’on devait acheter une montre uniquement pour l’information qu’elle donne, il ne s’en vendrait plus guère depuis bien longtemps. La force de l’horlogerie suisse est donc d’avoir pensé à faire communiquer la montre vers autrui.
Changement de paradigme «Arrive maintenant la montre connectée qui communique à nouveau surtout vers celui qui la possède. Ne ressemblant à pas grand chose, n’étant pas un objet de luxe, elle ne dit rien aux autres. Elle communique de plus tout ce dont l’utilisateur «normal» n’a pas besoin (mails, SMS, whatsapp, instagram, etc). Alors que les plus anciens se demandent à quoi cela peut servir, les jeunes y voient un objet génial. Cette inutilité de l’in-
formation va les séduire, et ce à un niveau mondial. Le grand promoteur de ce changement est Apple, première marque technologique à entrer dans un marché de luxe. Lorsque l’on évoque le luxe, on pense exclusivité, rareté, cherté. Or, à un prix de l’ordre de 400 francs, cette montre fait le chemin inverse de ce qui a été fait jusque là par l’horlogerie suisse. En effet, la grande part de l’horlogerie suisse est constituée par les montres dites de luxe. La Suisse ne produit environ que 5% des montres au niveau mondial, mais ces 5% représentent le 85% du chiffre d’affaires. Nous sommes avec le Swiss made dans cette formidable qualité que maîtrisent les horlogers suisses depuis plus de 100 ans. Nous sommes les riches héritiers d’un savoir que nous avons su conserver. Nous avons investi sur cette base et fait progresser cet héritage. L’horlogerie suisse a donc fait un travail exceptionnel, mais principalement dans le haut de gamme. «Dans ces conditions, il peut sembler naturel de ne pas saisir immédiatement le danger que représente un produit tel que la montre connectée. C’est compréhensible pour tout un chacun, mais pas pour un dirigeant d’entreprise qui a le devoir de vision et qui est payé pour voir le futur et non pour comprendre l’histoire. Et lorsque l’on veut être visionnaire, on est condamné à apprendre, car le futur ne ressemble que très rarement à l’idée que l’on s’en faisait 20 ans avant. Cette approche a conduit TAG Heuer à mettre en place un «Advisory Board» formé de jeunes de 14 à 16 ans qui se réunit en moyenne trois fois par année. L’entreprise peut ainsi savoir ce que les jeunes aiment, ce qui les pousse à privilégier tel ou tel produit ou à consommer telle ou telle musique. En apprenant à les connaître, il de-
Carlo Fachini / Arcade Europa Star
Invité à donner sa vision des smartwatches, Jean-Claude Biver a gratifié le Cercle industriel de Bienne d’une leçon de communication. Avec son enthousiasme habituel, il a expliqué les raisons qui ont conduit TAG Heuer à se lancer dans l’aventure. Extraits.
vient plus facile de comprendre leurs comportements, et surtout de projeter ces comportements dans le futur. Car le 21e siècle ne commencera réellement qu’aux alentours de 2035, lorsque l’on verra que les enfants nés en 2000 n’auront plus du tout la même mentalité, les mêmes concepts et la même philosophie que nous. Actuellement, ceux qui dirigent, façonnent et développent le 21e siècle ont bien enregistré le fait que les années commencent par un 2 mais n’ont en rien changé leurs habitudes, leur mentalité ou leur vision. Au contraire
des jeunes membres de ce conseil consultatif qui amènent des idées et des recommandations. On dit souvent que la curiosité et l’apprentissage sont l’apanage des jeunes. En perdant toute curiosité, on devient vieux et déconnecté du futur, ce que ne peut se permettre un dirigeant dont la responsabilité est de faire avancer son entreprise.
L’horlogerie a tardé à réagir «Ce changement radical de mentalité a été rapide et on peut comprendre que l’horlogerie n’ait pas tout de suite répondu présente. A contre-courant de la tendance générale, j’ai décidé de m’y intéresser et les informations glânées à gauche et à droite m’ont convaincu qu’il valait la peine de s’y lancer malgré le manque de visibilité. Je me suis alors imaginé dans la peau
d’un voyageur sur un quai de gare, avec un départ de train annoncé mais sans affichage de la destination. Deux options possibles: attendre l’affichage ou monter dans le train, avec une chance d’aller dans la bonne direction. Si tel est le cas, il aura gagné à y être allé avant les autres. Cette métaphore n’est évidemment pas la seule raison qui a poussé TAG Heuer à faire le pas. L’entreprise a décidé de prendre le risque, d’une part parce qu’elle l’estimait mesuré, d’autre part parce que les informations dont elles disposent annoncent la fin prochaine du téléphone qui sera remplacé par la montre et par tous les objets connectés qui nous environnent. Les leaders technologiques de la Silicon Valley en sont convaincus et cela a des conséquences inattendues. Considérant le poignet comme l’affiche la plus précieuse en marketing, ils se battront pour le «voler» aux marques horlogères. Non pas pour y faire figurer l’heure, mais pour y passer quantité d’informations spécifiquement adressées à leurs consommateurs. Cette guerre annoncée autour de notre poignet a fini de convaincre notre équipe du potentiel de la montre connectée. Seul problème, mais de taille: il n’est pas possible d’obtenir en Suisse des microprocesseurs répondant à la complexité de la téléphonie. Là encore, il faut faire un choix: vouloir garder le Swiss made et devoir renoncer à cause de la barrière technologique ou acheter un processeur cinquante francs aux Etats-Unis et faire travailler des centaines de personnes en Suisse à la conception intellectuelle, au design, à la fabrication des boîtes et à l’assemblage. TAG Heuer a choisi la deuxième option et conclu un contrat avec Google pour le language Android.
Au-delà des attentes «TAG Heuer décide de lancer une production initiale de 20'000 pièces. Ce seront finalement près de 60'000 montres qui trouveront preneur et les prévisions pour 2017 sont de l’ordre de 150'000 unités. De telles quantités dépositionnent totalement la marque de l’horlogerie traditionnelle. Mais quand on
est premier, différent et unique, on ne peut pas perdre! «Aujourd’hui, la montre connectée a encore des carences, notamment celle de dépendre d’un téléphone. Dans un proche avenir (les géants de la Silicon Valley y travaillent), les cartes SIM seront intégrées directement au microprocesseur. Quand cette difficulté technique aura été franchie, il n’y aura plus besoin de téléphone pour interconnecter toute une série d’objets. Certes, certaines applications nous semblent inutiles aujourd’hui (connecter son frigo pour recevoir des messages signalant un manque de lait, par exemple), mais sont géniales pour la jeune génération. La montre connectée va donc faire partie d’une nouvelle manière de vivre.
Ce produit va-t-il faire concurrence à notre belle horlogerie? «Jamais de la vie! L’art horloger est éternel. Zenith, par exemple, ne se lancera jamais dans ce type de produit. Le danger est ailleurs, dans la gamme de montres à 800 francs qui donne juste l’heure et la minute et fonctionne à pile. Pour le savoir, il faut interroger les jeunes de 15 ans qui, pour le même prix, peuvent avoir une montre connectée qui donne toutes sortes d’informations. La situation n’est pas encore dramatique, mais il faut faire très attention à ne pas perdre la base industrielle (la Swatch a sauvé l’horlogerie suisse en lui redonnant sa base industrielle qu’elle avait perdue en ne faisant plus que du haut de gamme; la technologie ne peut pas venir de quelques artisans qui fabriquent leurs montres à la main). Alors oui, j’ai vu une menace pour la gamme TAG Heuer à moins de mille francs. Mais également un beau promoteur dans la montre connectée: rien n’empêche un jeune qui a une montre connectée de faire un jour le pas vers une belle montre. Ce sera d’autant plus facile s’il est déjà habitué à en porter une. La Swatch, par exemple, a donné aux enfants le goût de porter une montre.»
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SOUS-TRAITANCE
EUROPA STAR PREMIÈRE | 27
ÉCLAIRAGE
Techniques de sertissage par
Pierre-Yves Schmid, eurotec
C’est en France que l'art joaillier se développe au 17ème siècle. Les orfèvres ont alors pour mission de sublimer l’éclat de pierres précieuses taillées en les fixant sur des bijoux. La principale difficulté de ce travail est d’assurer un ancrage solide des pierres tout en laissant passer la lumière. Différentes techniques mécaniques sont élaborées, toutes répondant à la même exigence: le bannissement du collage et du soudage. Dans le premier cas, le risque qu’une pierre tombe est trop élevé. Dans le second cas, le choc thermique peut endommager les pierres. Tout l’art du sertisseur repose donc sur sa capacité à percer une assise parfaitement adaptée à la pierre dans le support, à placer la pierre dans l’assise et à rabattre du métal sur la pierre. En principe, toutes les pièces d'une montre peuvent être serties, que ce
soit la boîte, le remontoir, les aiguilles, les ponts, les platines et évidemment le cadran. Les limites sont davantage fixées par les matières destinées à servir de support mais on assiste là également à une évolution depuis quelques années. Habituellement réservé aux métaux précieux, le sertissage a fait une apparition remarquée sur des matériaux nettement moins traditionnels, telle la fibre de carbone (Hublot en 2014 et Richard Mille plus récemment). Enfin, le sertissage est de plus en plus associé aux technologies numériques. Par exemple, une société comme MW Programmation propose depuis peu un module spécifiquement destiné aux sertisseurs, qui permet d’automatiser la phase de préparation et de poser rapidement un sertissage sur n’importe quel solide. Travail artisanal à l’origine, le sertissage, tout comme l’art horloger dans son ensemble, n’échappe pas à l’avancée de l’automatisation!
les pierres de formes arrondies d’une gorge destinée à recevoir la monture métallique. Cette gorge est disposée de manière à ce que la monture soit dissimulée à l’intérieur des pierres. Considérée comme le must, cette technique ne s’acquiert qu’au prix de nombreuses années de pratique. • Le SERTI DESCENDU consiste à maintenir les diamants par des pousses de métal prises directement dans le bijou puis rabattues sur les diamants, eux-même incrustés dans la monture. • Le SERTI CLOS, certainement le plus ancien et le plus solide des sertis pour bijoux en or mais très rarement utilisé en horlogerie, consiste à maintenir le diamant en l'encerclant par une mince plaque d'or, rabattue à la marteleuse sur tout le périmètre de la pierre. Bien qu’esthétique, il présente néanmoins aux yeux de certains le défaut de diminuer la visibilité de la pierre.
• Le SERTI GRIFFE consiste à serrer la pierre entre plusieurs tiges de métal (les griffes) dont la taille et la forme peuvent varier à l’infini. Une technique très rarement utilisée en horlogerie, la faute à un manque d’espace et à une relative fragilité pour une utilisation quotidienne durant laquelle la montre peut être soumise à des chocs. • Technique proche du serti griffe, le SERTI À GRAINS est utilisé par certaines marques horlogères pour les pierres de pavage rondes. Le sertisseur travaille alors sur une bande de métal qu’il creuse à l’aide d’un outil, soulevant ainsi des grains qui serviront à maintenir les pierres. En principe, deux grains suffisent à fixer la pierre mais si la place le permet, le sertisseur en lèvera plusieurs, certains pouvant ainsi servir de décor entre les pierres.
• Plus répandu en horlogerie, le SERTI RAIL se distingue par deux rainures parallèles entre lesquelles les pierres sont glissées de façon à ce qu’il n’y ait aucun espace entre elles. Afin d’obtenir un résultat optimal avec le moins de matière visible, les pierres doivent cependant souvent êtres retaillées. • Développé par Jaeger-LeCoultre il y a une quinzaine d’années, le SERTI NEIGE garantit l’aspect unique de chaque montre. La position des diamants placés l’un à côté de l’autre en jouant sur leurs différents diamètres est en effet différente d’une pièce à l’autre. • Breveté par Cartier en 1933 et déposé à titre de marque trois ans plus tard par Van Cleef & Arpels, le SERTI MYSTÉRIEUX, également appelé SERTI INVISIBLE, entaille
• Le SERTI MASSÉ ressemble au serti clos à la différence que le diamant «le plus souvent de taille brillant» est encastré complètement dans le métal et que le métal extérieur est rabattu à la marteleuse. • Le SERTI BAGUETTE est probablement le plus complexe. En fonction des pièces, les calculs se font au micron. Des assises sont préparées pour que la pierre soit mise en place parfaitement, puis des bavures sont poussées tout au long des pierres à l’aide de l’échoppe pour les faire tenir. On procède ensuite à un martelage pour plaquer le métal contre la pierre.
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CULTURE HORLOGÈRE
28 | EUROPA STAR PREMIÈRE
La rage du baladin napolitain Vincent Calabrese vient de sortir un livre, Le Temps d'une vie (Editions Slatkine), que tous les membres de «l'écosystème» horloger devraient s'empresser de lire. Non seulement se lit-il comme un véritable roman, mais au-delà du parcours singulier de cet horloger d'exception issu d'une famille pauvre de Naples et qui deviendra un des plus innovants de sa génération, on en apprend aussi beaucoup sur le monde de l'horlogerie suisse. Vincent Calabrese a la rage. La rage d'exister, la rage de créer, la rage d'innover, la rage de tout dire. Sans sa rage et sa soif d'indépendance sans doute ne serait-il pas devenu ce qu'il est. Et sans ce baladin napolitain, l'horlogerie suisse aurait sans doute un visage différent. par
Pierre Maillard
Vincent Calabrese a mauvais caractère, il est têtu comme une mule, il n'en fait qu'à sa tête, il n'a pas peur d'affronter les puissants et il vous dit toujours en face ses quatre vérités et tout le mal – ou le bien – qu'il pense de vous. C'est un agitateur, un trublion, un empêcheur de tourner en rond, un mauvais coucheur, un contradicteur obstiné qui jamais ne lâche le morceau. Mais c'est aussi un travailleur infatigable, un créateur hors norme et un rassembleur d'énergies. Un homme profondément bon, pudique, dépourvu de toute arrière-pensée et qui préfère l'émulation entre camarades – il est à l'origine de l'AHCI, l’Académie Horlogère des Créateurs Indépendants – à la compétition entre concurrents. C'est dire combien Vincent Calabrese fait tache dans le milieu suspicieux, jaloux et taiseux de l'horlogerie et de ses grandes marques. Mais cet autodidacte n'en a cure et si, parfois, face aux difficultés rencontrées et aux obstacles mis sur sa route il a été tenté de tout laisser tomber, jamais il n'a baissé la tête.
De Naples au Locle Le parcours de Vincent Calabrese commence à Naples en 1944. Il naît dans une famille pauvre. Avec ses parents, son frère et sa sœur, il partage un basso, une pièce de 30m2 qui donne de plain-pied sur une bruyante ruelle du vieux Naples. De son père, ancien maître-boulanger rentré invalide de guerre et devenu chômeur, il dit «qu'honnête et généreux mais obsédé par le sentiment d'être exploité, analphabète, la violence représentait son seul moyen d'expression». Sa mère, «douce, cultivée, aimant l'art lyrique et détestant la vulgarité, tra-
vaillait du matin au soir sur sa machine à coudre pour ménager un avenir à ses enfants». A 13 ans, il quitte l'école, passe de petit boulot en petit boulot, devient «assistant chimique», livreur pour une librairie avant de trouver un poste d'apprenti chez un horloger du quartier. Il y apprend toute sorte de choses comme «accoupler des radios à des réveils ou fabriquer des chaises en métal et les recouvrir d'une gaine de plastique». Mais son salaire équivaut à un paquet de cigarettes par semaine, il donne son sac et à 14 ans à peine s'installe comme «horloger réparateur» à domicile. Déjà farouchement indépendant, il gagne tant bien que mal sa vie, se fait quelques sous, grandit «en pleine rébellion» dans le Naples d'aprèsguerre, jusqu'à ce que se profile son service militaire. «Pour échapper au cauchemar de deux ans dans la marine, écrit-il, la seule solution était d'émigrer.» Son oncle est installé en Suisse, pourquoi ne pas le rejoindre? Il réussit à en convaincre sa mère, son frère et sa sœur et tous quatre laissent le père à Naples et s'en vont, direction Le Locle. Nous sommes en hiver 1961, et il faut imaginer le choc ressenti par le «baladin de Naples» qui se retrouve soudain les pieds dans la neige au fin fond d'un «trou perdu».
«Je suis horloger! Non, tu es italien» Une semaine plus tard, il était engagé chez Tissot! Il est vrai que l'époque était au plein emploi. Mais à l'atelier, quand il se déclare horloger on lui rétorque, «Non, tu es italien». Qu'importe. Il relativise, il est heureux d'être en Suisse. Chez Tissot, il travaille à la chaîne. «Je chantais au travail, plaisantais, m'intéressais trop à mes collègues fémi-
nines. Le chef m'a reproché mon exubérance.» Las de cette ambiance et de ce travail répétitif, il quitte Tissot et passe chez Cyma… Les années qui suivent vont voir cet homme entier, fier, travailleur et obstiné passer de maison en maison: en 1964, il est chez Zenith, en 1965 chez Richard, à Morges, puis décroche un job chez Hebdomas, à la Chaux-de-Fonds, devient ensuite chef d'atelier chez Teriam… A chaque fois c'est peu ou prou la même histoire. Il travaille vite et bien, apprend beaucoup, améliore les ateliers ou les services dont il a la charge mais les patrons ne tiennent pas leurs engagements. Alors, régulièrement, il donne sa démission. Jusqu'en 1971 où il trouve un travail de rêve: il est promu responsable du Diamant Bleu, une horlogerie située dans la très chic station de Crans-Montana! Une soudaine ascension sociale. Et c'est là, au contact des riches clients à qui il propose des marques prestigieuses que l'autodidacte napolitain va avoir son déclic.
Le déclic Un jour un client lui porte une magnifique montre pendentif du XIXème siècle signée Breguet. Elle avait passé sous les roues d'une voiture, la boîte avait sérieusement souffert mais le mouvement était réparable. «Le client m'a demandé de ne réparer que la boîte. Il se fichait complètement que la montre ne fonctionne pas. Seule l'apparence comptait pour lui… J'étais tenaillé par un sentiment de rage!» Cette rage, une fois de plus, ne va pas le quitter et cet incident nous vaudra, quelques années plus tard, une des plus belles réalisations de l'horlogerie contemporaine: la Golden Bridge. Car «ce jour-là, j'ai pris la décision de concevoir dès que possible une montre que l'on n'achèterait que pour la beauté de son mouvement». Belle proclamation, mais sacré défi. Quelques années vont s'écouler avant que Vincent Calabrese parvienne à concevoir et à réaliser son rêve d'une horlogerie «spatiale» dévoilant tout du mouvement. Toujours sans aucun diplôme, il va parfaire ses connaissances en effectuant des stages chez Patek Philippe puis Rolex (deux ambiances fort différentes, à l'entendre) et un beau matin, il se réveille après avoir rêvé sa montre. «Comme en transe, je commençai à dessiner ce système qui allait me permettre de réaliser mon horlogerie spatiale. La solution, je l'avais en tête, comme une image matérialisée.» Corum va rapidement acheter son prototype qui reçoit en 1977 la Médaille d'or au Salon des inventions de Genève. Ce sera la Golden Bridge. Dorénavant, Vincent Calabrese ne va plus cesser d'innover.
Le baladin philosophe Au fil de son ouvrage, Calabrese détaille une à une toutes ses inventions successives. A les redécouvrir ainsi l'une après l'autre, on comprend enfin pleinement le sens et la cohérence du tout. Comme on dit d'un peintre qui évolue, Calabrese fait œuvre. Et le fil commun qui relie ses créations est de l'ordre de la philosophie. Oui, il ose le mot. Une philosophie émotionnelle qui est son langage. Une philosophie qui s'incarne dans l'horlogerie. «La seule façon que j'aie de m'exprimer est le langage de l'horlogerie,» aime-t-il à répéter. Un langage conscient, qu'il va maîtriser de mieux en mieux. Et, au fil de son ouvrage, Vincent Calabrese ne cesse de répéter haut et fort que tout ce qu'il entreprend, il le fait en pleine connaissance de cause, en sachant très exactement où il veut en venir.
Vincent Calabrese a mauvais caractère, il est têtu comme une mule, il n'en fait qu'à sa tête, il n'a pas peur d'affronter les puissants et il vous dit toujours en face ses quatre vérités et tout le mal – ou le bien – qu'il pense de vous. C’est aussi un travailleur infatigable, un créateur hors norme et un rassembleur d'énergies. Au fil de leur évocation, ses montres successives font effectivement sens, elles forment comme une longue phrase cohérente. Une phrase qui commencerait avec ses Spatiales, ces explorations issues du mouvement en ligne de la Golden Bridge. Mais contrairement au mouvement en forme de baguette de la Golden Bridge, les mouvements des Spatiales prennent toutes les formes possibles: lettres, signes, emblèmes, jusqu'à la botte italienne. Là-dessus, Blancpain, lui commande un tourbillon. Il propose une rareté à l'époque: un tourbillon volant dont il exécute un prototype. Mais Blancpain va tarder à le sortir. Las, après plus de deux ans d'attente, il le sort lui-même et c'est son Tourbillon Volant spatial magiquement suspendu entre ses deux glaces, libre de toute attache. Par ailleurs, Corum ne semble pas plus pressé de produire sa Golden Bridge. Calabrese, qui est désormais à son compte et tient une pe-
CULTURE HORLOGÈRE
EUROPA STAR PREMIÈRE | 29
tite horlogerie à Morges, ne touche pas les royalties attendues et tire le diable par la queue. Même si entretemps il a fondé l'AHCI et réuni les indépendants les plus doués de Suisse et d'ailleurs, il a des envies de tout arrêter.
La Baladin Une montre va le sortir du pétrin: la Baladin. Une montre imaginée «à l'image du cantastorie qui se baladait dans les villes italiennes pour donner les nouvelles». Transposé en horlogerie cela donne un affichage sans aiguille où le temps se lit au moyen d'un guichet indiquant digitalement les heures. Ce guichet se balade sur le pourtour du cadran en indiquant du coup les minutes. Simple et génial. Il vend son concept à l'Italien Pinko et «moi qui gagnais 30'000.- par année, d'un coup je réalisais le chiffre d'affaires de plusieurs années». La montre se vend par milliers. Il remonte la pente (c'est une constante chez lui). Il invente une incroyable pendulette, la Two Hands, une pendulette tourbillon à poids composée uniquement de deux aiguilles fixées dans le vide au bout d'une tige. L'extraordinaire astuce: tout le mouvement est logé dans l'aiguille des minutes, y compris le tourbillon. Une démonstration. Mais il veut continuer dans la voie ouverte par la Baladin et concevoir désormais «des montres extraordinaires avec des mouvements ordinaires». Et sans doute son sang napolitain n'est-il pas pour rien dans l'affaire. Car il conserve toujours sa rage. Il estime que le poids des grandes marques est devenu bien trop pesant. Il comprend que «le public n'achète plus un produit mais une image». Il a l'impression de défricher des terrains que les grands s'empressent de venir exploiter.
Commedia
Europa Star's Vernissage Lionel Deriaz et Philippe Loup Janvier 1999
Tout ça, à ses yeux, c'est une vaste Commedia. Ce sera le nom de sa pièce suivante: des rideaux de théâtre entrouverts encadrent un guichet où défilent les heures sautantes. Comble de provocation, il y met un mouvement à quartz. Pour appuyer son message, il emprunte à Dante et à sa Divina Commedia. Cette fois ce sont douze mots qui sautent: Perdete Ogni Speranza, Voi Che Create, l'Arte Pagante E Solo Alle…! En français: «Perdez tout espoir, vous qui créez. Seul l'art à la mode est payant.» Mais le vent tourne à nouveau. Nous sommes en 1992 et s'ouvrent pour Vincent Calabrese des chapitres de vie qu'il nomme lui-même «Sur orbite» et «Les Années ludiques». Plus créatif que jamais, il enchaîne enfin les «montres extraordinaires au mouvement ordinaire» pour sa propre marque. Il travaille sur la performance des indications de
réserve de marche pour automatiques, sur des double fuseaux horaires réglables à la minute près. Il crée une ingénieuse montre AM/ PM, la Night & Day. Il invente l'Horus, avec son sous-cadran en satellite qui indique les minutes. Il reçoit de nouveaux mandats. Sa reconnaissance s'étend au Japon, il est récipiendaire du prix Gaïa, le Nobel de l'horlogerie, dit-on. Epaulé par sa fille qui s'occupe de tout le reste, il produit jusqu'à 800 montres par année, «confectionnées par mes soins».
Le carrousel Un coup du sort, un drame, la mort d'un proche va le stopper net. Puis une tentative de relance va tourner court à cause d'un associé indélicat. Le rebelle va-t-il devoir se ranger? «2006 à 2008 furent des années de survie», dit-il lui-même. Mais il vend une licence à Cartier, il a des mandats, pour Sellita, Vuitton puis Blancpain. Blancpain veut être la première – et seule – marque à sortir un carrousel, ce mécanisme à échappement tournant, concurrent injustement méprisé du tourbillon, inventé par Bahne Bonniksen en 1892. Un carrosello, ça ne peut que sonner à l'oreille d'un napolitain. Et ça tombe par ailleurs bien: pour Blancpain il sera engagé et pourra se consacrer entièrement à sa recherche, sans se soucier du reste. Il est preneur. Un prototype prometteur et remarqué sera présenté par la marque au salon de Bâle 2007. Puis… plus rien. Que s'est-il passé? Un mystère aux yeux de Vincent Calabrese dont les relations avec Marc Hayek ont toujours été parfaites. Il ne se l'explique toujours pas mais peut-être la réponse est-elle à trouver ailleurs. Réhabiliter le «prolétaire» carrousel contre le «noble» tourbillon n'arrangeait personne. Car le tourbillon est devenu une vache à lait sacrée de l'industrie qui en produit désormais plus en une année qu'on n'en avait produit depuis son invention par Breguet en 1801 jusqu'au début des années 1990. Commedia, toujours. Vincent Calabrese devient un peu parano. Il a de quoi car ce n'est pas la première fois qu'une de ses innovations est préemptée pour mieux disparaître ensuite dans les tiroirs. L'achèterait-on pour qu'il ne gêne plus? Une nouvelle fois, il donne sa démission. Et, du coup, retrouve son indépendance, fin 2011. Indépendant? Il est fort à parier que désormais il le restera jusqu'à la fin de ses jours. En lutte, en bagarre et en création, aussi. Pour lui et pour les autres, comme son ami Jean Kazès, le génial pendulier carougeois dont il s'échine à mieux faire connaître l'œuvre. Et insoumis? Pour toujours. Un des derniers chapitres de son livre s'appelle précisément La rage. Il y dit ses quatre vérités sur l'horlogerie, l'industrie et le journalisme. Et il ne mâche pas ses mots. Pourquoi le ferait-il? Il est libre, Vincent.
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