Esprit Criminel

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Les obsèques eurent lieu au matin du vingt et un août. Marie et Alfred n’assistèrent pas à la cérémonie. Ils se contentèrent de se joindre au cortège qui accompagna l’écrivain jusqu’à sa dernière demeure, au PèreLachaise. Il avait plu, et Marie avançait avec peine, serrée dans les rangs compacts d’une foule trop nombreuse, composée de beaucoup d’ouvriers typographes, de lecteurs fidèles, d’anonymes parfois illettrés qui admiraient l’homme sans connaître l’œuvre. Pourtant, parmi cette masse populaire, on croyait apercevoir parfois une personnalité, dont le nom nous échappait, mais dont le daguerréotype avait inspiré quelques gravures dans la presse. Le cercueil était flanqué de deux hommes, deux héros populaires. L’un, dont la présence était presque une insulte au fantôme, était Alexandre Dumas, ennemi de longue date, que Balzac détestait copieusement. L’autre, ami sincère, avait assisté à ses dernières heures, et lui avait presque fermé les yeux ; il s’agissait de Victor Hugo. Le cortège se fraya un chemin jusqu’au lieu où s’élèverait plus tard la sépulture. Marie remarqua, sans le vouloir, que Balzac serait pour l’éternité le voisin de Charles Nodier. Tandis que résonnait le discours grandiose de Victor Hugo, Alfred serra doucement le coude de Marie et lui montra discrètement un visage dans la foule. Une petite femme brune, vêtue de noir, à l’air infiniment triste, regardait le cercueil avec une compassion immense et désespérante d’impuissance. — George Sand, chuchota simplement Alfred à l’oreille de son amie. 81


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