Contact, hiver 2018

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Pour être bénéfique, la médecine en fonction du code génétique doit être combinée à la promotion de saines habitudes de vie.

de dollars dépensés en vain pour la société. « Les tests pharmacogénomiques pourraient d’emblée éliminer les prescriptions inefficaces ou néfastes pour un individu et ainsi accélérer sa prise en charge », affirment Chantal Guillemette et sa collègue Isabelle Laverdière, également professeure à la Faculté de pharmacie. Pour les deux chercheuses, la médecine de précision consiste à optimiser le médicament pour diminuer les effets secondaires et augmenter les bénéfices en utilisant l’information génétique sur le patient et sa maladie. « Neuf personnes sur dix ont au moins un gène qui a le potentiel d’interagir négativement avec un médicament. Idéalement, il serait judicieux de tester génétiquement chaque patient avant de lui prescrire un traitement », mentionne Chantal Guillemette.

Plusieurs effets secondaires pourraient être évités par l’analyse des interactions entre les gènes et les médicaments. Jusqu’à ce jour, on connaît quelque 200 médicaments sur lesquels les gènes peuvent avoir de l’influence. « La génomique est un outil de plus permettant au corps médical de trouver le meilleur médicament pour chaque individu, réitère Isabelle Laverdière. Un tiers des effets secondaires pourraient être évités par l’analyse des interactions entre les gènes et les médicaments. »

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DU LABO AU PATIENT

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Mais pour que ces tests pharmacogénomiques se rendent jusqu’aux médecins, puis aux patients, il faut pousser le transfert de ces technologies vers la clinique. Or, selon Jacques Simard et Yves Fradet, les compagnies pharmaceutiques s’intéressent peu à la mise en marché des tests, qui sont financièrement moins intéressants

que les médicaments. Les instances gouvernementales attendent des données probantes démontrant les bénéfices de la médecine de précision dans le contexte de notre système de santé. Plusieurs études sur les enjeux liés à l’utilisation des tests basés sur le génome – faisabilité, implantation, acceptation – sont en cours au Canada et dans le monde, mais peu au Québec. Leur coût – des dizaines de millions de dollars – limite les possibilités de subvention. « Il faut croire en l’innovation québécoise et faire le saut, pense Yves Fradet. On pourrait être des leaders mondiaux dans ce domaine. Cette nouveauté doit être vue comme un investissement et non comme une dépense supplémentaire. » Surtout que les tests qui « interrogent » notre génome sont de moins en moins coûteux et les bénéfices sont très importants, d’ajouter Chantal Guillemette et Isabelle Laverdière. Par ailleurs, le Dr Simard préconise d’éviter d’inonder les patients d’information génétique. Il suggère d’introduire ces données dans le dossier médical de façon ciblée. Si un médecin suspecte qu’une femme, par son historique familial, est à risque de cancer du sein, il ira scruter ses gènes sur cette question seulement. « Il faut ensuite encadrer les gens de façon à ce qu’ils utilisent leur génétique pour se prendre en main », soutient Jacques Simard. Par exemple, une femme à haut risque de cancer du sein d’après ses gènes peut mettre les chances de son côté en surveillant sa consommation d’alcool, en faisant plus d’activité physique et en mangeant sainement. Inversement, il faut empêcher celles qui sont à faible risque d’abandonner leurs bonnes habitudes de vie. « Pour que la médecine de précision ait du succès, il faut s’assurer que l’information génétique soit couplée à des actions et à des bénéfices pour le patient », ajoute le chercheur. Il cite l’exemple du nouveau Réseau ROSE. Crée par des chercheurs de l’Université Laval, ce réseau encadre des femmes à risque élevé de cancer du sein ou de l’ovaire. France Légaré est tout à fait d’accord. Connaître le patient sous toutes ses coutures génétiques ne change rien si cela n’améliore pas sa prise en charge. L’ADN dans le dossier médical, oui, mais pas à n’importe quel prix !


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