Bruxelles Culture 15 janvier 2019

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L’HOMME SANS OMBRE La mémoire d’Elihu Hooper reste un mystère insondable pour les médecins. Atteint d’une infection rarissime, son cerveau ne parvient pas à conserver les souvenirs davantage que quelques secondes, tirant un trait sur son passé, son vécu et ses émotions. Auteure d’une œuvre colossale, Joyce Carol Oates possède un rythme qui ne faiblit pas et, à presque quatre-vingts ans, prouve qu’elle a toujours autant de choses à raconter, maîtrisant à la perfection les rouages d’une bonne intrigue. Davantage qu’un thriller, elle propose une enquête psychologique qui renvoie le protagoniste dans le temps et relance l’image obsédante d’une jeune fille morte flottant sur les eaux. Fraîchement diplômée, Margot décide de saisir à bras-le-corps le singulier patient de l’hôpital qui l’a engagée. Entre eux se noue une relation ambiguë et freinée par l’éthique qui restreint chaque médecin aux gestes strictement professionnels. Avec un sens de la formule, l’auteure maintient le tempo sans essoufflement et reste à l’écoute du sens de la réalité, en ponctuant chaque chapitre de détails idoines pouvant mener à une effroyable explosion de violence ou à une révolte intérieure. La sécheresse de l’écriture (peut-être due à la traduction ?) dote l’histoire d’une tonalité presque chirurgicale, où l’empathie est mesurée et l’anecdote camouflée. De facto, il s’agit d’une plongée dans l’Amérique de toutes les contradictions. A nouveau, l’écrivaine refuse d’apposer le moindre jugement, essayant simplement de décrire le plus objectivement possible des tourments obsessionnels sous leurs aspects divers. Ceux qui connaissent ses livres précédents l’affirment : « L’homme sans ombre » parle de la fragilité humaine, de ses errements et de sa souffrance. Entre confort et inconfort, ce roman peut s’apparenter à une gifle qui nous arrache du ronron et de notre suffisance. Efficace et bien huilé ! Ed. Philippe Rey – 394 pages Paul Huet

BONHEURS ET SURPRISES DE LA LANGUE Le français, à l’instar de toutes les langues véhiculaires, est un matériau intangible et poreux, qui réagit au contact de nombreux vecteurs, toujours en réaction avec une société qui s’accroche aux modes, aux technologies et à une jeunesse à la recherche de ses propres formules sémantiques. Les adeptes du bon langage ne peuvent évidemment pas nier cette évidence et savent que lutter contre le temps qui passe est voué à l’échec. Le présent ouvrage s’évertue à dépister dans le parler de nos concitoyens ce qui le rend tellement attractif et ce qui en fait sa richesse. A côté de l’écriture de dictionnaires et d’essais, l’Académie française a pour vocation de constater la manifestation du génie oral par le truchement d’interventions qui deviennent progressivement des mots nouveaux ou expressions devenues communes auprès d’une frange de la population. Emprunts, déformations et créations, tout se conjugue dans un vaste réservoir qui laisse aux années l’opportunité de célébrer ou non son office. Qu’on le veuille ou non, tout change, servi par des paramètres qui échappent au quidam. Pourtant, il n’y a pas matière à se heurter à un mur, la langue française se sert de ses atours pour rayonner dans le monde et prouver qu’elle n’a rien d’une vieille dame. Le présent essai se targue de revenir à l’origine d’expressions familières telles que « Je t’aime grave » ou « C’est plié », tout en ne rechignant jamais à comparer ce qui peut l’être. Quelle différence existe-t-il entre « lardons, brocards et autres piques » ? Faut-il encore utiliser le subjonctif imparfait ? Savourons ce divertissant hommage à nos racines sans avoir peur de relire l’un ou l’autre chapitre. Ed. Philippe Rey – 288 pages Paul Huet


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