Extrait Ces plantes qui ont marqué l'Histoire - Éditions Ulmer

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Hélène Tierchant

ces plantes qui ont marqué

l’histoire Des bombes à l’aconit au yucca des Mormons


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Sommaire L’aconit napel...........6 L’ail.......................8 L’amarante............ 10 L’ananas................12 L’arbre à pain......... 14 L’aubépine..............16 Le bananier............18 Le baobab............. 20 Le bleuet (et le coquelicot)..................... 22 Le bouleau............ 24 Le buisson-ardent... 27 Le cacaoyer............ 29 Le caféier.............. 32 Le camélia............. 34 La canne à sucre..... 36 Le cèdre............... 38 Le chardon............40 Le chêne............... 42 La grande ciguë...... 46 Le cocaïer............. 48 Le datura stramoine.50 L’églantine............ 53 L’érable................ 56 L’eupatoire............ 58 L’euphorbe............ 59 Les figuiers...........60 Le fraisier............. 64

Le gaïac................ 66 La garance............. 68 Le gardénia........... 70 La gaude............... 72 Le genêt................ 73 La giroflée............. 76 L’hellébore............80 L’hévéa................. 82 L’hortensia............ 84 Le houx................ 86 L’if...................... 89 L’iris.....................91 Le kimilsungia....... 94 Le kimjongilia....... 96 Le laurier-rose....... 98 Les lilas.............. 100 La marguerite.......102 Le marronnier......104 Le mimosa...........106 Le muguet............109 Le mûrier............ 110 Le nénuphar......... 112 L’œillet................ 114 L’orme................. 116 Le pastel.............. 119 Le pavot............... 122 Le pêcher.............124 Le peuplier........... 126

Le platane............ 127 Le poireau............ 129 Le poivrier........... 131 La pomme de terre............... 133 Le pommier.......... 136 La primevère........140 Le prunier........... 141 Le quinquina........144 Le rhododendron...146 Le ricin...............148 Le riz..................150 La rose................ 152 Le sapin...............160 Le saule pleureur... 162 Le seigle..............164 Le séquoia............ 166 Le sureau............. 168 Le tabac............... 170 Le théier.............. 172 Le tilleul.............. 174 Le trèfle............... 176 La tulipe.............. 178 La vigne............... 181 La violette............ 183 Le yucca............... 186 Le zizyphus spina-christi......... 188


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Avant-propos Des fleurs, on aime la beauté fragile et le parfum délicat, des arbres, la force, des plantes, la diversité. Mais sait-on que fleurs, plantes ou arbres ont depuis l’aube des temps joué un rôle historique ? Qu’ils ont servi de symboles religieux, d’emblèmes politiques, de signes de ralliement ou de communion ? Qu’ils ont été des objets d’études pour les scientifiques, des sources d’inspiration pour les artistes ? Et parfois aussi l’enjeu d’épineuses tractations diplomatiques, d’âpres rivalités économiques, et la cause de bien des guerres… ? Qui se souvient que des fanatiques invoquèrent l’aubépine pour perpétrer les massacres de la Saint-Barthélemy ? Et que sous le règne de Louis XIV un ingénieur mit au point des bombes à l’aconit ? Qu’une petite figue fut à l’origine de la destruction de l’antique Carthage, et que le pavot provoqua la chute de l’Empire chinois ? Pourquoi le yucca des déserts californiens est-il l’arbre de Josué ? Et pour quelle raison des maîtres décidèrent-ils de faire l’école buissonnière en pleine Renaissance ? D’où vient le terme de barricades bien connu des Parisiens ? Le marronnier des journalistes ? Le nom de la Porte des Lilas ? Que fait ce cèdre auprès de la tombe de Clemenceau, et que font ces couronnes de coquelicots dans les cimetières de la Grande Guerre ? De A à Z, de l’aconit napel au Zizyphus spina-christi, l’historienne Hélène Tierchant a retrouvé la trace de toutes ces fleurs de serre ou des champs, de ces arbres légendaires ou exotiques, de ces plantes guérisseuses ou vénéneuses, qui ont défrayé la chronique au fil des siècles. Bienvenue dans les jardins de l’Histoire.


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L’ACONIT NAPEL Aconitum napellus, famille des Renonculacées Dans son Grand Art d’artillerie, publié à Amsterdam en 1650, l’ingénieur lituanien Casimir Siemienowicz préconise d’employer au cours des guerres de siège des armes chimiques à base d’aconit napel. Cette jolie plante aux grappes de fleurs bleutées, recourbées en casque, tire son nom de sa racine fibreuse en forme de petit navet. Mais sa beauté n’a d’égale que sa

toxicité, son rhizome renfermant un alcaloïde analgésique, mortel même à faible dose, l’aconitine. Utiliser le napel à des fins militaires n’était pas une idée nouvelle en soi. Si l’on en croit Homère, plusieurs des tribus grecques impliquées dans la guerre de Troie avaient ainsi coutume d’enduire la pointe de leurs flèches avec un onguent contenant de la poudre d’aconit napel, afin que l’ennemi n’ait aucune chance de réchapper de ses blessures. Et en 1491, pendant la « Reconquista », les Maures allaient eux aussi faire pleuvoir des traits empoisonnés au napel sur les troupes de Ferdinand d’Aragon qui assiégeaient Grenade, fief du sultan Boabdil. L’originalité de Siemienowicz, c’est de vouloir appliquer à grande échelle et à l’artillerie un procédé artisanal jusque-là réservé à l’infanterie. Dans son traité, le Lituanien se plaît à décrire par le menu la manière de confectionner les « globes vénéneux » dont on chargera les canons. « Prenez du Napellus, celui-ci est un poison plus violent et plus dangereux que les autres. Tirez-en le suc avec une presse mais prenez soin de ne pas le faire à mains nues et de retenir votre respiration. Versez le Le botaniste suédois Johan Wilhem Palmstruck (1770-1811) a su rendre le bleu intense de l’aconit.


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La capitulation de Grenade, le 4 janvier 1492, immortalisée par Francisco Pradilla y Ortiz (1848-1921).

liquide ainsi obtenu dans une terrine en verre. Et, pour que le poison soit plus concentré, exposez au soleil de juillet, chaque jour, de l’aube au crépuscule, pendant un mois entier. Au bout de ce laps de temps emplissez les boulets avec cette liqueur mortelle, en ajoutant des copeaux d’écorce de bouleau bien fraîche de façon à ce que, lors de la mise à feu, il se dégage une épaisse fumée qui s’insinuera dans les maisons de la cité ennemie même si les portes sont closes. Enfin, choisissez pour tirer le canon un jour brumeux, afin que

le brouillard retienne les gaz au ras du sol »… On croirait lire une recette de cuisine. Et Siemienowicz, qui se délecte visiblement, ne manque pas de préciser qu’il n’existe aucun antidote au poison de l’aconit napel. Avant de conclure par une réflexion de casuiste. Utiliser des boulets empoisonnés est indigne d’un homme de cœur et d’un véritable soldat, avoue-t-il, aussi les militaires en useront-ils uniquement « contre les Turcs, Tartares et autres infidèles, tous ennemis jurés du nom de chrétien et de la religion que nous professons » !


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L’AIL Allium sativum, famille des Liliacées La scène se passe au château de Pau, par une froide nuit de décembre 1553. Une demi-douzaine de servantes s’affairent avec des linges, des bassinoires et des brocs d’eau chaude autour du lit clos à baldaquin d’où s’élève un cantique, entrecoupé de cris de douleur. Planté sur le seuil de la chambre, un vieil homme reprend le refrain à mi-voix. La femme, c’est Jeanne d’Albret, épouse d’Antoine de Bourbon, duc de Vendôme. L’homme, Henri d’Albret, son père. Souverain de Navarre et gardien des traditions ancestrales, il a exigé que sa fille vienne accoucher dans les Pyrénées, en implorant la Vierge de lui donner un garçon comme le font les paysannes du cru. Et lui-même prie ardemment pour avoir un petit-fils, à qui il pourra un jour léguer son royaume. Et le miracle va se produire. Voilà que la matrone annonce d’une voix triomphale : « C’est un garçon ! » Fou de joie, Albret lui arrache aussitôt le bébé. Pour le baptiser à la béarnaise. L’historiographe Palma Cayet a relaté la cérémonie avec une verve enjouée : « Son grand-père lui bailla une pilule de la thériaque des gens du village, qui est une tête d’ail dont il lui frotta ses petites lèvres, lesquelles le poupon fripa l’une contre l’autre, comme pour sucer »…

La mortalité infantile était un fléau chronique à l’époque, et dans les campagnes de Gascogne on croyait en effet que l’ail avait la propriété d’immuniser contre toutes les maladies et épidémies… Après avoir reposé la gousse, Albret emplit une coupe de jurançon. Et « à l’odeur, le petit prince branla la tête comme peut faire un enfant », précise encore le chroniqueur. — « C’est un vrai Béarnais lou nouste Henric ! », s’exclame le vieux roi ému jusqu’aux larmes. Il ne pouvait deviner que son petit Henric aurait un destin national. Qu’il monterait sur le trône de saint Louis sous le nom d’Henri IV. Et que sa chère Navarre, dont il avait farouchement défendu l’indépendance, serait alors rattachée à sa grande voisine la France… Mais 300 ans plus tard, à la Restauration, Louis X VIII allait renouveler le geste historique du vieil Albret. En février 1820, le duc de Berry, son neveu et héritier du trône, a été assassiné par un républicain fanatique. Or, la duchesse était enceinte, et le 20 septembre elle donne naissance à un garçon, « l’enfant du miracle » comme dira Lamartine. Soulagé de savoir la dynastie sauvée, le souverain décide que le nouveau-né se prénommera


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La naissance d’Henri IV, vue par le romantique Eugène Devéria (1805-1865).

Henri, comme son lointain aïeul béarnais. Puis s’écriant : « Je suis roi de Navarre, ici ! », réclame aux cuisiniers des Tuileries de l’ail de Garonne et du vin de Jurançon. Afin de baptiser le bébé à la béarnaise.


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L’AMARANTE Amaranthus, famille des Amaranthacées MACA BRES GOURMANDISES L’amarante, dont les fleurs en forme de queue-de-renard ou de crêtede-coq ne fanent pas mais sèchent, était un des symboles de l’immortalité pour nombre de peuples de l’Antiquité. Ainsi chez les Aztèques, qui préparaient avec les graines de cette plante des bouillies, servies lors des festins rituels. Si la cérémonie religieuse comportait des sacrifices humains, ce qui était fréquent, les prêtres liaient alors la purée avec le sang des victimes, de manière à communier charnellement avec le dieu à l’honneur. Criant au cannibalisme, les conquistadores d’Hernán Cortés n’auront de cesse d’interdire la culture de l’amarante, dès 1519. Et les spécimens sauvages qui ont survécu dans les campagnes mexicaines ne sont plus utilisés qu’à la confection des calaveras, ces crânes en sucre qui fleurissent les cimetières lors de la fête des morts… Ordre et désordres à l a cour de Suède D’un rouge pourpre velouté, l’amarante était la fleur préférée de l’extravagante Christine de Suède

(1626-1689). En août 1652, pour fêter l’arrivée à Stockholm du nouvel ambassadeur espagnol, Don Antonio de Pimentel, la souveraine donne un bal costumé dans lequel elle paraît déguisée en nymphe Amarante. Le rouge sied à sa complexion de brune, et l’ambassadeur le lui fait comprendre. Il devient son amant. Elle ne prend plus une décision sans le consulter, et en 1653, elle créera même en son honneur l’Ordre de l’Amarante. Est-ce sous l’inf luence de Pimentel que, quelques mois plus tard, Christine abdique brusquement en faveur de son cousin Charles-Gustave ? Toujours est-il qu’elle gagne alors les Pays-Bas espagnols et qu’à la Noël 1654, parrainée par l’Espagnol Pimentel qui l’a suivie dans sa retraite, elle se convertit secrètement au catholicisme. Mais cela ne suffit pas au pape qui entend faire pièce aux protestants et réclame une abjuration publique. Accompagnée de son chevalier servant, l’ex-reine se rend donc à Rome où, à la Noël 1655, elle reçoit la communion des mains d’A lexandre VII. Mais cette fois Pimentel n’assiste pas à la messe. La volage Christine s’est entichée d’un cardinal, avec lequel elle s’affiche sans souci du qu’en-dira-t-on !


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Portrait de l’impétueuse reine Christine, réalisé en 1653 par Sébastien Bourdon (1616-1671).

Un tableau témoigne de leurs tumultueuses amours. Au lendemain de la fête de l’Amarante, l’ambassadeur avait réclamé à la reine de Suède un portrait. Et Christine s’était adressée au

peintre français Sébastien Bourdon qui avait choisi de la représenter cabrant un cheval fougueux sur fond de nuées orageuses. Cette toile est aujourd’hui un des fleurons du Prado de Madrid.


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L’ANANAS Ananas comosus, famille des Broméliacées En quête d’une nouvelle route maritime permettant de relier l’Europe aux Indes par l’ouest, Christophe Colomb fait escale en décembre 1492 dans une île paradisiaque qu’il baptise Hispaniola (l’actuelle Haïti). Non seulement la végétation y est luxuriante mais les Indiens Caraïbes se montrent extraordinairement accueillants. Nana nana ! scandent-ils en lui offrant un curieux fruit qui, sur le moment, le laisse un tantinet perplexe. « Il a la forme d’une pomme de pin, mais il est deux fois plus gros et

on peut le couper à l’aide d’un couteau comme un navet. » Néanmoins le navigateur reconnaît que « son goût est excellent ». Le Génois est alors le premier Européen à goûter à l’ananas, dont le nom signifie « parfum des parfums » en langue tupi. Et avant de repartir pour l’Espagne, il emplit ses caravelles de caisses d’ananas destinés à ses commanditaires, les rois catholiques Isabelle et Ferdinand. Mais les fruits arriveront à destination gâtés. « Il n’est pas possible d’en apporter par-delà les mers sinon en confiture », confirmera le Français André Thevet, qui connaît un déboire identique à son retour du Brésil en 1557. Les Occidentaux qui s’aventurent sous les tropiques prendront donc l’habitude de faire confire les ananas dans le sucre de canne, avant de les charger dans leurs navires. Jusqu’aux années 1650, où des Hollandais auront l’idée d’introduire aux Pays-Bas des pieds d’ananas. Ils seront élevés dans les forceries de Leyde, et les pépiniéristes réussiront à multiplier les plants par bouturage des couronnes de feuilles. C’est un souverain britannique, Charles II, qui aura la primeur du premier ananas européen, scène immortalisée par le peintre Hendrick Danckerts en 1672. Ananas peint par le botaniste hollandais Jan Moninckx (1656-1714).


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John Rose, jardinier du roi, offre à Charles II le premier ananas « né » en Angleterre. Tableau d’Hendrick Danckerts (1645-1679).

Louis XIV devra pour sa part patienter une trentaine d’années encore avant de déguster un ananas produit dans les serres du château de Choisy-le-Roi, propriété du Dauphin. Mais le Roi-Soleil n’est guère séduit, d’autant qu’il se murmure que ce fruit aurait la fâcheuse propriété de rendre les femmes stériles. Et il faudra attendre le règne de Louis X V pour que l’ananas conquière la cour. À l’instigation de

la marquise de Pompadour, qui en raffole et en fait servir à tous les repas. Notre fruit exotique n’allait plus quitter les tables des monarques et chefs de l’État. Mais Louis Napoléon Bonaparte, président de la Seconde République, s’amusera à bousculer les traditions culinaires. Le 7 mai 1849, les hôtes du palais de l’Élysée auront droit à un plat sucré-salé qui surprendra plus d’un palais gaulois : un filet de chevreuil, nappé d’une sauce à l’ananas…


Ces plantes qui ont marqué l’histoire Qui se souvient que des fanatiques invoquèrent l’aubépine pour perpétrer les massacres de la Saint-Barthélémy ? Que sous le règne de Louis XIV, un ingénieur mit au point une bombe à l’aconit, arme chimique avant l'heure ? Que le pavot provoqua la chute de l’Empire chinois ? Sait-on que fleurs, plantes ou arbres ont depuis l’aube des temps joué un rôle historique ? Qu’ils ont servi de symboles religieux, d’emblèmes politiques, de signes de ralliement ou de communion ? Qu’ils ont été des objets d’études pour les scientifiques, des sources d’inspiration pour les artistes ? Et parfois aussi l’enjeu d’épineuses tractations diplomatiques, d’âpres rivalités économiques, et la cause de bien des guerres… ? De l’aconit napel au yucca des Mormons, l’historienne Hélène Tierchant a retrouvé la trace de toutes ces plantes qui ont défrayé la chronique au fil des siècles. Historienne et biographe, Hélène Tierchant a collaboré aux pages « patrimoine et culture » de Sud-Ouest Dimanche. Elle est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels Cent ans de

cinéma en Aquitaine, La Grande histoire de la Comédie-Française (2013) et Ces animaux qui ont marqué l’Histoire, paru chez Ulmer en 2015.

ISBN  : 978-2-84138-853-0

,!7IC8E1-diifda! PRIX TTC France  : 22


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