Cliopsy n° 24 – octobre 2020

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Claudine Blanchard-Laville et Patrick Geffard

essentiels à mes yeux. D’une part, ce qu’on appelle la psychiatrie de secteur et, d’autre part, la psychothérapie institutionnelle. Le premier, la psychiatrie de secteur, c’est l’organisation de la psychiatrie dans toute la France sur le modèle républicain. Il doit y avoir des écoles dans tous les villages et dans tous les quartiers. De même pour la poste. Et il doit y avoir des services de psychiatrie au service de la population dans tous les villages et tous les quartiers. C’est un système profondément démocratique puisqu’il est accessible à tous les citoyens, indépendamment de leurs moyens. Avec la psychiatrie de secteur, il ne s’agit plus de faire venir des malades dans l’hôpital. On sort de la guerre pendant laquelle 75 000 malades mentaux sont morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques français sur les 100 000 qui s’y trouvaient. Deux tiers sont morts de faim. La démonstration était faite que faire venir les malades à l’hôpital pour les soigner était un processus mortifère. L’idée était de faire l’inverse, c’est-à-dire qu’une équipe de psychiatrie aille au-devant des personnes qui en avaient besoin au plus près de chez eux. « Le bon sens auprès de chez vous », bien avant que ce soit repris par une banque que vous connaissez, est la philosophie de travail de la psychiatrie de secteur. Cette psychiatrie de secteur est une organisation tout humaine. Comment faire de la psychiatrie en tant que discipline médicale, mais avec ses spécificités ? Ne pas faire venir par principe les gens à l’hôpital, mais aller là où ils sont et discuter avec eux de leur souffrance psychique pour essayer de voir comment on peut faire autrement. La psychiatrie de secteur est une sorte de présentation administrative de la psychiatrie révolutionnaire en question. J’emploie le mot d’« administration » au bon sens du terme, dans le sens où il faut des postes et des écoles partout. L’administration n’est pas qu’un système persécutif. C’est normalement un système qui doit envoyer les fonctionnaires de l’école laïque dans tous les départements français. C’est de cette administration dont je parle. Si aucun système philosophique n’insuffle dans la psychiatrie des concepts qui vont faire que cette organisation de la psychiatrie reste vivante, ce système administratif va devenir, comme tous les autres systèmes psychiatriques, un système fonctionnant de façon entropique et qui va vers la mort. Il est donc très important de bien comprendre qu’il y a l’organisation administrative, les établissements, mais qu’en fonction des hommes et des femmes qui font fonctionner ces établissements, les institutions qui vont en résulter peuvent être très différentes. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que l’on veut que ses enfants aillent dans tel lycée parce que l’équipe pédagogique y fait des trucs inventifs et donne envie aux enfants, alors que dans le lycée de votre « secteur », vous savez que l’équipe pédagogique est « out ». De quoi cela vient-il ? Cela vient de ce que, dans tel lycée, les gens se sont organisés entre eux pour penser la pédagogie de telle manière qu’elle soit vivante et cette image diffusée à l’extérieur fait que l’on pense qu’il s’agit d’un endroit où on peut cultiver savoirs et expériences partagés alors que dans un autre lycée, tout le — 112 —


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