Petunia 4

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... autres. Je n’étais qu’un parasite parmi les autres, à guetter le champagne et les sand-

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wiches à l’œil, l’entregent d’Andy. Cela se voulait être une putain d’usine à rêves en opposition à la machine capitaliste, productive et individualiste, la société de consumation contre la société de consommation. Une communauté basée sur l’exubérance de sa fraternité et la convivialité subordonnée à la dictature vertueuse de son charismatique super-héros « Supermandy », tarte à la crème de foutre, qui au bout du compte faisait de nous tous ses putes perso, avec notre assentiment, volontaire ou non. Sa perruque argentée était la couronne de sa sainteté le Pape du Pop. Nous y étions tous des êtres fongibles. [...] VS : Je ne pouvais me battre contre lui qu’une arme à la main. Je ne pouvais que prêcher avec .32 automatique à 50 dollars. La suite m’a donné raison. Le personnage de Warhol avait tout écrasé dans les médias. Des hypocrisies du genre : il est plus facile de tuer que de créer. Il m’avait volé une fois de plus mes super-pouvoirs comme il l’avait toujours fait. Son mépris de ma haine. La conspiration des Warhols & associés a perverti le message que pouvait incarner mon geste. À faire semblant de déchiffrer ma violence pour singer l’humaniste qui la comprend, et même pire, qui fait la charité de l’excuser. C’est cela l’Amérique d’aujourd’hui. « Pô-ôvre Valerie ! Tellement aigrie. Infortunée petite fille ! » Warhol a fait comme si cet assassinat était le sien. Je n’étais même plus un spectre guerrier du féminisme armé de sa propagande sociale. Je n’étais plus alors qu’une faible femme, faible d’esprit, hystérique et égarée, qui voulait à tout prix son quart d’heure de célébrité. Un animal de fable, une bête de foire, une fiction que ne rapportera rien. J’avais des comptes à régler, c’est vrai. Pourquoi cela ne pouvait pas être compris également comme un acte terroriste, un moment de spectaculaire beauté, une performance artistique du plus pur style Factory « tellement xxe siècle » ? Ce procès, ici et maintenant, me coûte la vie et en échange, il me rend quelques droits. [...] VS : Durkheim disait que l’homme ne s’élève au-dessus de soi que par ce qui violente ses appétits spontanés. Pour que la femme s’élève, il faut qu’elle cesse de se faire passer pour la femelle de l’homme, qu’elle cesse de vouloir prendre sa place, qu’elle laisse parler son appétit de le bouffer comme seul repas de la journée. Un ascétisme de la violence. La terreur. Médée puissance un milliard. Il faut rendre la matrice aux femmes. [...]

42 Pétunia N°4

Couloir de la mort de la prison de San Quentin, San Francisco, État de Californie, minuit entre le 24 et le 25 avril 1988 VALÉRIE SOLANAS : Je savais que tu viendrais.

C’est bien toi, n’est-ce pas ? ANDY WARHOL : C’est bien moi Valerie. Comment vas-tu ? VS : C’est rare qu’un artiste demande ça. C’est comme tu le vois. Ce n’est pas pire ici que l’asile Elmhurst et ses électrochocs, pas pire que la Factory. C’est la société américaine à petite échelle où tout le monde commerce avec sa pathologie. Il n’y a pas de prison pour femmes pour les condamnées à mort. Les femmes sont de fait des prisonnières politiques dans le couloir de la mort.


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