Extrait Les jardins de Marrakech - Éditions Ulmer

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de créer un effet grandiose. Y avait-il une volonté d’encadrer le ciel, ou d’offrir un miroir au cosmos au-dessus de nos têtes ? Ou peutêtre cherchait-on seulement à contrebalancer le jardin adjacent. Un passage situé d’un côté de la Cour d’honneur conduit à un riad traditionnel aux senteurs sucrées, orné de végétaux luxuriants et de fontaines dansantes. Le Grand Riad, ou Riad Si Moussa, était au cœur de l’ancien complexe construit par Sidi Moussa, père de Bahmad. Créé en l’honneur de l’épouse favorite de ce dernier, ce jardin possède un charme pastoral unique, bien qu’il suive à la lettre le schéma traditionnel du riad. Sans surprise, il est de forme rectangulaire, entièrement clos, pourvu de charmants pavillons à chaque extrémité, et suit un plan quadripartite avec une fontaine centrale. Toutefois, chaque partie est elle-même subdivisée en quatre parties par des sentiers surélevés, invitant à une promenade enchanteresse parmi des myriades de plantes et d’arbres, d’herbes et de lianes parfumées, d’agrumes et de pêches. Les fontaines de marbre alignées sur l’axe central servaient à rafraîchir l’atmosphère, et des oiseaux en cage attiraient les oiseaux sauvages et animaient les lieux. Ce jardin parfait satisfait tous les désirs, sauf peut-être le besoin d’espace et de perspective. Au-delà de la Cour d’honneur, on peut apercevoir les cimes de grands cyprès et palmiers. Ils font partie d’un autre jardin rectangulaire doté d’un superbe bassin central et d’un système hydraulique complexe, aujourd’hui livrés à la nature. Bahmad vouait une véritable passion aux jardins, et connaissait parfaitement l’histoire des grands jardins de la région. Il souhaitait orner son palais de vastes espaces verts (et asseoir ainsi sa réputation d’homme puissant et civilisé), en s’éloignant des jardins conçus comme des pièces extérieures. Cet espace « perdu » semble avoir été conçu comme un agdal miniature, précurseur du véritable agdal que l’on pouvait rejoindre par une passerelle fermée enjambant la route qui le séparait du palais. Là, Bahmad a fait d’un immense site trapézoïdal de 19,5 hectares une véritable merveille de son époque, reprenant les caractéristiques de l’agdal royal, avec une vue fabuleuse sur le massif de l’Atlas, mais à une échelle réduite. Il ne subsiste aujourd’hui qu’une toute petite partie de l’agdal Bahmad, mais le grand bassin d’irrigation est en cours de restauration, et certains luttent pour conserver cette partie de l’héritage de la Bahia. Le rusé Bahmad avait compris l’intérêt d’aménager un jardin productif à proximité des marchés de la médina, et il est intéressant de noter qu’il y a cultivé des produits agricoles à forte valeur ajoutée qu’il pouvait vendre à prix d’or, tirant parti de l’attractivité des produits locaux. Le Guide bleu de 1952 évoque les marchés qui se tenaient trois fois par semaine, de décembre à février, et où l’on pouvait acheter les oranges et les 40

Jardins de Marrakech

mandarines de Bahmad « fraîchement cueillies ». Ce concept est très proche de l’idéal moderne de la ferme urbaine, et le jardin de Bahmad serait encore très certainement capable d’approvisionner la ville en produits frais. Bahmad et son palais ont été très critiqués par le passé. Les écrivains coloniaux ont mal compris son intention, comparant le site à un labyrinthe construit par un méchant vizir pour échapper aux nombreuses tentatives d’assassinat dont il faisait l’objet. Même l’élégance du riad de plain-pied a été interprétée comme une solution à ses problèmes de genou. Heureusement, le blason de Bahmad et de la Bahia a été redoré et les jardins du Grand Riad et de la Cour d’honneur, actuellement fermés, devraient rouvrir leurs portes à la fin de l’année 2013.

À GAUCHE Le Riad Si Moussa du palais de la Bahia a été créé entre 1859 et 1873 par le père de Bahmad pour son épouse favorite. Un assortiment extravagant de plantes telles que pélargoniums, bougainvilliers, abutilon, palmiers et papyrus s’exprime librement dans un cadre formel, comme un bouquet de fleurs sauvages dans un vase. CI-DESSUS Sur l’axe central, une fontaine en marbre. Les tiges jaunes et vertes de Bambusa vulgaris ‘Vittata’ créent un effet spectaculaire à gauche de l’image.

Palais de la Bahia

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