ENTRE OMBRE ET LUM MILLE ANS D’HISTOIRE AU PIED DE LA PIER
4 P RÉ AM BUL E
EN GUISE DE PRÉAMBULE ARNAUD MEILLAND Avant d’entrer à pleines pages dans l’histoire, arrêtons-nous quelques instants sur Saxon aujourd’hui, les sources à disposition de l’historien et la présente publication.
Riddes
Saillon
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Berne
Lausanne Sion Martigny
La commune valaisanne de Saxon est bordée à l’ouest par Charrat, à l’est par Riddes, au nord par Fully et Saillon, et au sud par Bagnes et Vollèges. Elle s’étend entre la plaine (463 m) et la montagne (2’473 m).
SAXON
Bagnes
Saxon
Vollèges
Charrat
SORCELLERIE À SAXON : LE PROCÈS D’ETIENNE SAUDAN (1669) CHRISTINE PAYOT ON ASSOCIE VOLONTIERS MOYEN AGE ET CHASSES AUX SORCIÈRES, MAIS CELLES-CI ONT ÉGALEMENT SÉVI À L’EPOQUE MODERNE. CES CHASSES ONT FAIT AU MOINS DES DIZAINES DE VICTIMES EN VALAIS AU XVIIE SIÈCLE. ET MALGRÉ L’EXPRESSION DES HISTORIENS « CHASSE AUX SORCIÈRES », LA RÉPRESSION N’A PAS TOUCHÉ QUE DES FEMMES. LA PRÉSENTATION DU PROCÈS QUI VA SUIVRE EN EST UN EXCELLENT EXEMPLE. UN HABITANT DE SAXON, ETIENNE SAUDAN, EST ACCUSÉ DE SORCELLERIE PAR LA POPULATION. IL EST TORTURÉ ET AVOUE AINSI AVOIR VOLÉ, COMMIS L’INCESTE, PACTISÉ AVEC LE DIABLE, RENIÉ DIEU, PARTICIPÉ À DES SABBATS, TUÉ DES GENS ET DES BÊTES… LE TRIBUNAL LE CONDAMNE AU BÛCHER. CEPENDANT, DANS UN GESTE DE CLÉMENCE, COURANT À L’ÉPOQUE, SA PEINE EST ATTÉNUÉE : ON LUI TRANCHE LA TÊTE AVANT DE LE BRÛLER. VOYONS COMMENT LA PEUR DU DIABLE, BIEN RÉELLE AU SEIN DE LA POPULATION, PERMET UNE RÉPRESSION EFFICACE.
99 SORCE L L E RI E À SAXON
En 1669, Etienne Saudan, un habitant de Saxon, est accusé de sorcellerie, emprisonné, jugé, décapité et finalement brûlé. A cette date, les « chasses aux sorcières » ont une histoire longue de plus de deux siècles en Valais. Ces persécutions, survenues dans toute l’Europe occidentale entre le XVe et le XVIIIe siècle, touchent des hommes aussi bien que des femmes accusés de jeter des maléfices sur des êtres humains, des animaux, des cultures, etc. Ils le font avec le concours du diable, à la secte duquel on les accuse d’appartenir. Les historiens parlent de « chasses » aux sorcières, car ces persécutions font le plus souvent de nombreuses victimes et sont très organisées. e Au XV siècle, les procès pour sorcellerie commencent à se multiplier et à s’étendre géographiquement dans l’Arc alpin occidental depuis le Dauphiné, le bassin lémanique et le Valais, pour culminer entre la fin du XVIe siècle et la seconde moitié du XVIIe siècle, avant de disparaître au siècle suivant. Selon une estimation grossière, il y eut environ 10’000 procès sur le territoire de la Suisse actuelle1. On ne dispose pas de chiffres pour le Valais. Le procès Saudan a lieu en pleine phase de 1 Ulrich PFISTER, « Sorcellerie » dans Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F11450.php (consulté le 30.09.2010).
paroxysme, durant la deuxième partie du XVIIe siècle. Cette recrudescence des condamnations au XVIIe siècle en Valais serait due d’une part aux ravages de la peste toujours accompagnée de démoralisation, et, d’autre part, au trouble jeté dans les consciences par la Réforme protestante, qui cherchait à s’implanter en Valais2. Après une brève présentation du document, le déclenchement et le déroulement du procès seront examinés dans le détail. Que reproche-t-on à Etienne Saudan ? Pourquoi est-il emprisonné à Saint-Maurice, et qui le juge ? Combien de temps dure son procès ? Une large place sera faite à ses confessions, pour montrer à quel point le supplicié avoue, en réponse à des questions orientées, des crimes stéréotypés qu’il replace dans un contexte régional. Aux aveux succèdent les dénonciations de complices, arrachées sous la torture ; ainsi s’actionne et s’amplifie un processus d’une grande efficacité, qui permet aux tribunaux d’engager d’autres procès. Pour l’historien, il est difficile de démêler le vrai du faux dans les déclarations de l’accusé et de savoir ce que les actes du procès peuvent apprendre sur la vie et la personne de Saudan.
LE PROCÈS A l’Epoque moderne, les procès de sorcellerie sont presque toujours menés par des tribunaux laïques, alors qu’au Moyen Age, c’est la justice ecclésiastique qui se charge de ces cas. Celle-ci s’intéresse particulièrement aux aspects démonologiques, alors que pour les tribunaux laïques, les actes criminels, les maléfices, revêtent 2
Jules-Bernard BERTRAND, « Notes sur les procès d’hérésie et de sorcellerie en Valais », dans Annales valaisannes, 1921, p. 184.
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1988-2004 : L’AUGMEN TAT ION D E S VIG N E S ET DES VERGERS S
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Entre 1988 et 2004, on observe une augmentation des vignes et des vergers sur l’ensemble du territoire de Saxon. Dans la plaine, quelques parcelles de vergers ont été remplacées par des vignes. A l’intérieur du village, un bouleversement intéressant se produit : les vergers plantés entre les maisons ont disparu et ont cédé leur place à des vignes. Cette période est marquée par une augmentation des surfaces agricoles, à la fois des surfaces viticoles et des surfaces arboricoles. Pour l’ensemble de la région de RiddesSaxon-Charrat, les vergers occupent 639 hectares en 2004 contre 607 en 1988 et les vignes 367 hectares en 2004 contre 307 en 1988.
Vergers en 2004 Vignobles en 2004
Situation des vignes et des vergers en 2004 dans la région Riddes-SaxonCharrat. (BESSERO, Evolution du paysage, p. 101). La période entre 1988 et 2004 est marquée par une augmentation à la fois des surfaces viticoles et arboricoles sur l’ensemble du territoire de Saxon. C’est néanmoins la vigne qui sort gagnante, car de nombreuses parcelles de vergers ont été consacrées à une culture viticole, notamment dans le village de Saxon.
Cépages blancs Total cépages blancs 559’821 m2
AT
R AR
D RI
Chasselas-Fendant 530’731 m2
Chardonnay 10’961 m2 Malvoisie-Pinot gris 6’324 m2 Rhin 2’831 m2 Gewüztraminer 2’293 m2 Charmont 1’652 m2 Riesling 1’646 m2 Muscat 1’570 m2 Pinot blanc 1’513 m2 Petite Arvine 300 m2
235 L E S VI GN E S CON T RE L E S ABRI COT I E RS
Le vignoble de Saxon, situé principalement en troisième zone, compte près de 190 hectares et se compose de nombreux cépages (voir les graphiques ci-dessous).
Cépages rouges Total cépages rouges 1’337’658 m2
_ Gamay 529’630 m2
Garanoir 275 m2 Diolinoir 324 m2 Ancelotta 500 m2 Gamaret 2’174 m2 Humagne rouge 4’322 m2
Pinot noir 800’433 m2
Composition du vignoble de Saxon, selon le dossier d’encépagement de la commune en 1997. Totaux des surfaces plantées en cépages blancs et celles en cépages rouges.
Depuis quelques années, on assiste à une reconversion des vergers de Saxon. De nouvelles variétés d’abricots, précoces ou tardives, sont plantées. On essaie de prolonger aux deux extrémités la saison de la cueillette afin d’être plus compétitif sur le marché. Jacques Rossier, chef de l’Office valaisan d’arboriculture, explique : « La période de récolte, autrefois concentrée sur trois semaines, s’étale ainsi sur sept à huit semaines, de début juillet à fin août »33. Des recherches sont menées pour obtenir un fruit de haute qualité gustative, résistant aux maladies et se conservant bien après la récolte. Selon les témoignages de Roland Juilland et d’Eddy Vouillamoz, « cela fait déjà plusieurs années que l’on fait des essais avec des nouvelles variétés d’abricots ici. Parfois, on se rend compte que telle ou telle variété n’est pas du tout adaptée pour la plaine, par contre, sur le coteau, ça va très bien. Mais on a quand même trouvé des variétés qui ont l’air de bien aller en plaine. Alors c’est vrai qu’il faut plusieurs années pour faire des essais et se rendre vraiment compte des résultats. Mais on essaie ! »34. La légère augmentation des parcelles de vergers entre 1988 et 2004 est certainement liée à ces nouvelles variétés d’abricots, mais aussi de pommes, que l’on espère plus rentables que les anciennes. Désormais, les deux cultures, vignes et abricotiers, cohabitent dans un équilibre constant : un tiers de vignes, deux tiers d’abricotiers.
33 Paul VETTER, « Une longue gestation qui porte des fruits », dans Terre Valaisanne : journal d’informations économiques et techniques de la Chambre valaisanne d’agriculture et de ses sections, juin 2007, p. 10. 34 Entretiens avec Roland Juilland (19 juillet 2007) et Eddy Vouillamoz (10 juillet 2007).
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L’ÉL EVAGE A. Les Agris B. Le Tsable des Agris : Selon Muret, le mot agris signifie « jeune bétail », mais il note que le terme n’est plus usité. C. Les Etablons de Saxon : « voir encadré dans le présent ouvrage sous «Sorcellerie à Saxon, le procès d’Etienne Saudan (1669) ».
D. L’Apleyeu : C’est l’orthographe de la CN 1325 qu’il faudrait garder pour ce nom local, L’Apleyeu, de loin préférable à celle du plan de la commune, La Pleyeux, puisqu’il tire son origine d’un verbe patois aplyèyi signifiant « atteler » : les toponymes du type Apleyeu, qu’on rencontre majoritairement en Valais, désignent des endroits où l’on attelle les bêtes de trait à des pièces de bois qu’on veut amener à la scierie ; ils sont ainsi souvent situés dans une clairière ou en
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lisière de forêt. Fichier Muret : La Playeux (Cad. 1859) ; [D O DSOq\± ]. Ernest Muret indique que ce mayen était alors propriété de la bourgeoisie de Charrat. Il existe aussi un lieu-dit nommé La Forêt de la Pleyeux. E. La Boveresse : « voir encadré dans le présent ouvrage sous « Assainir, cultiver, exporter : regards sur un siècle d’essor agricole à Saxon ». F. La Vatse, La Grand-Vatse, La Petite Vatse, L’Essert de la Vatse, La Forêt de la Vatse : Il s’agit tout simplement du mot patois pour la vache. Fichier Muret : La Vatze (Sgf. 487), alpage de génissons, forêts ; En dessus de la Vatze (1887), forêt ; Mayen de la Vatze (1887) ; [D OD YDWV]. La Grand-Vatse : [D OD JUm YiWV]ר, 2e alpage des génissons. La Petite Vatse : [D OD SרW\~GD YiWV]ר, 3e alpage des génissons. G. La Charmette : Il s’agit du diminutif féminin du mot chaux (tsâ en patois), tiré d’une racine celtique *CALM « terrain désert, séchard » : très fréquents en Suisse romande, ces toponymes désignent des terrains peu productifs, le plus souvent en prés. Dans les Alpes, les chaux désignent des pâturages, souvent d’accès assez difficile. Le mot ne fonctionne plus que comme nom de lieu et désigne surtout les pâturages les plus hauts, où on laisse paître le bétail en liberté. Le nom peut se spécialiser pour désigner des prairies abruptes. Fichier Muret : La Charmetta (1887) ; « Montagne communale » mentionnée dans la description des forêts ; partie de l’Aroley. H. Le Tsoumieux : Les toponymes du type Tsouma, Tsaumetta, Chomiau, Chomette, Tseumieu viennent
d’un bas-latin CAUMARE « se reposer au milieu du jour » qui a donné le français chômer : une tsouma, en patois, c’est l’endroit où le bétail se repose à l’abri du soleil, aussi bien en plaine qu’en montagne. « Chômer » se dit du temps que le bétail passe entre deux repas à se reposer, quand le troupeau rumine et se repose. Fichier Muret : Le Zoumieu (Cad. 1859), pâturage, marais. [la krèta dü tsoumyœü] (non localisé) : « la crête du Tsoumieux » : Fichier Muret : espace déboisé au sommet des forêts, au-dessous de la Pierre Avoi ; pâturage de l’Aroley. I. Le Denarion : Sans doute un dérivé de dena « dîner, repas du bétail ». J. La Gite : « voir encadré dans le présent ouvrage sous « La terre et les hommes à Saxon aux XIVe et XVe siècles» Les Mayens de Saxon (non localisé) : Appellatif de français régional bien connu chez nous, le mot
mayen dérive du mois de mai (parce qu’on y monte au mois de mai) et désigne un pâturage d’altitude moyenne occupé au printemps et en automne par le bétail, avec, par extension, le chalet qui s’y trouve. Ce sont des pâturages intermédiaires entre le village et l’alpage, à mi-côte, entre 1200 et 2000 m d’altitude. Les propriétaires y ont un chalet qui contient une étable, une chambre et une petite cuisine. K. Le Plan Modzon : Un modzon désigne un génisson, bovin femelle de un à deux ans.
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UNE S O UTAN E AU RHÔNE OU LES MÉANDRES DE L’« AFFAIRE RABOUD » (1 8 8 9 ) NICOLAS TORNAY
En janvier 1889, le curé Emile Raboud disparaît subitement de sa paroisse de Saxon, laissant seulement derrière lui une cure en grand désordre, une soutane et un chapeau retrouvés sur les bords du Rhône. Cette disparition du curé saxonnain qui survient dans un climat politique délétère opposant libéraux et conservateurs, acquiert rapidement une résonnance particulière. L’« affaire Raboud » est abondamment commentée dans les journaux valaisans et romands, elle donne ainsi lieu à un affrontement virulent des deux factions politiques par voie de presse interposée, chacune défendant son hypothèse : celle de l’assassinat politique orchestré par les radicaux pour La Gazette du Valais, celle de la fuite ou du suicide pour Le Confédéré. Né à Vionnaz le 7 juin 1853, Emile Raboud est ordonné prêtre à l’âge de 25 ans en 1878. Vicaire d’Ayent durant une année, il est ensuite curé d’Isérables de 1880 à 1884, avant d’être nommé curé de Saxon à partir du 15 février 18841. Lorsqu’il quitte sa paroisse le 14 janvier 1889, le curé Raboud, âgé de 35 ans, doit se rendre selon le témoignage de sa servante à Vérolliez pour visiter sa sœur souffrante2. Le juge instructeur en charge du dossier se rend le lendemain à la cure de Saxon et y trouve dans les papiers du curé une lettre datée du 14 janvier portant la signature du curé de Fully, François-Clément Lanier, priant son confrère saxonnain « de lui prêter une somme de 500 francs, le suppliant de les lui apporter sans faute dans le jour »3. Le juge en déduit que le curé Raboud « avait été 1 Michel FAVRE, L’histoire de la paroisse d’Isérables, Saint-Maurice, 2e éd., 1990, p. 73. 2 AES, 187-57, Audition par l’évêque des curés d’Isérables, Riddes et Saillon sur la disparition de l’abbé Raboud le 31.01.1889. 3 AC Saxon, non coté, Registre 1889-2001, « Chronique agricole et historique de la commune de Saxon pour l’an 1889 », p. 4.
attiré dans un guet-apens sur les bords du Rhône »4. La presse va dès lors jouer un rôle majeur dans la transformation et la diffusion de ce fait divers local en véritable affaire politique. Tout s’enchaîne effectivement assez vite. Le Confédéré annonce dans son édition du 19 janvier la « disparition mystérieuse du Curé de Saxon »5. Au 26 janvier, l’affaire a déjà pris une certaine ampleur et l’organe libéral fustige l’attitude des journaux conservateurs, particulièrement celle de La Liberté de Fribourg : Aujourd’hui nous croyions qu’ils seraient plus prudents, sinon plus honnêtes et qu’ils s’abstiendraient de parler de meurtre politique à propos de la disparition du curé de Saxon. Il n’en est rien de la part de la Liberté. L’impudente menteuse, après avoir annoncé faussement que le cadavre de M. Raboud était retrouvé, insinue de nouveau que la politique pourrait bien ne pas avoir été étrangère au crime, si crime il y a eu [...]. 6 Tandis que l’enquête de la justice civile suit son cours, les curés des paroisses limitrophes d’Isérables, Riddes et Saillon sont convoqués à Sion le 31 janvier 1889 par l’évêque Adrien Jardinier pour être auditionnés7. Leurs témoignages permettent d’éclairer les circonstances qui précèdent le départ du curé de Saxon. On dresse d’abord le portrait de l’abbé Raboud en le décrivant comme un homme apprécié de ses paroissiens, « aimant la société », comme « un prêtre pas trop pieux et aimant le jeu », qui « jouait volontiers aux cartes », et dont « la régularité dans la récitation des divins offices laissait peut-être à 4 AC Saxon, non coté, Registre 1889-2001, « Chronique agricole et historique de la commune de Saxon pour l’an 1889 », p. 4. 5 Le Confédéré du 19.01.1889, p. 2. 6 Le Confédéré du 26.01.1889, p. 1. 7 AES, 187-57. Il s’agit des curés Benjamin Heymoz à Isérables, Germain Luyet à Riddes et Charles de Riedmatten à Saillon.
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désirer »8. Quant aux raisons du départ en lui-même, les témoignages concordent surtout sur le point du découragement ressenti chez lui par ses confrères. Fait important, le curé Raboud semble en outre avoir prémédité son départ, comme le laisse entrevoir le témoignage du curé Luyet de Riddes : Ayant dîné chez lui douze jours avant sa disparition, je l’ai entendu dire que le printemps prochain il donnerait sa démission à l’occasion de l’arrivée de Monseigneur dans sa paroisse [...]. Il déclara aussi au Conseil municipal de Saxon, le jour du rendement des comptes, que ce serait la dernière fois qu’il les réglerait avec eux. 9 Cependant l’affaire continue de déchaîner les passions politiques qui trouvent des échos dans toute la presse romande. Le 11 février, un article qui paraît dans La Gazette
de Lausanne cite un témoignage initialement publié par La Tribune qui « raconte que M. Raboud, ex-curé de Saxon, a été vu sain et sauf, le 28 janvier, à Marseille »10. Le 23 février, c’est Le Confédéré qui cite à son tour L’Impartial de La Chaux-de-Fonds selon lequel « ce joli monsieur a été vu à Marseille en agréable compagnie »11, se divertissant au passage des « prouesses du bon frère qui, après avoir jeté le froc aux orties, a pris la poudre d’escampette »12. Au mois d’avril suivant, Le Confédéré donne de nouvelles précisions sur la fuite de l’abbé Raboud en écrivant que « le bruit court que l’ex-curé de Saxon est ressuscité, qu’il se trouve en ce moment dans la République de
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AES, 187-57. AES, 187-57. La Gazette de Lausanne du 11.02.1889, p. 2. Le Confédéré du 23.02.1889, p. 1. Le Confédéré du 23.02.1889, p. 1.
l’Equateur »13. De son côté, le Conseil communal de Saxon n’a pas attendu ces nouveaux éléments de l’affaire pour réagir : il a déjà sollicité l’évêque par une lettre datée du 17 février 1889 et pris le soin de préciser qu’il souhaiterait si possible « un prêtre d’un certain âge et qui aurait déjà acquis un certain usage de la vie »14. C’est un curé hérémensard de 38 ans, Joseph Logean, qui remplace le curé Raboud et administre la paroisse de Saxon pendant plus de trente ans jusqu’en 1920. Quant à l’ancien curé de Saxon, il réapparaît finalement en Argentine dans la province de Santa-Fe, vraisemblablement au mois d’avril 1889. Curé d’Esperanza d’origine piémontaise, Luis Castronuovo adresse en effet à l’évêque de Sion une lettre datée du 23 octobre 1889 dans laquelle il rend compte de l’arrivée de Raboud : Il y a presque six mois que un tel Emile Raboud, ancien curé de Saxon, selon lui-même s’annonce, se présenta à Monseigneur l’Eveque de Parana […] sans avoir aucun papier ad hoc de Votre Grandeur, pas même [de] passeport, en disant de les avoir perdus pendant le voyage ; de plus [il] ne revêtait [rien de] tout à fait de séculier sous aucun égard. […] Le nommé Raboud y a ici une sœur, un confrère, dont le nom est Manuel Pignat […] 15 Incardiné par l’évêque argentin au cours de cette même année 1889, Emile Raboud quitte ensuite définitivement le sacerdoce et devient employé de chemin de fer ; il meurt le 27 septembre 1920, à l’âge de 67 ans, dans la province d’Entre-Rios16. 13 Le Confédéré du 13.04.1889, p. 1. 14 AES 187-60, Lettre du Conseil communal de Saxon à l’évêque de Sion du 17.02.1889. 15 AES 187-59, Lettre du père Luis Castronuovo à l’évêque de Sion du 23.10.1889. 16 FAVRE, L’histoire de la paroisse d’Isérables, p. 73.