Format à l’italienne 9
EX P OSI T I ON D ES L AU R ÉATS DU PRIX WIC AR R é sid e nce d e cré ation - R ome
G a l e r ie R E ZEDA P hil ip p e PAOLI S a ra h F E U I LL AS D av id e M ONALD I
SOMMAIRE
PRÉFACE
8 - 9
Forma Urbis Romae
CONTRIBUTIONS Martine Aubry
10 - 11
Maire de Lille
Jean-Pierre Hénichart
12 - 13
Président de la Société des Sciences de l’Agriculture et des Arts de Lille
Guido Talarico
14 - 15
Directeur de la revue Inside Art
Véronique Goudinoux
16 - 17
Professeure en histoire et théorie de l’art à l’Université de Lille / CEAC
LAURÉATS WICAR Galerie REZEDA
20 - 29
GRoma par Galerie Rezeda Déplacer l’idée de représentation de Julien Verhaeghe Entretien avec Julie Steyer
Philippe PAOLI
30 - 39
Lupa par Philippe Paoli Chose simple d’ Elise Poitevin Entretien avec Julie Steyer
Sarah FEUILLAS
40 - 49
Heterotopias par Sarah Feuillas Scène ouverte de Léa Chauvel-Lévy Entretien avec Julie Steyer
Davide MONALDI
50 - 57
Carta da Parati par Davide Monaldi Contribution d’ Ilaria Bonacossa
RÉSIDENTS D’ HIER
58 - 59
EQUIPE ET REMERCIEMENTS
60 - 61
FORMA URBIS ROMAE De Rome, les artistes du Prix Wicar se sont emparés
À Rome, cette recomposition est le destin de certaines
de la matière première : ruines, briques, colonnes
oeuvres architecturales, qui au fil des siècles ont été
et perspectives. La ville est telle qu’elle stimule
détruites ou tronquées dans le but d’en construire
l’imaginaire, elle appelle à créer son propre récit, un
de nouvelles. Ce fut notamment le cas du Colisée,
récit qui prendrait place dans ses rues, dans l’espace
mais aussi de la Forma Urbis Romae (littéralement,
découpé par ses ruines antiques. Elle est, en quelque
« la forme de la ville de Rome » en latin), un immense
sorte, un théâtre, une « utopie localisée », pour
plan de la ville gravé sur du marbre au IIIe siècle, sur
reprendre les termes de Michel Foucault définissant
lequel les artistes de Galerie Rezeda ont également
le concept d’hétérotopie (1). La constitution de
travaillé et qui ne peut que retenir l’attention.
Rome, tout en strates, accumulations et vestiges, de
Aujourd’hui, il reste plus de mille fragments de la
ses rues à l’accrochage de ses musées, a amené les
carte originelle, qui n’en restituent pourtant qu’un
artistes à manier le fragment, dont l’intérêt réside
dixième, faisant de la Forma Urbis un puzzle voué à
dans le paradoxe d’être « à la fois morceau brisé et
n’être jamais reconstitué. En outre, chaque fragment
petit tout autosuffisant » (2).
découvert est sujet à diverses interprétations
Cette nouvelle édition de Format à l’italienne
parmi les archéologues. Une multiplicité de récits
manifeste l’intérêt des artistes pour ces thèmes. Le
affleurent alors de cette carte, dont les oeuvres des
duo Galerie Rezeda a procédé à une fragmentation
lauréats Wicar se font l’écho.
du territoire en collectant des échantillons urbains
Face à ces artistes séjournant à Rome pour la
prélevés sur le sol et a emprunté leur outil aux
première fois et qui ont travaillé sur la ville
arpenteurs romains, la groma. Chez Philippe Paoli,
elle-même, l’artiste italien Davide Monaldi, qui y
le fragment a pris la valeur d’indice, de pièce à
est établi, produit une oeuvre plus intime, où est
conviction dans le récit que l’artiste a déroulé sur les
néanmoins perceptible un certain remaniement
cartes de la Rome antique, papale et contemporaine.
du réel : lorsqu’il représente des objets a priori
Sarah Feuillas a extrait par le dessin et la
insignifiants ou impropres à la sculpture, ceux-ci
photographie des motifs architecturaux au gré de
prennent alors un tout autre statut en s’élevant au
ses déambulations. En glanant des fragments dans la
rang d’art.
ville et en les agençant d’une façon inédite, les artistes
Les oeuvres de l’exposition Forma Urbis Romae
de Format à l’italienne 9 opèrent une recomposition
sont ici autant d’édifices, de façades et de mobiliers
du réel.
urbains, traçant un plan aux divers chemins possibles.
1- FOUCAULT Michel, Les corps utopiques, les hétérotopies, presented by Daniel Defert, Fécamp, Nouvelles Éditions Lines, 2009, p. 23-24. 2 - EGAÑA Miguel, SCHEFER Olivier, Esthétique des ruines : poïétique de la destruction, Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 9
08 - Forma Urbis Romae
Julie Steyer Commissaire de l’exposition Format à l’italienne 9
FORMA URBIS ROMAE From Rome, the artists of the Wicar Prize have been
In Rome, this recomposition is the fate of some
grasped by raw materials including ruins, bricks,
architectural sites which, over Centuries, were
columns and different perspectives. The city is such
destroyed or truncated in order to build new ones.
that it stimulates the imagination, it compels you to
This was the case for not only the Colosseum, but also
create your own narrative, the story that took place
the Forma Urbis Romae (literally, «The shape of the city
in its streets, in the space carved out by its ancient
of Rome» in Latin), a huge map of the city engraved
ruins. It is, in a way, a theatre a «localized utopia «, to
on marble in the third century, on which artists from
quote Michel Foucault’s definition of the concept of
Galerie Rezeda also worked and which attracted our
heterotopia (1). The constitution of Rome, in all its
attention. Today, there are more than a thousand
layers, accumulations and vestiges, from its streets
fragments of the original map, which incidentally,
to the displays in its museums, has led the artists to
only restores one tenth, making the Forma Urbis a
handle fragments, whose interests lie in the paradox
puzzle destined to never be completed. In addition,
of being «both a broken and totally self-sufficient little
each fragment discovered is subject to a range of
piece» (2).
interpretations among archaeologists. A multitude
This new edition of Format à l’italienne demonstrates
of narratives then came out of this map of which the
the artists’ interests around these themes.
works of Wicar Prize winners echo.
The Galerie Rezeda duo has divided the area collecting
The artist, Davide Monaldi, who is based there met
urban samples taken from the ground and borrowed
these artists staying in Rome for the first time who
tools from the Roman surveyors, the groma . At
had worked on the city themselves. Davide has
Philippe Paoli, fragments become valuable clues to
produced a more personal work which is nevertheless
use in the narratives that the artist unfolds over maps
a noticeable redesign of reality representing objects
of ancient, papal and modern Rome. Sarah Feuillas
that are in theory insignificant or unfit for sculpture.
extracted architectural motifs through drawings and
They then take on a completely different persona
photography. By gleaning fragments from the city and
by rising into the ranks of art. Works from the
by arranging them in a new way, the artists of Format
Forma Urbis Romae exhibition are here with many
à l’italienne 9 have produced an actual recomposition.
buildings, facades and city dwellings, tracking a map of the various possible paths.
1- FOUCAULT Michel, Les corps utopiques, les hétérotopies, presented by Daniel Defert, Fécamp, Nouvelles Éditions Lines, 2009, p. 23-24. 2 - EGAÑA Miguel, SCHEFER Olivier, Esthétique des ruines : poïétique de la destruction, Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 9
Julie Steyer Curator of the exibition « Format à l’italienne 9 »
Forma Urbis Romae - 09
Rome a de tous temps fasciné les artistes par
C’est ce récit qui sera mis en mots et en forme par
sa beauté, son histoire, ses tensions, ses crises.
les artistes Galerie Rezeda (Adeline Duquennoy
Elle a été longtemps le lieu du développement
et Manuel Reynaud), Philippe Paoli et Sarah
professionnel des artistes
Feuillas.
et le
terreau de
nombreux échanges interculturels. Ainsi le
Le duo Galerie Rezeda procède à un récolement
chevalier Wicar, célèbre chevalier et artiste
de la ville, et leurs sculptures monumentales
lillois, y a installé son atelier, créé son réseau
créées au Techshop de Lille en retranscrivent le
d’influence et sa riche collection.
rendu sensible. Philippe Paoli nous plonge dans
En sanctuarisant dans son legs à la Société des
l’enquête d’une Rome reconstruite au cœur d’un
Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille
univers de fiction proche du complot. Sarah
& à la Ville de Lille son espace de travail et de
Feuillas nous conduit, par ses photographies
création, il a permis le maintien du mythique
et constructions, à travers des représentations
voyage à Rome au travers des siècles pour les
architecturales fortes. Ces trois démarches
plasticiens lillois qui , depuis 1868 et Carolus
nous révèlent la richesse des pratiques et des
Duran , ont pu bénéficier de cet héritage.
parcours des artistes de notre territoire.
C’est une expérience de recherche, de doutes et
Cette version composée des débris et de
de rencontres unique pour les artistes de notre
l’histoire de Rome vient se confronter dans
territoire qui, pendant une période de 3 mois,
un dialogue formel avec l’humour et la beauté
peuvent
se concentrer et questionner leur
fragile des céramiques de l’artiste romain invité,
démarche notamment par cette rencontre avec
lauréat du Talent Prize - Prix contemporaine
l’Autre, au sein d’un processus de production
italienne décerné par la revue Inside Art -
restitué en septembre de chaque année à Lille,
Davide Monaldi.
dans l’exposition Format à l’Italienne.
Je voudrais saluer l’implication de notre
Cette année, c’est une Rome déconstruite puis
partenaire, l’Université de Lille, qui par les
reconstruite par la poésie, qui caractérise
recherches de son étudiante Julie Steyer et de
le travail des artistes présentés dans cette
l’équipe pilotée par Véronique Goudinoux,
neuvième édition .
nous a accompagnés dans la mise en mots et en espace de ce projet. Projet de création qui sera présenté cet hiver à Rome afin de permettre à ces jeunes artistes de confronter leur vision de Rome à la scène artistique contemporaine romaine. Saluer aussi l’Institut Français et la
Martine AUBRY Maire de Lille
Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille ainsi qu’Inside Art qui ont rendu possible la diffusion de l’exposition à Rome. Souhaitons le plus grand succès à cette neuvième édition !
10 - Martine Aubry, Mairie de Lille
Rome has always fascinated artists because of
Sarah Feuillas’ photographs and constructions
its beauty, history, tensions and crises. For a
lead us through significant architectural traces.
long time, it has been a place for professional
These three approaches reveal to us how rich
development and the cradle of numerous
and varied the work of artists from our region is.
intercultural exchanges. So Wicar, Lille’s famous
This vision composed of Rome’s debris and its
artist and benefactor, installed his studio there,
history will be juxtaposed in a formal dialogue
building an influential network and a rich
with the humour and fragile beauty of the
collection of drawings that he left to Lille’s
ceramics of Davide Monaldi, the guest Roman
Society of Sciences, Agriculture and Arts, which
artist, and winner of the Talent Prize - a prize
later ceded them to the city of Lille.
created by the magazine, Inside Art.
In leaving his bequest to the Society of Sciences,
I would like to acknowledge the involvement
Agriculture and Arts of Lille & his workshop to
of our partner, the University of Lille, which,
the city of Lille, he ensured the continuance of
through the research of Julie Steyer, one of
this centuries long, almost mythical, trip to Rome
its students, and the team led by Véronique
for artists from Lille who, since 1868 and Carolus
Goudinoux, has helped us bring this project to
Duran, have benefitted from his heritage.
life in words and space. A project that will be
It is a time of research, questions and unique
exhibited this winter in Rome to allow these
meetings for artists from our region who, for
young artists to juxtapose their vision of Rome
three months, are able to concentrate on and
to the contemporary Roman art scene. I would
probe their art, particularly through meeting
also like to thank the Institut Francais and the
the Other, as part of an artistic process which is
Society of Sciences, Agriculture and Arts of
relived every September in Lille, in the Format à
Lille, which made the holding of this exhibition
l’Italienne exhibition.
in Rome possible. We hope this ninth edition
This year, it is a deconstructed Rome, rebuilt
will be extremely successful !
through poetry, which characterises the work of the artists exhibited in the ninth edition. It is this story that will be put into words and form by the artists, Galerie Rezeda (Adeline Duquennoy and Manuel Reynaud), Philippe Paoli and Sarah Feuillas. The Galerie Rezeda duo took stock of the city, and their monumental sculptures, created in the Techshop of Lille, retranscribe their sensitive account of it. Philippe Paoli immerse us into an investigation of a Rome rebuilt in a fictional, almost
Martine AUBRY
Mayor of Lille
conspiratorial, universe.
Martine Aubry, Mayor of Lille - 11
L’une des missions de la Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille, tradition remontant à sa création en 1802, consiste en une remise de prix à des personnalités marquantes dans le domaine des sciences et dans le domaine des arts. La désignation des lauréats fait, chaque année, l’objet d’un débat après examen des «titres et travaux». Une autre mission, tout aussi agréable, est la
Les trois derniers lauréats, à leur retour
sélection de jeunes artistes pour un séjour
de Rome, se sentent peut-être eux-mêmes
de trois mois à Rome. Elle ressemble à la
intellectuellement enrichis.
première puisque, dans les deux cas, il s’agit d’un
La proposition de Galerie Rezeda consistait
jugement. Mais pour la fondation Wicar, un jury
en un enregistrement de leur parcours,
composé paritairement par la Société et la Ville
une déambulation à Rome dans le but d’en
de Lille permet la confrontation d’idées neuves,
extraire un matériau cohérent. L’un d’entre
de regards plus modernes.
eux, Philippe Paoli, proposait une réinvention
J’ai siégé pendant six ans dans ce jury aux
du récit mythique de la fondation de Rome
côtés de la SSAAL et d’experts désignés par
en utilisant les nouvelles technologies. Sarah
l’équipe des Arts visuels. Et si j’ai pu librement
Feuillas envisageait, quant à elle, d’appréhender
donner mon avis, chaque année, j’ai également
les techniques de taille du marbre, cherchant à
beaucoup appris. J’ai su comment gommer
approfondir sa connaissance de l’architecture
certains a priori et découvrir les avancées à la
italienne.
fois techniques (vive le numérique!) et purement
Sont-ils allés au bout de leur projet? Ont-ils
artistiques. Nous avons peut-être contribué, avec
trouvé là-bas une nouvelle source d’inspiration?
des approches complémentaires, à la révélation
J’attends leur témoignage lors de l’exposition
de réels talents.
de leurs travaux à L’Espace Le Carré et leur souhaite un brillant avenir.
Jean-Pierre Hénichart
Président de la Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille
12 - Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille
And as well as being able to freely give my opinion, I also learned a lot each year. I knew how to erase some theoretically and discover others both technical ( long live digital ! ) as well as purely artistic. We may have helped to unveil some real talent using complementary approaches. The last three laureates, on their return from One of the key objectives of the Société des
Rome, may themselves feel intellectually
Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille
enriched. The Galerie Rezeda’s proposal
(Lille’s Society for Sciences, Agriculture and the
was made up of a record of their journey,
Arts) dating back to its creation in 1802, consists
a stroll through Rome in order to extract
of a prize giving to prominent personalities
material that is consistant. One of them,
in the fields of science and the arts. Laureate
Philippe Paoli, put forward a reinvented
nominations are the subject of a debate each
mythical story of the founding of Rome using
year after examining «titles and works».
new technologies. Sarah Feuillas sought to
Another equally enjoyable objective is selecting
deepen her knowledge of Italian architecture
young artists for a three-month stay in Rome. It
by
is similar to the first, since in both cases it is a
techniques.
selection process. But for the Wicar Foundation,
Did they achieve the objectives for their
a jury made up equally of the company and the
projects ? Did they find a new source of
City of Lille makes it possible for new ideas and
inspiration there ? I am eagerly awaiting
more modern approaches to be encountered.
to see their findings at the exhibition
I have sat on this jury for six years along side
displaying their work at L ’ Espace Le Carré
SSAAL and experts appointed by the Visual
and I would like to wish them a bright future
Arts team.
ahead of them.
exploring
different
marble
cutting
Jean-Pierre Hénichart
President of the Society of Science, Agriculture and Arts of Lille
Society of Science, Agriculture and Arts of Lille-13
Écrire la préface du catalogue des artistes qui,
Mais mon plus grand bonheur c’est finalement
chaque année, viennent à Rome pour vivre une
d’être un éditeur d’art qui soutient les nouvelles
expérience exceptionnelle dans le mythique
générations. Au fil des années, bien des
Atelier Wicar est un véritable bonheur. Un
jeunes artistes sont passés par l’Atelier Wicar
bonheur personnel parce qu’il me rappelle
et si certains étaient plus doués que d’autres,
que le Talent Prize, le prix que j’ai fondé il y a
tous avaient la même volonté de rechercher,
onze ans, est devenu, avec plus de huit mille
d’explorer, d’expérimenter, de trouver de
jeunes artistes inscrits, une référence nationale
nouvelles manières de voir la vie et le monde.
et internationale pour la communauté des
J’ai été impressionné par leurs recherches et
créateurs émergents et, surtout, parce qu’il
par la façon dont ils se sont confrontés à une
renforce à chaque fois mes liens avec Lille, une
ville complexe comme Rome. Cette année, nous
ville que j’aime particulièrement, car elle a su
célébrons Galerie Rezeda, Philippe Paoli, Sarah
faire de la réalité contemporaine l’instrument
Feuillas. Comme vous pourrez le constater dans
de sa renaissance d’abord et de sa croissance
ce livre, tous trois ont des manières différentes
ensuite. Sans oublier que, chaque année, Lille
de voir les choses et de concevoir l’analyse et la
met à l’honneur, avec une exposition colletive,
création. Cette diversité est la vraie richesse à
le gagnant du Talent Prize, qui est cette année
laquelle puiser, car les bons artistes sont ceux
le talentueux Davide Monaldi. Le bonheur que
qui savent mieux regarder et voir plus loin que
j’éprouve à collaborer et à interagir avec Lille est
les autres. Et c’est à nous de recueillir le fruit de
aussi une affaire de famille : ma femme, Sophie,
leur travail. Alors regardez bien le travail de ces
est née et a grandi à Lille et, à travers elle, nous
trois jeunes talents et vous découvrirez combien
nourrissons tous une affection particulière
leur séjour à Rome a été fructueux.
pour cette ville magnifique, carrefour de tant de cultures.
Guido Talarico
Éditeur et directeur d’Inside art, fondateur du Talent Prize
14 - Inside Art
It’s a real joy to have been invited to write the
But, in the end, the greatest joy is how it has come
preface for a catalogue of work by artists who
to characterise my career as art editor, focused
come to Rome every year for the wonderful
mainly on supporting the next generations of
experience of staying at the legendary Atelier
artist. Throughout all these past years lots of
Wicar. It’s a personal joy for several reasons. It
artists have passed through Atelier Wicar, some
reminds me that the Talent Prize, the award I
more talented than others but all with a great
founded 11 years ago, is now really going strong.
desire to find out, explore, experiment, and
More than 8,000 young artists are registered
discover new visions of life and the world. It has
and it has become somewhat of a national and
been amazing to see all their work and also to see
international reference point for the emerging
how they relate to a complex city like Rome. This
creative community. And above all, it’s a joy
year we celebrate Galerie Rezeda, Philippe Paoli,
every time because my relationship with Lille
Sarah Feuillas. As you’ll see in the following
gets stronge. This is a city that I really appreciate
pages all three have different ways of looking at
for how it has been able to use the contemporary
things and different ways of conceiving analyses
stronger instrument first of rebirth and then
and artworks. It is precisely this diversity that is
of growth. Nor do I forget the fact that every
the real richness one can draw from. Good artists
year Lille hosts a group exhibition show for
are the ones who know how to look harder and
the winner of the Talent Prize : this year for the
go deeper than others. Our job is to know how to
gifted Davide Monaldi. The joy of working and
gather the fruit that their work produces. So take
visiting Lille is also partly due to family reasons:
a good at the work of these three young talents
in fact, my wife Sophie was born and raised
and you’ll see that their stay in Rome has, indeed,
in Lille and through her we’ve all developed a
proved very fruitful.
special affection for this beautiful city, and the crossroads of many cultures that it has become.
Guido Talarico
Inside Art editor and director, Talent Prize founder
Inside Art - 15
Depuis 2017, le Service des Arts Visuels de la Ville de Lille et l’Université de Lille ont débuté un partenariat fructueux permettant à des étudiants et étudiantes de travailler en tant que commissaire d’exposition à l’édition annuelle de la manifestation Format à l’italienne. La question de l’exposition, en effet, est au centre de leur formation (1): si l’on souhaite faire éprouver une œuvre à quelqu’un, ne doit-on pas lui proposer de découvrir les œuvres d’art sous leur forme exposée, seule manière de dépasser la perception purement visuelle et réduite qu’offre sa reproduction et de conduire les spectateurs à effectuer une expérience émotionnelle et sensible ? Tout artiste sait qu’aujourd’hui il est difficile de dissocier le travail en deux moments distincts : celui de la création de l’œuvre, celui de son exposition. Dans le temps même de la création, les artistes bien souvent prennent en compte l’accrochage et la disposition de leurs travaux dans l’espace, parfois même son rapport au lieu précis de l’exposition. Puis vient un autre moment, celui de l’exposition, ici collective, qui engage d’autres interrogations : comment montrer des travaux de différents artistes sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre ?
A cet égard, quel est le rôle du commissaire ? Juxtaposer des œuvres dans l’espace peut-il avoir des incidences sur leur interprétation ? Certains choix sont audacieux : ainsi Julie Steyer, jeune étudiante-commissaire en charge de cette édition, et les artistes Sarah Feuillas, Galerie Rezeda et Philippe Paoli, ont-ils choisi ensemble de fragmenter leurs installations monumentales, de ne pas les isoler les unes des autres, option singulière s’il en est. Format à l’italienne 9 s’inscrit dans ce contexte de recherches sur les nouvelles formes d’exposition, tel les « expositions contées » d’ Isabelle Henrion et Sophie Lapalu (qui racontent plus que montrent des œuvres) ou les « résidences performées » de Florian Gaite (qui donne à voir aux publics les artistes au travail, son processus - pas seulement ses résultats) (2) . Ces recherches font apparaître des thématiques particulières, comme celle sur laquelle Julie Steyer a travaillé cette année dans le cadre de son mémoire : l’exposition de la ville. (3)
1- Formation « Exposition / production des œuvres d’art contemporain » », Master Arts. Objectif : former les étudiant.e.s aux métiers de l’exposition.
Quels sont les enjeux des nombreuses expositions
2 - Voir à ce propos Barbara Decrock, Pratiques curatoriales contemporaines. Renouvellement du format de l’exposition et propositions singulières, Villeneuve d’Ascq, Université de Lille, Master Arts, 2018, 101 p. Voir également Carlijn Juste, New Media Art in the Museum Environment. A Problem-Oriented Study of the Exhibition of Interactive, Digital, and Immaterial Objects in the Art Museum, Doctorat.PhD en cours, Université de Lille / CEAC / Université de Groningen.
ville, que retiennent les artistes ? Quels motifs,
3 - Julie Steyer, Exposer la ville, Villeneuve d’Ascq, Université de Lille, master Arts, 2018, 135 p.
16 - Véronique Goudinoux, Université de Lille
actuelles sur les villes contemporaines ? De la quels récits ? De plusieurs manières, cette édition de Format à l’italienne, par la grande singularité des travaux des artistes retenus, par ses découpes incisives de l’espace d’exposition et les perspectives singulières qu’elle offre, répond en finesse à ces questions.
Véronique Goudinoux Professeure en histoire et théorie de l’art / Université de Lille / CEAC
Julie Steyer, the young student curator in charge of this edition, and artists
Galerie Rezeda,
Philippe Paoli, Sarah Feuillas, together decided to fragment their monumental installations, not to isolate them from each others by choosing a unified approach. Since 2017, the Visual Arts department for the City of Lille and the University of Lille began a fruitful partnership allowing students to work as curators at the annual edition of the Format à l’italienne event. In fact, the question of the exhibition is at the centre of their training (1) : If we want to give people the opportunity to experience a piece of artwork, shouldn’t we allow them to discover pieces of art on exhibition as the only way of going beyond the purely visual and moderating the perceptive that their reproduction offers ? Doesn’t this encourage the audience to have a more emotional and sensual experience ? Every artist knows that today it is difficult to separate work into two different moments when their art is being created and then when it is being exhibited. During the creative period, artists often take into account how their work will be displayed and arranged in a space, sometimes even in relation to a precise area within an exhibition. Then comes another moment in the exhibition, here being collective, which begs other questions: How can artwork from different artists be exhibited without one taking precedence over the other? In this respect, what is the role of the curator? Can contrasting pieces of artwork within the same space affect how they are interpreted? Some
Format à l’italienne 9 is partly about this research on new ways of exhibiting such as Isabelle Henrion’s and Sophie Lapalu’s «expositions contées» (which talks about exhibiting artwork in more detail) and «résidences performées» by Florian Gaite (who gives the audience an insight into artists at work and their processes - not just their results) (2). This research reveals specific themes, such as the one Julie Steyer worked on this year as part of her thesis: The city exhibition (3) . What are the challenges of the many current exhibitions on contemporary cities ? From the city, what do artists capture ? What are their motives, what is their narrative? In many ways, this edition of Format à l’italienne elegantly responds to these questions by bringing works from selected artists together with incisive slices of the exhibition space and the singular perspectives that it offers. 1- Training «Exhibition / Contemporary Art production» course, Arts Master. Objective: To train students in exhibition work. 2 - Presenting on this subject, Barbara Decrock on Contemporary Curatorial Practices. Renewing the format for exhibitions and unique proposals, Villeneuve d’Ascq, University of Lille, Arts Master 2018, 101 p. See also Carlijn Juste, New Media Art in the Museum Environment. A Problem-Oriented Study of the Interactive Exhibition, Digital, and Immaterial Objects in the Art Museum, Ph.D. in progress, University of Lille / CEAC / University of Groningen. 3 - Julie Steyer, Exhibiting the city, Villeneuve d’Ascq, University of Lille, Arts Master, 2018, 135 p.
choices are bold.
Véronique Goudinoux Professor of History and Theory of Art/ the Université de Lille / CEAC Véronique Goudinoux, University of Lille - 17
2 0 1 7 - 2018 Lauréats Wicar
GALERIE GRoma est une pièce à plusieurs entrées, composée d’éléments liés les uns aux autres, sous tendant à un ensemble organisé autour de la grille et du fragment. Le schéma proposé dans la page suivante est une tentative de formulation de cette approche parcellaire et de sa dimension plurivoque.
GRoma is a room with several entries, made up of elements linked to each other, together put under tension around a grid and fragment. The diagram shown here is an attempt to formulate this fragmented approach and its many-sided dimension.
Galerie Rezeda Lauréats Wicar Septembre - Décembre 2017
20 - Galerie REZEDA
REZEDA « G Rom a»
Galerie REZEDA - 21
22 - Galerie REZEDA
Galerie REZEDA - 23
DÉPLACER L’IDÉE DE REPRÉSENTATION Composé de deux artistes, Adeline Duquennoy et
Par la même occasion, rappelant que la pratique et
Manuel Reynaud, le binôme Galerie Rezeda élabore
la production supposent, en vue de surmonter la
une pratique plurielle qui interroge les modes de
dichotomie entre captation et restitution, l’assimilation
restitution d’un paysage ou d’un territoire spécifique.
de plusieurs ordres – le perçu, le vécu et le conçu, pour
À l’occasion de projets les ayant conduits en divers
reprendre les termes d’Henri Lefebvre –, on relève
lieux géographiques, parfois à l’étranger, comme
que les projets de Galerie Rezeda s’appuient, le plus
lorsqu’ils se rendent au Mexique ou au Maroc, les deux
souvent, sur des matériaux qui, s’ils sont issus du lieu-
artistes entreprennent ce travail de restitution non
même, développent globalement une sémantique de
pas en reproduisant littéralement la réalité supposée
l’assemblage, de l’impermanence, voire de la précarité,
d’un territoire, mais en adoptant une dynamique
comme pour stimuler une logique de la construction
discursive et productive. En effet, partant du principe
qui serait toujours en devenir. De même, la fabrication
que toute géographie est traversée par un ensemble
d’éléments modulaires est à cet égard particulièrement
d’échanges complexes et volatiles, considérant d’une
symptomatique : utilisés comme des balises délimitant
certaine façon
que les procédés de représentation
des territoires ou des trajectoires, non seulement
traditionnels sont inadaptés lorsqu’il s’agit de
sont-ils assemblés et disposés de façon plus ou moins
déchiffrer de tels espaces, Galerie Rezeda élabore des
arbitraires dans ces espaces, aussi sont-ils soumis à
projets organisés en plusieurs strates qui s’imbriquent
des lectures, des utilisations ou des interprétations
et se superposent, de manière à composer une sorte de
divergentes de la part de ceux qui les rencontrent,
cartographie d’éléments en interaction. Ainsi, outre
affirmant le caractère incertain et circonstanciel de
le passage par le dessin, la vidéo ou l’installation, les
toute entreprise visant à borner, voire à définir, un
deux artistes mettent en place des interventions in
espace donné.
situ, des déplacements et des échanges afin de rendre
En conséquence, les différents projets de Galerie
compte, dans une certaine mesure, des savoirs ou
Rezeda ne se perçoivent pas simplement comme
des représentations qui s’érigent, se transmettent
des traces du réel venues ponctuer un certain type
et se succèdent, mais également des structures, des
d’expérience. Si c’était le cas, ils ne s’inscriraient que
configurations ou des édifices qui se bâtissent et se
dans la captation seule. Ils se présentent aussi et surtout
délitent au sein d’un même territoire.
comme des moyens de disposer de ce même réel, de
Une attention particulière est accordée, pour cela, aux
l’étirer ou de le prolonger, de même que la sémantique
notions de pratique et de production. En premier lieu,
de la carte, omniprésente dans leurs travaux, permet
parce que c’est ce qui leur permet d’investir le caractère
de déplacer l’idée de représentation en soulignant le
changeant et évolutif de tout espace ou paysage. En
jeu des possibles et des virtualités dans tout rapport
second lieu, car ces deux notions, en renvoyant à une
au réel. Le plus essentiel, au final, étant de ne pas
expérience immédiate et agissante, soulignent une
considérer l’espace, le territoire ou le paysage comme
interaction réelle entre des acteurs et leur milieu, de
une donnée inamovible, mais comme une réalité qui
telle sorte que le projet de restituer un espace ou un
reste continuellement à produire.
territoire peut être relayé par la possibilité de s’en imprégner, de l’éprouver, d’agir sur lui, induisant du même coup une dimension vivante, sinon sensible, de ce même espace.
24 - Galerie REZEDA
Julien Verhaeghe Critique d’art
Galerie REZEDA - 25
SHIFTING IDEAS ABOUT REPRESENTATION Consisting of two artists, Adeline Duquennoy
At the same time, recalling that practice and
and Manuel Reynaud, Galerie Rezeda embraces a
production imply, in order to overcome the
multi-faceted artistic practice that questions the
dichotomy between capture and restitution, the
ways of representing a specific landscape or area.
assimilation of several orders - the perceived, the
During projects that have taken them to various
lived and the conceived, to use Henri Lefebvre’s
geographical locations, occasionally abroad, such
words - it should be noted that Galerie Rezeda’s
as when they have been to Mexico or Morocco, the
projects most often rely on materials that,
two artists undertake this work of representation
although they come from that place, develop a
not by literally reproducing the supposed reality
global semantics of assembly, impermanence, or
of an area, but through a discursive and productive
even precariousness, as if to stimulate a logic of
dynamic. In effect, beginning with the assumption
construction that will always be in the making.
that all geography is crossed by a set of complex
Similarly, the manufacture of modular elements
and volatile exchanges, and considering that, in a
is particularly symptomatic in this respect: used
certain way, traditional representation processes
as markers delimiting areas or trajectories, not
are unsuitable when it comes to deciphering such
only are they assembled and arranged more or less
spaces, Galerie Rezeda develops projects organised
arbitrarily in these spaces, they are also subject to
in several interlocking and overlapping layers
different readings, uses or interpretations from
so as to create a sort of map of all the interacting
those who see them, asserting the uncertain and
elements. Thus, in addition to drawing, video and
circumstantial nature of any endeavour to limit or
installation, the two artists also carry out local
even define a given space.
interventions, displacements and exchanges
As a result, the various Galerie Rezeda projects
in order to account, to a certain extent, for the
do not perceive themselves as simply traces of
learning and representations which have been
reality punctuating a certain type of experience.
constructed and transmitted one after the other,
If that were the case, they would only form part
and also the structures, patterns and buildings that
of capture. But they are also and above all a means
have been built and decayed within a single area.
of disposing of this same reality, of stretching or
To do this, special attention is given to the notions
prolonging it, just as the semantics of the map,
of practice and production. First, because it allows
omnipresent in their work, makes it possible to
them to engage the changing and evolving nature of
displace the idea of representation by highlighting
any space or landscape. Second, because these two
the game of possibilities and virtualities in
notions, by referring to an immediate and active
relation to reality. The most essential, in the end,
experience, underline a real interaction between
is not to consider spaces, areas or landscapes as
actors and their environment, so that the project of
immutable data, but as a reality that is constantly
rendering a space or an area can be supplemented
changing.
by the possibility of being permeated by it, testing it, acting on it, whilst eliciting the living, although not live, dimension of this same space.
26 - Galerie REZEDA
Julien Verhaeghe Art Critic
Galerie REZEDA - 27
ENTRE TIEN AVEC JULIE STEYER Vous avez élaboré votre projet avant votre départ pour Rome, où vous n’étiez jamais allés. Au contact de la ville et au cours des trois mois, comment a-t-il évolué ? Galerie Rezeda : Nous avions établi en amont de la résidence un protocole basé sur nos déplacements dans la ville. C’est de l’atelier Wicar, dans le centre historique, que sont partis nos repérages. La juxtaposition des époques a produit un urbanisme de ville vitrine, offrant une suite de bâtiments imposants et de points de vue imposés. Ceci entravait notre recherche d’une « complexité du lieu» (espaces en mutation, en transition entre la construction et la destruction...) lors de nos marches. L ’ exploration des zones périphériques et interstitielles nous a permis de changer notre regard sur le centre que nous trouvions trop muséal et figé au début.
Vous avez réalisé de nombreuses résidences et travaillez généralement à partir d’un territoire donné. On pourrait dire que l’expérience de la résidence fait partie de votre pratique. Quelle a été la particularité de celle-ci pour vous ? Galerie Rezeda : Nos productions sont orientées par les spécificités du contexte de la résidence. Par exemple, là où au Mexique s’est imposé un travail sur la culture matérielle (et immatérielle) comme partie intégrante du paysage, à Rome nous nous sommes confrontés à une histoire urbaine fragmentée. L’atelier Wicar a été le centre de recherche et d’assemblage des fragments récoltés sur les bordures et dans les creux de la ville. La ville est un objet récurrent dans votre pratique. Rome a longtemps été associée à un passage obligatoire pour les artistes, presque de l’ordre du voyage initiatique. Avez-vous perçu cette « tradition » dans votre appréhension de la ville ? Galerie Rezeda : Nous avons mis de côté les les idées préconçues concernant Rome, ce qui dans son cas n’est pas une tâche aisée, et l’avons abordée comme n’importe quelle autre ville. Ce qui nous intéresse dans une ville, ce sont ses mutations et ce qui en fait sa spécificité contemporaine. L’intérêt pour la ruine et l’antique pourrait être vu comme un cliché, mais il nous est apparu qu’on ne peut penser cette ville en excluant ses vestiges, tant leur implication dans son urbanisme actuel est forte. Nous avons traité le fragment antique et le fragment « contemporain » de façon égale. 28 - Galerie REZEDA
INTERVIE W You designed your project before you left for Rome, where you had never been before. Once you were in contact with the city and over the three months, how did it evolve ? Galerie Rezeda : Before our residence we had established a protocol based on our movements in the city. Our searches all departed from the Atelier Wicar, in the historic centre. The juxtaposition of epochs has produced a sort of showcase urbanism, offering a succession of imposing buildings and imposed perspectives. This impeded our search for a «complexity of place» (changing spaces, in transition between construction and destruction...) during our walks. The exploration of peripheral and interstitial areas allowed us to change our view of the centre, which we found too much of a frozen museum at the beginning.
You have undertaken a lot of residencies and usually work from a given territory. One could say that the experience of residence is part of the practice of your art. What was the particularity of this one for you ?
Galerie Rezeda : Our productions are oriented by the specificities of the context of the residence. For example, where in Mexico work on the tangible (and intangible) culture was an integral part of the landscape, in Rome we were confronted with a fragmented urban history. The Atelier Wicar was the centre of our research and of the assembly of the fragments collected from the city’s nooks and crannies.
The city is a recurring object in your practice. Rome has long been associated as a compulsory place for artists to go, almost a rite of passage. Did you feel this «tradition» in your understanding of the city ?
Galerie Rezeda : We put aside preconceived ideas about Rome, which in this case was not an easy task, and approached it like any other city. What interests us in a city are the ways in which it has changed and what its contemporary specificity is. Interest in ruins and antiquities could be seen as a cliché, but it was apparent to us that we could not exclude these vestiges from our thinking about this city, so strong is their impact on its current urbanism. We treated the ancient and the «contemporary» parts equally.
Galerie REZEDA - 29
PHILIPPE LUPA est une plongée dans l’inconscient collectif de la fondation de Rome. Elle est le prolongement d’une démarche complexe et systémique engagée dans la confrontation de l’histoire, de l’archéologie, de l’anthropologie et de l’histoire de l’art. Au fur et à mesure du temps de la résidence, mon travail a consisté à accumuler une quantité importante d’informations et d’iconographies articulées autour du mythe de la fondation de Rome. Ce corpus d’éléments et d’hypothèses constitue une sorte de noyau dur, un inébranlable. Au delà du mythe, au delà de l’antiquité, ma «matière de Rome», celle que je me propose de sculpter dans LUPA, s’est complétée par une multitude d’images symboliques utilisées au cours de la réforme et de la contre-réforme, puis par d’autres images plus récentes. Ainsi s’est organisé un ensemble d’arborescences primaires dont le seul lien commun était l’image de Rome. Rome n’est pas qu’antique, elle est quantique. Les temps ne se juxtaposent pas, ils se superposent et se croisent dans un enchevêtrement de strates. Les cultes ne s’opposent pas vraiment, ils fusionnent par syncrétisme. Les icônes symbolisent non pas un pouvoir, mais plusieurs, une même image pouvant signifier une chose et son contraire.
30 - Philippe PAOLI
PAOLI « LU PA »
Philippe Paoli
Ma « matière de Rome » devient un système
Lauréat Wicar Septembre - Décembre 2017
nodal aux multiples arborescences, où les icônes, les temps et les cultes se croisent en permanence. Pour permettre la connexion entre les arborescences primaires de ce système, j’échafaude de nouvelles arborescences affabulées. De ce système racinaire, naît alors un arbre neuf et original, issu de l’hybridation d’une réalité et d’une interprétation personnelle. Il prend la forme d’un collage complexe, entre l’atlas Mnémosyne d ’ Aby Warburg et le mur d’une enquête sur une possible théorie du complot. Une vidéo, montée à la manière des vidéos complotistes qui circulent partout aujourd’hui sur les réseaux sociaux, accompagne une lecture possible de cet arbre. On y découvre notamment l’existence d’un culte à mystères qui s’est glissé insidieusement dès les prémices de la civilisation romaine en multipliant les dénominations et les ramifications. La découverte archéologique d’un temple consacré à ce culte permet d’introduire de nouveaux dieux aux panthéons mythologiques. Les origines de la Louve (la Lupa), de Romulus, de Rémus, de Faustulus, de Larentia (l’autre Lupa) prennent un nouveau sens, et tout un pan de l’histoire de la ville de Rome bascule dans un doute étrange. La puissance du faux et l’image cristal évoquées par Deleuze, la dénonciation de la doxa propagée par le mythe chère à Barthes sont au cœur de notre actualité. LUPA pose la question de la véracité des fondations d’une civilisation, mais également sur l’existence même d’une Vérité, tant il est vrai que pour s’imposer toute forme de pouvoir, dilue le vrai, dans le faux, dans la légende, dans le mythe.
Philippe PAOLI - 31
PHILIPPE LUPA is a dive into the collective unconscious of the founding of Rome. It is a continuation of a complex and systemic committed approach to confronting history, archeology, anthropology and the history of art.
PAOLI «LU PA »
As my stay progressed, my work consisted of
It takes the form of a complex collage between
accumulating a vast amount of information and
the Mnemosyne atlas of Aby Warburg and
iconography expressing the myths around the
the wall of an investigation into a possible
founding of Rome. This corpus of elements and
conspiracy theory. A video, shown as a series of
hypotheses constitutes a kind of unwavering
conspiracy videos that circulate everywhere
hard core of information. Beyond the myth,
today on social networks, accompanies a
beyond antiquity, my « Matière de Rome »,
possible interpretation of this tree.
that led me to wanting to sculpt LUPA, was
We more specifically discovered the existence
completed by a multitude of symbolic images.
of a mystery cult that crept insidiously from
These images were of the reform and the
the beginnings of Roman civilization through
counter-reform along with other more recent
multiplying denominations and ramifications.
images. Consequently, a set of primary layers
The archaeological discovery of a temple devoted
were organized whose only common link was
to this cult enables us to introduce new gods to
the image of Rome.
this mythological pantheon. The origins of
Rome is not only ancient, it is quantum. Different
the Wolf (Lupa), Romulus, Remus, Faustulus
periods cannot be compared. They overlap and
and Larentia (the other Lupa) take on a new
intersect in a tangle of different layers. Cults do
meaning, and a whole section of the city of
not really defy each other but merge through
Rome’s history falls into peculiar doubt .
syncretism. Icons symbolize not one power but
At the centre of our news is the powerful
several with the same image meaning one thing
false but clear image evoked by Deleuze that
as well as its opposite.
denounces the doxa spread by the myth dear to
My «Matière de Rome» becomes a nodal system
Barthes. LUPA raises the question not only of
with multiple branches, where icons, time
the accuracy of this civilization’s foundations.
periods and cults constantly cross over. To
In addition it questions the very existence of
be able to make a connection between this
the truth, so much so that it imposes all forms of
system’s primary levels, I am evoking new
power diluting the truth into untruth through
affable branches. From this root system, a new
myth and legend.
and original branch is born, resulting from a hybrid of reality and a personal interpretation.
32 - Philippe PAOLI
Philippe Paoli - 33
CHOSE SIMPLE
Chaque mise en scène — faite de multiples formes d’expression entremêlant architecture, installation,
Architecte, Philippe Paoli est d’abord un traducteur
photomontage — résume une HALCOV d’un seul
chargé de transformer un plan en image. Ressentant
coup d’œil en restituant l’atmosphère de l’accrochage
l’urgence de créer librement, il se met à produire
dans sa totalité. Mais, à y regarder de plus près, cette
des architectures critiques et poétiques en écho
perception n’est-elle pas fondée sur des préjugés ? En
à l’actualité médiatique, objets d’une « narration
réalité, Phillipe Paoli invente des mascarades. Suite à
spéculative ». Ces constructions surréalistes amorcent,
la découverte des photographies spirites d’Edouard
dès lors, une réflexion sur la porosité des frontières
Buguet, il comprend que la puissance du faux lui
entre la réalité et la dystopie, entre le politique et la
permet d’aller au-delà de la simple représentation. Il
fiction, entre l’histoire et le mythe qui irrigue toute
emprunte, mime et détourne des symboles mystiques,
sa production plastique. Marqué par la manipulation
construit un simulacre qui place le spectateur dans
médiatique et le nuage radioactif des évènements de
une posture interrogative : ce que je vois est-il vrai ?
Tchernobyl, il développe un univers à cheval entre
Il sème le doute, brouille les pistes et démontre la
l’alchimie, la méta-physique, les sciences, l’atome, la
nature ambiguë de l’image. Pas loin d’échafauder
mutation.
une véritable théorie du complot, sorte de mythe
S’imposant les règles d’une narration devenue elle-
contemporain dont il questionne les mécanismes de
même commanditaire de sa création, il entame un
construction, il confère à son travail une dimension
travail de digestion de toute sorte de nourriture
éminemment politique, sarcastique, perméable à la
intellectuelle
vision d’un monde en désuétude.
et
éclate
de
multiples
concepts
sémantiques, sémiologiques, artistiques, culturels,
L ’ artiste crée avec une dérision iconoclaste et un ton
symboliques, ou folkloriques avant de les associer.
à la fois ludique, savant et pédagogique en piochant
À partir de combinaisons énigmatiques, il invente
dans de nombreuses références cinématographiques,
une dimension parallèle, proche d’une vision post-
en usant d’analogies et d’associations iconographiques.
apocalyptique de notre monde, dans laquelle existe
Il s’inspire de l’œuvre Melancolia de Dürer mais aussi
une société secrète appelée l’ORDR, contrôlée par des
des œuvres romantiques et symbolistes du XIXe
notables et dont le but est de déterminer la véritable
siècle et trouve, dans leur complexité de lecture,
nature des Djinns, sorte de bétyles géants. Le héros
une résonance avec son univers à multiples entrées.
solitaire de cette œuvre d’anticipation est Pépé Fozr,
Psychanalytique, son travail fait pénétrer le regardeur
un voyageur spatio-temporel, représenté par trois
dans les méandres de son inconscient, peuplé de
attributs : une coiffe indienne, un masque à gaz greffé
ruines, de fétiches, d’animaux, de chimères, de totems.
sur son visage et un zèbre comme véhicule de fonction.
En puisant dans les sources chamaniques et primitives
L’artiste raconte ses aventures par assemblage de
de l’humanité, Philippe Paoli propose un travail
bribes d’histoires qu’il nomme HALCOV : Histoires
radicalement intellectuel et spirituel qui redonne du
Autonomes Liables et Compactes à Ouvertures
sens à l’absurdité du monde.
Variables. Ces bouts d’espace-temps, créés au fil des expositions, se croisent, se nouent et dessinent les « coins narratifs » d’une œuvre globale.
34 - Philippe PAOLI
Elise Poitevin Commissaire d’exposition et critique d’art
Philippe PAOLI - 35
S IM P L E THING
Each staging - made of multiple forms of
As an architect, Philippe Paoli is primarily an
installation, photomontage - summarises
interpreter, responsible for transforming a
a HALCOV at a glance by restoring the
plan into an image. Feeling the urge to create
atmosphere of the exhibition in its entirety.
freely, he began to produce critical and poetic
But,
architectures echoing the news media, objects
perception based on prejudice ? In reality,
of a «speculative narration». These surrealist
Phillipe Paoli invents masquerades. After
constructions initiate, therefore, a reflection on
discovering Edouard Buguet’s spirit photographs
the porosity of the borders between reality and
he understood that the power of what is false
dystopia, between politics and fiction, between
allowed him to go beyond more representation.
history and the myth that permeate all his art
He borrows, mimes and hijacks mystic symbols,
work. Influenced by media manipulation and
constructs a simulacrum that places the viewer in
the radioactive cloud of the events at Chernobyl,
an interrogative position: Is what I am seeing true?
he has developed a world that straddle alchemy,
He sows doubt, blurs the tracks and demonstrates
meta-physics, sciences, the atom, mutation.
the ambiguous nature of the image. Not far
By imposing the rules of a narrative that in turn
from constructing a real conspiracy theory, a
has become the sponsor of his creation, he starts
kind of contemporary myth whose construction
a process of digestion of all kinds of intellectual
mechanisms he questions, he confers an eminently
fodder
political and sarcastic dimension to his work,
and
explodes
multiple
semantic,
expression
on
intermingling
closer
architecture,
examination,
isn’t
this
semiological, artistic, cultural, symbolic, or
permeable to the vision of a world in disrepair.
folkloric concepts before re-associating them.
The
From his enigmatic combinations, he invents a
mockery and a tone that is playful, scholarly
parallel dimension, close to a post-apocalyptic
and
vision of our world, in which there exists a
cinematographic references, using analogies
secret society called the ORDR, controlled by the
and iconographic associations. He is inspired
powerful, whose purpose is to determine the true
by Dürer’s Melancolia, but also by romantic and
nature of Djinns, a sort of giant Betyl. The solitary
symbolist works of the 19th century and finds,
hero of this work of anticipation is Pépé Fozr, a
in their complexity of reading, a resonance with
traveller through space and time, represent by
his world of multiple entries. Psychoanalytic,
three attributes: an Indian headdress, a gas mask
his work makes the viewer penetrate the
grafted on his face and a zebra as his company car.
meandering of his unconscious, peopled with
The artist narrates his adventures by assembling
ruins, fetishes, animals, chimeras, totems. By
bits of stories that he calls HALCOV or Histoires
tapping into the shamanic and primitive origins
Autonomes Liables et Compactes à Ouvertures
of humanity, Philippe Paoli offers a radically
Variables (Independent Linkable and Compact
intellectual and spiritual work that gives
Stories with Variable Openings). These little bits
meaning to the absurdity of the world.
of space-time, created through his exhibitions, intersect, knot together and designate the «narrative corners» of a global work. 36 - Philippe PAOLI
artist
creates
educational
by
with
an
drawing
iconoclastic in
many
Elise Poitevin Curator and Art Critic
Philippe PAOLI - 37
ENTRE TIEN AVEC JULIE STEYER Avant d’aller à Rome pour la première fois, quelle représentation en aviezvous ? Comment cette image a-t-elle évolué au cours de la résidence ? Philippe Paoli : Je voyais la ville comme un champ de ruines. J’avais pourtant en tête les films de Fellini, les images de Cinecittà, mais j’avais du mal à me représenter la Rome contemporaine. En somme, ma perception de Rome était celle d’un décor de cinéma. Cette image a complètement changé au cours de ces trois mois. J’ai été impressionné par l’accumulation des strates. Je me suis vite rendu compte du poids des symboles inhérents aux religions. Il y a beaucoup de reliquats, de fantômes urbains liés à toutes ces croyances. Les questions en rapport à l’histoire, aux récits et à leur construction sont très présentes dans votre pratique. Quels éléments sur place ont-ils nourri cet intérêt, ou ont été des catalyseurs dans l’élaboration de votre projet ? Philippe Paoli : Grâce au statut que nous donne la résidence Wicar, j’ai pu avoir accès à des bibliothèques à accès restreint, et rencontrer des archéologues et des historiens. La confrontation de nos manières d’appréhender les choses a été édifiante. Les musées m’ont passionné, notamment celui du Vatican où la rencontre des cultures est frappante : il y a des objets étrusques, grecs, égyptiens. Pendant le temps d’adaptation suivant mon arrivée, je me suis énormément nourri culturellement, mais il y a tellement de choses à voir que c’en était vertigineux, je me suis retrouvé face à une sorte d’infini. Enfin, j’ai fait de l’atelier mon refuge, ma « base secrète ». J’y accumulais toutes mes informations et j’y passais de longues heures à réfléchir, jusqu’à perdre la notion du temps. Avec les livres et les cartes que les autres y ont laissés, il est comme habité par les fantômes de ceux qui sont venus avant, ce qui a été stimulant. Il s’agissait de votre première expérience de résidence. Pensez-vous que le déplacement opéré a fait émerger de nouvelles préoccupations dans votre travail ? Quel effet cette résidence a-t-elle eu dans votre pratique globale ? Philippe Paoli : Je ne pense pas qu’elle ait eu un effet en termes de production plastique. En revanche, j’ai accumulé énormément de savoir. J’ai aussi pris conscience que j’avais besoin de ce déplacement, de ce changement de repères pour produire. Enfin, la rencontre avec un architecte résident à la Villa Médicis, et le simple contact avec Rome ont fait resurgir mon envie de créer en architecture.
38 - Philippe PAOLI
INTERVIE W What was your mental representation of Rome before your arrival? How did this image of the city change during the residency programme ? Philippe Paoli : I imagined Rome as a field of ruins. I had in mind Fellini’s films and the views of Cinecittà, but I could not form a picture of contemporary Rome. In short, I thought of Rome as of a movie set. This image has completely changed over the course of my three-month residency. The accumulation of historical layers was impressive. I quickly realized the importance of religious symbols. The city is full of such relics, of urban ghosts linked to religious beliefs. Questions related to history, historical narratives and their construction are very present in your artistic practice. Which field experiences have sparked this interest, or have acted as catalysts for your project? Philippe Paoli : Thanks to the Wicar residence’s reputation, I was able to have exclusive access to libraries and to meet archaeologists and historians. Comparing our different attitudes and perceptions was an enlightening experience. I loved the museums, especially the Vatican Museum which has a striking mixture of cultures: Etruscan, Greek, Egyptian art. As I settled in after my arrival, I was exposed to many cultural stimuli, but the amount of information was staggering, I found myself facing a sort of infinity. Finally, the workshop became my refuge, my hideaway. I gathered there all my sources and inspirations and spent long hours thinking, until I lost track of time. The books and cards left by previous residents inspired me, it was like being surrounded by ghosts from the past. This was your first residency experience. Do you think that leaving your comfort zone made new artistic concerns emerge in your work? What effect has this residency had on your overall artistic practice? Philippe Paoli : I don’t think it had an effect in terms of plastic production. On the other hand, I have accumulated a wealth of knowledge. I also realised that, to create, I needed this change of scenery, this displacement. Finally, my desire to create architectural pieces re-emerged from my meeting with, resident architect at Villa Medici, and from the simple contact with the city of Rome.
Philippe PAOLI - 39
SAR AH Constater l’aspect théâtral de la ville, observer la stratification des multiples styles architecturaux, déambuler dans ces paysages où jonchent les débris de l‘Histoire, voilà ce à quoi je m’attendais en venant à Rome mais dont je n’en mesurais pas l’intensité. Cette ville porte les vestiges de son vécu en son centre, là où s’entrelacent les diverses temporalités. Durant cette résidence j’interroge la manière de regarder l’architecture et ces modes de représentations dans la peinture italienne, notamment dans les vedute (1). Ces dernières représentent «ce que l’on voit comme on le voit» et le travail de Piranèse en est un parfait exemple. Panoramas des chutes de l’empire romain, il grave l’état des bâtiments en y introduisant une dimension dramatique. Après avoir admiré ces chefs d’œuvres, ainsi que les fresques des primitifs italiens, ma démarche m’a amenée à visiter les sites archéologiques. J’ai ainsi contemplé les reliques fragmentées de l’Histoire. Ces déambulations m’ont imprégné des atmosphères propres à cette ville. « O, les belles, les sublimes ruines! (...) Les peuples qui ont élevés ce monument où sont-ils? Que sont ils devenus? Dans quelle énorme profondeur obscure et muette mon oeil va t-il s’égarer? ». Diderot
40 - Sarah FEUILLAS
FEUILL AS
«Heterotopias»
Il y a, à la vue des ruines, la possibilité d’imaginer la reconstruction d’un bâtiment qui ne sera plus. La ruine invite à s’égarer, errer, divaguer. Elle porte en elle une énigmatique présence et donne des bribes d’éléments à déchiffrer pour mieux comprendre son passé. Elle laisse aussi la possibilité d’interpréter, en cela elle invite à la fiction. Elle fait passer les vestiges existants à l’état de paysages de rêve, sorte de vision mutante de l’espace, de réédification imaginée de ce que pouvait être la ruine. Finalement, une forme contraire à la veduta. Elle ne dépeint pas ce que l’on voit avec les yeux mais fait rentrer l’invisible et le sensible comme images parasites en construction dans l’esprit. Sensible à l’usage des techniques ancestrales, j’expérimente ainsi le vitrail et la scagliola, appelée également «technique du faux marbre», présente dans de nombreuses églises baroques en Italie. Ces découvertes m’ont amené à expérimenter différents matériaux en vue de la réalisation d’une installation. Reconstruction chimérique d’une vue ruinée et fragmentée, cette installation est composée de plusieurs modules dont chacun est influencé par les différents aspects des vestiges romains. 1. De l’italien veduta : vue représentant un paysage urbain
Sarah Feuillas Lauréate Wicar Mai - Juillet 2018
Sarah FEUILLAS - 41
SAR AH Experiencing the theatrical aspect of the city, observing its many layers of different architectural styles and wandering through landscapes where the ruins of history lie. This is what I was expecting when I came to Rome
FEUILL AS
«Heterotopias»
but I wasn’t anticipating its intensity. This city bears the remains of what it has experienced where different time periods intertwine in its very heart. During this stay I question the way to look at architecture and these methods of representing Italian artwork, especially in
There, in full view of the ruins, you can imagine
vedute 1. These represent «what we see as we see
reconstructing a building that is no longer there.
it» and the work of Piranesi is a perfect example.
The ruin invites you to contemplate and let
Panoramas of the falls of the Roman Empire,
your imagination carry you away. It brings with
he has engraved the buildings by introducing
it an enigmatic presence and gives snippets of
a dramatic dimension. After admiring these
information and little clues to better understand
masterpieces, as well as the frescoes of the
its past. It also allows you to interpret and create
Italian primitives, my approach led me to visit
a fictional story around it. It makes the existing
archaeological sites. I thus contemplated the
remains become dreamlike landscapes, a sort of
fragmented relics of history. My wanderings
mutating vision of space, an imaginery building
helped me to become imbued with the city’s true
of what the ruin could have been. Finally, a form
atmosphere.
contrary to veduta. It does not portray what we
« O, the beautiful, the sublime ruins ! (...) The peoples who raised thismonument where are they ? What has become of them ? In what enormous darkness and dumbness will my eye go astray ? » Diderot
see with our eyes but includes sensitivity and invisibility like ghostly images being created in our minds. Sensitive to the use of ancestral techniques, I then experimented with stained glass and scagliola, also known as «faux marble
1. From the italian veduta : view, a painting depicting a cityscape.
technique», present in many baroque churches in Italy. These discoveries led me to test out different materials for creating installations. Chimeric reconstruction of a ruined and fragmented view, this installation is composed of several modules, each of which is influenced by the different aspects of Roman remains.
42 - Sarah FEUILLAS
Sarah FEUILLAS - 43
SC È NE OU V E R TE Entrevoir une scène. Il y a le topos, le lieu, et la façon dont il est investi par le regard. Sarah Feuillas empêche l’œil de situer ce qu’il voit. En multipliant les dispositifs qui deviennent la généalogie du réel, Sarah Feuillas nous mène
Dans Overlayed scenes (Scrolling around), (2013 –
là où elle veut, c’est-à dire, dans l’impossibilité
2017), ensemble de 160 photographies imprimées
d’un lieu, l’indétermination d’un espace, face à
sur rhodoïdes qui défilent et inondent la vue,
face avec ce que Michel Foucault a défini comme
les superpositions photographiques génèrent
étant une hétérotopie. Elle cite volontiers
un
le philosophe. Dans un texte de 1967 devenu
faut tourner autour de cette composition pour
classique mais d’abord non publié jusqu’en 1984,
trouver ses repères. Celle qui ne s’estime pas
il définit son temps à travers ce paradigme « Nous
photographe dans son acception traditionnelle,
sommes à l’époque du simultané, nous sommes à
utilise la photographie comme moyen ou outil.
l’époque de la juxtaposition, à l’époque du proche
Un outil qui lui permet de gagner le territoire de
et du lointain, du côte à côte, du dispersé. » Cette
l’installation. L’artiste tient plus de la plasticienne
bribe de conférence menée au Cercle d’études
de l’image que de la photographe, on le concède.
architecturales, définit bien ce qu’il est possible
Elle invite à déambuler autour de ses compositions
de ressentir face aux images et aux pièces en
comme on pérégrinerait dans un paysage inconnu,
volume de Sarah Feuillas. Prenons par exemple
parfois hostile, jalonné de béton, volontairement
le pan photographique de ses créations, rien
disgracieux et porteur d’un sens à découvrir
ne le décrit mieux que ce « proche et lointain »,
comme dans Oush Grab realisé entre 2013 et 2015.
cette « juxtaposition ». Les vues d’architectures
Sarah Feuillas convoque des espaces marqués,
le plus souvent s’entremêlent, se côtoient pour
typés, chargés en histoire, dans lesquels on ne vit
mieux se fondre. Le décor change sans cesse
pas facilement, rencontrés lors de ses voyages en
et se recompose comme dans Glimpse, (2018),
Palestine ou en Ukraine.
tirage argentique foisonnant présenté derrière
Pour Overland, série de douze moules en bois
une lanière de PVC pour mieux l’absenter.
noirci dont la forme encapsule un verre soufflé, on
Nous sommes face à une scène ouverte que
retrouve cette idée d’une architecture contrainte.
le regard modèle au fur et à mesure. Aussi,
Elle souffle elle-même le verre comme pour
chaque regardeur est-il livré à l’expérience de
donner vie à un espace intérieur. Plus précisément,
l’interprétation.
redonner vie à un espace meurtri. Ainsi, bois et
amoncellement
d’images
stratifiées.
Il
verre en cohabitant offrent un monde où la paix paraît retrouvée.
Léa Chauvel-Lévy Commissaire d’exposition 44 - Sarah FEUILLAS
Sarah FEUILLAS - 45
OP EN S C E NE Glimpse a scene. There is a presentation, place, and the way it is captivated. Sarah Feuillas prevents the eye from focusing on what it sees. By multiplying the features that become the genealogy in real time, Sarah Feuillas leads us where she wants to. That means taking us into an improbable place, an unspecified space, face to face with what Michel Foucault defined as a heterotopia. She readily quotes the philosopher.
In Overlayed scenes (Scrolling around), (2013
In a now classic 1967 text that wasn’t published
- 2017), a set of 160 photographs printed on
until 1984, he defines his time through this
rhodoïds that scroll in and flood the view
paradigm: «We are at a simultaneous time, we
with
are at the time of juxtaposition, at the time
stack of layered images. You have to turn this
near and far, side by side and dispersed.» This
composition around to find its bearings. She
snippet from the conference conducted at the
does not consider herself a photographer in
Cercle d’études architecturales (the Circle of
a traditional sense but uses photography as a
Architectural Studies), well defines what it
medium and a tool. A tool that allows her to gain
is possible to feel in front of the images and
territory for the installation. We can appreciate
large works by Sarah Feuillas. Take for example
that the artist is more the image’s artist than the
the photographic work among her creations,
photographer. She invites us to wander around
nothing describes it better than «near and far»
her compositions as one wanders in an unknown
and «juxtaposition». Architectural views most
landscape, sometimes hostile, punctuated with
often intermingle, and rub up against each other
concrete, willingly unsightly and carrying a
to blend in. The scenery changes constantly
meaning to explore, as in Oush Grab produced
and recomposes as seen in Glimpse, (2018),
between 2013 and 2015. Sarah Feuillas integrates
an abundant silver print presented behind a
specific spaces, typically loaded with history,
PVC strip to create its absence. We are looking
in which one does not live easily, experienced
at an open scene that our vision progressively
during her travels in Palestine or in Ukraine.
comprehends. Also, each viewer can experience
For Overland, we experience the idea of
their own interpretation.
constrained architecture through a series of
photographic
overlays
generating
a
twelve blackened wooden moulds whose shapes encapsulate a blown glass. She blows the glass herself as if to give life to an interior space. And
Léa Chauvel-Lévy Curator
46 - Sarah FEUILLAS
more specifically to revive a bruised space. Thus, wood and glass exist together offering a world where peace appears to be found.
Sarah FEUILLAS - 47
ENTRE TIEN AVEC JULIE STEYER Vous n’étiez jamais allée à Rome avant votre résidence mais vous vous êtes projetée dans une certaine représentation de la ville afin d’élaborer votre projet. Comment votre regard a-t-il évolué une fois sur place ? Sarah Feuillas : Avant mon départ, j’avais mené quelques recherches sur l’histoire de Rome ainsi que sur l’architecture de certains édifices. Sur place, j’ai compris que c’était un lieu qui se vivait davantage qu’il ne se traversait comme un musée. La temporalité de la résidence, différente d’un simple séjour touristique, ne m’a pas empêchée de dévorer en quelques jours les sites archéologiques ; j’avais la sensation que c’était une étape nécessaire pour pouvoir ensuite me perdre ailleurs. Aujourd’hui Rome n’est plus un passage obligé dans l’éducation artistique ; malgré tout, ce que j’y ai trouvé a fait écho à ma formation, notamment à l’enseignement en histoire de l’art que j’ai reçu. Voir les choses de ses propres yeux est bouleversant ; j’ai été par exemple très émue de voir les peintures du Caravage à l’église SaintLouis-des-Français Parcourir les lieux tient une place importante dans votre processus créatif. Comment l’expérience de la ville, vos pérégrinations, découvertes et rencontres ont-elles nourri votre projet ? Sarah Feuillas : La rencontre avec les ruines a été très forte. La sédimentation du passé et l’accumulation des différentes époques mettent en évidence les absences et la part de mystère de la ville. Il y a des pans de l’histoire romaine qui demeurent insaisissables, ce qui participe de la fascination exercée par la ville. Les sites antiques sont comme des îlots dans la ville, et à la fois ils y sont intégrés, la vie a continué autour d’eux.
Pensez-vous que le déplacement opéré par une résidence, le changement de contexte, peut avoir une incidence sur votre pratique ? Si oui, quelle est la nature de cette incidence dans le cadre de la résidence Wicar ? Sarah Feuillas : Je ne pense pas qu’une résidence puisse modifier en profondeur ma pratique mais elle apporte une teneur nouvelle au travail et à la réflexion. Du fait de l’influence des espaces et lieux parcourus à Rome, l’implication du territoire est forte dans les pièces que j’ai réalisées, qui n’auraient pu l’être dans un autre contexte. Je travaille souvent à partir de la découverte d’un lieu inconnu, ce qui interroge le mouvement et le déplacement, donc le changement d’environnement ne peut qu’être fertile. 48 - Sarah FEUILLAS
INTERVIE W You had never been to Rome prior to your residency. However, you imagined a particular representation of the city in order to develop your project. How did your perceptions change once you were actually there? Sarah Feuillas : Before setting off, I did some research into the history of Rome and the architecture of certain specific buildings. Once actually there, I came to realise that it’s more a place to be lived and experienced than it is somewhere to walk around like a museum. The way time is organised with the residency, which make it different from a simple tourist trip, did not prevent me from devouring the archaeological sites in just a few days; I felt it was a stage I needed to go through in order to then be able to lose myself elsewhere. Rome is no longer today an essential place to visit as part of the education of an artist; nevertheless, what I found there echoed aspects of my training, particularly the instruction in art history I received. Seeing things with your own eyes is a deeply affecting experience; I found it very moving seeing the Caravaggio paintings in the Church of San Luigi dei Francesi, for example. Walking around and exploring places and sites plays an important part in your creative process. In what ways have the experience of the city, your various wanderings, and the things you’ve discovered and encountered fuelled and contributed to your project? Sarah Feuillas : Seeing the ruins at first hand had a very strong impact. The sedimentation of the past and the accumulation of the various different historical periods emphasises and highlights both those aspects that are absent and the city’s mysterious side. There are periods of Roman history that we still know little about, which has the effect of contributing to the fascination exerted by the city. The ancient sites are like little islands in the city, and yet at the same time they are integrated into it: life has continued on around them. Do you think that the sense of displacement engendered by a residency, the change of context, can have an effect on your methods and approach ? If the answer is yes, what has been the nature of this effect with respect to the Wicar residency ? Sarah Feuillas : I don’t think a residency can change my methods and approach to a profound extent, but it does bring something new to the work and the reflective process. Due to the influence of the spaces and sites I’ve explored in Rome, the physical character of the city comes through strongly in the pieces I’ve created, and this could not have been the case in a different context. I often base my work on the experience of discovering a formerly unknown place, which serves to question ideas of movement and displacement; the change of environment, therefore, cannot be anything other than a fertile source of inspiration. Sarah FEUILLAS - 49
DAVIDE Ma recherche artistique a commencé par le dessin, auquel je me suis consacré pendant plusieurs années en partant d’images plus élaborées et colorées pour arriver à un style plus minimal, fait principalement de blancs et noirs. Ce qui est resté constant dans mon expérimentation, c’est la volonté de recherche d’images simples, épurées, à l’impact communicatif fort ; j’ai toujours essayé de dire quelque chose en travaillant avec « peu de choses ». En poursuivant mon travail avec le graphisme, je me suis retrouvé à travailler l’argile, poussé par la volonté de me confronter à la dimension tridimensionnelle. J’ai toujours été fasciné par ce matériau qui m’a tout de suite semblé adapté à la traduction sculpturale de mes sujets de graphisme. J’ai commencé à travailler sur des sujets figuratifs alors que dans la dernière partie de ma production, mon intérêt se porte principalement sur l’ installation, qui consiste à composer des objets « banals », d’utilisation commune.
50 - Davide MONALDI
MONALDI «Carta da Parati»
Je suis fasciné par l’idée de les requalifier à travers le processus créatif ; routine, répétition, humour, paradoxe, fragilité, obsession sont les mots clés de ma recherche. J’essaie de créer une histoire autour de l’origine des objets et de leur fonction originelle, la plupart du temps en la bouleversant et en la chargeant de significations nouvelles qui dérivent de mon expérience personnelle et laissent place à différentes clés de lecture. Au centre de mon travail, il y a donc la « réinterprétation » accompagnée d’une utilisation quasi maniaque de la technique, du côté artisanal, le tout en expérimentant les possibilités plastiques de la céramique. Parfois, c’est justement le processus de fabrication qui est le concept se trouvant derrière le travail lui-même. Je considère que mon travail est un hybride d’influences provenant de différents domaines de la création et que certaines de mes œuvres pourraient être appréhendées et confondues avec des produits de design ou des éléments provenant d’un décor scénographique où toutefois, se cache une histoire intime et personnelle et où l’utilisation de la technique en complète la signification. La céramique est souvent snobée et reléguée dans le panorama artistique contemporain car elle est considérée comme expression mineure. Mon intention est de la revaloriser.
Davide Monaldi Vainqueur du Talent Prize 2017
David MONALDI - 51
DAVIDE My artistic research began with design, to which I dedicated myself for several years, starting from more elaborate and coloured images to a more minimal style, mainly composed of black and whites; what has remained constant in my experimentation is the will to search for simple, clean images, with a strong communicative
MONALDI «Carta da Parati»
impact - I have always tried to express something by working «with little». Continuing to work with graphics, I found myself driven by the will to confront three-dimensional design, and therefore started working with clay. I have always been fascinated by this material and it
I try to create a story around the origin of
immediately struck me as very suitable for the
the objects and their original purpose, often
sculptural translation of my graphic subjects.
altering them and giving them new meanings
I started working on figurative subjects, while
derived from my personal experience, and I
in the last part of my creations there is a more
also leave space for different interpretations.
instilling interest that consists of compositions of
You can therefore find «reinterpretation» at the
«trivial» objects, of everyday use; I am fascinated
centre of my work, accompanied by an almost
by the idea ofredeveloping them through the
obsessive attention to the use of techniques, on
creative process; routine, repetition, humour,
the handcrafted side, experimenting with the
paradox, fragility, obsession, are keywords of my
sculptural possibilities of ceramics; sometimes
research.
it’s the process of working the concept behind the work itself. Considering my work a hybrid of influences from different creative fields, some of my work could be considered and confused as design products or elements of scenography in which, however, hides an intimate and personal story, and the use of the technique completes the meaning. Ceramics is often snubbed and bound to a secondary role in the contemporary art scene as it is considered a minor expression - my aim is to re-evaluate it.
52 - Davide MONALDI
David MONALDI - 53
Davide Monaldi produit des sculptures et
Ainsi, de réalistes sculptures colorées et joyeuses
structures en terre cuite et céramique vitrifiée,
de hula-hoop, de petits tas d’élastiques colorés, des
deux matériaux typiques de la tradition
murs recouverts de fausses parois de papier peint,
artisanale italienne, dont la longue durée de
alternant avec une prolifération d’inquiétantes
fabrication est liée au rythme de production des
figurines qui se révèlent ensuite être des portraits
fours de cuisson. Le jeune artiste choisissant
de l’artiste lui-même, ne sont que la représentation
de reléguer sa propre production dans un
teintée d’autodérision mélancolique de son
environnement quasi-claustrophobe manifeste
monde. Au regard attentif, chaque statuette
en réalité son désir de maintenir un rapport
révèle en fait les traits caractéristiques de l’artiste
intime avec sa création artistique. Le fait
qui, posant tel un bibelot sur un meuble, semble
précisément que ces matériaux, une fois passées
d’une part évoquer l’inutilité existentielle de la
les années d’après-guerre (où ils servirent
création artistique, et d’autre part l’urgent besoin
d’instruments de recherche à de grands artistes
de partager ses propres états d’âme et émotions.
comme Lucio Fontana, Leoncillo ou Wilfredo
Pourtant, sculpter à taille réelle des séries de
Lam), sont presque tombés dans l’oubli pour
produits manufacturés inutiles élève ces objets du
le monde de l’art italien, donne au travail de
quotidien à de la matière sculptée, lui conférant la
Monaldi, suspendu entre un travail manuel
patine du classicisme.
artisanal et une recherche conceptuelle, un
Provviste, 2016, la colonne de petites boîtes
côté anachronique et surprenant, capable de
d’aliments pré-conditionnés qui reproduit dans un
manifester dans le processus de production la
contexte domestique l’idée de la colonne classique
condition aliénante liée au fait d’être un artiste
en est l’exemple. En souvenir de la colonne de
émergent dans ce pays. Le fait que les sujets
napperons de pâtisserie d’Alighiero Boetti qui
de Davide Monaldi soient limités et répétitifs
avait transformé d’un geste minimal, à la fin des
démontre comment l’artiste se sent prisonnier
années 60, sa fragilité de carton en un monument
d’un dialogue avec lui-même et avec les
poétique, Davide Monaldi renverse complètement
objets domestiques qui l’entourent. La valeur
la situation. Sa colonne de petites boîtes empilées
manuelle de la production devient ainsi de façon
d’aliments, dont la matrice pop est indéniable,
métaphorique la clé de voûte lui permettant
est en réalité un instrument hésitant servant à
d’ancrer son phare artistique à une recherche
raconter le passage du temps. De déchets de notre
qui fait abstraction de son univers conceptuel et
propre vécu, les petites boîtes d’alimentation
peut dialoguer directement avec le public.
juvénile de mauvaise qualité se transforment en
Les sculptures et structures de Davide Monaldi
signes chargés de souvenirs. L’absurde besoin
naissent de son besoin de raconter sa propre
de reproduire à la main, en version unique, ces
vie au travers des objets du quotidien dont il est
produits de masse qui envahissent les rayons de
entouré.
tous les supermarchés transforme la création artistique de Davide Monaldi en une esquisse de
Ilaria Bonacossa Directrice d’Artissima Salon international de l’art contemporain (Turin,IT) 54 - Davide MONALDI
résistance à la consommation qui, par sa constance et sa répétition obsessionnelle, devient colossale.
David MONALDI - 55
Monaldi creates sculptures in terracotta and
Indeed, to the attentive onlooker, each statuette
glazed ceramics, two materials that are typical
reveals the physical traits of the artist who,
of the Italian artisanal tradition, whose long
posing like an ornamental figurine, seems on the
production time is linked to the rhythm of
one hand to evoke the existential uselessness of
production of kilns. The choice for a young artist
artistic work and on the other, the urgent need to
to relegate his work to an almost claustrophobic
share states of mind and emotions. However, by
context actually reveals his desire to maintain
sculpting a series of useless artefacts in life-size
his intimate relationship with making art. In the
he elevates these everyday objects to where they
Italian art world these materials, since the post-
classify as sculptures, with a patina of classicism.
war years, (where they were instrumental to
A case in point is the column built using cans
the research of great artists like Lucio Fontana,
of food, entitled Provviste, 2016 which gives
Leoncillo or Wilfredo Lam) have practically
the idea of the classic column but in a domestic
been forgotten. This is precisely what makes
context. It is somewhat reminiscent of Alighiero
Monaldi’s work, suspended as it is between
Boetti’s column of doilies in the late 1960s,
craftsmanship
research,
that elegantly transformed papery fragility
surprisingly anachronistic as well as capable
into a poetic monument, but Davide Monaldi
of revealing in the very production process
completely turns this on its head. His column of
the somewhat alienating condition of being
small food cans stacked one on top of another,
an emerging artist in this country. The fact
whose pop matrix is undeniable, is actually a
that Davide Monaldi’s subjects are limited and
tentative tool for marking the passage of time.
repetitive reflects how the artist feels himself
The little cans of unhealthy food we enjoyed as
a prisoner of the dialogue between himself and
children are transformed from being scraps of
the domestic objects that surround him. The
one’s past into symbols chock-full of memories
manual value of his handcrafted works therefore
and recollections. Davide Monaldi’s absurd
metaphorically becomes the keystone anchoring
desire to rework mass-produced things, things
its artistic production to a desire to stand apart
that crowd the shelves of every supermarket, into
from its conceptual universe and dialogue
something unique makes his art a small gesture
directly with the public.
of resistance to modern-day consumption that,
Davide Monaldi’s sculptures and installations
with its consistency and obsessive repetition,
derive from a need to tell his life story through
becomes monumental.
and
conceptual
the everyday objects that surround him. His colourful and cheerful realistic sculptures made with hula-hoops, piles of coloured rubber bands, walls covered with fake wallpaper walls, alternating with a proliferation of disquieting figures, all emerge as self-portraits of the artist himself, portraying his world with a melancholic self-irony.
56 - Davide MONALDI
Ilaria Bonacossa Director, Artissima Contemporary International Art Show (Torino, IT)
David MONALDI - 57
Les résidents d’hier 1868 - 1866 Carolus Duran, Louis Salomé
1866 - 1870 Hector Lemaire
1867 - 1871 Carlos Batteur
1870 - 1874 Eugène Rogier
1872 - 1876 Alphonse Cardonnier
1876 - 1880 August Wugk
1879 - 1882 Paul Lefebvre
1883 - 1887 Léon Cauvin, Désiré Ghesquier
1887 - 1890 Maurice Ramart
1888 - 1892 Georges Pilgrim
1892 - 1893
1902 - 1905 Gustave Elsinger, Médéric Bottin
1904 - 1905 Maurice Batteur
1906 - 1910 Georges Dilly
1908 - 1911 Géry Dechin
1910 - 1913 Mathilde Hautrive
1912 - 1920 Marcel Favier
1914 - 1920 Rober Dubar
1921 - 1924 Edmond Boulinghien
1925 - 1929 Eugène Nys
1930 - 1933 Pierre Desrumeaux
1934 - 1937
Maurice Lecocq
Esther Rogeau
1892 - 1894
1938 - 1939
Alfred Sarazin
1892 - 1902 Jules Dechin, Léon Giffard
1899 - 1901 Prosper Santerre
58 - Résidents d’hier
Albert Serrure
1991 Marc Crépy, Edouard Trémeau
1992 Janik Rozo, Dominic Grisor
1993 Pierre Olivier, Marie-Noëlle Goffin, Juliette Rozo
1994 Philippe Duthilleul
1995 Adolphe Costenoble, Yves Pauwels
1996 Roger Frezin, Vincent Valois
1997 Michel Degand, Daniel Chompré
1998 Maniasuki, Jacques Chérigié
1999 Nicolaï, Catherine Jansens
2000 Claude Vallois, Jean Pattou
2001 François Olivier, Serge Boularot
2002 Marie-Thérèse Chevalier, Anne Tomadesso, Jacqueline Hurdebourcq
2003 Marc Sardina
2004 Ewa Korczak Tomaszewska, Jacques Quecq d’Henripret
2005 Mireille Desideri, Baudouin Luquet
2006
2007 Bénédicte Villette , Antoine Petitprez
2008 François Martinache, Emmanuelle Flandre
2009 Franck Bernhard, Manuel Ruiz Vida, Qubo Gas
2010 Belinda Annaloro, Carol Lévy, Duytter
2011 Carinne Abraham, Sarah D’haeyer, Butz & Fouque, Audrey Liseron Montfils
2012 Arnaud Verley & Philémon, Grégoire Motte, Justine Pluvinage & Anaïs Delmoitiez, Benoit Carpentier
2013 David Gomez, Mathilde Lavenne & Léonie Young, Richard Baron
2014 Raphaële Duchange, Anthony Rousseau, Jacques Loeuille
2015 Nicolas Tourte, David Droubaix, Marie Lelouche
2016 Fabien Swyngedauw, Laura Gourmel, Marc Mounier-Kuhn
2017 Raphaële Bezin, Fabien Marques, Galerie Rezeda
Martine Requillart, Jacques Van Roy, Marie Odile Candas Salmon Résidents d’hier - 59
VILLE DE LILLE Madame Martine Aubry Maire de Lille
Madame Marion Gautier Adjointe au Maire Déléguée à la Culture
Madame Rougerie- Girardin Conseillère municipale déléguée à l’éducation artistique Présidente du jury Wicar
Madame Laurie Szulc Directrice Générale Adjointe Direction Générale de la Culture
ARTISTES Galerie Rezeda Lauréats Wicar pour la période de septembre à décembre 2017
Philippe Paoli Lauréat Wicar pour la période de janvier à avril 2018
Sarah Feuillas Lauréate Wicar pour la période de mai à juillet 2018
Davide Monaldi Lauréat du Talent Prize 2017, invité d’honneur à Lille
SOCIÉTÉ DES SCIENCES DE L’AGRICULTURE ET DES ARTS DE LILLE Monsieur Jean Pierre Hénichart Président de l’association
Madame Marie Joseph Lussien-Maisonneuve Archiviste
Monsieur Edouard Trémeau Artiste
Monsieur Daniel Petit Trésorier
MEMBRES INVITÉS DU JURY DE SÉLECTION Sous la présidence de Madame Rougerie- Girardin
Julie Steyer avec l’équipe des Arts Visuels de la Ville de Lille Commissariat
EQUIPE Charlotte Morel Directrice des Arts Visuels Direction Générale de la Culture – Ville de Lille
Emilie Courtel Chargée de production
Annick Lesschaeve Administration
Tom Sauvage Stagiaire
Lise Altermatt Monsieur Hénichart
Chargée de médiation
Kraft Madame Maisonneuve
Scénographie
Luce Roux Monsieur Tremeaux Madame Enjalran Madame Mené Monsieur Poulain Monsieur Talarico
60 - Équipe et remerciements
Réalisation graphique
Coralie Tain Mise en forme de la communication
Solenne Zona Conception éditoriale du catalogue d’exposition
AdTrads Traduction
PBtisk Impression
PARTENAIRES Revue Inside Art & Talent Prize (Rome) Guido Talarico Editeur et fondateur Talent Prize
Francesco Angelucci et Elena Pagnotta
Lycée Français Chateaubriand (Rome) Stéphanie Beaudinet, Benedicte Dulin, Evelyne Oléon, Daniele Sedola Enseignants de lettres, d’histoire et d’histoire de l’art
Chargés de production
Institut français Centre Saint-Louis (Rome) Olivier Jacquot
Les Pieux Etablissements de la France à Rome et à Lorette (Rome) Anne Justo
Directeur Conseiller culturel près l’Ambassade de France près le Saint-Siège
TechShop Ateliers Leroy Merlin
Nolwenn Delisle Coordinatrice des événements culturels
Université de Lille (Villeneuve d’Acsq)
Julien Ignaszewski Directeur de Site
Elise Dujardin Véronique Goudinoux Professeure en histoire de l’art et théorie de l’art à l’université de Lille Sciences Humaines et Sociales. Responsable du master Arts et membre du Centre d’Étude des Arts
Responsable événements et communauté
Le Fresnoy Studio National des Arts Contemporain (Tourcoing)
Contemporains
Stephanie Robin
Carlijn Juste
Administratrice
Doctorante en arts plastiques à l’université de Lille Sciences Humaines et Sociales et membres du Centre d’Étude des Arts Contemporains et Sociales et membres du Centre d’Étude des Arts Contemporains
Ambassade de France (Rome) Son excellence Monsieur Christian Masset Ambassadeur de France en Italie
Christophe Musitelli Conseiller culturel
Chloé Siganos Attachée culturelle
Gabriella Cogoi Secrétariat de l’Attachée Culturelle
Thierry Maes Régisseur des Manifestations
Christelle Dhiver Assistante de communication
Le Palais des Beaux-Arts (Lille) Bruno Girveau Directeur
Cordélia Hattori Chargée du Cabinet des Dessins
Fleur Morfoisse Conservatrice en chef
Jean Marie Dautel Photographe
Équipe et remerciements - 61
CRÉDITS PHOTO Toute reproduction de photos, textes ou extraits de textes n’est autorisée que par la Ville de Lille, sur demande formelle.
p.21 © Galerie Rezeda, Vue de l’atelier Wicar, Rome, 2017 p.25 © Galerie Rezeda, Action Gromatique, 2017 p.27 © Galerie Rezeda, Grille et Fragments. Dessin, technique mixte, Rome, 2017 p.33 © Philippe Paoli, Vue de l’atelier Wicar, Rome, 2018 p.35 © Philippe Paoli, 2018 p.37 © Philippe Paoli, Nuova Isis, 2018 p.43 © Sarah Feuillas, Vue de l’atelier Wicar, Rome, 2018 p.45 © Sarah Feuillas, Série «Glimpse», photographie superposées, Rome 2018 p.47 © Sarah Feuillas , Recherches de matières, Rome 2018 p.53 © Francesca Salvati – Davide Monaldi, Carta da Parati, 2017 p.55 © Davide Monaldi, Chiavi, 2017 p.57 © Davide Monaldi, Elastici, 2015
La Ville de Lille et l’équipe des Arts Visuels remercient particulièrement : Francesco Angelucci, Artemarcia, l’Association des Amis de la Galerie Commune, Valérie Boudier, Agnès Bouttee, Léa Chauvel-Lévy, André Coyez, Doriane Crepin, Georgette Dal, Charles Davoine, Elodie Decaillon, Isabelle Degaey, Nolwenn Delisle, Jean Marie Dautel, Elise Dujardin et Valérie Le Fabien, Julien D’hondt, Vincent Fourniquet, Stéphane Gaillard, Véronique Goudinoux, Carlijn Groot Bramel, Estelle Hamon, Cordelia Hattori, Christian Hauer, Arthur Hénaut, La Bibliothèque de l’Académie de France à Rome - Villa Médicis, La Bibliothèque de l’École française de Rome, L’équipe de la BM Vieux Lille, Thierry Maes, Alexandra Moncheaux, Elena Pagnotta, Nicolas Pattou, Emilie Pillot, Stéphanie Robin, Blandine Roselle, Hugues Roussel, Norberto Ruggeri, Laurie Szulc, Frédéric Tentelier, Claudio Tamburini, Deborah Truffaut, Paulin Vayssié, Nathalie Virzi, Gwenaëlle Watrelos, Elodie Wysocki.
62 - Équipe et remerciements
Format à l’italienne Exposition visible du du 14 septembre au 28 octobre 2018
Espace Le carré 30 Rue des Archives,59000 LILLE
EAN : 9782954587240
ISBN 978-2-9545872-4-0 Dépôt légal : Août 2018