Orgueil et Préjugés

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pas eu le bonheur de réussir près de vous ? » Mais Linda revenant de son premier trouble fit un effort sur ellemême, et l’assura avec calme que l’espoir de l’avoir pour parente lui était fort agréable, et qu’elle lui souhaitait le bonheur le plus parfait. « Je vois votre pensée, repartit Sarah, vous devez être surprise et très surprise, en vous rappelant qu’il y a deux jours, c’était vous que M. Colins voulait épouser… Mais lorsque à votre aise vous y aurez réfléchi, ma conduite ne vous paraîtra pas si extraordinaire. Je ne suis point romanesque, vous le savez, je ne l’ai même jamais été : je n’ambitionne qu’un ménage aisé, un chez moi ; et considérant la bonne réputation de M. Colins, ses liaisons et son état, je crois que mes espérances de bonheur sont tout aussi fondées que celles de la plupart des gens qui se marient. — Sans doute, répondit Linda ; et après un silence embarrassant pour toutes deux, elles allèrent rejoindre le reste de la famille ; Sarah ne demeura que peu d’instants, et Linda eut alors le loisir de réfléchir à ce qu’elle venait d’apprendre. Que M. Colins dans l’espace de trois jours eût fait deux offres de mariage, cela lui paraissait, il est vrai, une chose bizarre, mais que ses offres fussent acceptées c’était ce qu’elle ne pouvait comprendre ; plus d’une fois elle s’était aperçue que les idées de Sarah sur le mariage différaient des siennes, mais elle n’aurait jamais imaginé que dans l’occasion, Sarah eût sacrifié son bonheur intérieur aux avantages de la fortune. Sarah, la femme de M. Colins, était pour elle une pensée humiliante, et le chagrin de voir une amie se dégrader et perdre dans son estime, s’accroissait encore par l’affligeante conviction, qu’il était impossible que cette même amie pût trouver quelque bonheur dans le sort qu’elle avait choisi.

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