Insoumission a l'école obligatoire

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Chapitre 2

CONTRE LES CANONS DE LA PENSÉE

Allons enfants ... ! Vous entrerez dans la carriè-ère quand vos aînés n'y seront plus ... vous y trouverez leurs poussières et l'exemple de leurs vertus. Et l'exem-emple de leurs vertus. Bien moins jaloux de leur survivre que de partager leur cercueil, vous aurez le sublime orgueil ... etc., etc. Poussières et vertus. Exemples. On ne saurait trop insister sur les facultés de mimétisme des grands singes. Faire pareil. Telle est la loi. David Riesman a très bien décortiqué les mécanismes par lesquels « la société s'assure un certain degré de conformité de la part des individus qui la composent. 1 .» Car si, comme je te le disais plus haut, le premier but de l'école est de donner l'habitude de la discipline, son deuxième est bien d'investir à bon escient le capital humain que l'État lui confie. C'est qu'elle s'y connaît en investissements et investitures. Et elle place chacun de telle façon qu'il rapporte. Par étapes et suivant un long rituel, l'enfant est initié à ce qu'on attend de lui. Il est question ici d'apprentissages divers qui marqueront son appartenance à tel ou tel clan. C'est l' a b c de la sociologie et Durkheim le dit sans détour: « L'éducation est l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné. 2 » Qui dit mieux ? L'école sait se plier et sait faire plier à toutes les exigences de qui gouverne. Faut-il former des Aristocrates ? On forme des aristocrates. Des patriotes ? Va pour les patriotes. Des humanistes ? En voici. Des communistes ? Comment donc. Ces buts répondent à la demande d'un groupe social possédant momentanément le pouvoir politique. Ils ont en commun d'être des buts. C'est sans doute ce qu'on nous pardonne le moins à nous qui tentons de vivre d'une autre manière auprès des enfants: nous n'avons pas pour eux de but. On nous vilipende aujourd'hui comme il y a quatre-vingts ans. Écoute Jakob Robert Schmid qui fait la critique des « maîtres-camarades » si proches de nous. Il parle de ces enfants des communautés scolaires libertaires, entre les deux guerres, sur lesquelles j'aurai encore bien des choses à te dire : « Ce ne sont peut-être pas avant tout les lacunes dans leurs connaissances qui ont dû plus tard les gêner mais surtout leur incapacité à travailler en vue d'un but à atteindre et par devoir [ ... ]. Le principe qui consiste à orienter l'éducation scolaire uniquement d'après les besoins présents nous paraît inacceptable, non seulement sous l'angle des besoins de l'enfant, mais aussi du point de vue de la mission de l'école. Au risque d'être traité de réactionnaire, nous estimons que l'école n'a pas comme unique but d'être au service de l'enfant ! La société, qui a créé l'école et qui fait des sacrifices pour elle, a aussi des droits sur elle [ ... ]. Elle a le droit d'exiger que l'école collabore à la tâche spirituelle qui incombe à l'humanité; qu'elle transmette à la jeunesse les valeurs religieuses, morales, esthétiques, scientifiques et sociales que la société s'efforce de réaliser à tout moment de son existence; qu'elle l'éduque dans le respect de ces valeurs et qu'elle lui communique la volonté de participer à leur réalisation. Il s'agit là non seulement d'un droit, mais d'un devoir de l'école. 3 » Ah les tristes sires ... ! Comme ils se sont bien perpétués jusqu'à nous ! J'ai entendu trop souvent, 1. La Foule solitaire, David RIESMAN, Arthaud, 1978 2. Émile DURKHEIM, Éducation et sociologie. 3. Le Maître-Camarade et la pédagogie libertaire, Jakob Robert SCHMID François Maspero, 1979. 19


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