Privatisation de l’éducation au Maroc

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Privatisation de l’éducation au Maroc: Un système d’éducation à plusieurs vitesses et une société polarisée

Malgré avec la revendication de l’État de marocaniser, de généraliser et de standardiser le système éducatif marocain, une tension entre les différents systèmes scolaires est toujours bien présente. Il subsiste une nette différenciation entre un système éducatif traditionnel hérité de la domination coloniale (où les écoles coraniques étaient répandues et dominées par les colonisateurs et fréquentées principalement par les masses) et une éducation d’élite, principalement en français, dispensée aux notables marocains et aux riches. Le mouvement national marocain a également introduit les « écoles libres » (à ne pas confondre avec les écoles libres d’aujourd’hui) - principalement des écoles privées qui visaient à préserver l’identité marocaine et à protéger la langue arabe des attaques coloniales. En 1968, Mohamed Chafik,5 inspecteur de l’Éducation nationale et figure éminente du mouvement culturel amazigh, a été approché par la Cour royale pour mener une étude sur l’éducation traditionnelle dans le pays. Chafik a conclu que l’éducation traditionnelle était la principale cause empêchant le développement civilisationnel du pays. Peu de temps après, la Cour royale a ordonné à Chafik de préparer une note pour généraliser l’enseignement traditionnel au niveau national. C’est ainsi que les écoles coraniques sont encore répandues de nos jours. Cela revient à dire que le gouvernement de l’État (Makhzen)6 a choisi de ne pas moderniser l’enseignement par crainte du rôle politique que peut jouer une école modernisée; l’enseignement traditionnel était mal équipé pour éclairer l’esprit marocain et privilégiait l’étude du texte coranique, excluant de toute pensée critique et analytique. L’un des principaux syndicats d’enseignant·e·s au Maroc, la Fédération Démocratique du Travail, la direction de l’éducation (CDT), a expliqué que : « Le gouvernement de l’état (Makhzen) était bien conscient que l’éducation était un vaisseau et que la connaissance était un moyen de progrès et de développement et que l’éducation moderne à tous les niveaux édifierait un citoyen qui aurait des croyances pro-démocratiques et qui, par conséquent, remettrait donc en cause le système politique existant. Ainsi, le Makhzen tenait historiquement à institutionnaliser l’ignorance, car l’ignorance était l’un des principaux outils et armes du gouvernement de l’État pour consacrer le sous-développement et domestiquer l’opinion publique.» 5 Aït Mous, F., & Ksikes, D. (2015). Le métier d’intellectuel. Dialogues avec quinze penseurs du Maroc (Aït Mous & Ksikes, 2015). 6 Gouvernement du roi du Maroc sous le protectorat Français, centré sur le roi et composée de notables royaux, de militaires de haut rang, de propriétaires fonciers, de patrons des services de sécurité, de fonctionnaires et d’autres puits -les membres connectés de l’établissement. Le terme “Makhzen” est également couramment utilisé au Maroc comme mot signifiant “État” ou “gouvernement” (Centre National de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), 2012; Encyclopædia universalis, 2020).

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