Christianisme et societe en corse

Page 8

10

ÉGLISE ET SOCIÉTÉ

ce qui vient de l’extérieur. Aussi fallait-il absolument que les reliques de sainte Restitude aient été importées. Beaucoup plus que de vérité historique, telle que nous l’entendons, on était davantage préoccupé de fournir des « lettres de noblesse ». Plus ou moins post-fabriquées, elles étaient censées constituer à elles seules des preuves d’authenticité. C’est ainsi que la Colonna Sacra de l’archidiacre Colonna fait venir sainte Restitude de Bonifacio (terre génoise), où elle aurait été martyrisée en 303, sous Dioclétien. L’historien Filippini fait aborder son corps, enfermé dans un sarcophage de marbre, sur les rivages du golfe de Calvi. Mgr de La Foata lui-même l’identiait péremptoirement à la martyre de Ponizare. De ce fait, elle appartiendrait au groupe des martyrs d’Abiténe mis à mort à Carthage le 12 février 304 ; ses reliques auraient été transportées en Italie par les chrétiens fuyant la persécution des Vandales (435-440). C’est ainsi que les reliques conservées à Calenzana proviendraient de Naples, où seule la tête de la sainte serait demeurée. Mais les positions et propositions des uns et des autres ne sont pas intangibles. Aussi, à titre d’hypothèse, j’ai exposé à la lumière des derniers travaux concernant la formation coutumière d’un droit à la possession des reliques3, ce qui pourrait être à l’origine du culte des reliques vénérées à Calenzana4. LES TEXTES

Il était donc communément admis que le martyre de sainte Restitude de Calenzana n’avait pas eu lieu en Corse. Du moins jusqu’à l’intervention du P. Albert Poncelet. Ce savant jésuite, membre de la célèbre et érudite Société des Bollandistes, grands spécialistes en hagiographie, découvrait dans la Bibliothèque vaticane un nombre important de « légendiers » qui furent publiés en 19105. Dans cette masse imposante de « légendes »6, la « passion » de sainte Restitude

3. HERMANN-MASCARD (Nicole), Les Reliques des saints. Formation coutumière d’un droit, thèse de doctorat en Droit, Paris, 1974. 4. Les légendes, les traditions populaires et les certitudes concernant le culte de sainte Restitude ont été exposées par François J. Casta, Santa Restiduta di Calenzana, Presbytère de Calenzana, 1977, 44 p. 5. PONCELET (Albertus), s.j., Catalogus codicum hagiographicorum bibliothecae vaticanae, Bruxelles, 1910. 6. Il convient de débarrasser le mot « légende » du sens péjoratif qu’il a pris en français. Ce mot est à entendre au sens latin de « legenda », « ce qui est à lire ». Lorsque les données sur la vie d’un saint étaient par trop inconsistantes, on les remplaçait par un sermon. Ainsi entendu, le mot « légende » n’implique aucun jugement de valeur sur le caractère historique ou ctif du récit, mais situe un genre littéraire. Quant au mot « légendier » qui revient souvent sous la plume du P. Poncelet, il désigne un recueil de « légendes ». Pour en savoir plus, on peut se reporter à Hippolyte Delaye, Les Passions des martyrs et les genres littéraires, Bruxelles, 1921. René Aigrain, L’Hagiographie, ses sources, ses méthodes, son histoire, Paris, 1973.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.