Cliopsy n° 24 – octobre 2020

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Entretien avec Pierre Delion

Revue Cliopsy n°24, 2020, 107-140

de cette nouvelle spécialité et des gens qui s’y opposent très fortement. Et Jacques Hochmann, qui a fait un travail très minutieux d’historien sur la question, rend compte de ces débats et lit certains des propos de ceux qui étaient opposés à l’institutionnalisation de la psychiatrie. Je me souviens qu’à la fin de l’intervention d’Hochmann, tu prends la parole pour dire : « Finalement, l’intervention de Jacques Hochmann m’a fait du bien, m’a soigné en quelque sorte parce que les propos tenus au XIXe siècle contre la psychiatrie étaient quasiment mot pour mot les propos tenus contre le recours à la psychanalyse ou à la technique du packing dans le cas de la psychose infantile. » Cela inscrivait dans le long terme, celui de l’histoire, les attaques – abjectes par ailleurs – qui semblaient centrées sur ta personne. C’était mon « je me souviens » par rapport à nos rencontres. Claudine Blanchard-Laville : Passons maintenant aux questions que nous avions envie de te soumettre. Tu sais peut-être que j’appartiens à une équipe de recherche centrée sur la question de la construction du rapport au savoir des sujets. Peut-être que tu pourrais nous faire partager ce que tu analyses aujourd’hui de ton rapport au savoir à travers ton parcours professionnel en évoquant pour nous ceux que tu appelles quelquefois tes maîtres, ton lien à la psychanalyse, tes analystes éventuellement et aussi les influences qui ont été déterminantes pour tes bifurcations dans ce parcours, même si de nombreux éléments en réponse à ces questions figurent déjà dans ton livre Mon combat pour une psychiatrie humaine où tu racontes notamment ta rencontre avec Oury. Pour ma part, et plus spécifiquement, j’ai très envie de t’entendre nous parler de ce qui t’a fait rejoindre l’université à un moment donné – faire une thèse, passer une Habilitation à Diriger des Recherches, devenir professeur des universités – alors que, comme tu l’écris, « Rares sont ceux qui, dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle acceptent de se lancer dans une carrière universitaire ». Tu écris aussi qu’il existe « une traditionnelle séparation entre la psychiatrie universitaire et celle de l’hôpital » et que tu n’avais pas songé à devenir universitaire avant les années 90. Je t’inviterais à parler de tout ce parcours, si tu le veux bien. Pierre Delion : Je vous remercie pour ce programme. Voici quelques éléments pour répondre, pour improviser une réponse à la question de Claudine, qui reprendra des éléments de ce que Patrick a proposé. Quand je fais médecine à Angers, je vis une espèce de dissociation, pas schizophrénique (je ne suis pas schizophrène, personne n’est parfait), entre ce que j’avais imaginé de l’exercice de la médecine auquel je m’appliquais pour devenir médecin – je reprendrai cela dans mon analyse, cette figure très importante du médecin généraliste de mon enfance, dans mon petit village de la Sarthe, à l’abri de la rillette – et la réalité des études médicales, notamment des pratiques d’un certain nombre de professeurs de la Faculté de médecine d’Angers que je trouvais insupportables et inadmissibles. Je ne vais pas vous raconter les choses en détail, mais je peux évoquer, par exemple, l’histoire de cet homme qui avait un nævus qui s’est transformé en mélanome sur la verge. Le chirurgien qui va l’amputer de la verge, la semaine après l’opération, a fait monter cet homme sur une table pour nous — 109 —


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