En vue de la préparation du doctorat
Le rôle de l’architecte dans un projet d’autoconstruction.
POSTULAT DE DÉPART :
Dans un monde où 1/8 ème de la population vit dans des bidonvilles et où la plupart des constructions sont réalisées sans les architectes, alors à quoi servons-nous ? Notre génération foisonne d’architectes engagés qui tentent de mettre en œuvre des idées novatrices, parfois dérangeantes pour le système en place. Elle s’appuie sur les enseignements de personnalités telles que Patrick Bouchain, qui a pour habitude de dire « vous allez voir, on va se battre » et qui est convaincu qu’il faut s’affranchir des normes et s’emparer du « pouvoir de faire » et de Jean Prouvé qui a perturbé le discours architectural par le biais de ses convictions et de son engagement
L’identité de notre profession est chahutée par un contexte en constante mutation. Le monde change très vite et nous nous devons de faire évoluer notre pratique avec lui. Nous constatons que le rôle de l’architecte est remis en cause, car la société est perpétuellement en quête de sens. Puisque nous traversons une crise mondiale à la fois sur un plan sanitaire, économique, politique et climatique, il est de notre devoir de nous interroger sur notre rôle dans la construction du monde de demain. Notre formation et nos aptitudes à exercer notre métier ne devraient-elles pas être totalement revisitées ?
OBJET DE RECHERCHE :
Avant tout, je tiens à souligner la distinction entre l’autoconstruction choisie et l’autoconstruction nécessaire. Selon les données du ministère de la Transition écologique et solidaire, 5% des maisons individuelles neuves en France sont réalisées en autoconstruction, principalement pour des raisons économiques ou des principes écologiques. Je fais le choix de cibler plus précisément l’autoconstruction à la manière « des architectes aux pieds nus » décrits par Yona Friedman, (Friedman, 2016) dont les projets sont à l’initiative des habitants eux-mêmes ou de collectifs d’architectes.
Au fil de mes recherches, j’ai réalisé que certains architectes ne voient pas la démarche participative ou la concertation comme une solution satisfaisante. Yona Friedman a dit : « Évitant les errements des démarches participatives, l’architecture mobile doit être la réponse à la question de savoir à qui revient le choix architectural et comment le mettre en œuvre. »1 et Patrick Bouchain a écrit « on instituerait une vraie démocratie participative, alors que le politique, coupé de la base, a tendance à mettre en place des structures parallèles aux structures démocratiques par des voies de concertation souvent bavarde qui ne peuvent que révéler le mécontentement et installer l’habitant dans un comportement d’assisté et de consommateur. » (Bouchain, 2006, p.26)
1 site internet : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/12/16/faire-ville-friedman/
sur 1 4
Au cours de ma formation auprès des Architectes de l’urgence et des Architectes sans frontières, j’ai appris qu’une grande part de leur travail consistait à organiser des réunions de concertation. Ils récoltent une masse importante d’informations, organisent des rencontres avec les acteurs concernés pour connaitre leurs besoins spécifiques, puis ils emploient des locaux pour réaliser les chantiers. Ce n’est pas à proprement parler de l’autoconstruction, dans le sens où ce ne sont pas les habitants qui réalisent les projets.
Les projets de concertation/autoconstruction sont chronophages c’est la raison pour laquelle les « agences classiques » d’architecture et d’urbanisme ne prennent pas le temps de faire ce type de démarche. Malgré tout, certains groupes, organisés en collectifs ou associations (Encore Heureux, Quatorze) développent une architecture sociale et solidaire à l’aide de la co-conception et de la co-construction pour ouvrir les processus de transformation du cadre de vie aux bénéficiaires des projets : « Car aujourd’hui plus que jamais, les architectes ne peuvent se dérober à la responsabilité du monde qui advient et donc à la nécessité d’imaginer ce qui, demain, doit exister. »2
Concrètement, l’autoconstruction permet d’impliquer les habitants ou futurs habitants afin qu’ils se sentent partie prenante d’un processus durable et communautaire. Je pense que la notion de temporalité doit être prise en compte. Dans les projets que j’ai pu analyser, le facteur temps est fondamental car les réalisations sont souvent transitoires. Quand il s’agit de logements, les baux sont généralement compris entre 1 et 2 ans, ensuite les habitants doivent de nouveau se déplacer. Ce sont donc des phases de transition leur permettant d’être logés le temps de régulariser leur situation, trouver un travail, etc. J’aimerais approfondir mes recherches afin de trouver des cas d’études qui s’inscrivent dans des temps longs.
En intégrant l’Ecole d’Architecture j’avais pour objectif d’obtenir mon diplôme et partir sur des missions post-catastrophes. Après avoir étudié le concept d’architecture de l’urgence de Shigeru Ban, j’ai réalisé que les habitations conçues dans un premier temps pour être temporaires, n’évoluent pas sur un projet pérenne obligeant ainsi les habitants à y demeurer sans espoir de transition vers une solution de planification réfléchie et durable.
Dans la continuité de la réflexion sur la temporalité, je me suis intéressée à la « demimaison » d’Alejandro Aravena, un projet de construction ouverte inspiré lui-même par le concept de John F.C. Turner selon lequel le logement devrait être un projet continu et progressif, mettant à disposition des résidents des maisons partiellement finies, laissant ainsi de la place à l’expansion personnelle. Un concept qui permet de donner aux familles la possibilité d’achever progressivement leur maison selon leurs besoins et leurs moyens.
Patrick Geddes3 pense que les projets doivent être adaptés aux caractéristiques uniques de la région, telles que le climat, le sol, les ressources naturelles et les traditions culturelles. Il encourage également l’utilisation de matériaux et de techniques de construction locaux, pour réduire l’impact environnemental et promouvoir l’autonomie des communautés locales. Quoi de mieux pour répondre à l’ensemble de ces critères que l’autoconstruction ? « De fait, l’espace aménagé, ou architecturé, est bien une production sociale et culturelle qui, non seulement est le fait d’un groupe social "savant", mais est aussi celui de pratiques et d’usages d’agents "profanes" ». (Chadoin, 2021, p.8)
2 site internet : http://encoreheureux.org/about/
3 Geddes, Cities in Evolution; an Introduction to the Town Planning Movement and the Study of Civics.
sur 2 4
PROBLÉMATIQUE
:
Notre génération marque la fin de « La figure de l’architecte artiste, grand orchestrateur de tous les bâtisseurs ». (Chadoin, 2021) Aujourd’hui nous avons atteint les limites de l’industrie du logement, la croissance de la population devient ingérable dans certaines régions. Et si l’autoconstruction était la solution à la résorption des bidonvilles ? Alors quel serait notre rôle ? Deviendrions-nous enfin les architectes aux pieds nus que Yona Friedman a décrit ? Au cours de nos études, nous n’abordons pas cet aspect de l’architecture, qui est pourtant une réalité à laquelle nous serons inévitablement confrontés. C’est pour cette raison que je souhaite approfondir mon projet vers cet axe de recherche.
PISTES DE RÉFLEXION
:
- La partie réglementaire est un point important. (La législation, PLU, bureau d’étude, contrôleur technique, certification, RE2020).
- Les outils de communications entre les différents acteurs (ingénieur, politicien, maçon, habitant). Comment construire un projet avec des personnes qui ne savent pas lire un plan, une élévation, une coupe ? Faire un projet quand on ne parle pas la même langue ? Quand nous n’avons pas le même système de mesure.
- Les outils accessibles sur le chantier (grue, etc.), le choix et l’acheminement des matériaux.
- Les différentes solutions de financement. (microcrédit) Quelle rémunération pour l’architecte et les professionnels ?
Concernant l’encadrement du travail que j’envisage, je souhaiterais être accompagnée si possible par deux tuteurs, un architecte et un sociologue/anthropologue. J’envisage de faire un parallèle entre une étude de cas en France et une seconde à l’étranger (Afrique/ Mayotte).
OBJECTIFS :
Cette recherche vise à améliorer mes connaissances en analysant les différentes manières d’aborder l’autoconstruction au travers de cas d’études. À l’issue de celle-ci, il s’agira d’aboutir à la création d’un manuel qui permettrait aux architectes de mieux appréhender les projets d’autoconstruction. Un guide dans le prolongement des idées de Yona Friedman, « un manuel de résistance. »
BIBLIOGRAPHIE :
BONZANI Stéphane, De l’invention en architecture; Initier, situer, durer, Deux-Cent-Cinq, 2024, 360 p. (AAA)
BOUCHAIN Patrick, Construire en habitant, Architecture, 2011, 120 p. (Actes Sud)
BOUCHAIN Patrick, CHIAMBARETTA Philippe, Faire la ville autrement; Conversation entre deux architectes iconoclastes, Flammarion, 2023, 128 p. (Ecrire L’art)
BOUCHAIN Patrick, LANG Jack, Le pouvoir de faire, Actes sud, 2016, 112 p. (Domaine Du Possible) sur 3 4
CHADOIN Olivier, Sociologie de l’architecture et des architectes, Parenthèses, 2021, 216 p. (Eupalinos)
FRIEDMAN Yona, L’architecture de survie; une philosophie de la pauvreté, Editions de l’éclat, 2016, 224 p. (Eclat/Poche)
FRIEDMAN Yona, L’architecture mobile; vers une cité conçue par ses habitants, Editions de l’éclat, 2020, 348 p. (Eclat/Poche)
GOETZ Benoit, Théorie des maisons; L’habitation, la surprise, Verdier, 2011, 240 p. (Philosophie)
HASSAN Fathy, Construire avec le peuple, Sindbad-Actes Sud, 1999, 432 p.
LA FACTO, Pour une architecture des communs; autoconstruction et espaces collectifs, Eterotopia, 2023, 224 p. (Rhizome)
LAJUS-PUEYO Justine, MENEC Alexia, RIEUBLANC Margot, What about vernacular ?, Parenthèses, 2023, 304 p. (Architectures)
LEFEBVRE Henri, Eléments de rythmanalyse et autre essais sur les temporalités, Eterotopia, 2019, 168 p. (Rhizome)
LUSSAULT Michel, PAQUOT Thierry, YOUNES Chris, Habiter, le propre de l’humain, La découverte, 2007, 379 p. (Armillaire)
MADEC Philippe, Mieux avec moins, Terre Urbaine, 2021, 200 p. (La Fabrique De Territoires)
RAHM Philippe, Histoire naturelle de l’architecture; comment le climat, les épidémies et l’énergie ont façonné la ville et le bâtiments, Points, 2023, 368 p. (Points Histoire)
ROLLOT Mathias, Décoloniser l’architecture, Passager Clandestin, 2024, 240 p. (Essais Enquêtes Et Manifestes)
VAN LENGEN Johan, L’architecte aux pieds nus; manuel d’autoconstruction, Parenthèses, 2021 480 p. (Habitat-Ressources)